Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Battistella, Dario, Retour de l’état de guerre, Paris, Armand Colin, 2006, 295 p.[Record]

  • Dany Deschênes

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  • Dany Deschênes
    École de politique appliquée
    Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec

L’intervention des États-Unis en Irak en mars 2003 soulève plusieurs interrogations sur la nature du système international actuel. Une thèse largement reprise dans une pléthore d’articles et d’essais est de considérer l’invasion de l’Irak comme un pas de plus vers l’édification d’un empire étatsunien ou encore de confirmer l’existence d’un tel empire. D’une certaine façon, ces réflexions s’inscrivent dans une tendance plus ancienne qui, depuis la fin de l’ordre bipolaire, s’interroge sur la nouvelle configuration du système international. Sans nécessairement être en porte-à-faux avec cette manière d’appréhender le problème, l’ouvrage de Dario Battistella offre une perspective plus large. L’auteur considère que depuis les traités de Westphalie de 1648 la tendance lourde est au développement d’une société internationale ; autrement dit, qu’une régulation pacifique de la situation anarchique du système international se met peu à peu en place. Or, la décision étatsunienne du 18 mars 2003 vient remettre en cause cette tendance. L’objectif de Battistella est de rendre intelligible ce changement systémique. Il n’exclut pas que la conduite de l’administration de George W. Bush puisse être un phénomène transitoire, mais il n’en demeure pas moins qu’en raison du statut d’hégémon des États-Unis, les conséquences des choix de cette administration sont tout de même majeures. Comme le souligne l’auteur lui-même, sa démarche est proche de celle de l’historien Paul W. Schroeder qui dans son étude magistrale sur le Concert européen utilise les théories des Relations internationales pour mieux expliciter son analyse historique. Battistella inverse la démarche de Schroeder et comme internationaliste, utilise l’histoire pour étayer ses réflexions théoriques. Notons par ailleurs que ces deux auteurs puisent généralement aux mêmes sources théoriques. Affirmons-le d’emblée, l’analyse de Battistella est éloquente et convaincante. Elle montre aussi toute la richesse d’une réflexion sur les relations internationales qui marie habilement les théories avec l’histoire des relations internationales. L’ouvrage est divisé en trois parties avec une introduction et une conclusion. Il est à noter que des versions antérieures de l’introduction et du chapitre huit ont déjà fait l’objet d’une publication dans les revues Raisons politiques et Études internationales en 2004. Dès l’introduction, Battistella détermine clairement le cadre analytique qu’il privilégie. À l’opposé du réalisme qui énonce l’état de guerre permanent dans les relations entre les États, l’auteur part du postulat que la nature anarchique du système international depuis 1648 s’insère dans la constitution d’une société internationale. Il puise son argumentaire dans l’approche libérale, chez l’École anglaise et dans les réflexions constructivistes d’Alexandre Wendt sur les cultures anarchiques, plus précisément sur les cultures hobbienne et lockienne. Dans la première partie, divisée en trois chapitres, Battistella explique comment à partir de 1648, le système international s’inscrit dans le cadre d’une société internationale en formation. Si de 1648 à 1815, le principe mécanique mis en place est celui de l’équilibre, après cette date, l’auteur montre bien l’importance de la présence d’une puissance prépondérante pour assurer le maintien d’une anarchie lockienne. Il est nécessaire que la puissance hégémonique assure la régulation de l’ordre international par l’autolimitation de sa prépondérance matérielle et symbolique. Après le Concert européen de 1815 et jusqu’en 1914, ce rôle est joué par le Royaume-Uni. Après 1945, les États-Unis deviennent à leur tour la puissance régulatrice. Dans cette lente évolution s’effectue un processus de transformation d’une anarchie immature vers une anarchie mature (B. Buzan). Les États se reconnaissent non pas comme des ennemis (culture, anarchie hobbienne) mais plutôt comme des rivaux (anarchie lockienne). Si le recours à la violence n’est pas exclu en situation d’anarchie lockienne, comme le démontrent les nombreuses guerres depuis 1648, il demeure habituellement limité et tempéré. Cependant, à certaines occasions, on assiste à une régression …