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La douzaine de contributions réunies dans cet ouvrage entend rendre compte des interactions entre la construction européenne et le nouveau régionalisme, abordé tant dans ses aspects empiriques qu’à travers ses dimensions conceptuelles. Les contributions sont articulées autour de trois grands thèmes : perspectives théoriques, analyse comparée des organisations régionales et devenir de la construction européenne. Dans un texte introductif, l’éditeur scientifique de l’ouvrage décortique la renaissance du régionalisme en tant que phénomène global, considéré comme l’expression de ce qu’il considère être une évolution « post-hégémonique » du système international. Le « nouveau » régionalisme est défini comme l’expression de tentatives étatiques de mise en commun de leur souveraineté à l’échelle régionale. Cette vision a l’avantage de coller parfaitement à l’évolution historique de l’ue ; elle présente toutefois l’inconvénient de ne pas prendre en compte ce qui constitue pourtant l’une des réalités fortes des nouvelles formes de régionalisation : l’emprise des dynamiques de facto, qui résultent de l’agrégation de micro-stratégies qui se cristallisent indépendamment, parfois en allant à l’encontre (cas emblématique de l’Afrique) des dynamiques statocentriques.

Le tropisme eurocentrique qui imprègne l’ouvrage est stimulé par l’appel, pour la quasi-totalité des contributions à l’ouvrage, à des spécialistes de l’intégration européenne – hormis Jenkins et Thomas dont le traitement de la sadc constitue, en outre, une excellente synthèse – ou à des tenants de visions classiques du régionalisme – le chapitre de Gamble fait exception. Il en résulte pour le lecteur le sentiment d’une quête perpétuelle de la substance du « nouveau » régionalisme, tout particulièrement lorsque les organisations régionales étudiées (asean en Asie du Sud-Est, mercosur en Amérique latine et sadc en Afrique) révèlent de spectaculaires hiatus entre les ambitions affichées et la réalité des fonctions qu’elles sont censées remplir. Alors que les dimensions hémisphériques de la régionalisation sont totalement délaissées, les tentatives de comparaison de l’alena ou du mercosur avec le fonctionnement de l’ue s’avèrent peu porteuses pour en comprendre le sens aux dires même de leurs auteurs.

Décevant dans sa capacité à rendre compte des « nouvelles » formes et processus de régionalisation, l’ouvrage est d’un incontestable intérêt lorsqu’il aborde les registres touchant à l’expérience européenne. Le chapitre consacré à l’étude des synergies entre régionalisme et néo-médiévalisme (Gamble) aborde d’une manière synthétique et stimulante différents schémas de représentations du régionalisme dans ses rapports avec la nouvelle architecture mondiale. Si le traitement des politiques de l’ue vis-à-vis de l’Europe centrale est décevant, celui des rapports avec le near abroad méditerranéen s’avère détaillé et incisif (Joffé). On regrette toutefois que ce chapitre n’ait été complété par une analyse des tentatives européennes de stimuler la formation d’ensembles sous-régionaux en Afrique sub-saharienne dans le cadre des Conventions de Lomé/Cotonou – cette dimension du régionalisme hémisphérique européen n’est abordée que de manière tangentielle. Le devenir de l’ue fait l’objet de deux contributions qui méritent d’être notées. La première dresse un parallèle entre l’ue et les pays nordiques (Therborn) avant d’en conclure, non sans humour, que « la meilleure chose que puissent espérer les Européens est que l’Union européenne se transforme peu à peu en une périphérie sympathique et décente du monde, disposant de peu de pouvoir mais de quelques bonnes idées » (p. 227). Plus ambitieux pour l’ue, l’éditeur scientifique de l’ouvrage présente dans un chapitre de conclusion différents scénario quant à son devenir, l’optique d’une fédéralisation ayant très clairement sa préférence.

L’ue peut-elle être véritablement considérée comme un modèle et un moteur pour l’appréhension des dynamiques du « nouveau régionalisme » ? Si la réponse semble devoir être négative à l’issue de la lecture de l’ouvrage, c’est en grande partie parce que la construction européenne témoigne depuis près d’un demi-siècle d’une capacité sans cesse renouvelée à transcender, à travers l’invention empirique d’un modèle sui generis, les perceptions normatives et téléologiques qui encombrent cet insaisissable objet que demeure le régionalisme lorsque les institutions ne parviennent pas à conjuguer script et contenu.