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La diffusion de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau au cours de ces vingt dernières années a permis de découvrir un nouvel objet : les hypersignaux de la substance blanche (HSB). Leur découverte a été fortuite sur les IRM cérébrales demandées pour une symptomatologie neurologique. Les neurologues et neuroradiologues ont découvert que de nombreux patients, en particulier s’ils étaient âgés, étaient porteurs de lésions de petite taille de la substance blanche cérébrale, en hypersignal sur les séquences pondérées en T2, d’où leur nom d’hypersignaux (Figure 1). Pendant longtemps, ces HSB ont été considérés comme anecdotiques et on les a même désignés sous le terme de UBO (ou OBNI en français, objets brillants non identifiés) [1].

Figure 1

IRM cérébrale, coupes pondérées T2. Coupes de même niveau chez deux sujets, A et B.

IRM cérébrale, coupes pondérées T2. Coupes de même niveau chez deux sujets, A et B.

Chez le sujet A qui était normotendu, l’IRM ne met pas en évidence d’hypersignaux. Le sujet B qui avait une HTA présente de nombreux hypersignaux de la substance blanche dans la substance blanche profonde et en regard des cornes ventriculaires (flèches).

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C’est grâce à l’utilisation de l’outil épidémiologique que des progrès substantiels sur leurs mécanismes et leurs conséquences ont été réalisés ces dernières années. Des études portant sur plusieurs centaines ou plusieurs milliers de sujets [2-5] ont permis de montrer que les HSB avaient un profil de risque qui les rapprochent des accidents vasculaires cérébraux, avec comme principaux facteurs de risque l’âge et l’hypertension artérielle. Le mécanisme généralement évoqué pour expliquer la survenue des HSB est celui d’une artériolosclérose, une dégénérescence de la paroi des petites artères perforantes irriguant la substance blanche cérébrale. Cette microangiopathie cérébrale a pour conséquence une souffrance ischémique de la zone irriguée dans laquelle peuvent se voir une démyélinisation, une gliose, et parfois un infarcissement.

Plusieurs études ont montré que, contrairement aux premières impressions, les HSB ne sont en réalité pas anodins et que leur accumulation est associée à un risque augmenté de diverses pathologies graves : accidents vasculaires cérébraux (AVC), détérioration cognitive, voire démence, troubles de la marche, dépression [6-8]. Malgré cette accumulation de preuves impliquant les HSB dans ce qui peut être considéré comme un vieillissement accéléré du cerveau, il n’avait jusque-là jamais été montré qu’il était possible de ralentir leur évolution. Le principal facteur de risque modifiable des HSB étant, selon de nombreuses études, l’hypertension artérielle, il était logique de faire l’hypothèse selon laquelle un abaissement des chiffres de pression artérielle permettrait de limiter leur évolution. C’est pour tester cette hypothèse que nous avons implémenté une étude sur l’IRM cérébrale dans un grand essai thérapeutique international, l’étude PROGRESS, portant sur plus de 6 000 patients et démontrant l’intérêt d’un traitement abaissant la tension artérielle après un premier accident vasculaire cérébral [9]. Parallèlement à la réalisation de cet essai, nous avons mis en place une sous-étude baptisée « IRM-PROGRESS » dans 10 Centres français [10]. Dans cette étude de suivi par IRM cérébrale, nous avons réalisé pour chacun des 192 patients inclus dans ces centres, deux IRM cérébrales à 3 ans d’intervalle selon des procédures d’acquisition homogènes. Ces IRM étaient ensuite transférées au GIN (Groupe d’imagerie neurofonctionnelle) du centre Cycéron de Caen (France), spécialisé dans l’analyse d’image. Par des techniques complexes de traitement d’image, les deux examens réalisés au début et à la fin de l’étude étaient rendus aussi comparables que possible, afin de détecter et de mesurer de façon très précise les HSB apparus lors du suivi. Pour chaque sujet, le volume total des HSB détectés entre le 1er et le 2e examen IRM était évalué. Ce volume a ensuite été comparé chez les sujets recevant le traitement actif et chez ceux recevant le placebo.

Entre la première et la seconde IRM, la baisse de pression artérielle était en moyenne de 11,2 mmHg pour la pression systolique et 4,3 mm Hg pour la pression diastolique dans le groupe traité par rapport au groupe placebo. Durant le suivi, 24 patients (12,5 %) développèrent des nouveaux HSB. Par rapport au groupe placebo, le groupe traité avait une diminution de 43 % du risque de nouveaux HSB (intervalle de confiance à 95 %, -7 % à 89 % ; p = 0,17) et un volume moyen total de nouveaux HSB plus faible (0,4 ± 0,8 versus 2,0 ± 0,7 mm3 ; p = 0,012). Cette différence était nettement plus marquée pour le groupe des patients ayant un grade sévère d’HSB sur la première IRM (0,0 ± 0,0 versus 7,6 ± 1,0 ; p < 0,0001), c’est-à-dire les plus exposés au risque de déclin cognitif et de démence.

Ces données confirment, pour la première fois, l’intuition des médecins et chercheurs : l’abaissement de la pression artérielle permet bien de diminuer le risque de lésions ischémiques cérébrales. Mais surtout, elles suggèrent que l’effet du traitement associant un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un diurétique est particulièrement puissant puisque le volume des nouvelles lésions était 5 fois moins important chez les patients recevant le traitement actif que chez ceux sous placebo.

Ces résultats offrent des perspectives importantes en matière de prévention des troubles cognitifs liés à l’âge et aux facteurs vasculaires. Ils soulèvent de nouvelles questions : existe-t-il une sous-population de patients ayant une forte évolutivité de leur grade en HSB ? La prévention des HSB s’accompagne-t-elle d’une réduction du risque de démence ? L’effet préventif d’un traitement abaissant la pression artérielle s’observe-il dans des populations plus larges, comme par exemple chez les hypertendus n’ayant pas eu d’AVC ? D’autres traitements peuvent-ils également ralentir l’évolution des HSB ? Les réponses à ces questions nécessitent de mettre en place des études de grande taille comprenant la réalisation d’IRM cérébrales, donc onéreuses. Mais la question de la prévention des complications neurologiques de l’HTA, en particulier la prévention des démences, est un des futurs grands défis dans ce domaine. Il ne pourra être relevé que par une collaboration étroite entre épidémiologistes, cliniciens et spécialistes de l’imagerie cérébrale, comme dans l’étude IRM-PROGRESS.