Comptes rendus : Histoire et diplomatie

Langendorf, Jean-Jacques, Histoire de la neutralité. Une perspective, coll. Testimonia, Gollion, Infolio éditions, 2007, 352 p.[Record]

  • Matthieu Chillaud

…more information

  • Matthieu Chillaud
    Université de Tartu, Estonie

Jean-Jacques Langendorf a un profil atypique. Écrivain, essayiste, historien, féru de stratégie, et en même temps un peu pamphlétaire, on le connaît pour avoir été l’un des censeurs les plus virulents des conclusions de la Commission Bergier (Commission d’experts chargée d’examiner sous l’angle historique et juridique l’étendue et le sort des biens placés en Suisse avant, pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale). On aurait pu donc craindre qu’il endosse le rôle de zélateur des vertus de la neutralité et que son ouvrage ait une coloration excessivement polémiste. Force est de reconnaître, néanmoins, que l’auteur a su éviter cet écueil et que l’ouvrage, bien que partisan, met à la disposition du lecteur une riche analyse qui permet de comprendre comment et pourquoi la neutralité est née et a perduré. Il en ressort que, loin d’être un concept figé, la neutralité a beaucoup évolué dans le temps et qu’elle a été adaptée à la position géographique des pays qui l’ont adoptée. Dans la première partie, De l’origine à l’affirmation, l’auteur revient sur les étapes successives de l’évolution du concept de neutralité, concept aussi ancien que la souveraineté étatique. D’origine essentiellement coutumière, la neutralité, peu à peu codifiée, verra ses contours diplomatiques et juridiques lentement prendre forme à partir du xviie siècle, pour s’affirmer au gré des aléas des guerres. L’essor de la neutralité s’explique, selon lui, par l’existence d’un système international qui repose sur la recherche de l’équilibre entre les puissances dont l’intérêt est de voir à ce que les États qui présentent un avantage stratégique restent neutres. Il explique ainsi avec précision les fondements juridiques et politiques d’un statut qui a surtout été choisi par les petits pays, faute d’une option stratégique alternative face aux puissances européennes en perpétuel conflit et qui, en même temps, a souvent été stigmatisé par les mêmes belligérants, accusant les neutres de ne pas soutenir leur cause juste. La deuxième partie, Dans la tourmente, est surtout consacrée aux différentes neutralités face aux affres de la Première Guerre mondiale : alors que certaines ont réussi (les neutralités scandinaves, suisse et néerlandaise), et que d’autres ont été bafouées (les neutralités belge et dans une certaine mesure luxembourgeoise), une dernière catégorie d’États a vu le rejet unilatéral de sa neutralité alors que rien ne l’y obligeait : les États-Unis. Dans la troisième partie, Remise en question, enfin, Langendorf retrace les avatars de la neutralité depuis la fin de la Première Guerre mondiale. L’auteur rappelle très bien que sa légitimité va momentanément disparaître avec l’instauration de la sécurité collective, dans le cadre de la Société des Nations, pour finalement revenir avec force à l’orée de la guerre. Durant la Seconde Guerre mondiale, à l’exception notable de la Suède et de la Suisse, et dans une certaine mesure l’Espagne, tous les pays neutres européens verront leur statut pleinement bafoué. Même ces quelques pays qui ont pu échapper aux hostilités ont dû faire des concessions si importantes à leur statut que la question de leur crédibilité fut largement entamée. De toute façon, comme le note pertinemment l’auteur, les « guerres totales » qu’ont été la Première et la Deuxième Guerres mondiales ayant profondément changé la nature de la guerre, celle de la neutralité ne pouvait aussi que changer. Depuis 1945, la neutralité continue son évolution à un point tel que du fait de son érosion l’onu n’y verra aucune incompatibilité avec le principe de la sécurité collective. On regrettera que l’auteur n’ait parlé que trop sommairement de la période de la guerre froide car c’est bien depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, …