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Les compétitions violentes entre les firmes et entre les États peuvent être destructrices, notamment lorsqu’elles s’exercent dans des activités spéculatives hautement risquées et de grande dimension. L’efficience et la justice sociale sont en balance dans le choix entre la coopération et la compétition. La coordination apparaît souvent nécessaire dans des économies interdépendantes fondées sur la connaissance. Les échecs des entreprises posent des problèmes économiques et sociaux non négligeables, surtout par leurs répercussions sur les entreprises interdépendantes. La lutte concurrentielle conduit à l’élimination des entreprises les plus faibles et donc à une perte des investissements d’autant plus grande qu’on se situe dans une situation d’interdépendances dans la production transnationale et en présence d’une spéculation de haut risque potentiellement déstabilisante. Dans ce contexte, les alliances et la coopération dans une économie fondée sur la connaissance sont essentielles, au moins pour développer les « actifs relationnels » (ou ar).

Pour John H. Dunning (Relational Assets, Networks and International Business Activity), les caractéristiques des actifs des entreprises ont changé. Aujourd’hui, les droits de propriété, les actifs intellectuels ou les actifs de « connectivité » ont supplanté l’importance des machines, des bâtiments et même des actifs financiers. Les entreprises sont engagées dans la recherche de l’information et de la connaissance et dans le développement des actifs collectifs, notamment sociaux, qui pourraient lui être utiles. Enfin, les structures hiérarchiques perdent de leur influence et les firmes s’interrogent maintenant sur l’importance des marchés internationaux, sur les réseaux et les coalitions d’entreprises. Le capital de connaissance, et notamment les actifs relationnels (ar), constituent une condition de la compétitivité des Nations. Pour conférer un avantage compétitif, les actifs relationnels doivent être uniques, rares, imparfaitement imitables. Ils ne peuvent pas être possédés ; on peut seulement y avoir accès, les contrôler ou les influencer en relation avec les autres actifs déployés et combinés. Leur contenu et leur efficacité dépendent des cultures, des valeurs et des idéologies des pays. Les ingrédients sont nombreux et ils fondent la qualité de ces R-actifs. Ils concernent, pour toutes les activités, la confiance, la dépendance, l’esprit de communauté, l’honnêteté, l’empathie, l’intégrité, le refus de l’aléa moral ou du cavalier seul. Pour l’innovation, la production et la sous-traitance, la loyauté, la réciprocité, l’adaptabilité et l’engagement sont revendiqués. Ces actifs relationnels peuvent être mesurés, dans une entreprise, sur la base par exemple de la répétition des liens inter-firmes du nombre, de la fréquence et de la densité des liens entre ces firmes, des types d’alliances, de l’absence de troubles et la présence d’une faible rotation du personnel et des degrés de transparence et d’ouverture. Pour un pays, on peut retenir le nombre d’ong, l’importance des crimes et de la corruption, le poids des divorces et de la population en prison, la qualité du système social et judiciaire ou l’étendue de la fraude fiscale. Les ar deviennent ainsi une composante de plus en plus importante des ressources et compétences des firmes engagées dans des activités interfrontières. Or, les firmes multinationales ont un plus grand stock d’actifs relationnels que les autres entreprises, et elles appliquent, volontairement ou involontairement, une politique de protection et d’essor d’ar, notamment dans leurs localisations extérieures. Les actifs relationnels sont plus ou moins valorisés selon leur importance relative, leur structure et leur application localisée, car ils représentent, au niveau d’un pays, ses idéologies et ses valeurs. Le mélange de ces ar de différentes valeurs et cultures constitue un défi important de la globalisation. Aujourd’hui, l’intelligence émotionnelle des dirigeants et de l’équipe professionnelle du staff apparaît plus importante pour la réussite de l’entreprise que ses compétences cognitives.

Pour Gavin Boyd (Alliance Capitalism and Macroeconomic Policy), l’individualisme, source de dynamisme entrepreneurial, conduit à une compétition intense entre les firmes. Dans une économie politique communautariste, on insiste sur la collaboration des sociétés comme bien public. L’économie internationale est pourtant plus dépendante de la compétition internationale (laquelle conduit à la concentration des entreprises) que de la collaboration entre les firmes multinationales. L’expérience des entreprises dépend des valeurs nationales exprimées, vers plus de social pour les pays européens continentaux, vers plus de concurrence pour le monde anglo-saxon. Aujourd’hui, la globalisation lisse ces divergences, notamment avec l’application d’une conception libérale de l’économie. Par contre, les vulnérabilités des entreprises et des États, notamment dans le domaine financier, sont accrues. Dans ce contexte, les fondements économiques des solidarités reviennent concurrencer la liberté coûteuse des entreprises. L’ouverture économique facilite l’intégration, mais aussi les oligopoles. Les marchés financiers internationaux donnent une priorité de financement aux entreprises qui réussissent, afin de limiter les risques de la spéculation. Aujourd’hui, les échecs de certains marchés internationaux interrogent les pouvoirs publics, compte tenu des pertes d’emplois, des délocalisations et des mécontentements dus à la volatilité des marchés financiers, qui augmentent les risques et les coûts des économies nationales.

Pour Gabin Boyd et Paul Brenton (Alliance Capitalism and Microeconomic Policies), la politique des entreprises peut affaiblir les attachements et la loyauté des firmes avec leur pays, notamment par les délocalisations, les fusions et acquisitions, la spéculation financière et le refus des solidarités. Il est vrai que les grandes firmes multinationales bénéficient principalement des financements d’un marché internationalisé. Aux États-Unis, il existe peu de supports institutionnels pour les mécanismes de coordination hors marché. Ils s’expriment dans les lois antitrust, la régulation financière et les mesures de contrôle de certains marchés. Au contraire, il existe une certaine solidarité des sociétés en Allemagne et plus généralement en Europe, notamment en ce qui concerne la protection des firmes (action souvent défensive). Il existe des fonctions technocratiques importantes à assumer (infrastructures et formation). Le développement d’une culture de management collégiale peut contribuer à l’apprentissage et au respect de l’intérêt public. Le développement des formes collégiales du capitalisme devrait rendre les interdépendances des politiques microéconomiques plus gérables.

Pour Nadine Roijakkers et John Hagedoorn (Inter-firm R&D Partnering in High Technology Industries), au départ, la R&D ne rentrait pas dans les rapports de partenariat entre les firmes, car elle constituait l’arme fondamentale du succès de l’entreprise dans ses relations compétitives avec les autres. Or, aujourd’hui, les coûts sont devenus colossaux et les avantages des économies d’échelle sont considérables dans certains secteurs. Il s’agit alors de rationaliser une activité de recherche, et parfois, compte tenu des coûts, d’en permettre la réalisation. La R&D est une image de marque qui influence les marchés financiers. Dans ces conditions, la coopération est nécessaire pour réduire les risques. Aujourd’hui, les participations minoritaires internationales semblent l’emporter sur les joint-venture et le partenariat « égalitaire ». Dans le domaine de la biotechnologie, les États-Unis dominent les marchés, grâce à l’importance de leur R&D. Les grandes compagnies européennes et américaines s’allient principalement aux petites entreprises américaines.

Nigel Pain et Désirée van Welsum présentent les alliances du capitalisme dans la libéralisation des marchés financiers (Financial Liberalization, Alliance Capitalism and the Changing Structure of Financial Markets). Pendant les années 1990, le secteur financier a représenté le quart des acquisitions et fusions dans le monde. Il est devenu plus « contestable ». Les auteurs analysent les forces les plus importantes qui conduisent au changement des stratégies des firmes vers une plus grande intégration des marchés financiers des principaux pays industrialisés. L’Europe et les États-Unis ont « dérégulé » leurs marchés financiers. Il en a résulté des échanges journaliers de 1490 milliards de dollars de change en 1998 (188 en 1986 et 1210 en 2001) et des fusions et acquisitions importantes de 847 milliards de dollars entre 1997 et 1999 (contre 117,6 milliards de dollars entre 1991 et 1993), notamment dans le secteur des banques et en Amérique du Nord. Les fusions favorisent des gains de productivité, même si les banques multinationales subissent un désavantage économique du fait des coûts d’entrée et des contraintes de régulation du pays hôte. Le problème, c’est que les risques sont accrus. Par contre, l’amélioration des conditions de financement favorise le développement économique, en réduisant les coûts et en améliorant les conditions de réalisation de l’offre et de la demande. Les analyses empiriques ne confirment pas cette hypothèse.

La capacité des gouvernements à influencer et à réguler les activités des sociétés tend à diminuer. Pour Boyd (Corporate Alliances in the World Trading System), la compétition n’exclut pas les alliances et les réseaux, lesquels restent instrumentaux et plutôt de court terme. Les gouvernements ont accepté tacitement une perte de souveraineté économique au profit des firmes internationales. Les rivalités des États ne permettent pas la convergence vers un système optimum de capitalisme national, d’autant que la spéculation, qu’ils ne maîtrisent pas, peut déstabiliser le commerce international. En ce sens, il faudrait développer une culture nouvelle de management international. Si les alliances sont dans la logique de l’évolution vers une concentration des forces dans un monde globalisé de plus en plus risqué, la compétition les rend plus difficiles à concevoir et à mettre en place. Les firmes multinationales deviennent de plus en plus puissantes par rapport aux États, mais le rôle des technocraties est essentiel pour créer les synergies nécessaires au développement des fondations solides nécessaires au commerce international.

Les fusions et acquisitions des grandes entreprises sont contrôlées par les autorités publiques afin d’empêcher une trop forte concentration, facteur de suppression des forces concurrentielles et de mise en place de rentes (Gavin Boyd et Alan Rugman, Corporate Alliances and Competition Policies). Dans l’alena, les grandes entreprises sont censées satisfaire l’intérêt public et développer une force compétitive suffisante sur les marchés internationaux. Les monopoles sont condamnés, mais pas les positions dominantes, les collusions ou les restrictions verticales. La Commission européenne cherche à favoriser l’émergence de firmes compétitives sur les marchés mondiaux, mais jamais dans le cadre d’une position dominante dans la région. Il en résulte que les avantages des Européens en matière de collaboration les poussent à coopérer avec les entreprises américaines, notamment aux États-Unis. L’investissement direct à l’étranger des Européens est favorable au développement économique des États-Unis. Aujourd’hui, la Commission européenne et les autorités antitrust des États-Unis coopèrent, notamment en échangeant des informations et parfois des orientations (plus libérales aux États-Unis).

Pour Sarianna Lundan (Alliance Capitalism in Europe), Claude Barfield et Dordula Thum (American Alliance Capitalism) et Terutomo Ozawa (Japan’s Network Capitalism in Evolution), il s’agit de mettre en évidence la variété des capitalismes (libéral/social, compétition/coopération, marché/coordination) et le dynamisme des firmes en situation de compétition internationale. Les motivations des firmes pour la mise en place de partenariats stratégiques sont fortes et surtout croissantes, notamment dans le domaine de la R&D, de plus en plus onéreuse, de plus en plus aléatoire, mais aussi de plus en plus « différenciatrice ». Les alliances ne jouent pas toujours le rôle du marché. Les États-Unis, entre 1990 et 1999, ont procédé aux deux tiers des alliances stratégiques dans le monde, contre moins de 3 % pour l’Afrique et 28 % pour l’Europe. Il y a une forte corrélation entre le nombre d’alliances domestiques et la taille de l’économie nationale et la sophistication technologique du secteur.

Pour Pierluigi Morelli, Pier Carlo Padoan et Lisa Rodano (eu Growth Strategy and the New Economy), le Sommet de Lisbonne a proposé de faire de l’Europe, dès 2010, la meilleure économie du monde fondée sur la connaissance. Il a défini plusieurs indicateurs qui permettent de définir les pays de l’Union. Stephen Young et Neil Hood (Alliance Capitalism, fdi and Developing Countries) se proposent de mettre en évidence les alliances dans les pays en développement, l’aide apportée par leurs gouvernements à cet effet et les profits attendus d’un tel processus pour la société concernée. Les résultats empiriques ne sont pas très encourageants, mais cette question met aussi en jeu la question de la privatisation et de la bureaucratie dans l’essor des investissements directs de l’étranger. Les intérêts des actionnaires ne sont pas nécessairement ceux des pays pauvres.

Enfin, Boyd (Alliance Capitalism and Collective Management) met en évidence l’importance de la compétition et de la coopération dans les relations économiques internationales des firmes et des États. Il recommande une coopération atlantique et pacifique acceptable et mutuellement bien comprise et il insiste sur les priorités à accorder au management collectif (notamment en matière budgétaire et monétaire).

En conclusion, ce livre, pas très bien structuré, souvent répétitif, est utile pour les économistes spécialisés. Il est souvent assez difficile à lire, car les concepts utilisés ne sont pas toujours très clairement définis. Ainsi, l’analyse de Dunning est intéressante, même si elle mériterait d’être approfondie. Ce n’est pas un livre à lire d’une traite, mais plutôt un ouvrage à consulter sur plusieurs questions d’actualité. Il fournit en effet de nombreuses informations utiles sur l’économie de la connaissance, sur les alliances dans le capitalisme, sur les nouvelles méthodes d’organisation des entreprises, sur les contrôles des alliances et le maintien de la compétition économique, sur les perspectives de la recherche-développement et sur l’évolution globale du marché mondial.