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Dans Reconstructing Reason and Representation, Murray Clarke se propose d’utiliser une version de la psychologie évolutionniste (celle défendue entre autres par Cosmides et Tooby, Pinker et Buss) pour jeter une lumière nouvelle sur certains problèmes de la philosophie de l’esprit, de l’épistémologie et de la philosophie des sciences. Bien que je sois sympathique à ce projet, j’aimerais cependant défendre l’idée que la position de Clarke est, par certains côtés, trop éloignée et, par d’autres, trop près de la psychologie évolutionniste.

Trop loin

À de nombreuses reprises, et en réponse aux arguments de philosophes comme Stich, Clarke soutient que les théories évolutionnistes nous donnent des raisons de penser que les mécanismes psychologiques hérités de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs sont fiables, c’est-à-dire qu’ils produisent des croyances vraies (ou des représentations indexicales précises [accurate]). Il écrit par exemple :

Reliable processes (such as good reasoning, perceptual capacities, and other sensory modalities) being traits, were selected for because they produce something that confers a tremendous evolutionary advantage : accurate indexical representations. True beliefs are the product of reliable processes...

80; je souligne

Je veux soutenir qu’une lecture attentive de ce que les psychologues évolutionnistes affirment montre deux choses qui vont à l’encontre de la position de Clarke : 1) les psychologues évolutionnistes sont des pragmatistes et proposent une version très affaiblie (sinon tout à fait différente de ce que Clarke défend) de ce qu’est une « croyance vraie »; 2) il n’est pas du tout clair que les processus fiables produits par l’évolution ont comme output des croyances vraies.

Tout d’abord, pour les psychologues évolutionnistes, la « Vérité » n’est pas importante pour la survie; ce qui l’est, c’est l’action correcte (celle-ci pouvant être générée par des croyances fausses). En ce sens, les évolutionnistes sont des pragmatistes :

For animals, knowledge only exists because ancestrally its production served as a means to correct action. [...] The usual move is to argue that successful action self-evidently seems to depend on the attainment of true belief, so that the primary functional identity of the brain must be as a knower, a reasoner, and an acquirer of truths.

Cosmides et al., 2005, p. 328

Mais, comme ils le notent :

There have been a series of negative consequences for cognitive science that stem from its primary emphasis on knowledge acquisition.[...] [parmi celles-là, le fait que], it ignores the many causal pathways whereby our evolved architecture should have been designed to manufacture, store, communicate, and act on the basis of representations that would not qualify as a rational architecture’s efficient attempt at constructing true beliefs.

p. 329; je souligne

Ils expliquent qu’il existe une kyrielle de raisons allant à l’encontre de l’idée selon laquelle le fait qu’un processus est l’objet de la sélection naturelle implique qu’il devrait produire des croyances vraies :

Leaving aside the necessary coparticipation of value in the definition of truth, the existence of conflicts of interest in social life constitutes the source of many other deviations from truth-seeking as an engineered goal of all cognitive mechanisms. The system may be required to reason about value, and there is no truth of the matter for valuation. Individuals may adopt beliefs (e.g. God is three in one; Darwinism is irrelevant) because they socially coordinate them with others. The recomputation required to adopt the true belief may be too costly, at least for a period of time, so that temporary denial (as in grief) may be functional. The introduction of true information may be too disruptive to successful functioning, as when you choose not to look down when climbing a cliff face. To the extent a data store is computed for communication to others rather than to be acted on by oneself, then the optimal impact on others will be the criterion and not truth value.

note 11, p. 329

Pour donner un autre exemple d’un mécanisme psychologique sélectionné qui ne produit pas nécessairement de croyances vraies, prenons le mécanisme responsable de l’évitement de l’inceste. Les travaux empiriques sur la question confirment une hypothèse, connue depuis déjà une trentaine d’années, selon laquelle un des indices utilisés dans l’évitement de l’inceste entre frères et soeurs est la co-socialisation dans les premières années de la vie. Lieberman (Lieberman, et al., 2003; voir Faucher, 2007, pour un résumé de ces travaux) suppose que la période de co-socialisation est utilisée pour déterminer qui sont les apparentés d’un sujet. Cette conclusion concernant les apparentés peut ensuite être acheminée à différents modules, comme celui en charge de la coopération parentale et celui en charge des préférences sexuelles. Comme le remarquent Cosmides, Tooby et Barrett, les deux systèmes peuvent avoir des seuils d’activation différents :

[...] [B]ecause the scope and fitness consequences for helping and for incest avoidance are different, the brain may represent two different (but related) values for genetic relatedness between a given pair of individuals. Each is “true” (functionally calibrated), with respect to the action-regulatory system it inhabits, but they may be different. Females may, for example, represent individuals as more highly related for purposes of incest avoidance than as objects of altruism, because the asymmetric consequences of a miss versus a false alarm are different for incest avoidance and kin assistance.

2005, p. 332

Non seulement est-il possible que dans une situation une femme considère que quelqu’un est son apparenté alors que dans une autre non, mais les différences existent également entre sexes. Toujours selon Lieberman (mais voir également Fessler et Navarrette, 2004), les femmes concluent plus rapidement à l’apparentement que les hommes, c’est-à-dire que moins d’années de co-socialisation sont nécessaires pour conclure à l’apparentement pour les femmes que pour les hommes. Donc, par exemple, une femme pourrait considérer un homme X comme un apparenté alors que ce même X, lui, ne la considèrerait pas comme son apparenté (bien entendu, nous ne parlons pas ici de représentations conscientes et/ou culturelles). Qui plus est, cette femme pourrait considérer ce même X comme un apparenté dans le cadre de ses préférences sexuelles et comme un non-apparenté dans le cadre de ses préférences altruistes.

Je crois que des cas comme ceux de l’inceste (mais on aurait pu en donner d’autres, voir entre autres Haselton et al., 2005) montrent deux choses : en supposant quelque chose comme le concept de vérité-correspondance et que cette conception dépende de l’idée que le monde auquel nos énoncés ou pensées réfère existe indépendamment de nous (réalisme), alors : 1) ce que la cognition piste (track) peut varier en fonction de l’âge, du sexe, de la position hiérarchique, de l’état émotionnel et motivationnel de l’individu, etc. (les systèmes régulateurs d’action dont parlent Cosmides et Tooby tiennent compte de ces variables dans leur évaluation des états du monde); donc : 2) la cognition ne piste (track) pas la vérité[1].

Trop proche

Comme je le mentionnais au début de ce texte, Clarke utilise une version particulière de la psychologie évolutionniste pour explorer certaines questions philosophiques, comme celle de la nature de la connaissance. Selon plusieurs, cette version « modulo-centriste » de la psychologie tend à considérer la culture plus ou moins comme un vernis sur un noyau de mécanismes universels et spécifiques à l’espèce. L’acceptation de ce paradigme se traduit chez Clarke par une attention exclusive aux mécanismes de raisonnement psychologique évolués :

What I mean by “evolutionary reasoning” is that those reliable processes connected with reasoning take the form of Darwinian algorithms : a plethora of specialized, domain-specific inference rules designed to solve recurrent, adaptive problems in the social exchange contexts that our ancestors, that is, the Pleistocene hunter-gatherer, faced. In effect, my claim will be that there are no universally reliable reasoning processes, but only “reliable-in-a-social-exchange-context” inference rules.

89

Elle le conduit également à considérer le raisonnement abstrait comme un parasite (free rider) :

The sort of abstract reasoning involved in science, mathematics, and logic is the result of a free rider effect. But free rider effects confer no evolutionary advantage.

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Dans ce qui suit, je ne m’attarderai pas à examiner la valeur des travaux démontrant l’existence de ces modules (pour un résumé des discussions à ce sujet, voir Buller, 2005). Ce que je ferai plutôt est de présenter une solution de rechange à la conception étroite du rapport entre culture et cognition que soutient Clarke, celle défendue entre autres par les partisans de la conception de l’esprit étendue (mais aussi de la construction de niche et de la co-évolution gène-culture; voir Odling-Smee et al., 2003, pour la première conception, et Boyd et Richerson, 2004, pour la seconde). J’aime penser à ce débat comme celui entre (Murray) Clarke et (Andy) Clark.

Dans un article récent (2001), Andy Clark défend l’idée selon laquelle nous sommes des « natural born cyborg ». Ce qu’il entend par là est que :

We —- far more than any other creatures on the planet —- deploy non-biological elements (instruments, media, notations) to complement our basic biological modes of processing, creating extended cognitive systems whose computational and problem-solving profiles are quite different from those of the naked brain.

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Il y a deux façons, selon Clark, de concevoir cette extension du cerveau (les deux ne sont pas incompatibles et co-existent assurément) : une première (préférée par Dennett, voir également Griffiths et Stoltz, 2000[2]) consiste à voir les technologies culturelles comme reprogrammant le cerveau; la seconde (préférée par Clark) consiste à voir les technologies culturelles comme des additions aux pouvoirs du cerveau nu qui ont pour fonction d’étendre ses capacités (ce qu’il nomme l’échafaudage externe [external scaffolding]).

Cette conception de l’esprit étendu et situé socialement, si elle est exacte (et je crois qu’elle l’est), pose au moins trois problèmes pour Clarke.

Le premier de ces problèmes est la remise en cause de l’universalité de l’organisation cognitive humaine. Pour prendre un exemple bien connu, le psychologue Richard Nisbett et ses collègues ont montré dans leurs travaux qu’il existe des « styles » de raisonnement différents selon les cultures, plus précisément que :

  1. les jugements des orientaux sont plus dépendants du contexte que ceux des occidentaux;

  2. les occidentaux sont plus susceptibles de commettre l’erreur d’attribution fondamentale que les orientaux;

  3. les orientaux groupent en général les objets en fonction de leurs relations et similarités, alors que les occidentaux les groupent en fonction de leur appartenance à une catégorie;

  4. Les occidentaux décontextualisent plus facilement le contenu et la structure que les orientaux et font donc plus facilement des inférences à propos de la validité des arguments.

Ces résultats rendent plausible l’idée

qu’un nombre indéfiniment grand de processus cognitifs « fondamentaux » sont hautement malléables [et que] même si toutes les cultures possèdent essentiellement les mêmes processus cognitifs de base comme outils, leurs outils de choix pour le même problème sont habituellement très différents. Les gens peuvent différer de façon marquée dans leurs croyances concernant la question de savoir si un problème requiert une clé à mollette ou une pince, dans leur habilité à utiliser les deux types d’outil et dans la localisation des outils particuliers sur le dessous ou sur le dessous de leur boîte à outils. De plus, les membres de différentes cultures peuvent ne pas voir la même situation comme un problème nécessitant une réparation. Une apparence de contradiction est un problème pour un occidental alors qu’elle peut bien ne pas l’être pour un oriental. [...] Une autre façon dont les processus cognitifs peuvent différer est que les cultures peuvent construire des outils cognitifs composites à partir de la même trousse à outils (toolkit) universels de base, accomplissant ainsi des actes d’ingénierie cognitive élaborés [...] comme les statistiques modernes, les règles méthodologiques, les analyses coût-bénéfice [...].

Nisbett et al, 2001, 306

Si l’analyse des résultats de Nisbett et ses collègues est exacte, il existerait donc plusieurs (au moins deux) styles cognitifs différents de raisonnement. On peut se demander comment l’épistémologie fiabiliste de Clarke pourrait être transformée pour accommoder ces données. Peut-être Clarke croit-il que le raisonnement en contexte d’échange social est immunisé contre ce genre de variation. Heinrich et Heinrich (2006) montrent cependant qu’il y a de bonnes raisons de penser que ce n’est pas le cas. Ils argumentent que les variations dans certains paramètres de l’environnement coopératif humain (grandeur des groupes, durée des interactions, qualité des informations concernant les comportements passés des interacteurs, écologie des stratégies sociales) impliquent que « l’évolution génétique de la coopération par la réciprocité directe n’est pas une solution robuste pour la plupart des animaux dans la plupart des contextes d’échange complexe [...] [il n’est donc pas possible] de construire une machine à réciprocité tout usage » (2006, p. 234). Aussi, suggèrent-ils que l’apprentissage culturel est une composante essentielle du mécanisme d’adaptation à l’échange social. Mère Nature nous dote bien sûr d’une « psychologie de la réciprocité », mais, selon eux, cette machinerie ne contient pas de règles comme le donnant-donnant (tit-for-tat), mais plutôt une « machinerie pour apprendre rapidement les règles de réciprocité efficaces localement [locally-successful rules of reciprocity] » (idem, p. 235). Si Heinrich et Heinrich ont raison, il pourrait bien se faire que la fiabilité des règles de réciprocité ne doive pas être évaluée en fonction de notre environnement évolutionniste d’adaptation (EEA), mais plutôt en fonction des contextes adaptatifs particuliers (CAP).

Un second problème, découlant lui aussi de l’idée de re-programmation culturelle de l’esprit, concerne une des prémisses utilisées par Clarke dans son argument en faveur de l’idée que la connaissance est une espèce naturelle (NKA), qui me semble fausse, soit la prémisse 9 selon laquelle le relativisme épistémique est faux. La prémisse est importante non seulement dans le contexte de l’argument de la connaissance comme espèce naturelle, mais également dans la solution qu’offre Clarke aux disputes entre philosophes analytiques et philosophes naturalistes au sujet des notions de justification. Si je comprends bien, sa solution au dernier problème consiste en une division des tâches où les philosophes analytiques produiraient une analyse du concept de justification ou de connaissance et où les philosophes naturalistes étudieraient plutôt les conditions dans lesquelles les mécanismes de production de croyances peuvent être considérés comme fiables. Au chapitre V, Clarke pose qu’il est « crucial » de voir les deux projets comme connectés (p. 105) : l’analyse non méliorative du concept de justification ou de connaissance contribuant à définir ce que doivent produire les processus qui sont étudiés par les scientifiques (au chapitre suivant, Clarke semble abandonner le projet de collaboration).

Un problème potentiel pour la prémisse (mais également pour la division des tâches) a été mis au jour par Stich et ses collègues (Nichols et al., 2003; pour un résumé voir Stich, 2004) est que, contrairement à ce qu’affirme Clarke, le concept de justification ou de connaissance analysé par les philosophes analytiques semble dépendre de la culture exactement de la façon dont les constructionnistes sociaux le supposent. Ce que montrent les études de Sitch est que les intuitions épistémiques des sujets varient selon les cultures auxquelles ils appartiennent. Prenons l’exemple suivant :

Bob a une amie, Jill, qui conduit une Buick depuis des années. Bob pense donc que Jill conduit une voiture américaine. Il n’est cependant pas averti du fait que la Buick de Jill a été récemment volée, ni que celle-ci l’a remplacée par une Pontiac, soit une autre marque de voiture américaine. Bob sait-il vraiment que Jill conduit une voiture américaine, ou le croit-il simplement?

Pour prendre un exemple, si la plupart des occidentaux (74 %) sont tentés de dire que dans la situation décrite par la vignette précédente, Bob ne possède pas une connaissance, mais seulement une croyance, 57 % des orientaux croient, eux, qu’il a une connaissance (le pourcentage passe à 61 % quand on considère les sujets indiens, pakistanais et bengalis).

Il semble donc que des gens appartenant à des cultures différentes aient des intuitions différentes concernant ce qu’est la connaissance. Il semble donc que la prémisse 9 est fausse. Les travaux de Stich ont également un impact sur la compréhension de ce à quoi se livrent les philosophes analytiques : lorsqu’ils font une analyse conceptuelle de la justification ou de la connaissance, leur analyse est limitée à leur culture (et même à leur classe sociale). Pour le dire autrement, « la réponse correcte aux questions normatives sera à chaque fois différente pour chaque groupe ayant des intuitions différentes » (Stich, 2004, p. 69).

Je crois que le problème n’est pas dramatique pour le projet de Clarke, bien qu’il doive abandonner l’idée d’une continuité entre le projet classique de l’épistémologie et sa version naturalisée. Si l’on accepte ce relativisme, il faut je crois également accepter d’une part que les résultats de l’épistémologie classique ont une valeur ethnographique, mais surtout que la notion de connaissance avec laquelle on décidera de travailler (par exemple, si on est évolutionniste) peut être assez radicalement différente de celle du sens commun. C’est justement, il me semble, le projet de Clarke au chapitre VI.

Le troisième problème posé par la culture dans l’approche de Clarke est le fait de considérer que les technologies culturelles ne sont que des parasites (free riders). Je suis bien sûr d’accord avec lui pour dire que nous ne sommes pas préparés par mère Nature à suivre les canons de la logique, mais il ne faudrait pas négliger le rôle adaptatif de la culture. Comme le notent les anthropologues Boyd et Richerson, ce qui explique que les humains ont pu occuper des environnements si différents et parfois si hostiles n’est probablement pas la possession de modules darwiniens universels, mais plutôt des capacités psychologiques relevant davantage du domaine général, comme l’apprentissage social (l’imitation). C’est que :

l’apprentissage social permet aux populations humaines d’accumuler des réservoirs d’informations adaptatives au cours de plusieurs générations, ce qui mène à l’évolution culturelle cumulative d’institutions et de technologies hautement adaptatives (manuscrit).

Sans tomber dans le fonctionnalisme à tout crin, on peut affirmer que certains produits culturels, comme la logique ou les mathématiques, sont de telles technologies sociales adaptatives. À ma connaissance, il n’existe pas de données concernant l’adaptativité de ces systèmes symboliques culturels, mais on peut l’inférer de certaines caractéristiques de l’épidémiologie de ces systèmes. Par exemple, on possède une histoire assez complète (voir Dahaene, 1997, chapitre IV) de la façon dont certains systèmes de représentations numériques ont été « culturellement » sélectionnés parce qu’ils offraient des avantages sur les autres (c’est-à-dire qu’ils permettaient de faire plus facilement certaines opérations que leurs compétiteurs. Par exemple, la représentation en chiffres arabes rend la multiplication beaucoup plus facile que la représentation en chiffres romains, permettant à certaines activités humaines liées au commerce de se développer et de s’étendre). On pourrait avancer un argument similaire concernant le raisonnement logique abstrait dont le développement semble lié aux pratiques de débat, de relations contractuelles, de science théorique, et à la formalisation de la connaissance.

Je crois que si l’on adopte la perspective de Boyd et Richerson, l’existence d’outils culturels comme la logique abstraite, même s’ils sont difficiles à manipuler, peut changer la donne épistémique. Elle nous force entre autres à abandonner la perspective étroite des modules et des processus psychologiques internes qui étaient certes adaptatifs dans l’environnement de nos ancêtres pour considérer l’esprit comme fonctionnant à l’intérieur d’un filet d’institutions et de technologies culturelles. Il est possible que nous ne soyons pas préparés par mère Nature à raisonner de façon fiable dans tous les domaines, mais qu’à cela ne tienne, il existe une technologie pour le faire! Bien sûr, cette technologie est difficile à maîtriser, mais qui a dit qu’être rationnel ne demandait pas d’effort![3] Pour reprendre un exemple utilisé parfois par Boyd et Richerson, nous n’avons sûrement pas de module dédié à la construction de kayak, mais si nous habitons le Grand-Nord, il est utile de faire des efforts pour apprendre à construire cette technologie si nous voulons survivre.

Une véritable épistémologie naturaliste ne sera donc pas étroitement modulaire, elle laissera également une place pour la culture. Comme le rappellent Boyd et Richerson, le fait que l’approche évolutionniste et l’approche culturaliste négligent chacune les apports de l’autre

revient à couper les gens en deux et à n’étudier qu’une moitié ou l’autre. Les humains ne peuvent survivre sans leur culture et leurs gènes intacts. N’étudier que des moitiés est comme étudier des corps mutilés plutôt que des humains vivants. Nous avons besoin d’une théorie dans laquelle la culture est importante et imbriquée de façon intime avec les autres aspects de la biologie humaine.

Boyd and Richerson, version manuscrite du premier chapitre de leur livre de 2004