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Introduction

Posséder un niveau suffisant de compétences en littératie comme celles en lecture, en écriture et en communication orale pour de jeunes adultes en situation de handicap, ayant des incapacités intellectuelles sévères et persistantes associées à une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DI-MS), contribue à la réussite de leur transition de l’école vers la vie active (Martin-Roy et Julien-Gauthier, 2017). En effet, ces compétences sont un vecteur essentiel à leur autonomie, à leur participation sociale et à leur qualité de vie quant à l’interaction sociale, l’emploi, la santé, les loisirs, les déplacements, etc. (El Chourbagui et Langevin, 2005; Ruel et al., 2019). Longtemps perçues comme inaccessibles, les pratiques d’enseignement se limitaient le plus souvent à l’acquisition de la lecture globale de mots d’usage jugés suffisants pour qu’un élève soit fonctionnel dans la réalisation d’activités de la vie quotidienne (Browder et al., 2006; Katims, 2000). Toutefois, sous l’influence des travaux du National Reading Panel (NRP, 2000), des chercheurs ont mis en évidence l’importance d’enseigner toutes les compétences et les composantes de la littératie pour favoriser son développement chez des élèves en situation de handicap. Ces derniers ont privilégié une approche compréhensive et équilibrée, c’est-à-dire centrée à la fois sur la maîtrise du code et le sens (Allor et al., 2009; Browder et al., 2009, 2012; Burgoyne et al., 2012; Cèbe et Paour, 2012). Comme le rappellent Courtade et al. (2012), le potentiel d’apprentissage de ces élèves demeure méconnu et il appert de leur fournir un environnement riche, stimulant et signifiant en littératie. Dans cette visée, l’avènement des technologies numériques en éducation amène de nombreuses possibilités à explorer pour l’enseignement et l’apprentissage de la littératie auprès d’élèves en situation de handicap. Cet article présente une analyse synthèse des résultats d’une recension des écrits scientifiques portant sur les pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques auprès d’élèves d’âge scolaire (5 à 21 ans) en situation de handicap. Cette synthèse des connaissances permet de discuter de l’apport de ces pratiques. Elle aborde également différents enjeux éducatifs et quelques pistes d’action pour aider les milieux scolaires à renforcer leur capacité à agir sur la littératie de ces élèves.

1. Problématique

Avec l’omniprésence des technologies numériques dans la société actuelle, celles-ci occupent de plus en plus de place dans les milieux communautaires ou éducationnels. C’est d’ailleurs dans cette volonté de s’adapter à ce nouveau contexte et d’innover que s’inscrit le Plan numérique en éducation du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2018). En effet, les technologies numériques offrent différentes possibilités susceptibles d’améliorer la qualité de l’enseignement et des apprentissages (MEES, 2017). Diverses technologies peuvent être mises au service de l’enseignement et de l’apprentissage. Il peut s’agir autant d’ordinateurs fixes ou portables, de téléphones intelligents, de tablettes électroniques que de logiciels, d’applications, de plateformes web ou de réseaux sociaux pour le traitement et la transmission de l’information (MEES, 2019). Ce contexte numérique amène ainsi à considérer davantage la dimension médiatique multimodale dans les pratiques d’enseignement en littératie (Lebrun et al., 2012). Effectivement, plusieurs moyens de communication (ou médias), autres que le papier, peuvent être exploités pour recevoir et pour produire de l’information. Ces supports offrent également une diversité de modalités de communication pouvant être combinées, dont l’oral, les images, le son et les gestes. D’ailleurs, l’intégration de technologies dans des pratiques d’enseignement auprès d’élèves en situation de handicap permettrait de réduire, voire de supprimer, certains obstacles à l’enseignement et à l’apprentissage de la littératie en offrant divers moyens de représentation, d’expression, d’action et d’engagement (Edyburn, 2013; Rose et Meyer, 2002). En ce sens, les études de Coyne et al. (2012) et Erickson et al. (2010) soulignent notamment que, en plus de faciliter l’accès au contenu, les technologies favoriseraient l’accès à l’apprentissage de la lecture de mots et de la rédaction de texte en compensant certaines incapacités sensorielles ou physiques et elles aideraient à fournir un environnement adapté, riche et stimulant.

Néanmoins, ce désir d’explorer et d’intégrer des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement, dont celles en littératie, auprès d’élèves en situation de handicap soulève plusieurs enjeux de développement professionnel pour les enseignants en raison de l’expansion rapide du domaine et de la diversité de besoins. L’étude de Courduff et al. (2016) souligne d’ailleurs des défis liés à la formation, au temps d’appropriation et de l’analyse des besoins des élèves en situation de handicap. Pour guider adéquatement les enseignants des milieux scolaires à mettre en oeuvre des pratiques d’enseignement lorsqu’ils intègrent des technologies numériques pour favoriser la littératie d’élèves en situation de handicap, il importe de faire une synthèse des connaissances sur ces pratiques et de connaître leur apport.

L’usage de technologies auprès d’élèves en situation de handicap a surtout été étudié dans le cadre de recherches sur les aides technologiques, outils en appui à l’apprentissage servant à compenser une incapacité pour réaliser une tâche donnée (Edyburn, 2013). Quelques recensions des écrits documentent d’ailleurs les apports des aides technologiques à l’enseignement de la littératie auprès d’élèves en situation de handicap ayant une DI (p. ex., Erickson et al., 2010) ou des troubles d’apprentissage (p. ex., MacArthur, 2013). Avec l’avènement des technologies mobiles, certaines recensions antérieures ont montré les bénéfices de leur utilisation comme aide technologique auprès d’élèves en situation de handicap (Cumming et Rodríguez, 2017; Ok, 2018). Celles-ci mettent en évidence leur apport pour soutenir l’acquisition de compétences liées à la communication, à certaines habiletés scolaires, à des loisirs, à des emplois ou à des activités de la vie quotidienne. D’autres recensions des écrits scientifiques portent sur des pratiques d’enseignement assistées par des technologies et montrent leur apport non seulement pour les apprentissages, mais aussi pour l’engagement et la motivation à réaliser des tâches chez des élèves en situation de handicap comme ceux ayant une DI (p. ex., Kim et al., 2017; Moreau et al., sous presse; Ok et Kim, 2017; Snyder et Huber, 2019; Weng et al., 2014). La recension des écrits scientifiques de Snyder et Huber (2019) porte sur l’usage de technologies pour enseigner différentes disciplines scolaires, dont la littératie (lecture, écriture), auprès d’élèves d’âge scolaire ayant spécifiquement une DI. L’analyse de 22 articles, dont 14 touchaient la littératie, suggère que l’utilisation de technologies dans les pratiques d’enseignement tend à favoriser l’apprentissage d’habiletés de base telles que la lecture de mots isolés, l’écriture de mots ou la résolution de problèmes mathématiques simples. Leur utilisation comme outil d’enseignement et d’apprentissage peut s’avérer complémentaire aux pratiques d’enseignement déjà mises en place par les enseignants en classe. Enfin, les auteurs soulignent l’importance de développer, préalablement, les habiletés techniques des élèves à utiliser les technologies avant de les intégrer à l’enseignement. Néanmoins, cette recension ne permet pas de saisir comment ces technologies peuvent s’intégrer aux pratiques d’enseignement de la littératie.

Malgré ces quelques synthèses d’écrits scientifiques recensées, il y a un manque d’études portant spécifiquement sur les pratiques d’enseignement qui intègrent des technologies numériques pour favoriser le développement de compétences en littératie dans tous les volets (lecture, écriture et oral) auprès d’élèves en situation de handicap attribuable à une DI-MS. La présente recension des écrits propose donc de faire un état des connaissances des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques auprès d’élèves en situation de handicap attribuable à une DI-MS. Pour ce faire, quatre questions ont été posées aux écrits scientifiques : a) quelles sont les compétences visées en littératie avec les technologies; b) quelles sont les caractéristiques des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies (contexte, durée, technologies utilisées, méthode d’enseignement; c) quels sont les principaux usages des technologies et leurs contributions; d) quelles sont les limites de ces résultats et les pistes de recherches, notamment en ce qui concerne l’environnement d’enseignement et d’apprentissage.

2. Cadre théorique

Dans ce texte, les élèves en situation de handicap renvoient à ceux qui ont des incapacités significatives et persistantes intellectuelles associées à une DI-MS. Ces élèves se caractérisent par la présence d’incapacités significatives qui apparaissent avant l’âge de 22 ans concernant le fonctionnement intellectuel – établit par une mesure du quotient intellectuel (QI) – et du comportement adaptatif – établit par une mesure des habiletés conceptuelles (p. ex., lecture), sociales et pratiques dans le fonctionnement quotidien de la personne (Schalock et al., 2021). Bien que les systèmes de classification internationales de la DI privilégient désormais la notion d’intensité des besoins de soutien pour orienter les interventions, les niveaux de sévérité de la DI, déterminés sur la base du QI (entre 25 et 55 pour la DI-MS) ou du comportement adaptatif, sont toujours utilisés à des fins de classification scolaire et de recherche (Buntinx et al., 2016; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2007). Ces élèves possèdent des profils hétérogènes et des étiologies ou troubles pouvant y être fréquemment associés comme le trouble du spectre de l’autisme (TSA), le trouble langagier, le trouble sensoriel ou le trouble moteur (Lussier et al., 2018). Ces profils sont susceptibles de faire obstacle au développement de compétences en littératie (Browder et al., 2009; Erickson et al., 2009). Le terme « situation de handicap » est privilégié pour désigner ces élèves en s’appuyant sur le Modèle de développement humain – Processus de production de handicap qui influence de plus en plus la compréhension du handicap (Fougeyrollas, 2010). Ce modèle insiste sur l’importance de considérer les interactions entre la personne et son milieu pour comprendre le processus de production de handicap. Selon ce modèle, la situation de handicap correspond à la non-réalisation ou à la réalisation partielle d’une habitude de vie, c’est-à-dire à une activité courante de la vie quotidienne ou associée à l’exercice d’un rôle social (éducation, emploi, etc.). Elle résulte d’un processus interactif temporel entre des caractéristiques propres de la personne et des facteurs environnementaux. Ces derniers peuvent alors entraver ou faciliter la réalisation de ces habitudes de vie. Bien que, selon ce modèle, l’expression « en situation de handicap » est englobante et inclut les incapacités temporaires et légères, dans ce texte, elle est privilégiée, car elle met l’accent sur l’importance de considérer la situation de la personne et d’agir sur son environnement pour réduire les obstacles au développement des compétences en littératie chez les élèves DI-MS. La classe, comme environnement d’apprentissage, est grandement influencée par les pratiques d’enseignement.

Les pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques renvoient aux actions, en présence des élèves sur les heures de classe, qui s’opérationnalisent en un processus comportant trois phases : planification, interaction avec les élèves et évaluation (Deaudelin et al., 2005). À la lumière du modèle de Raby (2004, p. 23), l’intégration des technologies dans les pratiques d’enseignement fait référence à une utilisation régulière en classe par les élèves et par l’enseignant, dans un contexte d’apprentissage actif, réel et significatif pour soutenir et pour améliorer les apprentissages et l’enseignement, ici, de la littératie. Les technologies numériques sont donc au service de l’enseignement et de l’apprentissage et constituent une valeur ajoutée pour répondre à des besoins réels pour l’enseignant et pour les élèves. Selon Chalghoumi (2011), leur utilisation avec des élèves en situation de handicap peut se faire selon les façons suivantes : 1) objet d’enseignement et d’apprentissage visant les habiletés techniques de base; 2) outil ou média d’enseignement et d’apprentissage, dont l’utilisation de logiciels ou d’applications pédagogiques interactifs; 3) contexte d’enseignement et d’apprentissage enrichi et accessible avec des textes ou des livres électroniques, un tableau numérique interactif, les réseaux sociaux, etc. ; et 4) outils d’aides technologiques en soutien à l’apprentissage permettant d’accroître ou de maintenir les capacités fonctionnelles par l’utilisation d’un système de communication améliorée et alternative ou de fonctions d’aide, dont la synthèse vocale, le prédicteur de mots, le traitement de texte.

Ces pratiques d’enseignement intégrant des technologies visent des objets d’apprentissage liés aux différentes composantes de la littératie comme la lecture, l’écriture et l’oral. En contexte numérique, elles peuvent être vues comme intégrant une dimension médiatique et multimodale (Lacelle et al., 2017; Lebrun et al., 2012). Pour les membres du Réseau québécois de recherche et de transfert en littératie, la littératie est un terme anglo-saxon qui se définit par la « capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes » (Moreau et al., 2020, p. 12). Selon cette avancée conceptuelle, la littératie ne repose plus uniquement sur les capacités individuelles, mais sur l’interaction avec le milieu qui mène au développement de ces compétences. Ainsi, la littératie constitue une responsabilité collective qui incombe également à la communauté, dont les milieux scolaires. En ce sens, la capacité d’un milieu ou d’une communauté à agir sur la littératie d’une personne en mobilisant plusieurs intervenants provenant de divers milieux (école, famille et communauté) pour créer un environnement riche et participatif est aussi appelée, par certains auteurs, « littératie communautaire » (Beauregard et al., 2011; Larivée et Poncelet, 2014). Cette définition est donc cohérente avec le Modèle de développement humain – le processus de production de handicap qui s’inscrit dans une perspective plus large du développement humain et dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie.

3. Méthodologie

La recension intégrative des écrits est une méthode qui permet de faire une synthèse de l’état des connaissances sur un sujet et de porter un regard critique sur des données factuelles (Jackson, 1980; Villeneuve-Lapointe et Moreau, 2019). Afin que le corpus d’articles corresponde aux critères de la recherche, l’analyse des textes retenus lors de la recherche documentaire s’est réalisée en quatre étapes : l’identification des documents, le filtrage, la sélection et l’inclusion (Cooper, 2017). La recherche documentaire a été effectuée à l’hiver 2020. Trente-deux bases de données électroniques ont été interrogées et les articles retenus proviennent des bases suivantes : ERIC, Academic Search Complete (EBSCO), Education Source, Érudit, ScienceDirect, Sage journal, APA PsychoNET, CAIRN, ProQuest, Medline, Wiley Online Library. Différentes combinaisons de mots-clés francophones et leurs équivalents anglophones ont été employées, dont les principaux sont : 1) déficience intellectuelle et autres termes associés (p. ex., incapacité intellectuelle, retard mental, handicap intellectuel); 2) littératie, alphabétisation, rapport à l’écrit; 3) technologies et autres termes associés (p. ex., technologie, enseignement assisté par ordinateur, aide technique). Plusieurs critères d’inclusion ont guidé le choix des articles : a) publication après 2010 en raison de l’avancement rapide des technologies et des connaissances sur l’enseignement des compétences et composantes en littératie, dont la lecture (NRP, 2000); b) présence d’une méthodologie explicite de recherche; c) participants âgés de 5 à 21 ans; d) plus de 50 % des participants sont en situation de handicap en raison d’une DI-MS avec ou sans troubles associés; et e) données situant le quotient intellectuel (QI) entre 25 et 55 ou diagnostic de retard global de développement pour des élèves de 7 ans et moins. Conséquemment, la première étape d’identification a permis de répertorier 191 articles. Une fois les doublons retirés et à la suite de la lecture des titres et des résumés, 59 textes ont été retenus à la phase de filtrage. La sélection finale du corpus s’est réalisée par une lecture ciblée des textes, ce qui a réduit ce nombre à 20. Enfin, une lecture approfondie des articles a mené à la rétention de sept articles scientifiques. Pour cette dernière étape, les critères d’exclusion suivants ont été appliqués : a) le score du QI des participants était non précisé; b) le score du QI des participants était inférieur à 25 et supérieur à 55; c) les participants n’avaient pas de DI ou étaient, par exemple, dits « à risque », présentaient un trouble d’apprentissage, un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité; d) le contexte de l’étude ne se réalisait pas en milieu scolaire; e) l’âge des participants était supérieur à 21 ans; et f) l’emploi de technologies numériques ne visait pas le développement de compétences en littératie.

4. Résultats de la recension des écrits

Cette recension des écrits scientifiques analyse et fait une synthèse critique de sept articles rédigés entre 2015 et 2019 qui portent sur des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques. Pour l’ensemble du corpus, le nombre de participants cumulé est de 22 élèves en situation de handicap, dont une majorité présente soit un retard global de développement, soit une DI-MS avec ou sans TSA associé. Trois études concernent des élèves de niveau scolaire préscolaire/primaire (5 à 11 ans) et quatre études visent des élèves de niveau scolaire secondaire (12 à 21 ans). Dans tous les articles analysés, la méthodologie retenue est de type quasi expérimental avec des cas uniques comprenant trois à cinq participants par échantillon. Toutes ces recherches privilégient un protocole à mesures répétées pour évaluer les effets sur les apprentissages d’une pratique d’enseignement en littératie intégrant une technologie. Une majorité de ces pratiques se sont déroulées dans un local isolé de la classe, excepté l’étude de Park et al. (2017), qui a eu lieu en classe. La plupart des modalités d’enseignement ont été effectuées en contexte individuel par un intervenant autre que l’enseignant. Dans deux études, l’enseignant était désigné pour l’intervention (Douglas et al., 2018; Mims et al., 2018). Le tableau synthèse en annexe présente ces études. Ainsi, cette section fait la synthèse des pratiques recensées selon les différentes composantes de la littératie : en lecture (5 études); en écriture (1 étude) et en communication orale (1 étude).

4.1. Pratiques d’enseignement en lecture

Les études analysées utilisent une application pédagogique sur la tablette électronique comme outil d’enseignement et d’apprentissage pour développer une ou différentes composantes de la lecture, et ce, de manière autonome et autodirigée. Elles concernent l’appropriation des concepts liés à l’écrit (Spooner et al., 2015), la lecture globale de mots isolés (Douglas et al., 2018), la conscience phonémique (Chai et al., 2015) ou diverses habiletés émergentes (Hudson, 2019). Enfin, l’étude de Mims et al. (2018) vise l’enrichissement du vocabulaire ainsi que la compréhension de textes lus par une fonction de narration vocale.

D’abord, Spooner et al. (2015) se sont intéressés aux effets d’un enseignement systématique des habiletés visant l’appropriation et la généralisation de concepts liés à l’écrit lors d’activités de lecture partagée sur une tablette électronique. Ils ont réalisé ces activités en présentant deux chapitres de livres adaptés à l’âge chronologique et au niveau d’apprentissage scolaire, en format électronique, auprès de cinq élèves, âgés de 7 à 11 ans, ayant une DI-MS (QI entre 40 et 55) avec ou sans TSA et présentant d’autres limitations sévères sur les plans physique et langagier (utilisent un système de communication améliorée et alternative). Les effets de cette pratique ont été mesurés à travers trois phases : détermination d’un niveau de base, intervention, vérification du maintien une fois par semaine après avoir réussi 89 % des tâches lors de trois sessions consécutives. Les variables étudiées étaient le nombre de bonnes réponses pour la réalisation de chacune des sous-tâches de la lecture partagée et le nombre de bonnes réponses aux questions de compréhension. Chacune des séances durait 15 minutes et se tenait trois fois par semaine pour une période de 14 semaines consécutives (44 séances en cinq mois). La tâche de lecture partagée était segmentée en neuf sous-tâches, enseignées explicitement et systématiquement à l’aide de textes adaptés sur la tablette électronique. L’élève devait appuyer sur l’écran à l’endroit indiqué pour débuter, écouter et exécuter les consignes fournies par l’application. Il devait, par exemple, identifier le titre, le nom de l’auteur, écouter les mots de vocabulaire et le texte adapté qui lui était présenté et lu par l’application pour répondre ensuite à des questions de compréhension littérale. À la suite de cette activité, un entraînement visant la généralisation des habiletés apprises avec des exemples et des contre-exemples était effectué à partir de photos de diverses pages couvertures de livres utilisant différentes polices de caractère et ayant différents emplacements pour le titre et le nom des auteurs dans la page. Les résultats de cette étude indiquent que tous les participants ont amélioré et généralisé les diverses habiletés associées à l’appropriation des concepts liés à l’écrit et leur compréhension orale de l’écrit lors d’activités de lectures partagées avec la tablette électronique pour favoriser l’accès à des livres adaptés à l’âge et au niveau d’apprentissage scolaire des élèves et pour offrir des occasions d’engager les élèves dans des activités en littératie.

Ensuite, Douglas et al. (2018) ont exploité l’application Photo Grocery pour enseigner systématiquement les étapes nécessaires à la création d’une liste d’épicerie tout en s’intéressant aux effets de cet enseignement sur l’habileté à lire globalement les mots utilisés. Quatre élèves âgés de 11 à 14 ans ont participé à l’étude. Ceux-ci présentaient une DI légère à moyenne (QI de 56, 48, 41 et 42) avec ou sans autre trouble associé (p. ex., TSA, syndrome velocardiofacial). Les mesures de progression ont été réalisées au cours de trois phases : détermination d’un niveau de base, intervention, généralisation. Les variables mesurées étaient le pourcentage de sous-tâches réalisées correctement pour compléter les tâches proposées et les mots lus correctement (prétest et post-test). Les modalités d’enseignement ont été effectuées par l’enseignant de la classe. Ceux-ci avaient reçu, au préalable, une formation, dont la durée n’est pas précisée, portant sur l’utilisation de l’application et sur la façon de collecter les données. Les séances d’enseignement, d’une durée de 10 à 15 minutes, se tenaient dans un local isolé de la classe, trois à quatre fois par semaine. Les participants ont appris à créer avec l’application des listes de mots pour deux tâches : créer une liste d’épicerie à partir de produits vides et pour réaliser une recette. Une banque personnalisée de mots et de recettes avait été créée avec les marques commerciales des produits les plus utilisés à la maison. Les participants ont reçu un enseignement systématique des étapes nécessaires à utiliser l’application sur leur tablette électronique pour créer une liste d’épicerie. Après avoir choisi l’application, les participants devaient ajouter une image en prenant une photo du produit et taper ce nom dans l’application. Une fois la liste générée, ils devaient lire à haute voix tous les mots. Les résultats indiquent que, en plus d’avoir appris à exploiter l’application pour créer une liste d’épicerie en repérant les produits vides (en 9 à 16 séances) et ceux nécessaires pour préparer une recette (en 7 à 13 séances), tous les participants ont amélioré leurs habiletés à lire les mots utilisés. Tout en démontrant que des élèves ayant une DI peuvent apprendre à utiliser une technologie pour réaliser des tâches de la vie courante, cette étude montre que la lecture de mots s’améliore sans un enseignement direct.

Pour leur part, Chai et al. (2015) ont utilisé une application interactive Touch Sound sur une tablette électronique pour enseigner, de façon systématique, l’identification de phonèmes initiaux à trois élèves âgés de 5 à 8 ans présentant un retard global de développement. Sur le plan verbal, ils étaient en mesure d’imiter un son entendu. La mesure de la progression des apprentissages (identification du bon phonème) s’est effectuée à travers quatre phases : détermination d’un niveau de base, intervention, généralisation et vérification du maintien après quatre et sept semaines. Les séances d’enseignement se tenaient quotidiennement à raison de deux périodes de dix minutes, jusqu’à un total de cinq heures. Elles visaient l’apprentissage de six phonèmes déterminés et individualisés en fonction du niveau de base de chaque participant. Ceux-ci étaient répartis en trois séries de deux phonèmes à la fois (p. ex., [b], [k]). Une fois l’application démarrée par le chercheur, l’élève appuyait sur le bouton désigné pour commencer la leçon et exécutait ensuite les consignes dictées par l’application, et un soutien technique était apporté au besoin. L’image d’un mot était montrée au haut de l’écran pour indiquer le phonème cible et l’élève devait choisir parmi un choix de trois réponses en touchant l’image du mot débutant par le même phonème. L’élève recevait ensuite une rétroaction par l’application. Au début, celle-ci était fournie après un délai de zéro seconde. Une fois cette étape réussie à 100 %, le délai augmentait à cinq secondes pour les sessions suivantes. Chaque leçon contenait six essais, trois par phonème. Cinq leçons similaires ont été développées pour chaque série de phonèmes. La généralisation s’est réalisée avec des images de mots en format papier avec les mêmes phonèmes, mais en position finale cette fois. Les résultats de cette étude montrent que tous les participants ont amélioré leur habileté à identifier des phonèmes initiaux dans des mots. Des interventions supplémentaires seraient néanmoins bénéfiques pour assurer le maintien des apprentissages.

De son côté, Hudson (2019) s’est intéressée aux effets de l’utilisation d’une application sur la tablette électronique intégrant un programme pour adolescents Early literacy skills builder for older students de Browder et al. (2017) pour enseigner explicitement et systématiquement plusieurs habiletés émergentes en littératie. Cette étude implique trois participants âgés de 13 à 16 ans ayant une DI-MS (QI de 41, 40 et 52) avec ou sans TSA associé. La progression des apprentissages a été mesurée à travers deux phases : la détermination du niveau de base et l’intervention. Les séances d’enseignement assistées par la tablette électronique ont eu lieu une fois par jour, trois à quatre fois par semaine pour un total de 10 à 13 séances. Préalablement, les enseignants avaient reçu une formation de trois heures portant sur les composantes liées aux premières habiletés en lecture visées par le programme et sur les tâches à réaliser au cours de l’étude. Cette application pédagogique vise 14 habiletés réparties en sept niveaux progressifs de difficulté comportant chacun cinq leçons (p. ex., lecture globale de mots au niveau 1, segmentation des syllabes et des phonèmes aux niveaux 3 et 4, fusion de phonèmes au niveau 6). À la fin de chaque niveau, l’élève devait réussir un test pour accéder au niveau suivant. Le critère de réussite était fixé à 80 % de bonnes réponses pour accéder à un niveau supérieur de difficulté, sinon il y avait une reprise du niveau. À la fin de chaque leçon, les participants devaient remplir une feuille de route pour compiler le nombre de leçons réalisées à chaque niveau. Au terme des interventions, deux des trois participants ont amélioré leurs habiletés. Toutefois, aucun de ces deux participants n’a pu atteindre un niveau supérieur de difficulté, et ce, même après avoir effectué plusieurs fois les leçons d’un même niveau (jusqu’à 5 reprises). Celui ayant le moins progressé avait des incapacités intellectuelles plus sévères (QI de 40). Enfin, des informations sont manquantes sur la durée de chaque leçon pour bien comprendre les modalités d’enseignement mises en place.

Enfin, Mims et al. (2018) ont utilisé l’application Access : Langage Arts pour créer des versions numériques et adaptées des chapitres d’un roman jeunesse et une approche d’enseignement systématique. Elles ont analysé les effets de son utilisation sur l’apprentissage d’habiletés de compréhension de textes lus avec l’aide de la fonction de narration vocale. Contrairement à Spooner et al. (2015), cette étude va au-delà de la compréhension littérale. Pour ce faire, quatre élèves, âgés de 9 à 12 ans ayant une DI-MS (trois ayant un QI inférieur à 40 et un ayant un QI de 50), ont participé à l’étude. Trois d’entre eux étaient en mesure d’avoir une conversation et l’un avait des capacités plus limitées. Les mesures pour évaluer la progression des apprentissages ont été prises au cours de quatre phases : détermination du niveau de base, intervention, généralisation avec un nouveau chapitre et vérification du maintien deux semaines après l’intervention. Les données recueillies concernaient le nombre de bonnes réponses fournies aux questions de compréhension. Des séances d’enseignement d’une durée de 40 minutes ont été réalisées par des enseignantes spécialisées en adaptation scolaire à raison de trois fois par semaine. Au début de chaque séance, l’enseignante ouvrait l’application. L’élève choisissait ensuite le chapitre à lire ou à poursuivre avec la fonction de narration vocale du titre et du nom de l’auteur. Après avoir eu un enseignement explicite des mots de vocabulaire, l’élève effectuait un survol de l’histoire et réalisait une prédiction en sélectionnant une image. La narration vocale du texte était préprogrammée, et les mots du texte étaient en surbrillance au fur et à mesure qu’ils étaient lus. En touchant certains mots surlignés, l’élève pouvait écouter une définition de ceux-ci. Une fois le texte lu en entier, l’élève devait valider sa prédiction initiale et répondre à des questions visant l’identification des mots de vocabulaire et leur définition. Les questions subséquentes concernaient la compréhension littérale et d’inférences ainsi que la grammaire du texte (séquence en trois étapes, idée principale, personnage principal, problème et solution). Le même chapitre était utilisé pour trois séances consécutives. Les résultats de cette étude mettent en évidence que les élèves ont amélioré leur compréhension de l’écrit lorsqu’un texte adapté à leurs intérêts et à leur niveau d’apprentissage scolaire est lu oralement par une application combinant un enseignement systématique. Ils étaient notamment capables de répondre à des questions de compréhension plus complexes, allant au-delà de la compréhension littérale. Toutefois, le même contenu a été soumis aux participants à trois reprises, apportant potentiellement des biais sur le plan de la validité interne.

4.2. Pratiques d’enseignement en écriture

Parmi le corpus d’articles recensés, une seule étude s’intéresse à la compétence à écrire de courts textes avec des fonctions d’aide. Park et al. (2017) ont documenté les effets d’un enseignement direct et explicite d’une stratégie de rédaction combinant l’utilisation du logiciel SOLO Literacy Suite. Ce dernier est un outil d’aide à la rédaction qui comprend un prédicteur de mots, une synthèse vocale et un organisateur graphique. Ainsi, trois participants âgés de 13 et 14 ans présentant une DI légère à moyenne (QI de 40, 48, 68) ont pris part à cette étude de protocole à cas unique. Pour évaluer la progression des apprentissages, des mesures ont été prises lors d’une phase servant à établir le niveau de base et d’une phase d’intervention. La qualité des paragraphes était évaluée selon quatre critères : pertinence des idées, structure du paragraphe, fluidité (vocabulaire précis et varié), respect des conventions. Deux semaines avant les interventions, ces élèves s’étaient exercés à utiliser une méthode de frappe au clavier en utilisant un logiciel en ligne lors des cours d’informatique. Un enseignement individuel quotidien en classe a ensuite été offert par un enseignant en adaptation scolaire auprès de chaque élève. Les séances duraient en moyenne de 30 à 45 minutes. Les premières visaient à amener l’élève à se familiariser avec les fonctions d’aide à la rédaction et à introduire la stratégie de rédaction d’un paragraphe en cinq phrases. Lors des séances, l’enseignante lisait les consignes concernant le texte à rédiger et rappelait la stratégie enseignée. L’élève disposait ensuite de 30 minutes pour rédiger un court paragraphe sur l’ordinateur. Le temps alloué était contraint par l’horaire des cours limitant ainsi la durée des séances. Les auteurs mentionnent toutefois que certains élèves auraient bénéficié de séances plus longues en raison de leur lenteur à utiliser une méthode de frappe au clavier. Les résultats montrent que tous les élèves ont fait des progrès importants dans la qualité de leur paragraphe, et ce, après 4 à 10 séances. Cette étude met en évidence le potentiel d’améliorer la compétence à rédiger de courts textes chez des élèves en situation de handicap par l’enseignement direct d’une stratégie de rédaction combinée à l’utilisation d’une fonction d’aide à la rédaction. Toutefois, le manque d’habiletés techniques est susceptible d’avoir nui aux apprentissages réalisés.

4.3. Pratiques d’enseignement en communication orale

La dernière étude analysée est la seule qui concerne la compétence en communication orale en plus de la compréhension orale de l’écrit comme objet d’apprentissage. Collins et al. (2019) ont évalué les effets d’un enseignement systématique sur les habiletés visant à répondre à des questions de compréhension à partir de textes lus par un adulte et sur les habiletés à converser sur ce même sujet d’intérêt avec un pair à l’aide d’un tableau de communication électronique (iPad, GoTalkNow). L’étude a été réalisée auprès de trois jeunes adultes âgés de 16 à 21 ans ayant une DI légère, moyenne ou sévère associée à un TSA (QI de 27, 45 et 58). Les habiletés à communiquer avec un pair étaient limitées à des énoncés sans écholalie de deux mots ou moins. Les mesures de progression ont été prises au cours de trois phases : détermination du niveau de base, intervention et vérification du maintien une fois toutes les huit séances. La phase de maintien débutait après avoir atteint le critère de réussite pour la phase d’intervention : 9/10 bonnes réponses pour la compréhension du texte lu et 12/14 pour les tours de parole appropriés en conversation. Les textes électroniques utilisés étaient adaptés avec le logiciel PowerPoint afin que ceux-ci correspondent à l’âge, au niveau scolaire d’apprentissage et aux intérêts des élèves. Les pratiques d’enseignement se réalisaient en deux étapes. Premièrement, chaque séance d’enseignement comportait quatre activités liées à la compréhension d’un texte lu : a) choisir et écouter deux textes informatifs correspondant à ses champs d’intérêt; b) répondre à cinq questions de compréhension affichées sur l’ordinateur et lues oralement par l’intervenant; c) utiliser un tableau de communication électronique préprogrammé pour répondre aux questions; et d) réaliser un jeu de rôle visant à modéliser et à engager une conversation « de loisir » portant sur la même thématique et en recourant au même tableau de communication électronique. Deuxièmement, les participants avaient l’occasion de discuter, une semaine plus tard, du même sujet en utilisant le même tableau de communication électronique dans un contexte naturel de conversation avec un pair fréquentant une classe ordinaire et sans incapacité (p. ex., lors d’un cours d’art visuel), et ce, dans le but de généraliser les habiletés apprises. Au préalable, ces pairs avaient participé à une séance de préparation afin de les informer du déroulement des périodes de conversation. Les résultats montrent que les participants ont amélioré à la fois leurs habiletés en compréhension de textes lus par un adulte et leurs habiletés de communication en utilisant un tableau de communication électronique. De même, tous les participants ont généralisé les habiletés apprises dans un contexte naturel et inclusif lors de conversations « de loisirs » avec leurs pairs. Cette étude laisse entrevoir la pertinence d’intégrer un système alternatif de communication dans les situations d’enseignement et d’apprentissage pour favoriser la littératie tout en considérant une dimension sociale.

En somme, ces quelques études anglophones montrent qu’il est possible d’intégrer des technologies de plusieurs façons dans des pratiques d’enseignement en littératie auprès d’élèves en situation de handicap pour faire progresser les apprentissages. Ainsi, une majorité des études recensées exploitent une tablette électronique pour développer des compétences en littératie, principalement associées à des composantes en lecture. Pour quatre d’entre elles, l’usage de technologies sert à enrichir le contexte d’enseignement et d’apprentissage en favorisant l’accès à l’écrit avec des textes et du matériel adapté à l’âge et au niveau scolaire d’apprentissage (Collins et al., 2019; Hudson, 2019; Mims et al., 2018; Spooner et al., 2015). Quatre études utilisent des applications pédagogiques comme outil d’enseignement et d’apprentissage pour développer diverses habiletés en littératie (Chai et al., 2015; Douglas et al., 2018; Hudson, 2019; Mims et al., 2018) alors que quatre études utilisent des aides technologiques dans des situations d’enseignement et d’apprentissage en lecture (Mims et al., 2018), en écriture (Park et al., 2017), en communication orale (Collins et al., 2019) ou lors d’activités courantes (Douglas et al., 2018). Néanmoins, les effets de ces pratiques d’enseignement ont été mesurés auprès d’un nombre restreint de participants, ce qui limite la validité externe de ces sept études. De même, une majorité de ces études ont été réalisées avec des modalités d’enseignement en contexte individuel, dans un local isolé, et donne peu d’information sur la mise en oeuvre de ces pratiques dans un contexte de groupe-classe. En outre, quoiqu’intéressantes comme études exploratoires, elles donnent peu de renseignements sur la contribution de ces technologies numériques sur l’apprentissage en littératie, d’une part. D’autre part, elles informent peu ou pas sur le rôle du personnel enseignant pour favoriser le maintien de l’attention des élèves ou pour gérer leur comportement au cours de séances d’enseignement. Ainsi, cette articulation pédagogique des pratiques d’enseignement en littératie en classe et de l’intégration de ces technologies auprès de ces élèves en situation de handicap demeure peu étayée. Ces résultats sont discutés dans la section suivante.

5. Discussion

L’analyse critique de ces recherches permet de dégager certains éléments de réponses aux questions posées à ces écrits scientifiques. Dans un premier temps, la discussion met en évidence les apports des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques du point de vue des écrits scientifiques et, dans un second temps, dégage certains enjeux pour les milieux de pratiques.

5.1. Apports des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies numériques

Des informations émergent des pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies recensées dans les études analysées au regard des quatre questions posées initialement, notamment au sujet des compétences visées et des caractéristiques des pratiques mises en oeuvre (questions a et b), des usages et de la contribution des technologies (question c) et des limites de ces études (question d).

5.1.1. Compétences visées et caractéristiques des pratiques

En majorité, les études s’intéressent aux effets de pratiques d’enseignement intégrant des technologies numériques sur les apprentissages relatifs aux composantes de la compétence en lecture, et peu d’études visent les compétences en écriture et en communication orale comme objets d’apprentissage; cette observation avait été soulevée dans des recensions antérieures (voir Moreau et al., sous presse). De même, les résultats de l’analyse de ces recherches témoignent que l’intégration de technologies numériques dans les pratiques d’enseignement en littératie contribue aux apprentissages d’élèves en situation de handicap pour ces compétences, et d’autant plus lorsque leur usage est combiné à des approches d’enseignement individualisé, explicite et systématique. Cette pratique est d’ailleurs cohérente avec les recherches antérieures mentionnant l’importance de privilégier des pratiques d’enseignement explicites, structurées, intensives et adaptées pour favoriser les apprentissages en littératie des élèves en situation de handicap (Moreau et al., 2021). Enfin, la plupart des études recensées mettaient en place des modalités d’enseignement en individuel, dans un local isolé, réalisées, parallèlement aux activités régulières de la classe, par un intervenant autre que l’enseignant. Ainsi, le défi d’offrir un enseignement suffisamment structuré et intensif subsiste encore, dans un contexte de classe notamment, pour assurer une progression significative dans les apprentissages et pour favoriser leur maintien (voir la synthèse de Allor et al., 2010).

5.1.2. Usages et contribution des technologies numériques

Les résultats montrent que l’intégration de technologies numériques dans les pratiques d’enseignement en littératie est effectuée de plusieurs façons. Premièrement, ces technologies permettent de proposer du matériel ou des textes adaptés à l’âge chronologique des élèves en situation de handicap, à leur niveau scolaire d’apprentissage et à leur intérêt; ce qui contribue à enrichir le contexte d’enseignement et d’apprentissage. Deuxièmement, l’utilisation de logiciels ou d’applications interactives en tant qu’outils d’enseignement et d’apprentissage tend à favoriser les apprentissages autonomes et autodirigés pour offrir des occasions supplémentaires d’apprentissage et, ainsi, intensifier l’enseignement. Comme le prétend Hudson (2019), ce type d’outil pédagogique, qui intègre des leçons structurées dans une approche d’enseignement explicite et systématique, contribue à assurer une certaine qualité et fidélité d’implantation des pratiques d’enseignement mises en oeuvre, notamment pour les rétroactions fournies à l’élève et la constance du délai de réponse, et ce, indépendamment du contexte dans lequel elles ont lieu (local isolé, en classe ou à la maison). Troisièmement, les technologies utilisées comme aides technologiques, en appui à l’apprentissage pour compenser certaines incapacités, ont le potentiel de soutenir le développement de compétences en communication orale, en compréhension de lecture ou en rédaction de texte. Ce constat vient appuyer celui de Snyder et Huber (2019), qui soulignent d’ailleurs la pertinence de réaliser des études supplémentaires visant le développement d’habiletés plus complexes comme la compréhension en lecture ou la rédaction d’un texte. De même, l’exploitation des aides technologiques intégrant des fonctions d’aide pour réaliser des activités courantes (p. ex., écrire et lire une liste d’épicerie) tend à améliorer certaines composantes en littératie comme la lecture de mots, sans avoir recours à un enseignement direct (Douglas et al., 2018). Bref, l’intégration des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement en littératie favoriserait l’accès à l’écrit, un contexte d’enseignement approprié et du matériel plus adapté aux élèves en situation de handicap en plus de soutenir l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Un autre constat méritant d’être soulevé concerne l’exploitation de la tablette électronique, qui a été privilégiée dans une majorité des études recensées. D’ailleurs, depuis l’avènement des technologies mobiles, plusieurs chercheurs se sont intéressés aux bénéfices de son utilisation comme outil d’enseignement et d’apprentissage (Kim et al., 2017; Ok et Kim, 2017), mais aussi comme aide technologique (Cumming et Rodríguez, 2017; Kagohara et al., 2013; Ok, 2018; Stephenson et Limbrick, 2015) auprès d’élèves en situation de handicap. Ces études montrent que l’usage de la tablette électronique a le potentiel d’améliorer les apprentissages liés à différentes disciplines scolaires, dont la littératie, ainsi que d’augmenter l’engagement et la motivation des élèves en situation de handicap. Son utilisation devrait toutefois s’intégrer en tant que modalité complémentaire aux pratiques d’enseignement déjà existantes. En effet, la tablette électronique offrirait plusieurs possibilités sur les plans de la communication, de l’accessibilité aux apprentissages, de l’engagement et de l’autonomie des élèves en situation de handicap (Cumming et al., 2014; Flewitt et al., 2014). Par exemple, Flewitt et al. (2014) ont documenté, par des observations et des entretiens, que des élèves ayant des incapacités cognitives et physiques sévères avaient plus d’occasions, avec une tablette électronique, de communiquer en recourant au toucher et aux gestes (p. ex., pointer des réponses avec le regard ou taper avec le front sur le logiciel), ce qui favorisait leur engagement et les interactions dans les activités en classe. L’utilisation de la tablette électronique auprès d’élèves en situation de handicap serait d’ailleurs en augmentation dans les milieux scolaires, notamment pour l’enseignement de la littératie (Chambers et al., 2018; Johnson, 2013). Enfin, l’intérêt croissant envers cette technologie est soutenu par son accessibilité (faible coût, convivialité, taille), son acceptabilité sociale, sa facilité de maintenance et de personnalisation (ajout, retrait et mise à jour des applications) ainsi que sa durabilité (Cumming et Rodríguez, 2017; Kagohara et al., 2013; Stephenson et Limbrick, 2015).

5.1.3. Limites et pistes de recherche ultérieures

Les résultats rapportés par cette recension présentent toutefois des limites qui gagnent à être soulignées. En dépit des progrès relevés dans les apprentissages par les participants, la portée des résultats demeure restreinte considérant les méthodologies adoptées dans ces études. Comparativement à un protocole quasi expérimental de groupe, le choix du protocole à cas unique combiné au faible nombre de participants vient amoindrir la validité externe, limite la transposition de ces données à des individus ayant un profil similaire et exige la réplication d’études semblables (Boudreault et Cadieux, 2011; Kazdin, 2011). De même, très peu de participants présentaient des incapacités sévères, ce qui donne peu d’information au sujet de la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies auprès de ceux-ci (p. ex., DI sévère). Par ailleurs, dans la majorité des études, les pratiques d’enseignement en littératie intégrant des technologies se sont réalisées en individuel par un intervenant autre que l’enseignant et dans un local isolé de la classe; ce choix limite aussi la validité externe des résultats. Du moins, il serait intéressant de connaître les modalités de transfert d’apprentissage d’une situation à une autre. Des recherches supplémentaires seraient donc nécessaires pour mieux comprendre la mise en oeuvre de ces pratiques en contexte naturel, au sein de groupes ou de petits groupes dans des contextes de classes spécialisées ou de classes ordinaires inclusives. Enfin, l’usage d’une technologie spécifique dans ces études permet de proposer des tâches signifiantes, de diversifier les contextes ainsi que les pratiques d’enseignement en littératie. Ce choix ne reflète toutefois pas la diversité des technologies disponibles dans les milieux scolaires. D’autres études sont donc nécessaires pour amener les élèves à bénéficier et à utiliser une diversité de technologies pour accéder à de l’information et pour produire des contenus ou de l’information multimodale (photo, vidéo, enregistrement vocal, courriel, texto, etc.). Il serait également pertinent d’étudier la manière dont différentes technologies (p. ex., tablette électronique, tableau numérique interactif, ordinateur fixe) peuvent être combinées dans les situations d’enseignement-apprentissage pour favoriser la littératie.

5.2. Enjeux pour les milieux de pratiques

Certes, l’usage des technologies numériques a le potentiel d’enrichir, sinon d’améliorer, les pratiques d’enseignement mises en oeuvre dans les différents milieux scolaires et communautaires pour favoriser la littératie des élèves en situation de handicap. Toutefois, leur intégration dans les pratiques d’enseignement en littératie s’accompagne de différents enjeux qu’il importe de souligner. D’abord, ce nouveau contexte invite les membres des milieux scolaires à adopter une perspective plus englobante de la littératie et à revoir leurs connaissances, leurs préjugés et leurs croyances envers les capacités d’apprentissage des élèves en situation de handicap, qui peuvent bénéficier de ces technologies en appui à l’apprentissage. Crahay et al. (2010) rappellent cependant qu’il est difficile de faire évoluer les croyances et les connaissances, et que cette évolution se réalise à long terme. Pour ces auteurs, il ne s’agit pas tant de substituer des croyances par d’autres, mais de les ancrer dans l’action afin que celles-ci soient de plus en plus adaptées au contexte d’enseignement. Cette évolution est également renforcée lorsque les enseignants et les membres d’une équipe-école sont mis à contribution dans une communauté apprenante (Tremblay et al., 2021). Pour parvenir à faire évoluer les croyances et les connaissances, il est donc souhaitable d’oser innover dans la conception de matériel adapté (papier et numérique) et dans la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement visant le développement de compétences en lecture, en écriture et à l’oral. Dans cette optique, les technologies numériques offrent différentes possibilités pour améliorer l’environnement d’enseignement et d’apprentissage et pour diversifier les pratiques en recourant, entre autres, à du matériel multimodal (p. ex., livre audio interactif, enregistrement vidéo).

Comme l’intégration des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement demeure un processus complexe, les enseignants et les milieux scolaires gagnent à s’appuyer sur des cadres de référence afin de les aider à exploiter les technologies pour transformer leurs pratiques d’enseignement en littératie (Rock et al., 2016). Deux cadres de référence sont à considérer : la conception universelle de l’apprentissage (Rose et Meyer, 2002) et le modèle Technological pedagogical content knowledge (Mishra et Koehler, 2006). D’une part, le modèle de la conception universelle de l’apprentissage de Rose et Meyer (2002) vise à maximiser l’accès aux apprentissages de tous les élèves en ayant des attentes élevées et en se souciant de répondre à la diversité des besoins. Il implique la mise en oeuvre d’un processus de planification rigoureux et flexible dont le but est d’offrir plusieurs moyens de représentation, plusieurs moyens d’action et d’expression, en favorisant l’accès aux technologies et à différents supports à la communication ainsi que plusieurs moyens d’engagement. D’autre part, le modèle Technological pedagogical content knowledge illustre les connaissances nécessaires pour l’intégration des technologies en classe qui se trouve à l’intersection de trois grands types de connaissances : technologiques, disciplinaires et didactico-pédagogiques (Mishra et Koehler, 2006).

De plus, pour augmenter les bénéfices des technologies dans les pratiques d’enseignement en littératie auprès des élèves en situation de handicap, il semble essentiel de veiller au développement de compétences en littératie numérique, c’est-à-dire des savoirs et des compétences nécessaires à l’utilisation des technologies (habiletés techniques), à comprendre et à produire des contenus à l’aide des outils numériques de manière efficace et critique (Gerbault, 2012; HabiloMédias, 2018). Toutefois, l’usage du numérique comporte des enjeux d’accessibilité pour les élèves en situation de handicap. Selon les travaux amorcés par Lussier-Desrochers et al. (2016), ils se rapportent à l’accès même aux dispositifs numériques dans l’environnement immédiat de la personne, à ses capacités sur le plan sensoriel et moteur, à ses capacités cognitives pour interagir avec le numérique (raisonnement, résolution de problème, mémoire à court et à long terme, planification, déduction, etc.), à ses habiletés techniques et à ses habiletés à comprendre les codes et les conventions associées aux technologies. Enfin, ces auteurs invitent à se préoccuper des enjeux éthiques et psychosociaux liés à l’usage des technologies (risque d’abus ou d’intrusion dans la vie privée, perte du lien social, risque de préjudices associés à des bris ou à des vols, cyberintimidation, etc.). Ainsi, l’intégration des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement en littératie implique une multitude de facteurs personnels (p. ex., psychologique, cognitif) et contextuels (p. ex., didactique-pédagogique et d’accès) à considérer ajoutant ainsi aux défis nommés ci-haut.

En plus de ces changements dans les croyances et les pratiques, l’innovation par le numérique implique une grande capacité d’adaptation afin de faire face à l’évolution rapide de ce domaine. D’ailleurs, quelques études soulignent que l’intégration de technologies comme la tablette électronique dans les pratiques d’enseignement auprès d’élèves en situation de handicap soulève pour les enseignants plusieurs défis liés au développement professionnel, à la fois techniques et pédagogiques (Courduff et al., 2016; Epps, 2016). En plus de s’appuyer sur un cadre de référence comme le suggèrent Cochrane et al. (2013), Boéchat-Heer et al. (2015) expliquent que les enseignants qui mettent en oeuvre des pratiques innovantes, en intégrant notamment la tablette électronique, sont accompagnés d’un sentiment d’autoefficacité qui gagne à être soutenu par une communauté d’apprentissage au sein de l’équipe-école. Selon ces auteurs, le réel pouvoir transformatif des technologies numériques n’est pas l’outil en soi, mais réside dans les capacités et l’usage qu’en fera l’enseignant dans sa pratique. C’est dans ce sens que certains experts internationaux appellent à la transformation des écoles en tant qu’organisation apprenante, c’est-à-dire envisager l’école comme lieu où les gens se développent, apprennent et s’adaptent sans cesse, individuellement et collectivement, à de nouveaux environnements et circonstances pour concrétiser leur vision (Organisation for Economic Co-operation and Development, 2016; Stoll et Kools, 2017). Dans les milieux scolaires qui adhèrent à ces principes pour renforcer leur capacité à favoriser la littératie des élèves en situation de handicap, la direction et les membres de l’équipe-école sont appelés à développer une vision partagée qui est axée sur l’apprentissage de tous les élèves; à créer et à soutenir des occasions d’apprentissage professionnel continu; à promouvoir l’apprentissage en équipe et la collaboration au sein du personnel; à établir une culture d’enquête, d’exploration et d’innovation; à intégrer des systèmes pour la collecte et l’échange de connaissances et d’apprentissages; à apprendre avec l’environnement externe et des systèmes plus larges (p. ex., partenariats, milieux communautaires) ainsi qu’à modéliser et à développer un leadership partagé en apprentissage.

Enfin, considérer l’école comme une organisation apprenante s’accorde tout à fait avec une perspective élargie de la littératie impliquant la communauté. En effet, dans ce modèle, l’école est un milieu ouvert qui collabore avec l’environnement externe et apprend de celui-ci (Stoll et Kools, 2017). Comme la littératie est une responsabilité collective, le personnel des milieux scolaires gagne à renforcer ses liens avec la famille et la communauté pour construire sa capacité et pour mutualiser leurs efforts à créer un environnement en littératie riche, participatif et stimulant, et ce, même après leur parcours scolaire dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie (Bélisle, 2007). Comme l’usage des tablettes électroniques et des téléphones intelligents est de plus en plus répandu dans les foyers (Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, 2019), cela constitue potentiellement un levier pour augmenter ces collaborations. D’ailleurs, Fiévez et Karsenti (2018) soulignent que les pratiques d’enseignement intégrant des technologies numériques comme la tablette électronique favoriseraient un enseignement ouvert, mobile, collaboratif et hybride (en présence et à distance). À titre d’exemple, Rodríguez et al. (2013) remarquent que ces technologies offriraient la possibilité d’augmenter les collaborations et les communications avec les parents pour poursuivre ou pour consolider certains apprentissages de manière autonome et autodirigée. Cette collaboration constitue d’ailleurs un facteur de réussite incontournable au développement de la littératie des élèves en situation de handicap. En contexte de la pandémie en 2020, cet enjeu a été mis en évidence (Tremblay et al., 2021). Enfin, utilisée comme outil d’aide à la communication, la tablette électronique serait susceptible de favoriser les transitions d’un milieu à l’autre (école et communauté) en limitant la stigmatisation et d’augmenter les interactions avec leurs pairs et amis, les familles, leur employeur et la communauté (Rodríguez et al., 2013).

Conclusion

La présente recension des écrits scientifiques avait pour but de faire une synthèse critique de sept études anglophones portant sur l’effet de l’utilisation de technologies numériques dans les pratiques d’enseignement en littératie auprès d’élèves de 5 à 21 ans en situation de handicap ayant notamment une DI-MS. Ces études laissent entrevoir le potentiel des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement auprès de ces élèves en favorisant l’accès à l’écrit par du matériel adapté à leur âge chronologique, à leur niveau scolaire d’apprentissage et à leurs intérêts. Gagnant en popularité à la fois dans les milieux scolaires et les foyers, les technologies mobiles comme la tablette électronique sont des outils susceptibles de favoriser la littératie en créant de nouvelles occasions d’apprentissage. Malgré les apports positifs des technologies numériques mis en lumière par cette recension des écrits, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre la façon de les intégrer et de les combiner les unes avec les autres dans des pratiques d’enseignement en littératie en classe et en interaction avec les caractéristiques des élèves en situation de handicap, et ce, en francophonie.