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Introduction. Des archives à l’archive[Record]

  • Éric Méchoulan

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  • Éric Méchoulan
    Université de Montréal

Le geste d’archiver n’a jamais été neutre. Non seulement est-il pris dans des usages de la mémoire collective, dans des formes d’institution du passé, dans des pratiques de conservation et dans des techniques de transmission, mais il est aussi le résultat de décisions politiques, de rapports de pouvoir et d’enjeux sociaux. On pourrait avoir le sentiment que la législation sur les archives et l’archivistique en général disent exactement l’inverse. En effet, pour elles, l’archive n’est pas n’importe quel élément provenant du passé, mais relève des traces que laisse la somme d’activités d’une personne physique ou morale. Pour les spécialistes, les archives sont, en effet, un « ensemble de documents, quels que soient leurs formes ou leurs supports matériels, dont l’accroissement s’est effectué d’une manière automatique dans l’exercice des activités d’une personne privée ou publique ». D’où l’insistance sur le caractère quasi organique de la production des archives : on parle volontiers de sédimentation ou d’alluvions et on trouve leur clôture naturelle dans la disparition (physique ou institutionnelle) de leur producteur, comme le souligne Marie-Anne Chabin : « Les archives procèdent de l’activité de leur auteur comme les alluvions découlent de l’action des eaux », donc « un fonds d’archives ne se crée pas ; il se constitue tout au long de la vie de son producteur, jusqu’à la mort de ce dernier […] : c’est le décès qui clôt le fonds et en fait une entité documentaire complète ». L’idée est manifestement de rendre involontaire l’accumulation des documents pour mieux les recevoir comme archives. Et pourtant, cette même spécialiste des archives soutient avec justesse le contraire : « C’est, pourrait-on dire, le regard qui fait l’archive ; c’est la volonté d’une personne de considérer un ensemble d’informations articulées entre elles comme la trace d’une activité située dans le temps et l’espace. » Elle insiste ici sur l’effet constituant du travail de l’archiviste — peut-être, d’ailleurs, est-ce un hasard heureux qui, en France, donne justement à l’Assemblée constituante la responsabilité de la première grande loi révolutionnaire sur les archives nationales le 7 septembre 1790, après la nomination – la nuit même du 4 août 1789, qui sonnait la fin des privilèges – du premier Archiviste de la République, Armand-Gaston Camus : c’est bien du regard sur le passé, à partir d’un sentiment de discontinuité, que naît la nécessité de l’archive. Voilà pourquoi l’aspect le plus fondamental réside dans la décision touchant ce qui doit rester comme archives et pour combien de temps, autant que dans l’interprétation et la contextualisation de documents qui fassent corps : « la fonction évaluation constitue le noeud dur de la discipline archivistique. La création, l’acquisition, la classification, la description, la diffusion et la préservation des archives sont toutes redevables aux décisions prises lors de l’évaluation de ces dernières. » Autrement dit, il faut sortir de la fascination étymologique qui alloue au commencement d’un mot une valeur éminente : pour arkhè, qui signifie justement « commencement », le commencement se situe en fait à la fin. Avec leur rigueur scrupuleuse habituelle, les archivistes ont tâché d’accommoder les deux principes en diffusant leur nécessaire contradiction sur la ligne du temps et en distinguant trois étapes ou « trois âges » : « l’âge administratif » où les archives sont encore actives et ouvertes à l’accroissement, « l’âge intermédiaire » où les archives sont closes mais où la personne physique ou morale peut encore avoir besoin de certains documents, « l’âge historique » où les archives définitives ont fait l’objet d’un tri par l’archiviste qui a ainsi décidé de la conservation pour une durée déterminée ou indéfinie, dans …

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