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No Easy Fix est un ouvrage à la fois ambitieux et modeste. Ambitieux car il s’attelle à l’une des questions les plus délicates en politique internationale, celle de l’intervention de la communauté internationale – ou plus précisément d’organisations ou d’États tiers – dans des conflits internes, particulièrement en réponse aux formes de crimes les plus graves, tels que les génocides ou les crimes contre l’humanité. Cette question, à la croisée des relations internationales, de l’histoire, du droit international, de la criminologie et de la sociologie, en soulève tellement d’autres qu’il semble difficile d’y apporter une réponse globale satisfaisante. Mais l’ambition de Patricia Marchak est en même temps modeste, puisqu’elle ne prétend ni tout expliquer, ni proposer de solutions miracles. Elle partage une réflexion, basée sur ses recherches, documentaires et de terrain, et sur l’étude détaillée de trois cas qui ont tous connus des conflits internes, des formes particulièrement graves de crimes commis contre une partie de la population et des formes diverses d’interventions internationales. Elle s’interroge – et amène le lecteur à en faire autant – sur l’impact de ces interventions et les conditions dans lesquelles elles pourraient véritablement éviter des massacres ou aider des sociétés brisées à se reconstruire.

Le livre est divisé en trois parties. Dans la première, l’auteure présente les problématiques de son étude : des États tiers devraient-ils intervenir dans des conflits intérieurs à d’autres États ou en réaction à des crimes particulièrement graves ? Après les combats, quelles conditions vont influer sur la manière dont une société brisée se penchera sur son passé ? Quelles sont les méthodes existantes et utilisées pour juger les crimes commis, promouvoir la paix et la réconciliation et reconstruire un avenir commun ? Dans cette introduction, P. Marchak distingue entre différents cas de conflits internes et justifie le choix qu’elle a fait de s’intéresser particulièrement aux cas du Cambodge, du Rwanda et de la Yougoslavie. Elle rappelle également le cadre plus ou moins clair existant pour les interventions d’États tiers ou d’organisations internationales dans des conflits de ce type, notamment l’évolution du concept de « responsabilité de protéger » et les différents instruments qui existent aux niveaux intérieur et international pour assurer l’application de la justice après la fin des conflits (tribunaux internationaux, principe de juridiction universelle, Cour pénale internationale, tribunaux nationaux, commissions vérité, etc.).

Le coeur de l’ouvrage est consacré à l’étude détaillée des trois cas choisis. Cette étude est basée sur des recherches documentaires, des séjours et des entretiens sur le terrain. Marchak prend le temps de revenir sur le passé, de traiter du contexte historique et international des conflits internes au Cambodge, au Rwanda et en Yougoslavie, de s’interroger sur l’état de ces sociétés des années après les conflits très violents qui les ont secouées et sur l’impact des interventions internationales pendant et après les conflits. Au fil de ces développements détaillés, le lecteur pourra avoir l’impression que l’auteure perd un peu le fil de son sujet, mais c’est justement là que se situe l’essentiel de son argumentation : les interventions d’organisations ou d’États tiers ne posent pas simplement des questions juridiques et politiques délicates, elles sont de plus vouées à l’échec et risquent même d’aggraver les conflits si elles ne sont pas basées sur une compréhension profonde des particularités des situations en jeu. Une volonté d’intervention positive dans des conflits internes ne peut faire l’impasse sur une analyse approfondie des sociétés concernées et du bilan des interventions d’acteurs externes dans le passé.

C’est en s’appuyant sur cette étude détaillée que Marchak propose, dans la troisième partie de son ouvrage, des réponses aux questions posées dans les chapitres introductifs : il n’existe actuellement pas de cadre institutionnel approprié pour des interventions désintéressées d’États tiers destinées à protéger des populations en danger dans des conflits internes. Dans certains cas, les interventions externes passées sont l’une des causes d’un conflit interne, et elles peuvent également conduire à entretenir un conflit. Considérant les difficultés de toute intervention et le fait qu’il n’y a pas de solution unique applicable à toutes les situations, l’une des propositions de Patricia Marchak est la création d’un « Global Intervention Institute », qui serait créé d’une manière similaire à la Cour pénale internationale et qui ignorerait le principe de souveraineté étatique de la même manière que la cpi. Cet institut prendrait ses décisions en tenant compte des études scientifiques de chercheurs et d’universitaires spécialistes des pays en crise concernés et serait de ce fait capable de proposer les solutions les plus adaptées à des situations particulières.

Bien sûr, repensant entre autres à ces « experts » peuplant tant de think tanks qui ont milité ardemment en faveur de l’invasion de l’Irak en son temps, on peut se demander si le recours à des chercheurs ou à des universitaires est nécessairement une garantie contre la politisation d’interventions dans des conflits internes. L’interprétation de certains des conflits par Marchak pourrait certainement faire l’objet de critiques. Cependant, le mérite majeur de son ouvrage est justement d’oser aborder un sujet aussi complexe, avec finesse, et d’amener le lecteur à réfléchir tout à la fois à ce qui pousse parfois des individus « normaux » à commettre les pires crimes, au vieux dilemme de savoir s’il faut privilégier justice ou paix et, bien sûr, à la question ardue de la capacité d’acteurs externes à intervenir pour empêcher des massacres ou aider des sociétés meurtries à se reconstruire.