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Introduction

Nous proposons dans cet article de poser un regard sur les interventions familiales dans le contexte particulier d’un premier épisode psychotique (PEP) en traitant des liens de collaboration établis entre des parents et des travailleuses sociales[1] oeuvrant dans une clinique spécialisée dans l’intervention auprès de personnes en début d’évolution d’une psychose. Plus spécifiquement, cet article a pour but de documenter les dimensions de la relation de collaboration qui s’est établie entre des parents et beaux-parents et des travailleuses sociales oeuvrant à cette clinique. Nous visons aussi à dégager les facteurs qui ont facilité ou, au contraire, ont contraint cette relation, et à identifier, à partir du discours des parents, sur quoi reposent les pratiques collaboratives. Pour ce faire, nous débutons par une présentation des perspectives qui servent d’assises théoriques à l’article. Un état actuel de l’intervention familiale est proposé, puis le cadre théorique et analytique de l’étude est présenté. Par la suite, une section sur la méthodologie fait notamment état des objectifs de l’étude, du profil des participants, de l’instrument de mesure utilisé, de même que des analyses effectuées. Puis, les résultats obtenus pour chacune des dimensions de l’Échelle de collaboration appuyés d’extraits du discours des participants à l’étude sont présentés. Enfin, nous proposons des suggestions pour améliorer les pratiques collaboratives avec les familles lors d’un PEP.

L’état actuel des connaissances sur l’intervention familiale

Les meilleures pratiques dans le contexte de l’intervention auprès des personnes atteintes de schizophrénie ou d’une première psychose recommandent l’engagement des familles dès le début du processus d’intervention (International Early Psychosis Association [IEPA], 2005; Lines, 2000). Cette recommandation repose sur le fait que les interventions familiales ont un effet favorable sur l’état de la personne atteinte d’un trouble mental, plus particulièrement sur le taux de rechute qui peut être réduit de 20 % (Addington et Burnett, 2004; Solomon et Marshall, 2002). Les principales approches d’intervention familiale en santé mentale sont basées sur les travaux de Anderson, Reiss et Hogarty (1986); Falloon, Boyd et McGill (1984); Vaughn et Leff (1976); et de Tarrier, Barrowclough et Vaughn (1988) qui ont mené au développement de l’approche psychoéducative. En parallèle, le mouvement associatif des familles (en particulier la National Alliance for Mental Illness [NAMI] aux États-Unis) a joué un rôle important dans le développement de programmes fondés sur une approche éducative répondant spécifiquement aux besoins des familles (Hatfield, 1994). Ces deux types d’approches comportent d’ailleurs des distinctions importantes. Si l’approche psychoéducative est offerte aux familles afin d’augmenter leurs habiletés à composer avec les conséquences du trouble mental, de diminuer le stress dans l’environnement familial, et ultimement de réduire le taux de rechute de la personne atteinte; l’approche éducative est conçue pour répondre aux besoins spécifiques des familles, qu’il s’agisse des besoins d’information sur les troubles mentaux, sur la façon de composer avec ces troubles, de même que les ressources du système de santé et communautaires pouvant leur être offertes (St-Onge et Tessier, 2004). Les programmes éducatifs ont été développés à partir d’un savoir scientifique, mais aussi d’un savoir expérientiel, car la création de la NAMI est l’oeuvre de personnes qui sont à la fois des intervenants du domaine de la santé mentale et des parents de personnes atteintes de schizophrénie.

À ce jour, on a recours majoritairement à des interventions familiales prenant appui sur l’approche psychoéducative auprès de ces familles (Linszen et Dingemans, 2002), celles-ci ayant démontré leur efficacité (Barbato et D’Avanzo, 2000; Dixon et Lehman, 1995; Lamb, 1991; Mari et Streiner, 1994; Penn et Mueser, 1996). L’approche psychoéducative a fait en partie ses preuves concernant l’acquisition de connaissances sur le trouble mental, l’amélioration des stratégies d’adaptation des personnes engagées dans un rôle de soutien, la réduction du fardeau familial ainsi qu’une plus grande satisfaction à l’égard des soins (Barbato et D’Avanzo, 2000; Falloon, 2005; Mottaghipour et Bickerton, 2005; Penn et Mueser, 1996). L’intervention auprès des familles a été évaluée par des leaders du domaine de l’intervention précoce auprès de programmes bien établis en Australie, au Canada et au Royaume-Uni comme une composante essentielle de ce type d’intervention. Les résultats ont montré une maximisation du fonctionnement des familles et une diminution des risques de difficultés à long terme (Fadden et Smith, 2009).

Bien que l’engagement des familles dans l’intervention soit crucial au rétablissement des personnes ayant un trouble mental, peu d’études se sont attardées à l’influence de la relation entre les familles et les intervenants; la majorité ayant recours à des indicateurs relatifs au taux de rechute (Addington, 2007; Corcoran et coll., 2007; Solomon et Marshall, 2002). Plusieurs études démontrent que ce sont souvent les familles qui initient la demande d’aide lors d’un PEP (Morgan et coll., 2006; O’Callaghan et coll., 2010; Sharifi et coll., 2009; Wong et coll., 2008), elles seraient à l’origine de 30 à 50 % des demandes d’aide pour un membre de leur entourage (O’Callaghan et coll., 2010; Sharifi et coll., 2009). La pertinence de l’intervention dédiée aux familles est justifiée par les leaders cités plus haut, par le fait que :

Working with the family and others who are important in the young person’s social network ensures that their difficulties are understood in a social context. It facilitates the establishment of effective collaborative working relationships between the individual, family and healthcare services. Offering help at this early stage supports the family’s understanding, the way in which they relate to each other, and their adjustment to the major changes they face in their lives. It also helps to minimize the risk of problems developing for individuals and for the family as a whole

Fadden et Smith, 2009, p. 23

L’organisation actuelle des services en santé mentale tend à placer un accent plus marqué sur l’engagement des familles dans l’intervention surtout dans des cliniques spécialisées (Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), 2005; Commissaire à la santé et au bien-être [CSBE], 2012), mais on tarde au Québec à généraliser ces bonnes pratiques, entre autres celles misant sur la réponse à leurs besoins spécifiques dont les travaux de Mottaghipour et Bickerton (2005) font état. À ce titre, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a lancé récemment des lignes directrices en faveur d’un système de prestations de services pour les proches aidants d’adultes ayant un trouble mental (MacCourt, 2013). Les recommandations formulées par cette Commission visent à soutenir les membres de la famille afin qu’ils puissent offrir le meilleur soutien possible sans toutefois compromettre leur propre bien-être (MacCourt, 2013).

La CSMC s’est basée justement sur les travaux de Mottaghipour et Bickerton (2005) qui ont construit un modèle, la pyramide des soins familiaux, comprenant cinq ordres hiérarchiques d’intervention comme guide à la mise en oeuvre des bonnes pratiques auprès des familles engagées dans un rôle de soutien. Cette pyramide représente une synthèse entre les approches éducative et psychoéducative, car l’évaluation des besoins des familles est au coeur de ce modèle. Les trois premiers ordres correspondent à un degré minimal de services devant être offerts aux familles afin qu’ils soient considérés comme des bonnes pratiques. Il s’agit de : 1) l’établissement du lien et l’évaluation des besoins, 2) l’éducation générale et de 3) la psychoéducation. Le recours aux ordres supérieurs ne se fait pas systématiquement. La consultation 4) est requise lorsque la « connexion » entre la famille et l’intervenante principale présente des défis supplémentaires ou que la famille est encore en détresse à la suite des interventions précédentes, alors que la thérapie familiale 5) est envisagée lorsque la famille présente des besoins complexes devant être répondus par un spécialiste de la thérapie familiale, mais cette situation est plutôt rare (MacCourt, 2013; Mottaghipour et Bickerton, 2005).

Le cadre théorique et analytique de l’étude

Des pathologies familiales aux compétences familiales : un nouveau paradigme

Depuis les années 1990, on assiste à l’émergence d’un paradigme axé sur les compétences plutôt que sur la pathologie des familles. Ce changement de paradigme est attribuable entre autres au développement des modes d’intervention dans la communauté, mais aussi au rôle central qu’ont joué des associations de familles qui militent pour une plus grande reconnaissance de leur contribution et de leur savoir expérientiel.

Ce paradigme renvoie à la valorisation des compétences et des forces des familles, mais aussi de celles des personnes ayant un trouble mental. De manière générale, la notion de compétence peut se définir comme « la capacité à agir efficacement, en mobilisant spontanément, correctement et de façon organisée des ressources internes et externes » sur lesquelles on peut s’appuyer (Beckers, 2007). Ce « savoir agir » ou ces « savoirs d’action » sont construits de connaissances, d’habiletés et d’attitudes. Dans cet ordre d’idées, les familles ne peuvent être catégorisées selon qu’elles sont compétentes ou non, rappelant l’importance d’apporter toutes les nuances nécessaires lorsqu’il est question d’analyser le système familial. Marsh et ses collaboratrices proposent plutôt une perspective qui tient compte de la spécificité de chaque famille en les positionnant sur un continuum de compétences (Marsh, Lefley et Husted, 1996). Les familles sont donc vues comme ayant des compétences pour composer avec leurs difficultés ou à tout le moins comme détenant un potentiel pour développer les compétences nécessaires (Early et GlenMaye, 2000). C’est de ce paradigme dont nous nous inspirons comme cadre théorique pour l’analyse des résultats et les pistes proposées en discussion.

Au coeur du paradigme sur les compétences : la notion de collaboration

La relation entre les familles et les intervenants est marquée par des antécédents historiques qui peuvent nuire à l’établissement d’une réelle relation de collaboration (Hatfield, 1986; Lefley, 1996). Des documents d’orientation ministériels (CSBE, 2012; MSSS, 2005) relèvent en effet que les pratiques collaboratives avec les familles sont à un état embryonnaire. Mais qu’est-ce que signifie adopter des pratiques collaboratives avec les familles?

Selon Hatfield (1994), la collaboration signifie le partage de la définition du problème, de la prise de décision et des responsabilités concernant la décision finale, reflétant un équilibre entre les besoins de toutes les personnes engagées dans cette décision. Comme base à cette définition se trouve le principe démocratique à l’effet que « chaque personne touchée par une décision devrait avoir une part dans le processus de prise de décision » (p. 53). Lacharité, Moreau et Moreau (1999) s’appuyant sur la définition proposée par Hatfield renchérissent en ajoutant que :

La collaboration signifie [de] travailler avec les gens plutôt que de faire les choses à leur place. L’idée de la collaboration nécessite l’abolition de la relation hiérarchique dans laquelle les professionnels détiennent le pouvoir et les familles jouent un rôle plus passif. La collaboration requiert donc le changement de modèles thérapeutiques, qui auparavant concevaient les familles en termes [pathologiques], pour maintenant les concevoir selon un modèle de compétence qui se concentre sur leurs forces et leurs habiletés

Lacharité et coll., 1999, p. 298

DeChillo, Koren et Schultze ont documenté les composantes essentielles à l’établissement d’une relation de collaboration qui les ont amenés à élaborer un instrument pour la mesurer. Des attitudes de soutien et d’empathie à l’endroit des membres de la famille, le partage d’information concernant le trouble mental, la reconnaissance du rôle des familles à titre de ressource indispensable et la réponse aux préoccupations des familles font partie de ces dimensions. Plus encore, le principe de réciprocité, basé sur le partage des responsabilités et du pouvoir, notamment en impliquant les familles dans les décisions prises pendant l’intervention, sont des éléments indispensables pour favoriser l’établissement d’une relation de collaboration (DeChillo, 1993; DeChillo, Koren et Schultze, 1994). Les dimensions multiples incluses dans la relation de collaboration ainsi que les ingrédients essentiels à l’établissement de ce type de relation sont cohérents avec ceux du travail social puisque l’autodétermination est valorisée, les compétences des personnes sont mises de l’avant et soutenues dans leur développement, alors qu’une interaction mutuelle et réciproque est valorisée entre les travailleurs sociaux et le système client.

La méthodologie

Les objectifs de l’étude

De nature exploratoire descriptive, ce second volet de l’étude[2] essentiellement basé sur une méthodologie quantitative, combinée à des questions ouvertes, vise à évaluer la relation de collaboration entre les travailleuses sociales et les parents au moment où ils ont reçu des services d’intervention familiale lors du PEP de leur jeune adulte[3]. Plus spécifiquement, ce sont les résultats descriptifs obtenus à l’Échelle de collaboration développée par DeChillo et coll. (1994) et les éléments du discours des parents qui ont répondu aux questions ouvertes relatives à cette collaboration qui ont permis de dégager les composantes de la relation de collaboration entre les parents et les travailleuses sociales. Plus précisément, les objectifs suivants étaient visés :

  1. Documenter les composantes de la relation de collaboration entre les parents et les travailleuses sociales;

  2. Dégager, à partir du discours des parents, ce qui a favorisé et dans le cas contraire, identifier ce qui a contraint l’établissement d’une relation de collaboration;

  3. Dégager des recommandations pour l’intervention familiale et le travail social.

Le site de l’étude

Cette étude a été réalisée en collaboration avec une clinique spécialisée dans le traitement des troubles psychotiques en début d’évolution affiliée à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ). Cette clinique offre des services d’évaluation et d’intervention à des jeunes adultes, en moyenne pendant les deux premières années qui suivent un PEP. Un programme d’intervention familiale en trois phases (voir le tableau 1) a été développé par les travailleuses sociales en complémentarité aux interventions de l’équipe interdisciplinaire (Gosselin et Viau, 2004).

Tableau 1

Synthèse des trois phases d’intervention familiale de la clinique

Synthèse des trois phases d’intervention familiale de la clinique
Source : Gosselin et Viau (2004, p. 26)

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Le recrutement des participants et la collecte des données

Ce sont les parents et les beaux-parents[4] d’un enfant d’âge adulte qui ont participé entre 2003 et 2008 aux deux premières phases de l’intervention familiale qui ont été recrutés dans le cadre de cette étude, car la dernière phase n’est pas offerte de façon systématique à tous les parents. Les participants avaient donc en commun d’avoir reçu des services de psychoéducation lors d’un groupe multifamilial. En cohérence avec les critères d’inclusion pour recevoir des services à cette clinique, leur enfant avait vécu au moins un PEP et le diagnostic probable devait faire partie de ceux regroupés dans la catégorie Schizophrénie et autres troubles psychotiques telle que décrite dans le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003).

Les parents (n = 141) correspondant aux critères d’inclusion ont été sollicités par un envoi postal pour participer à la recherche. L’échantillon final est composé de 58 parents qui ont un lien parental ou beau-parental avec le jeune adulte, ce qui représente 41,1 % de la population à l’étude. L’ensemble des entrevues, d’une durée moyenne de 90 minutes, ont été réalisées par téléphone par la première auteure, afin de remplir un questionnaire que les participants avaient préalablement reçu par la poste à leur domicile[5]. Conformément aux procédures éthiques dans le cas de recherches faisant appel à des sujets humains, cette étude a obtenu l’approbation du comité d’éthique du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (CRIUSQM). Les parents qui ont participé à l’étude ont signé un formulaire de consentement éclairé.

Le profil des parents et des jeunes atteints d’un PEP

L’échantillon est composé de 42 femmes, essentiellement des mères (une belle-mère) et de 16 hommes, dont deux beaux-pères (n = 58). L’âge moyen des répondants est de 55,9 ans, la majorité sont en couple (69 %) et occupent un emploi sur le marché du travail régulier (74,1 %). Concernant le revenu familial, 48,3 % des parents ont un revenu se situant entre 70 000 et 90 000$ tandis que 13,8 % ont un revenu de moins de 29 000$. Le tiers des répondants cohabitent avec leur enfant. Leurs enfants (n = 46) sont majoritairement des jeunes hommes, célibataires, âgés en moyenne de 26 ans. Ils détiennent un diplôme d’études secondaires (n = 20, 43,5 %) ou collégiales (n = 10, 21,7 %). Près de la moitié d’entre eux sont sans travail (43,5 %). Parmi ceux qui sont sur le marché du travail, sept occupent un emploi occasionnel et six travaillent 31 heures et plus par semaine.

L’Échelle de collaboration parents-travailleuses sociales

L’instrument retenu pour mesurer la collaboration entre les familles et les intervenants est le Family/Professional Collaboration Scale traduit par St-Onge et Morin (1998) et adapté dans le cadre d’une étude réalisée auprès de 99 aidants familiaux membres de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM) (Provencher, Perreault, St-Onge et Rousseau, 2003). Cet instrument constitué de 20 énoncés devant être répondus selon une échelle de type Likert allant de 1 « pas du tout » à 5 « tout à fait » évalue cinq dimensions de la collaboration pouvant s’établir entre les intervenants et les familles : (1) adopter une attitude compréhensive et soutenante à l’égard des parents, (2) partager l’information avec les familles, (3) faciliter l’accès aux services, (4) utiliser les rétroactions des familles pour modifier les interventions et enfin, (5) la collaboration globale (DeChillo et coll., 1994). Un score plus élevé dénote une perception de collaboration plus élevée. Cet article s’attarde aux quatre premières dimensions qui offrent un regard plus précis sur la collaboration.

Les analyses effectuées

À partir des résultats descriptifs de l’Échelle de collaboration et de l’analyse du contenu qualitatif provenant des réponses aux questions ouvertes ajoutées à ce questionnaire, les dimensions de la relation de collaboration entre les parents et les travailleuses sociales ainsi que les facteurs qui facilitent ou entravent l’établissement de ce type de relation sont dégagés.

Les parents devaient répondre en pensant à la travailleuse sociale avec qui ils ont eu le plus de contacts pendant le suivi de leur enfant à la clinique. Les questions ouvertes avaient pour but de connaitre plus particulièrement le point de vue des parents quant à l’établissement ou non de liens de collaboration avec les travailleuses sociales et les facteurs qui ont pu faciliter ou nuire à l’établissement de la collaboration. Le calcul du coefficient de Cronbach a montré une très bonne cohérence interne de l’échelle globale (alpha de 0,97), tandis que les coefficients des quatre sous-échelles se situent entre 0,87 et 0,92, des valeurs qui s’apparentent à celles obtenues par d’autres chercheurs ayant utilisé cet instrument (DeChillo et coll., 1994; Provencher et coll., 2003). Puis, une analyse du contenu des réponses aux questions ouvertes a été réalisée à partir de 42 entrevues afin de préciser et raffiner le point de vue des parents au sujet de la collaboration selon les techniques usuelles en analyse qualitative (L’Écuyer, 1987, 1990; Mayer, Ouellet, Saint-Jacques et Turcotte, 2000). Les propos des parents ont servi à illustrer les résultats quantitatifs, alors que d’autres éléments de leur discours ont permis d’approfondir le regard porté sur la collaboration et ont alimenté la réflexion concernant les retombées de l’étude, tant sur le plan de l’intervention que sur celui des recherches à poursuivre dans le futur. Ce faisant, le recours au contenu qualitatif a permis de pallier en partie une limite associée à l’utilisation d’un devis quantitatif, soit celle de négliger des aspects qui pourraient émerger spontanément lors des entrevues et permettre d’approfondir la réalité des participants, ce qui n’est pas possible par le recours aux questions fermées.

Les résultats obtenus

Le contexte marquant la relation entre les parents et les travailleuses sociales

Les participants se sont d’abord prononcés sur l’établissement d’une relation de collaboration au cours des contacts qu’ils ont eus avec les travailleuses sociales de la clinique. La notion de « contacts » renvoie aux différentes activités cliniques lors desquelles ils ont été en relation avec ces intervenantes. Il peut s’agir de rencontres individuelles, familiales ou de groupe ainsi que de réunions d’équipe, notamment lors de l’élaboration et de la révision des plans d’intervention.

Parmi l’ensemble des répondants, 43 parents ont eu plusieurs contacts avec les travailleuses sociales depuis le début du suivi de leur jeune à la clinique, alors que 15 parents ont seulement eu des contacts lors du groupe multifamilial. C’est donc dire que la majorité (74,1 %) a poursuivi les contacts avec ces intervenantes tout au long du suivi de leur jeune. Concernant la durée s’étant écoulée depuis leur dernier contact, pour 70,7 % (n = 41) celui-ci se situe à l’intérieur des deux dernières années, dont 46,6 % dans les derniers six mois. Enfin, la majorité des participants (74,1 %, n = 43) affirment que les travailleuses sociales ont tout à fait répondu à leurs attentes, tandis qu’une faible proportion (3,4 %) considère que ce fut peu ou pas le cas. En outre, 84,5 % des parents (n = 49) considèrent qu’ils ont été en mesure d’établir un lien de collaboration avec les travailleuses sociales. Parmi les autres répondants, quatre parents disent ne pas avoir établi de liens de collaboration et n’ont pas été en mesure de remplir l’échelle. Les contacts qu’ils ont eus avec ces intervenantes s’étant limité à leur participation au groupe multifamilial, ils n’étaient pas en mesure de répondre aux énoncés de l’instrument de mesure. Ces quatre questionnaires ont donc été retirés des analyses pour un échantillon final de 54 parents.

Les résultats descriptifs à l’échelle de collaboration

Le score moyen obtenu à l’échelle de collaboration parents-travailleuses sociales (M = 4,17, É.-T.= 0,80) démontre que les parents qui ont reçu des services à cette clinique ont établi une relation de collaboration élevée avec les travailleuses sociales; 12 énoncés sur 20 ayant obtenu un score moyen de 4 et plus, sur un score maximum possible de 5. Les scores moyens variant entre 3,37 et 4,65. La figure 1 présente les résultats pour chacune des dimensions de la collaboration. Ces résultats seront interprétés par la suite en les illustrant à l’aide d’extraits d’entrevues.

Figure 1

Résultats à l’échelle de collaboration parents-travailleuses sociales (n = 54)

Résultats à l’échelle de collaboration parents-travailleuses sociales (n = 54)

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Les dimensions de la relation de collaboration

La première dimension de la collaboration renvoie à l’adoption d’une attitude compréhensive et soutenante à l’égard des parents. Elle est mesurée à l’aide d’énoncés qui qualifient la relation qui s’établit entre les parents et les travailleuses sociales ainsi qu’aux activités cliniques qui reflètent un esprit fondamental de partenariat (DeChillo et coll., 1994). Cette dimension de la collaboration a obtenu le score moyen le plus élevé (M = 4,56, É.-T. = ,61). De fait, la majorité des parents considèrent que les travailleuses sociales ont été aidantes pour eux-mêmes et leur jeune (94,4 %), qu’elles les ont pris au sérieux (92,6 %), et qu’elles leur ont fait savoir que leurs idées et leurs opinions étaient importantes (87 %). Cette dimension se retrouve aussi au premier plan dans le discours des parents lorsqu’ils évoquent ce qui a facilité l’établissement d’une relation de collaboration et elle renvoie plus particulièrement aux compétences relationnelles des intervenantes, incluant leur savoir-être. Le tableau 2 présente des extraits d’entrevues qui illustrent ces éléments de compétences relationnelles.

Tableau 2

Les compétences relationnelles qui ont favorisé la collaboration parent-travailleuse sociale

Les compétences relationnelles qui ont favorisé la collaboration parent-travailleuse sociale

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La deuxième dimension de la collaboration se base sur le principe de la réciprocité, où l’échange ouvert d’informations favorise l’établissement d’un partenariat, tandis que sa rétention peut devenir une barrière à la collaboration (DeChillo et coll., 1994, p. 568-569). Le score à cette seconde dimension est élevé (M = 4,29, É.-T = 0,77); 92,6 % des parents mentionnant que les travailleuses sociales leur ont donné de l’information à propos du trouble mental de leur enfant, 77,3 % des parents considèrent qu’elles leur ont donné l’information à propos des services pouvant être envisagés pour leur jeune, qu’elles leur ont dit pourquoi certaines informations leur étaient demandées (75,5 %) et qu’elles leur ont expliqué les étapes à suivre dans l’évaluation des difficultés de leur jeune (75,5 %). Le tableau 3 présente des extraits d’entrevues qui illustrent cette dimension de la collaboration.

Tableau 3

Le partage de l’information comme seconde dimension de la collaboration

Le partage de l’information comme seconde dimension de la collaboration

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En somme, le fait de se sentir reconnus, d’avoir un échange réciproque d’information et de pouvoir donner leur opinion a favorisé l’établissement de la collaboration, tout en instaurant un climat de confiance mutuelle et un « pont » avec l’équipe traitante :

C’est le contact privilégié que j’ai… je trouve qu’on peut dire nos préoccupations... comment est-ce que ça va avec notre garçon, nos impressions, nos observations, on les dit parce qu’on sait qu’elle va les communiquer. Elle est le pont, je trouve qu’on a des liens de collaboration qui sont très bien. (…) on sait que l’on peut dire ce qu’on pense, ce qu’on a à dire puis on sait que ça va être communiqué aux autres intervenants

père # 38

La troisième dimension de la collaboration évalue jusqu’à quel point les intervenantes ont travaillé à ce que l’accès aux services soit facilité pour les parents. Le principe à la base de cette composante est l’accès aux services plus particulièrement dans le cas où il est limité en raison du manque de ressources financières, d’informations ou de liens avec les ressources (DeChillo et coll., 1994, p. 568). Le score moyen obtenu pour cette dimension est de 3,98 (É.-T.= 1,04). Cinq énoncés permettent de la mesurer, dont certains ont obtenu une appréciation modérée par les parents, puisque 73,5 % d’entre eux mentionnent que les travailleuses sociales ont travaillé avec eux afin que leur jeune reçoive les services dont il avait besoin et que 62,3 % des parents croient que ces intervenantes les ont aidés à résoudre les problèmes liés aux difficultés d’obtenir des services pour leur jeune. Sur le plan de l’analyse de contenu, cette composante n’est pas ressortie dans le discours des parents lorsqu’ils ont été questionnés sur les éléments qui facilitent ou font obstacle à l’établissement d’une relation de collaboration.

La quatrième dimension renvoie à l’utilisation de la rétroaction provenant des familles pour amener des changements dans l’intervention. Cette dimension a obtenu un score moyen de 3,84 (É.-T. = 1.00), un score qui demeure élevé bien qu’il soit le plus faible parmi les quatre composantes de la collaboration. De fait, même si 81,5 % des parents considèrent que les travailleuses sociales ont semblé flexibles et ouvertes à modifier leurs interventions si nécessaire; c’est une proportion de 58,5 % des parents qui croient que ces intervenantes ont fait des modifications dans leurs interventions en se basant sur leurs commentaires, alors que 57,4 % des parents mentionnent que les travailleuses sociales leur ont demandé si les services offerts à leur jeune répondent bel et bien à leurs besoins. De plus, un énoncé relatif à cette composante a obtenu le scorele plus faible de l’échelle (M = 3,37, É.-T. = 1,39), soit celui concernant l’encouragement des travailleuses sociales à suggérer aux parents des façons d’améliorer les services offerts à leur jeune. Des résultats qui laissent voir en quoi cette dimension de la collaboration est ressortie comme étant plus faible parmi les quatre mesurées.

Enfin, l’analyse du discours des parents a permis de dégager des extraits en lien avec la reconnaissance de leurs compétences et de leur expertise en tant que parent pouvant jouer un réel rôle de partenaire et de collaborateur dans l’intervention :

Elles nous font beaucoup sentir qu’on est la personne qui connaît au mieux notre proche et que à cause de ça, on est importante

mère # 55

Elles avaient vraiment l’ouverture pour nous dire de prendre notre place là-dedans, elles nous donnaient du pouvoir, nous redonnait notre pouvoir de parent (…) elles ont redonné ce pouvoir-là de dire “oui, vous êtes important comme parent, puis oui, on va vous aider à être des bons parents”

mère #19

D’autres facteurs qui font obstacle ou facilitent la collaboration

D’autres éléments ont émergé du discours des parents et plus particulièrement de l’analyse de contenu qualitatif, en ce qui a trait à l’établissement ou non d’une relation de collaboration avec les travailleuses sociales de la clinique. Les facteurs pouvant nuire à l’établissement de liens de collaboration sont présentés puis ceux qui facilitent sont exposés par la suite.

Parmi les obstacles mentionnés par les participants, on retrouve des éléments en lien avec le partage d’informations avec les parents. D’une part, certains parents ont évoqué le fait que leur enfant soit autonome dans l’intervention et que, tout en lui faisant confiance, ils ont accès à certaines informations par leur jeune ou en sont arrivés à respecter que celui-ci ne leur partage pas toute l’information. D’autre part, la question de la confidentialité est l’obstacle qui a été mentionné le plus fréquemment par les parents. Certains ont mentionné que le fait que leur enfant soit majeur, que son consentement soit nécessaire afin qu’ils puissent s’engager dans l’intervention ainsi que la confidentialité évoquée par les intervenantes ont entraîné des réticences à partager l’information entre les parents et les travailleuses sociales. Le tableau 4 illustre ces propos.

Tableau 4

Les facteurs qui font obstacle à la collaboration entre les parents et les travailleuses sociales

Les facteurs qui font obstacle à la collaboration entre les parents et les travailleuses sociales

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Parmi les facteurs facilitant la collaboration mentionnés par les parents, certains éléments renvoient au contexte de l’intervention alors que d’autres sont liés au climat de l’intervention, notamment la réponse aux besoins exprimés par le parent lui-même en dehors de ceux de leur enfant, l’engagement des intervenantes auprès des parents et du jeune, de même que l’effet de modelage de la collaboration sur la manière d’exercer le rôle de soutien par les parents (voir le tableau 5).

L’interprétation des résultats

Les résultats obtenus pour chacune des dimensions de la collaboration mettent en lumière que celle qui vise à utiliser les rétroactions des familles pour modifier les interventions doit être développée davantage dans une optique de collaboration. Cette composante réfère plus particulièrement à l’importance qui est accordée aux compétences et au savoir expérientiel des parents dans l’intervention, et par conséquent, à leur implication comme partenaires réels, à part entière, dans l’intervention.

Tableau 5

Les facteurs qui facilitent la collaboration entre les parents et les travailleuses sociales

Les facteurs qui facilitent la collaboration entre les parents et les travailleuses sociales

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Par ailleurs, il semble que pour l’échantillon à l’étude, les aspects plus techniques liés aux services ne sont pas perçus comme des ingrédients de premier plan dans l’établissement de la collaboration avec les intervenantes. Il est aussi possible que pour les parents qui recevaient des interventions de la clinique au moment de la participation à l’étude, la question de l’accès aux services n’était pas un enjeu majeur.

Sur le plan des obstacles à la collaboration, on constate que des zones d’inconfort persistent, notamment lorsque vient le temps d’avoir accès à des informations qui concernent la personne atteinte et d’engager les parents dans l’intervention et les décisions comme l’ont constaté St-Onge, Lavoie, et Cormier, (1995) il y a près de vingt ans. La confidentialité a aussi été ciblée comme une barrière à la collaboration dans l’étude de Bonin et coll. (2012) qui se sont intéressés aux liens de collaboration dans le contexte de l’implantation du premier plan d’action en santé mentale du MSSS (2005). Le nouveau plan d’action 2015-2020 (MSSS, 2015) fait encore état de cette question (p. 19), une preuve que des efforts sont encore à déployer pour informer adéquatement les parents et briser ce « mur » de la confidentialité érigé entre les parents et les intervenants. À cet égard, la CSMC a formulé des recommandations invitant notamment l’élaboration de protocoles clairs pour divulguer des renseignements, pour encourager systématiquement la participation des familles, tout en respectant la confidentialité de la vie privée de la personne qui reçoit des services ainsi que la formation nécessaire afin de parfaire les connaissances des intervenants sur les questions de la vie privée, la confidentialité des renseignements ainsi que sur les lois et les règlements (MacCourt, 2013, p. 26). À ceci nous ajoutons la systématisation de l’utilisation de ces protocoles par de la formation. En effet, comme l’ont soulevé Bogart et Solomon (2006), dans une recherche comparative sur le recours à une procédure pour s’assurer l’engagement des familles, lorsque cette procédure est accompagnée d’une formation, les intervenants font la demande de façon systématique et les personnes acceptent dans une très grande proportion que leur famille soit engagée dans leur traitement (90 à 95 %). L’application de ces recommandations pourrait grandement contribuer à répondre aux besoins des parents d’avoir toute l’information nécessaire dans l’exercice du rôle de soutien.

Par ailleurs, cela implique de reconnaitre que le « client » est l’ensemble du système familial et que l’intervention s’adresse alors à tous les membres de famille engagés auprès du jeune. Les meilleures pratiques recommandent d’évaluer et de répondre aux besoins des parents et de leur offrir des services, même si le jeune est moins présent (Mottaghipour et Bickerton, 2005), autrement cela peut devenir une contrainte à la collaboration.

Enfin, nous avons eu accès aux beaux-parents qui, sans nécessairement exercer un rôle de soutien principal pour le jeune, étaient suffisamment engagés auprès de lui et du parent pour nécessiter des services, à tout le moins d’être invités à participer à l’intervention. Dans cette perspective, il serait pertinent d’établir un protocole systématique pour engager les membres de la famille qui sont en périphérie et qui peuvent néanmoins exercer un rôle important dans le rétablissement du jeune. Le discours des pères et des beaux-pères témoignait d’ailleurs de l’importance de la clarification de leur rôle et aussi de la place légitime qu’ils peuvent avoir dans l’intervention malgré qu’ils n’exercent pas un rôle principal de soutien.

La notion d’engagement envers les familles a été définie par Blue-Banning, Summers, Frankland, Nelson, et Beegle (2004) comme : “a committed professional [is] as one who values the relationship with individuals he or she serves as much or more than the tangible career rewards of the job’” (p. 175). Pour qualifier cet engagement, ces chercheurs sont même allés jusqu’à évoquer la notion de dévotion et de loyauté envers l’enfant et les parents. Plus concrètement, les parents rencontrés dans le cadre de leur étude traduisent l’engagement ressenti chez l’intervenante en mentionnant qu’elle leur faisait sentir que « c’était plus qu’un travail » et que leur enfant était plus « qu’un cas parmi tant d’autres ». Dans notre étude, certains parents ont exprimé cette même idée qui illustre que l’intérêt et l’engagement des travailleuses sociales dépassait le « descriptif de l’emploi ».

En somme, cet engagement profond peut avoir l’effet non attendu de servir de modèle pour les parents qui exercent un rôle de soutien pour leur jeune. Un effet de modelage, comme celui qui peut parfois être utilisé en intervention. Comme si l’engagement, la dévotion des travailleuses sociales, fournissaient un modèle aux parents, les amenant à agir de la même manière avec leur jeune.

Les principales suggestions sur le plan des pratiques collaboratives avec les familles

La coconstruction comme moyen de partager le pouvoir avec la famille

Au coeur des éléments visant à soutenir la collaboration avec les intervenantes et intervenants, se trouvent les notions de confiance et de partage du pouvoir. Dans ce sens, il est primordial de reconnaitre les compétences des parents en les aidant à développer et à maintenir un sentiment de contrôle sur leur situation (Lacharité et coll., 1999, p. 307). Reconnaitre les compétences des parents entraîne de facto une redéfinition et un repositionnement de la relation qui s’établit entre les familles et les intervenantes et intervenants. Il est important d’abandonner une posture où ces derniers occupent un rôle d’expert de la situation ou exigeant tout simplement un rôle « d’allié » des familles dans la simple transmission d’information pour les guider dans leur pratique clinique.

Dans cette optique, nous visons à ce que les intervenants et les familles coconstruisent la relation de collaboration, un principe bien présent dans l’approche systémique de seconde cybernétique (Mongeau, Asselin, et Roy, 2013). Les intervenants, en se dégageant du rôle d’expert, et les familles d’un strict rôle d’allié, il sera plus facile d’élaborer une compréhension commune du trouble mental et de ses impacts (Villeneuve, 2006). Qui plus est, en acceptant de partager le pouvoir avec les familles, on s’assure qu’une place de choix leur soit accordée dans l’intervention (Fadden, 2006). Cela leur fournira l’occasion de mettre leur savoir d’expérience à profit, dans le cadre de leur propre processus de rétablissement comme parent exerçant un rôle de soutien.

Des pratiques collaboratives : une philosophie qui nécessite de développer de nouvelles compétences chez les intervenants

Une approche de collaboration basée sur les compétences relève davantage d’une façon de voir et de penser l’intervention familiale que d’un programme d’intervention proprement dit. Cette approche propose l’engagement des intervenants, de la personne atteinte et des membres de sa famille sur une base égalitaire, où le point de vue de chacun est entendu et considéré (Johnson, 2001; Marsh, 1998). Cette approche peut être intégrée dans tous les types de soins et de services en santé mentale et ultimement entrainer une meilleure satisfaction à l’égard de l’intervention autant pour les personnes ayant un trouble mental que pour les membres de leur famille. Pour intégrer cette façon de faire, nous suggérons de miser sur un changement d’attitudes des intervenants dans leurs pratiques en faisant preuve de souplesse et d’ouverture pour permettre l’établissement d’un réel partenariat. Mais ce changement d’attitudes ne peut arriver par magie. Des voies pour soutenir cela reposent sur l’accès à une formation universitaire appropriée en intervention familiale, ainsi que de la consultation et de la supervision dans le cadre de la pratique clinique, de même que de la formation continue (Fadden, 2006). Dans cette optique, une volonté organisationnelle est requise pour encourager cette formation continue et le développement professionnel afin de favoriser les pratiques réflexives (Benard et Truebridge, 2013). Ces auteures ont fait ressortir, dans un modèle qu’elles ont validé, comment les croyances (par exemple « les familles sont incompétentes ») et les comportements (« je ne les écoute pas ») sont fortement liés. Pour favoriser les pratiques réflexives, elles suggèrent, entre autres, que les intervenants comprennent et intègrent les liens entre croyances et comportements et reconnaissent comment ces croyances, les attitudes et les dispositions peuvent non seulement influencer les pratiques, mais aussi les résultats de l’intervention chez les personnes auprès desquelles ils interviennent. À cet égard, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, dans son référentiel de compétences, donne un appui pertinent pour orienter le développement des compétences requises par la profession, mais aussi par des pratiques en collaboration avec les membres de la famille (OTSTCFQ, 2012). Enfin, il est important de prévoir des mécanismes d’évaluation des programmes d’intervention précoce.

Les implications pour une pratique du travail social axée sur la réponse aux besoins des familles

Au-delà de la reconnaissance du rôle essentiel des membres de la famille dans le rétablissement de la personne vivant un premier épisode psychotique, leurs propres besoins de soutien et d’assistance doivent être entendus et reconnus, notamment en raison de la détresse qu’ils vivent par moments (Jones, 2009). Dans le contexte des interventions effectuées au sein d’équipes de soins où la discipline médicale est représentée de façon majoritaire, le travail social joue un rôle important pour rappeler les besoins psychosociaux des familles, pour normaliser leurs réactions à l’égard de la situation et pour leur accorder une place de premier plan dans l’intervention (OTSTCFQ, 2012, 2013). Plus encore, les rôles de facilitateur, parfois même de défenseur de droits et de liaison avec l’équipe d’intervention font partie des rôles que les travailleuses sociales doivent exercer dans l’intérêt des membres de la famille. Dans la visée de correspondre aux standards des meilleures pratiques et dans le but de répondre aux besoins spécifiques des familles, nous suggérons que le modèle de la pyramide des soins puisse être envisagé comme un modèle à appliquer dans ce type de clinique, mais aussi dans les services de proximité.

Conclusion

Les résultats de notre étude mettent en évidence que la collaboration repose sur le savoir-être des travailleuses sociales, de même que sur leurs savoirs théorique et d’expérience. L’engagement profond de ces intervenantes, voire même leur dévotion à l’égard des jeunes atteints de psychose et des parents, a eu un rôle important à jouer dans l’établissement d’une relation de collaboration. Les résultats obtenus lèvent également le voile sur certaines contraintes rencontrées dans la pratique, notamment la question de la confidentialité qui peut nuire à l’établissement de liens de collaboration ou à tout le moins, à la réponse aux besoins des membres de la famille qui exercent un rôle de soutien. Ces résultats doivent néanmoins être interprétés en tenant compte de certaines limites. D’une part, il s’agit d’un regard unidirectionnel sur la collaboration, mettant de l’avant le point de vue des parents, celui des travailleuses sociales n’ayant pas été collecté, pas plus que celui des jeunes. D’autre part, l’effet du temps doit également être pris en considération, car un biais a pu être créé en posant un regard rétrospectif sur la collaboration, qui demandait à certains parents de se rappeler une relation établie il y a quelque temps. D’autres études sont nécessaires pour offrir un regard bidirectionnel sur la collaboration et pour dégager des voies communes pour arriver à développer de telles pratiques. Plus encore, l’évaluation des pratiques d’intervention familiale, de même que des pratiques déployées dans les cliniques spécialisées dans le traitement des premières psychoses, doit être valorisée dans une visée d’amélioration continue.