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Introduction

Comment devient-on député au Brésil ? Quelles trajectoires un aspirant à la carrière politique parcourt-il jusqu’à la conquête d’un siège à la Chambre des députés ? L’expérience politique acquise au cours de la trajectoire publique constitue-t-elle une ressource stratégique de mobilité de carrière ? Les organisations partisanes exercent-elles un contrôle sur les possibilités de carrière en limitant l’entrée d’individus dont la loyauté se mesure en termes d’années de services partisans préalables ?

Le présent article a pour objectif de rendre compte d’une recherche sur les patrons de recrutement législatif au Brésil. L’image récurrente utilisée pour décrire les partis et l’élite politique brésiliens – par le journalisme politique ou par des travaux universitaires – accentue habituellement la présence marquante de traits oligarchiques dans le profil de la classe politique brésilienne : cercles restreints de politiciens caractérisés par la longévité des carrières politiques, concurrence réduite, et contrôle sur les machines et les réseaux de loyauté électorale.

Suivant une direction opposée, nous nous proposons de montrer que des niveaux élevés de circulation parlementaire constituent un patron endémique dans la politique brésilienne, continu depuis cinq décennies et commun à différentes régions et organisations partisanes présentes non seulement dans des élections exceptionnelles marquées par des réalignements partisans importants, mais aussi dans des États urbains avec une concurrence électorale accrue. Résultat d’une rénovation élevée et continue, l’entrée dans la classe politique et la mobilité à l’intérieur de celle-ci s’offrent à des individus qui possèdent une expérience politique moindre et une loyauté partisane.

La démonstration de cet argument provient d’un examen des données biographiques des députés fédéraux élus au cours de quatorze législatures, de 1946 à 1998, à partir des sources suivantes : les répertoires biographiques des députés brésiliens publiés lors de chaque législature par la Chambre des députés, le matériel du Tribunal supérieur électoral (TSE) et des données extraites de publications de type Whos Who, par exemple le Dicionário Histórico-Biográfico de la Fondation Getúlio Vargas (FGV).

Nous avons cherché à analyser l’expérience politique acquise durant la carrière publique antérieure et les liens de loyauté assurés par les parlementaires avec les partis responsables de leur élection. Pour mesurer l’expérience politique, nous avons utilisé les indicateurs suivants : le nombre de mandats législatifs fédéraux, le temps de carrière antérieur à la conquête du siège parlementaire, le dernier poste occupé avant l’entrée à la Chambre des députés et les conditions d’entrée en politique (âge et profession d’origine). Nous avons testé les loyautés partisanes sur la base du nombre d’années d’affiliation préalables du parlementaire par rapport au parti qui l’a élu. La perspective adoptée dans ce travail privilégie expérience politique et liens partisans comme dimensions significatives pour reconstituer des patrons de recrutement parlementaire, qui constituent également des indicateurs importants de la configuration et de la dynamique des institutions politiques. Quand l’entrée dans l’activité législative acquiert un patron endogène, qui survient seulement après un long moment d’entraînement préalable – postes publics, vie partisane – semblable à une école politique où l’aspirant est « préparé », on se trouve devant une classe politique stable, dotée de loyautés hiérarchiques et de conditions qui favorisent la génération d’un profil homogène de ses membres. Au contraire, si la possibilité d’une carrière s’offre à des individus qui ne sont pas du milieu, qui ont une courte expérience politique et des engagements partisans irréguliers et qui réussissent leur entrée dans la politique, le symptôme révèle la présence d’une professionnalisation très faible et de liens hiérarchiques précaires internes aux organisations politiques.

Présupposés théoriques

Ce travail s’inscrit dans une perspective théorique qui met l’accent sur les connexions entre la « routinisation » d’institutions démocratiques et la professionnalisation de l’activité politique. Cette proposition, à l’origine située dans les travaux classiques de Weber et de Michels[1], peut aussi se trouver dans des matrices théoriques diverses, telles que des approches associées à la sociologie politique ou, à l’extrême, des investigations orientées par les postulats de l’école néo-institutionnaliste.

Il est possible d’illustrer la configuration particulière des institutions publiques en Occident par la figure du professionnel de la politique que Dogan caractérise par son profil singulier : vocation précoce pour la politique, longue carrière, ressources extraites principalement ou exclusivement des activités politiques exercées et de l’expérience acquise dans la trajectoire politique, révélées par l’habileté à s’engager et à négocier, et par l’utilisation de la parole[2]. Son engagement n’a pas lieu seulement à l’occasion, comme une distinction honorifique, ou par la participation éventuelle, le jour des élections, à une réunion publique, ou par l’expression d’une opinion[3]. Dans une direction similaire, Gaxie et Offerlé soutiennent que « l’homme politique » se distingue par la carrière stable et l’entraînement constitué au long de la trajectoire parcourue, à partir des postes publics jusqu’à l’organisation partisane qui permettent :

[…] l’acquisition d’un savoir-faire organisationnel et l’apprentissage de technologies indispensables à l’exercice du travail politique : prise de parole, rédaction de tracts, maîtrise de techniques de contrôle et de manipulation d’assemblées, accoutumance à la discussion avec des responsables administratifs ou politiques […] et a enraciné un sentiment de compétence politique[4].

S’éloignant de la vie sociale, l’exercice de l’activité politique adopte des pratiques spécialisées qui se différencient des mécanismes qui régissent d’autres sphères sociales, comme la maîtrise des textes sacrés dans le champ religieux, la connaissance technique dans l’administration publique ou privée, le titre de propriété sur le marché.

Le temps offert par de longues carrières vécues en commun, le sentiment d’un destin partagé imposé par la nature même de négociation de la représentation dans les législatures, l’entraînement institutionnel, notamment, contribuent à la production d’un ensemble d’information partagée et à la création de normes qui régissent les interactions entre professionnels, et confèrent autorité et prestige à ceux qui les respectent. Un bon exemple en est le mécanisme de seniority, qui gouverne l’occupation de postes dans la House of Representatives américaine. Cette règle, qui récompense la continuité dans la carrière, finit par valoriser des parlementaires qui, au cours du temps, ont incorporé les normes de la maison. En s’orientant sur le respect des procédures acceptées parmi les pairs et reconnues par l’Institution, le représentant augmente ses possibilités de carrière puisque les chances de réélection et la suite elle-même de la carrière sont conditionnées par son habileté à négocier des projets et des demandes de ses électeurs[5]. Ainsi, l’expérience politique se transforme en une ressource valorisée comme moyen de projeter une carrière publique. De la même manière, Fiorina a montré que des altérations dans la composition d’assemblées législatives régionales américaines pourraient découler de l’effet de la professionnalisation de leurs activités[6], en particulier en raison de l’allongement de la durée des sessions législatives et de l’augmentation de la rémunération du travail parlementaire. L’occupant du siège a alors le choix de se consacrer à plein temps à l’activité législative ou de l’abandonner pour conserver son occupation privée.

Des patrons de recrutement sont configurés, selon l’indication de Norris et Lovenduski, dans le rapport entre l’offre de candidats qui se dirigent vers une carrière politique (supply side) et les processus de sélection (demand side) exercés par les institutions politiques et les organisations partisanes[7]. Liées entre elles, les caractéristiques acquises par le recrutement législatif dans un contexte particulier seraient le résultat de la prédominance de l’un des vecteurs. Le recrutement vertical et hiérarchique peut être facilité quand les organisations partisanes disposent de mécanismes efficaces pour contrôler l’accès à des postes politiques, en sélectionnant des candidats testés sur de longues périodes de services rendus au parti. Dans ces conditions, habileté et entraînement politiques sont plus valorisés comme ressources électorales, et le rythme de progression de la carrière tend à être plus cadencé, conditionné par des risques et des défis accrus pour les occupants de postes importants dans la hiérarchie des charges publiques. À l’opposé, un accès latéral montre des dispositifs de sélection préalable bien précaires, encourageant des individus situés hors de la classe politique ou à sa périphérie à défier – avec des probabilités de réussite – les vétérans.

Des carrières sont projetées par la disponibilité inégale de ressources qui permettent à son porteur de les convertir en support matériel, en soutien et en votes. Quand une allocation endogène prédomine[8], la structure partisane fournit les moyens nécessaires au recrutement électoral. Cela signifie que, pour les obtenir, l’aspirant à la carrière doit s’adapter aux règles et aux directives de l’organisation. Dans ce cas, l’indication d’une candidature suit un patron centripète[9], récompensant des loyautés confirmées après des années de dévouement au parti. Des carrières acquièrent la forme d’un cursus honorum[10] : l’aspirant entre au plus bas de la hiérarchie partisane, et le temps qui lui est nécessaire pour passer des premiers postes à un siège parlementaire est généralement long. Avec une circulation réduite entre les occupants de charges, la progression de la carrière dans la hiérarchie est lente. Le postulant doit attendre, prudemment, que se libère une place, avec peu de perspectives de défier avec succès les vétérans. Une telle ambiance constitue une école politique où l’aspirant est socialisé et acquiert des règles et des valeurs de ce monde.

À l’opposé, un recrutement latéral tend à valoriser des attributs acquis hors des frontières organisationnelles[11]. Prestige, biens matériels et fréquentations dans la vie privée sont, dans ce cas, des moyens beaucoup plus efficaces d’obtenir des soutiens[12]. En détenant des ressources propres, les candidats ne dépendent pas de l’aval du leadership politique ; ils peuvent l’ignorer, avec un risque moindre pour l’entrée ou la continuité de leur carrière. À l’inverse, les dirigeants partisans ont besoin de la notoriété prêtée par leur nom à la liste de candidats du parti. Les carrières politiques sont ainsi plus rapides et irrégulières, en raison du recrutement des aspirants dont l’expérience politique est insuffisante ou faible.

L’expansion du suffrage a paradoxalement accentué la séparation entre vie sociale et monde politique. Sur un marché censitaire, la distance entre le représentant et ses électeurs est restreinte, et la marge d’autonomie de l’élu aussi est étroite. Fortune personnelle, diplôme, prestige et notoriété territoriale ne distinguent pas celui qui offre de celui qui reçoit le vote. Les échanges entre candidats et électeurs constituent des transactions virtuellement symétriques, personnalisées et « face à face »[13].

L’élargissement du suffrage introduit sur le marché électoral un nouveau personnel politique, d’origine sociale inférieure, qui ne dispose pas de prestige individuel, de biens matériels ni de ressources de patronage[14]. Pour affronter la concurrence des politiciens traditionnels, ce personnel a recours à l’offre de produits symboliques tels que discours, représentations, visions du monde, promesses de réforme sociale. Les partis s’imposent dans ce contexte comme le moyen quasiment exclusif de représentation, dans la mesure où ils contrôlent la production de telles étiquettes[15].

À ce moment, les services rendus et la fidélité au parti sont les filtres qui conditionnent les chances d’ascension dans la hiérarchie de l’élite politique. L’apparition du système proportionnel et le mécanisme de liste fermée renforcent les images de parti, en même temps qu’ils consacrent l’impersonnalité des mandats parlementaires. La loi dairain de loligarchie[16] énoncée par Michels correspond ainsi au déclin des notables, marquant l’ascension d’un nouveau type d’élite formée par les agents de parti qui, en détenant le contrôle des ressources tout comme la sélection de candidats, assurent l’oligopole sur l’offre politique. L’oligopole des partis sur la production de la représentation permet, ainsi, une sédimentation de la classe politique, avec un renouvellement moindre, de longues carrières parlementaires et une très grande fidélité au parti[17].

L’expérience politique[18] offre une mesure du degré auquel les représentants constituent un cercle plus ou moins restreint d’initiés qui monopolisent les possibilités d’accès aux sièges parlementaires, en restant aux postes publics pendant de longues périodes.

Carrières politiques au Brésil

La représentation politique au Brésil porte la marque de la configuration génétique d’une expansion lente et tardive du marché électoral, aux côtés de la centralisation précoce de l’État[19], équation qui a eu pour résultat la primauté de loyautés verticales sur les solidarités horizontales. Même en acceptant l’hypothèse que le système des partis, de 1945 à 1964, tendait à la consolidation, sa rupture en 1965 et ses nombreuses ruptures depuis ont affecté la production d’une « accoutumance au vote[20] ». Les identités de parti sont le produit de la routine engendrée au fil des élections, au long de nombreuses années ; elles permettent l’assimilation d’images, de symboles et de valeurs associés à chaque parti. Quoique le calendrier électoral n’ait pas été interrompu – c’est l’une des singularités de l’autoritarisme brésilien –, l’offre des partis révèle une inconstance qui rend difficile aux « non-initiés » la compréhension du sens contenu dans chaque organisation de parti.

Si les étiquettes politiques ne constituent pas une signification capable d’opérer des loyautés, celles-ci doivent découler d’une autre matrice.

Les interactions de la société brésilienne sont imprégnées de « dyades[21] », échanges strictement personnalisés qui s’appuient sur une règle de réciprocité, ce que l’on peut illustrer par l’image de « l’homme cordial[22] », attaché à des liens affectifs, contraire aux façons de procéder formelles et anonymes du marché capitaliste et de la bureaucratie moderne, qui cherche, dans le contact individuel, la confiance et la fidélité non transférables, la garantie d’obtenir une faveur exclusive, matérielle ou symbolique. C’est la raison pour laquelle, dans un tel contexte, l’appel diffus et impersonnel des partis de masse a du mal à trouver un écho.

Jusque-là, rien de surprenant ; les écrits sur ce thème abondent[23]  ; ce qui est moins évident, c’est que la réciprocité comme monnaie des interactions sociales rend précaire le lien entre les individus. Le fait de négocier avec des besoins non proportionnels fait du clientélisme une relation asymétrique. Alors que, pour le « patron », la dépendance du lien est marginale et abondante, la disponibilité de clients potentiels, pour chacun d’eux individuellement, est vitale pour leur assurer protection et biens qui ne peuvent être obtenus qu’auprès d’un seul patron. Le solde débiteur, converti en obligation morale, réalimente la loyauté. Cependant, des variations quant au nombre de patrons différents et au volume de ressources effectivement disponibles affectent l’équilibre de cette relation en la rendant davantage instrumentale.

L’expédient de gouvernement présidentiel avec grandes coalitions de partis (presidencialismo de coalizão), pour garantir des majorités parlementaires à l’exécutif au Brésil[24], a un effet collatéral quand il morcelle les prébendes de manière telle qu’aucun parti ne détient le monopole de l’accès à l’État et à ses ressources. De même, la structure fédérative et l’existence de multiples unités administratives à plusieurs paliers (fédéral, étatique[25] et municipal) partage le système politique entre tous les partis effectifs. En conséquence, il affaiblit les hiérarchies internes à la classe politique étant donné que le flux des appuis et des contacts peut suivre des voies différentes et concurrentes.

Par ailleurs, si les échanges s’alimentent de l’expectative quant à la contrepartie à l’appui prêté, quand celui-ci ne correspond pas à l’attente, l’électeur ou même le recruteur de votes (cabo eleitoral) pourra chercher un autre broker. Ou encore, dans l’impossibilité de recréer de nouveaux liens de réciprocité, il peut donner cours à ses ressentiments et à ses frustrations en manifestant son rejet du champ politique par le choix de candidats reconnus comme antithétiques au politique professionnel[26].

Il est toujours tentant d’insister sur les traits oligarchiques de la politique brésilienne. Il ne manque pas de preuves pour nourrir un diagnostic sur la fermeture aux changements de la part de l’élite nationale, les obstacles à la participation politique, la distance entre les institutions et la vie sociale. Tout cela est vrai. Néanmoins, un regard épuré sur cette scène politique pourra découvrir des nuances inattendues. L’image présumée d’une classe politique fermée devrait être confirmée par des indicateurs qui révéleraient une concurrence restreinte avec une alternance réduite et, en conséquence, une continuité élevée aux postes publics. La composition de la Chambre des députés selon le nombre de mandats exercés est évocatrice à cet égard.

La présence de nouveaux élus, outre le fait d’être une constante, ne peut être créditée à aucun parti en particulier. Durant le premier cycle de pluripartisme, le Parti travailliste brésilien (PTB) comptait des parlementaires en premier mandat en proportion toujours supérieure à la moyenne de la Chambre. En se transformant en parti national, le parti travailliste élargissait l’éventail de son recrutement parlementaire. On ne peut cependant imputer au travaillisme la responsabilité de l’entrée de nouveaux députés. Si le renouvellement de son groupe parlementaire était, par hypothèse, semblable à celui du Parti social-démocrate (PSD), parti plus traditionnel et associé au patronage, le groupe des nouveaux élus subirait une réduction de 3 % à 5 %, qui ne mettrait pas en jeu sa forte présence tout au long de cette période. Il en va de même pour le Parti des travailleurs (PT), parti de gauche fondé dans les années 1980. Ce groupe est formé en majorité de « novices » qui tirent profit de l’expansion territoriale graduelle du parti. S’il s’était agi d’un phénomène isolé restreint au petit groupe « pétiste », la présence de parlementaires en premier mandat à la Chambre serait également modeste.

Dans une classe politique sédimentée, le temps nécessaire à l’aspirant pour parcourir le chemin du premier poste jusqu’au siège à la Chambre des députés est généralement long. La circulation est réduite entre les occupants de postes publics, ce qui résulte en une lente progression dans la hiérarchie de carrière[27]. La stabilité de la composition de l’élite augmente les risques du postulant dans la dispute électorale. Ce dernier doit attendre prudemment qu’un siège se libère. À ce moment, l’habileté à nouer des relations, la loyauté et la déférence démontrées tout au long de nombreuses années seront précieuses pour permettre à un individu d’hériter d’un patrimoine électoral. Un tel climat constitue encore l’école politique, où l’aspirant est préparé et acquiert les règles et les valeurs du monde politique.

Cela ne semble pourtant pas être l’image la plus fidèle de ce qui se passe dans les interstices du recrutement parlementaire au Brésil.

Tableau 1

Députés fédéraux, selon le nombre de mandats (en %)

Députés fédéraux, selon le nombre de mandats (en %)
Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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Tableau 2

Expérience politique antérieure (années pré-Chambre des députés, 1er mandat)

Expérience politique antérieure (années pré-Chambre des députés, 1er mandat)
Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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L’expérience antérieure des députés qui entreprennent leur premier mandat à chaque législature de la Chambre des députés permet de mesurer le background disponible et la permissivité existante dans le recrutement parlementaire. La parcelle de représentants qui arrivent à la Chambre après une longue carrière enregistre un déclin accentué, tombant de 30,4 % en 1946 à 21,8 % en 1986 et à seulement 9,6 % en 1994. On constate une tendance opposée parmi les outsiders qui conquièrent leur siège après un bref délai, inférieur à quatre ans d’activité politique : presque la moitié des nouveaux députés des quatre dernières législatures se trouvent dans cette situation. Ainsi, le renouvellement parlementaire ne consiste pas seulement en un remplacement de cadres politiques déjà expérimentés, mais à l’accès pur et simple aux sièges parlementaires par des individus étrangers au champ politique.

Au cours des législatures que nous avons examinées, la fréquence de parlementaires ayant des liens de parenté avec des hommes politiques se situe autour de 25,8 % du total de députés élus. Parmi ceux qui sont arrivés à la Chambre des députés avec moins de quatre ans de carrière, cette incidence est légèrement inférieure (24,1 %), ce qui permet d’avancer que, outre l’inexpérience politique, ils ne disposaient pas non plus du prestige hérité d’antécédents familiaux pour compenser une carence en capital politique institutionnel.

Quand nous considérons le dernier poste occupé par les nouveaux députés avant leur entrée à la Chambre des députés, nous constatons qu’il est possible de brûler les étapes de la carrière en étant dispensé du passage à des postes intermédiaires.

Ainsi, nous constatons qu’un nombre significatif de nouveaux parlementaires ne disposaient d’aucune carrière antérieure. En outre, il y a une augmentation du nombre de députés qui arrivent à la Chambre immédiatement après un passage dans la politique municipale (comme conseiller municipal ou maire), dépassant leurs pairs situés à un échelon supérieur dans la carrière, celui de l’État. Si nous ajoutons les nouveaux élus sans poste à ceux qui se projettent directement à partir d’une expérience municipale, nous obtenons plus de 50 % d’aspirants qui ont réussi à subvertir la hiérarchie « naturelle » de la carrière politique.

Tableau 3

Dernier poste occupé (députés 1er mandat)

Dernier poste occupé (députés 1er mandat)

CM : conseiller municipal ; ADM : poste administratif fédéral ou provincial ; DE : député provincial.

Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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Formation

Le moment où le futur député commence sa carrière offre une piste qui aide à établir les liens subjectifs et matériels qui l’attachent à la politique. Des débuts précoces – et leur carrière par la suite – suggèrent une affinité élective, une disposition par vocation à s’adonner à l’activité politique, faisant de celle-ci un projet de vie. Ils révèlent aussi l’influence possible d’un climat familial et social stimulant pour l’option politique. Un intérêt tardif peut s’interpréter comme une inclination contingente, où la recherche du poste constitue une incursion éventuelle dans le champ politique, devant une occasion irrécusable, pour la réalisation d’une fin dérivée de la position privée, ou comme corollaire d’une vie professionnelle réussie.

Une carrière précoce et un entraînement spécifique constituent des caractéristiques du type idéal de l’homme politique professionnel, ce que l’on peut reconnaître au tableau 4.

Tableau 4

Âge au premier poste selon l’activité professionnelle (moins de 30 ans)

Âge au premier poste selon l’activité professionnelle (moins de 30 ans)

FP : fonction publique ; AV : avocat ; AGR : agriculteur ; ENT : entrepreneur privé ; PFS : professionnel de formation supérieure.

Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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Commencer sa trajectoire politique à moins de 30 ans est particulièrement représentatif chez les avocats et, jusqu’à la législature de 1962, chez les fonctionnaires. En 1958 et dans les deux dernières législatures, les députés associés au domaine de l’agriculture se distinguent également par l’arrivée précoce dans la carrière. Par opposition, la proportion de chefs d’entreprise et de professionnels de formation supérieure[28] qui entament leur carrière avant l’âge de 30 ans est bien plus modeste.

Jusqu’à 30 ans, l’individu fait ses choix professionnels. À ce moment, la motivation et le développement d’habiletés qui aident à impulser une carrière politique s’entrelacent avec l’éducation et le début de l’activité occupationnelle. La notoriété et la réputation acquises dans l’activité professionnelle, l’entraînement à l’activité politique, prédisposent le jeune avocat à se convertir en homme politique. Il n’y a pas de rupture entre deux mondes, mais plutôt une convergence.

Le politique professionnel fait face à un dilemme : étant élu, il ne peut pas se montrer différent de la majorité de ses constituants, mais, en même temps, il ne doit pas leur être égal au point de ne pouvoir justifier sa condition, qui est de vivre de la politique et de réclamer pour lui-même le mandat et la confiance de ses électeurs. Il lui faut être davantage égal, étant reconnu comme porteur d’une compétence spécifique, d’une inclination par vocation qui le rend – et lui seulement – apte à évoluer dans la sphère politique. L’activité professionnelle peut y contribuer dans la mesure où elle facilite la familiarité avec la rhétorique et un langage spécifiquement politique, et offre un capital de relations confirmées dans l’exercice de la profession et l’image de l’homme habile, capable de se mouvoir avec désinvolture dans la jungle des lois, des accords, des négociations et des organismes de l’administration publique.

Il est évocateur que Weber oppose l’avocat au fonctionnaire. Ce sine ira et studio serait le porteur d’une mission qu’il exécute de façon anonyme et impersonnelle, séparé, comme l’huile et l’eau, du climat et des valeurs de la politique, constituant des modèles de rationalité distincts : « les fonctionnaires qui ont une vision moralement élevée de leurs fonctions sont, nécessairement, de mauvais politiques[29] ». L’inclination prématurée de fonctionnaires pour la politique révèle les contours singuliers du monde politique au Brésil et le type de compétences et de ressources requis pour entrer dans l’élite. Dans la zone d’ombre qui se situe entre l’État et la société, un individu peut même compenser une origine sociale modeste par la position privilégiée qu’il occupe dans l’État, convertie en moyen pour nouer des relations personnelles et se construire le respect politique. Les décisions publiques, loin des critères techniques et universalistes du modèle wébérien, sont tissées d’arbitraire. La possibilité de faire une petite faveur, d’activer une démarche, de mettre au placard un dossier défavorable, crédite le fonctionnaire de petites dettes qui devront être payées dans le futur.

De même, la progression de carrière ne dépend pas nécessairement de critères d’efficience fonctionnelle. En même temps qu’elle pousse vers la politique, la précarité d’une structure professionnelle dans l’administration publique ne permet pas de nourrir des espoirs à long terme. N’ayant rien à investir dans le service public, l’individu n’ira pas perdre la chance de mobilité que lui offre la carrière politique.

Enfin, soulignons que, jusqu’aux années 1960, il y avait, parmi les fonctionnaires, de nombreux promotores públicos (procureurs) dans les petites et moyennes villes de province. Outre leur formation commune avec celle des avocats, ceux-ci possèdent, en raison de leurs prérogatives, une position de marque dans leur collectivité en plus d’inspirer respect et crainte.

Il reste à déchiffrer l’énigme du changement de profil des fonctionnaires qui, de précoces dans les trois législatures du deuxième cycle démocratique, deviennent retardataires. Apparemment, cela est associé à deux changements importants dans la composition de ce groupe : en premier lieu, le déclin significatif de l’entrée de fonctionnaires – qui sont passés de 20,3 % en 1954 à 8,3 % en 1990 et à 9 % en 1994 –, ce qui a abouti à un deuxième décalage, consécutif à leur abandon par les partis conservateurs. En 1950, 28 % des députés du PSD (droite) ont été recrutés parmi les fonctionnaires. En 1994, seulement 3,4 % des députés du Parti du front libéral (PFL), de droite, avaient cette même origine, contre 18,4 % au PT (gauche). Il semble ainsi se produire un glissement vers un profil plus syndical, d’où la difficulté accrue et tardive à obtenir un premier mandat.

Un portrait négatif de ce profil apparaît à l’examen du groupe des députés qui atteignent leur premier mandat après l’âge de 40 ans.

Ici, ce sont principalement les chefs d’entreprise et les professionnels de formation supérieure qui se distinguent, c’est-à-dire des individus qui, à leur entrée en politique, ont probablement déjà établi leur vie professionnelle. N’ayant pas eu besoin de la politique jusqu’alors, ils peuvent la quitter à tout moment, à la différence de celui qui a construit son nom, sa carrière et sa réputation précisément sur sa présentation comme homme politique. De plus, la présence de la politique dans la famille révèle des différences entre les deux groupes : seulement 17,5 % des parlementaires qui sont entrés dans la carrière après l’âge de 40 ans avaient des parents dans des postes politiques. Parmi ceux qui ont commencé avant 30 ans, la fréquence ascendante des liens de parenté avec des hommes politiques atteignait 34,7 %.

Tableau 5

Âge au premier poste, selon l’occupation professionnelle (plus de 40 ans)

Âge au premier poste, selon l’occupation professionnelle (plus de 40 ans)

FP : fonction publique ; AV : avocat ; AGR : agriculteur ; ENT : entrepreneur privé ; PFS : professionnel de formation supérieure.

Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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Un autre contraste significatif découle de l’identification du poste qui marque les débuts de l’aspirant dans la carrière politique. Les « précoces » commencent surtout en tant que conseiller municipal, maire, député d’État et, jusqu’à la législature de 1962, dans des postes de confiance de l’administration publique. Parmi ceux qui obtiennent le premier mandat après 40 ans, il est plus fréquent – en proportion toujours supérieure à 50 % – de voir un accès direct et sans escale à la Chambre des députés, sans les atouts conférés par une pratique professionnelle voisine de la politique, dépourvus de l’entraînement offert par le passage à différents postes et par les périodes électorales, indifférents plus longtemps à une carrière politique. Le dernier contraste constaté entre les deux groupes est la diminution de la proportion des précoces ainsi que l’augmentation des retardataires.

Le rôle des Gouverneurs et le recrutement politique

Des taux élevés de renouvellement peuvent ne pas constituer un indicateur définitif du déclin d’un patron oligarchique de représentation politique et de l’augmentation de la compétition électorale. L’expérience de l’Argentine illustre ce propos : un fort roulement dans l’occupation des sièges parlementaires fédéraux montre le pouvoir des gouverneurs de provinces qui – aidés par un système de listes fermées – encouragent une circulation élevée comme moyen de rendre plus difficile l’émergence de leadership alternatif dans leur région[30].

Nombre d’auteurs ont cherché à attirer l’attention sur le pouvoir des gouverneurs d’État au Brésil, qui constitueraient, dans cette perspective, les principaux acteurs du système politique brésilien : les véritables « barons de la fédération » occupent le rôle de veto-players de la politique nationale[31]. L’argument consiste en la réaffirmation de l’importance de la structure fédérative brésilienne, combinant hétérogénéité et extension territoriale avec la dispersion provoquée par de multiples gouvernements sous-nationaux (États et municipalités). Des députés – y compris ceux du circuit fédéral –, mus par l’objectif de réélection, centrent leur performance sur le renforcement de leur « connexion électorale ». Dans un contexte d’incertitude produite par de forts taux de rénovation, le pork barrel représente un moyen de garantir la loyauté de fiefs électoraux. Au Brésil, où les circonscriptions électorales correspondent aux États, les gouverneurs exerceraient un contrôle accru sur les députés fédéraux en récompensant la loyauté par des subventions et des emplois publics distribués à des électeurs, et en punissant les défections ou les opposants par des aides à des adversaires.

Cette hypothèse peut être corroborée par deux procédures. La première procédure consiste à vérifier si, dans les votations du Congrès, en particulier celles qui entraînent des disputes entre le gouvernement central et les gouvernements d’État, le comportement des députés fédéraux témoigne d’une plus grande loyauté au pouvoir exécutif fédéral ou au gouverneur de son État. Les résultats obtenus par Cheibub, Figueiredo et Limongi, qui ont examiné les votations avec une répartition de ressources tributaires entre gouvernements national et étatique au cours de la période 1988-1998, montrent des indices importants de discipline partisane nationale, aux côtés d’une faible uniformité du comportement des députés, lorsque l’ensemble des députés d’un parti dans le cadre de l’État est pris en compte[32].

La seconde procédure consiste à vérifier si la position du candidat à l’égard du gouvernement de son État devrait constituer, sous les conditions d’une concurrence restreinte et d’une concentration oligarchique de ressources électorales, une disjonction capable de définir les possibilités de réussite de l’aspirant à une carrière publique. Ce contexte est semblable à celui rencontré par Victor Nunes Leal, qui décrit la politique comme une dispute pour le « privilège de soutenir le gouvernement et de s’appuyer sur lui[33] ». Dans ces circonstances, les élections sont l’occasion d’activer une hiérarchie de relations asymétriques : les électeurs dépendent de faveurs et de protection de chefs politiques locaux, et convertissent leur vote en occasion d’exprimer loyauté, déférence et amortissement de dettes personnelles. Les chefs locaux dépendent du gouvernement de l’État, qui fournit les moyens pour leur ascendance municipale ou régionale en offrant en échange une quantité d’électeurs aux candidats gouvernementaux. Ce tableau ne serait pas nécessairement contradictoire avec un phénomène de renouvellement parlementaire individuel, pourvu que celui-ci puisse être expliqué comme une simple circulation nominale, dans les mêmes réseaux qui dominent la politique de l’État. Pour mesurer cet événement, nous avons tenté d’identifier la position[34] des candidats élus lors d’un premier mandat à chaque législature à la Chambre des députés par rapport au gouvernement de leur État, sur la période immédiatement antérieure à l’élection à la Chambre des députés[35]. Nous espérions ainsi avoir la confirmation d’un penchant gouvernemental dans la production de la représentation parlementaire.

Graphique 1

Députés fédéraux : position par rapport au gouvernement de l’État (en %, 1946-1998)

Députés fédéraux : position par rapport au gouvernement de l’État (en %, 1946-1998)

GOV : Députés élus par le parti ou la coalition du gouverneur dans leur État ; OPO : Députés élus par des partis d’opposition dans leur État.

Source : Chambre des députés, Tribunal supérieur électoral.

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D’une certaine manière, le scénario décrit par Leal n’existe plus. Non seulement la circulation est élevée, mais la proportion de candidats qui obtiennent un siège à la Chambre des députés, élus par des partis d’opposition au gouvernement de leur État, est importante : oscillant autour de la moitié des élus pendant la période 1946-1962, elle a diminué au cours du système bipartite, puis s’est accrue à nouveau à partir de 1982, totalisant quasiment les deux tiers des élus après la redémocratisation. Ce graphique semble indiquer un coût réduit pour la chute de loyautés et une structure des possibilités configurée par une dispersion de ressources électorales, sans l’oligopole exercé par un commandement étatique unique.

Partis et recrutement politique

Une autre voie pour entamer une carrière politique peut être tracée à partir de l’activité de parti. Après avoir consacré une bonne fraction de sa vie aux tâches d’organisation du parti, l’individu récupère le temps et l’énergie investis et les convertit en support collectif (militantisme, finances) pour sa campagne. Le capital politique prêté par le parti offre aussi à l’aspirant la possibilité de combler une carence d’attributs personnels – notoriété, diplôme, biens – compensée par l’offre de contreparties symboliques, comme les programmes, la vision du monde, les valeurs éthiques, et les banderoles sociales, transférées par l’identification au parti[36].

La sélectivité d’un modèle de carrière politique peut se mesurer par la rigueur avec laquelle « l’institution investit [seulement] ceux qui ont investi dans l’institution[37] », c’est-à-dire quand les services rendus et la fidélité au parti sont les filtres qui conditionnent les possibilités d’ascension dans la hiérarchie de l’élite politique.

Une analyse préliminaire de la consistance des liens de parti est possible à partir de la vérification du transit entre les partis en tant que procédé routinier chez les cadres politiques. Le graphique 2 renseigne sur la proportion de parlementaires qui ont appartenu à plus d’un parti[38] tout au long de leur vie publique jusqu’au début de leur législature respective.

Graphique 2

Parlementaires ayant passé par plus d’un parti

Parlementaires ayant passé par plus d’un parti

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La ligne représente le contingent de députés qui ont appartenu à plus d’un parti. L’existence de deux modèles nettement distincts paraît claire. Pendant le premier cycle démocratique, le transit entre partis a été modeste. Même la pointe de 16,6 % enregistrée en 1954 ne peut pas être considérée élevée si nous tenons compte du fait qu’il s’agit de changements de parti au cours de toute une vie publique et non pas seulement pendant une unique législature.

Un cadre différent apparaît quand nous observons les quatre dernières législatures. Cette fois, presque un parlementaire sur trois s’est montré infidèle à son(ses) parti(s) au moins une fois au cours de cette période. La dernière législature met en évidence la faiblesse des liens partisans : plus de la moitié des parlementaires élus ont appartenu à plus d’un parti. La reconstitution du chemin parcouru par les parlementaires qui ont changé de parti révèle que le transit incongru, bien qu’il ait augmenté – oscillant autour d’un quart des migrations –, correspond encore à un comportement isolé qui affecte, à l’occasion, 10 % du total des députés. C’est un transit de parti significatif, mais contenu dans les limites de chaque famille politique, qui suggère que, contrairement aux lieux communs qui peuplent les éditoriaux et la couverture journalistique, les hommes politiques brésiliens ne sont pas pur mimétisme, qu’ils exploitent au maximum les possibilités et s’adaptent librement aux occasions de chaque climat. Cela fait une différence, même pour un parlementaire infidèle, de sortir du Parti progressiste (PP), de droite, pour entrer au PFL (droite) ou au PT (gauche).

Un angle favorable pour observer des liens de parti apparaît à l’examen du temps d’affiliation antérieur à la conquête du siège parlementaire. Il ne s’agit pas d’évaluer si le parti a été important pour l’élection du candidat – ce qui est assez complexe et demanderait l’utilisation d’autres techniques de recherche –, mais plutôt, de manière ponctuelle, d’explorer l’aspect où l’expérience de parti constitue un antécédent important dans le recrutement parlementaire[39].

Près de la moitié des députés fédéraux montrent un rapport entre temps d’affiliation et mandat très court, inférieur à quatre ans. Si l’on considère seulement ceux qui se sont affiliés en suivant strictement les délais établis par la législation électorale, on arrive à un contingent encore significatif de 27 % de parlementaires.

Le pari sur la construction d’un capital politique à partir d’une trajectoire interne, en courtisant patiemment ses compagnons de parti et en s’identifiant au maximum aux symboles du parti est, pour la majorité, une stratégie dont ils peuvent se dispenser. Il n’y a pas de raison de s’attacher à des étiquettes de parti s’il est possible, par une incursion fugace sous un sigle, de parvenir à un siège du pouvoir législatif.

Il est possible de constater des différences de modèle en séparant les données et en les ramenant à chaque parti.

Tableau 6

Années d’affiliation selon les partis (%, députés fédéraux, 2002)

Années d’affiliation selon les partis (%, députés fédéraux, 2002)
Source : Répertoires biographiques, Chambre des députés.

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Comme on pouvait s’y attendre, le PT présente une durée accrue d’affiliation au parti. L’expansion parlementaire tardive de ce parti, en retardant sa capacité à offrir des possibilités de carrière législative à ses membres, a certainement contribué à une plus longue attente, mais la rareté des possibilités elle-même, compte tenu d’un groupe peu nombreux, est significative de l’abnégation exigée de la part de ses adhérents. Dans ce cas, non seulement une candidature, mais aussi le précieux capital politique représenté par l’appui (en règle générale volontaire) des militants requièrent une épreuve antérieure, celle de la fidélité à la cause, mesurée dans l’activisme syndical et partisan.

Les indicateurs du PMDB sont frappants. Fréquemment, la description de ce parti souligne son hétérogénéité idéologique et les contrastes régionaux en son sein, pour conclure à la répétition du lieu commun de l’image de parti amorphe, « attrape-tout », sans doute, mais qui curieusement semble avoir sécrété un type de cadre politique identifié à ses interpellations, pour diffuses qu’elles puissent paraître (et, peut-être, pour cette raison même), en dépit de turbulences électorales. Il est également possible que la force d’inertie qui lui a permis de se maintenir comme grand parti national représente un avantage comparatif capable de neutraliser d’éventuels projets d’évasion. Il est difficile de sortir du PMDB, ce que l’on peut constater par l’indécision de sa section gaúcha (de l’État du Rio Grande do Sul), constamment fustigée à l’échelle nationale, mais qui repousse sans cesse son intention de s’en détacher.

À l’autre extrême, les « ports d’abri en pleine mer adverse » du marché électoral sont le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) et les partis conservateurs. Ici, la vie de parti s’est montrée volatile, laissant supposer des loyautés de peu de confiance. Surgis d’une dissidence critique au « physiologisme » du PMDB, les « toucans » du PSDB ont accueilli une troupe d’outsiders durant les élections de 1994 et de 1998.

Une migration intense et de précaires liens de parti sont plus probables quand le prix de l’infidélité est réduit, ce qui dépend des procédures de sélection des candidats et des mécanismes disponibles pour une coercition par les partis sur leurs membres.

La combinaison de la formule proportionnelle avec une liste non ordonnée, en vigueur au Brésil, confère à l’électeur une ample possibilité de déterminer la composition finale de la représentation. Le succès d’une candidature parlementaire dépend surtout de l’habileté du candidat à cultiver ses réserves électorales personnelles, en les mobilisant en sa faveur en cas de besoin. L’interférence de la direction du parti est, en règle générale, limitée. Les années de services rendus et de loyauté dans le travail parlementaire sont une monnaie de peu de valeur sur ce marché. Les identités parlementaires constituent, ici, des données externes : elles ne garantissent pas les votes nécessaires à l’obtention d’un siège, mais peuvent représenter l’ouverture du réduit électoral à un concurrent, même si celui-ci est du même parti. En outre, elles renforcent l’association du candidat avec les « politiques », condition défavorable pour la conquête de votes sur ce marché.

La permissivité de la législation électorale pour la création de sigles de partis met en jeu le potentiel de coercition par lequel les partis pourraient imposer la discipline à leurs membres, car il sera toujours possible aux récalcitrants de trouver refuge dans un hébergement tolérant. Une offre de partis abondante permet des mouvements libres aux individus, des regroupements et des idiosyncrasies régionales, sans courir le risque d’un encadrement dans des structures de parti nationales.

Conclusion

L’examen des biographies de parlementaires a permis d’établir les traits caractéristiques des individus qui se sont montrés aptes à survivre à la sélection du marché politique. Des taux significatifs de renouvellement ont accru les occasions d’entrée au champ politique de candidats étrangers, dotés d’une faible expérience publique et de précaires liens de parti. C’est l’angle le plus suggestif qu’offre le renouvellement parlementaire, qui révèle une érosion intermittente du champ politique. Voici les paroles d’un renard[40]mineiro (de l’État de Minas Gerais) :

Quand j’ai disputé la première élection, en 1958, les candidatures étaient plus ou moins distribuées entre les régions par le leader et chef de parti. Dans le cas de Minas Gerais, de mon propre parti, le PSD mineiro, le chef était Benedito Valadares, personnage très habile pour faire ce genre de distribution. Cela a bien fonctionné, mais, avec l’avènement de la télévision, je pense que la communication de masse a beaucoup perturbé cette organisation proportionnelle. La télévision a apporté beaucoup de réalité à la province et alors ont commencé à apparaître les explications […] Enfin, ce rythme s’est rompu, ainsi que ce respect et ces rapports qu’il y avait entre la direction partisane et les directions municipales qui obéissaient, presque religieusement, au commandement de l’État[41].

La classe politique brésilienne a perdu ses contours oligarchiques, bien que le résultat ne soit pas exactement heureux. Une supposition implicite dans la description courante des « oligarchies » brésiliennes est que leur contrepoint nécessaire serait constitué par des représentants au profil idéologique net, des rapports à des groupes d’intérêt ou à des mouvements sociaux et, de préférence, liés aux partis de gauche. Il semble que, tant que la composition parlementaire ne reflétera pas la prédominance de ce profil, les cadres politiques continueront à être présentés singulièrement comme des « oligarques ».

L’homme politique, ou du moins sa version nationale correspondante, perd de son espace au profit de « profanes » qui entrent plus tard en politique, après une vie professionnelle déjà établie, conquérant leur siège parlementaire sans avoir besoin de parcourir tous les échelons de la carrière ni de faire un long stage à l’intérieur d’organisations de parti.

Des éléments centrifuges sont potentiellement présents dans les interactions intra-élites, conséquence d’un recrutement assez embrouillé. Pierre Bourdieu[42] soutient que la perception d’une menace extérieure produit chez les professionnels de la politique une espèce de solidarité ou de complicité qui leur donne une cohésion, supposition qui semble validée (seulement) quand, d’une part, leurs interactions sont suffisamment denses pour produire des valeurs communes et un sentiment d’honneur et de distinction partagés ou, d’autre part, si le destin de chacun d’eux est indissociablement lié au sort des autres. Autrement dit, si tous sont, réellement, dans le même bateau.

Quand l’initiative « légiférante » constitue un critère important pour que l’électeur évalue l’activité de son parlementaire, comme au Congrès américain, la capacité du législateur à établir des compromis, à circuler entre ses pairs, à obtenir des concessions est vitale pour l’exercice du mandat. Par ailleurs, si la production législative du Congrès brésilien est, par contraste, faible[43], cela ne semble pas affecter les chances de maintien du poste parlementaire, en dépit de l’incertitude provoquée par le taux de renouvellement. Parmi les députés fédéraux réélus en 1998, la grande majorité d’entre eux (88,9 %) n’ont approuvé aucun projet dont ils étaient les auteurs pendant la législature précédente.

Celui qui vit de la politique et comme homme politique, et dont l’atout le plus important est son expertise pour circuler dans ce milieu, ne va certainement pas mépriser ce capital acquis. Cependant, la structure des possibilités pour l’accès à la législature récompense le self-made man, qui se fait en marge du monde politique et ne dépend pas de celui-ci pour survivre. Ce qui stimule des jeux du type tout ou rien, puisque ce que l’on a à perdre n’est pas si grave et que le prestige obtenu résulte moins d’un statut partagé que d’une distinction individuelle.