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1. Contexte

Au Québec, une multitude d’actrices et d’acteurs se sentent concernés par la démocratisation de l’art contemporain et souhaitent dynamiser l’éducation artistique. La présence de la pédagogie dans les institutions muséales est marquée par le foisonnement du nombre d’activités et de dispositifs de médiation ainsi que d’outils didactiques, notamment dans plusieurs établissements montréalais. Il semble donc que l’offre culturelle de la métropole cible désormais une population de plus en plus vaste, et que l’accessibilité de l’art contemporain tend vers une amélioration.

Au courant des dernières décennies, les institutions muséales québécoises se sont dotées de plusieurs dispositifs traditionnels[2] de médiation qui contribuent à la diffusion et à la transmission des arts et de la culture, tels que les brochures informatives ou encore les visites guidées. Cependant, les plateformes virtuelles ainsi que les contenus numériques, utilisés entre autres à l’aide d’applications mobiles et du Web, se sont imposés plus récemment dans ces établissements. Suivant le mouvement mondial de l’arrivée des outils technologiques au sein de l’espace muséal en 2008 (Daignault et Cousson, 2011), un intérêt particulier envers le numérique s’est développé dans le milieu culturel québécois et s’est accentué au fil des dernières années[3].

Une recherche a donc été conduite dans le but d’approfondir les connaissances quant aux apports et aux limites du numérique dans la médiation de l’art contemporain à Montréal. Des dispositifs ont été ciblés, puis étudiés au MAC et à la FP afin de mieux les comprendre.

2. Problématique

La médiation culturelle implique une intervention qui permet de « mettre en relation un individu ou un groupe avec une proposition culturelle ou artistique » (Aboudrar et Mairesse, 2018, p. 3). Or, selon Bal (2007), elle peut être un « bruit » qui s’installe dans une exposition, perturbant, d’une façon ou d’une autre, les propos qui y sont énoncés. Par conséquent, ses multiples formes d’apparitions, spécialement dans l’art contemporain, sont le fruit d’un débat continu concernant la manière dont les contenus culturels doivent être transmis afin que l’ensemble des citoyennes et citoyens puissent en bénéficier. Au fil du temps, des chercheuses et chercheurs se sont en effet questionnés sur l’intégration de dispositifs de médiation, incluant des outils numériques, dans les expositions d’art contemporain.

La rencontre directe entre l’individu et l’oeuvre d’art a longtemps été préconisée. Le choc esthétique était une croyance utopique auprès du ministère français de la culture, créé en 1959 et dirigé par André Malraux. C’est au coeur de la Politique culturelle française que résidait la conception stipulant que chaque personne est apte à éprouver une sensibilité et à appréhender l’oeuvre d’art spontanément, sans intervention pouvant conditionner son esprit (Caune, 2005; Urfalino, 1993). Il existe ainsi une vision traditionnelle au sein de laquelle on considère que l’art est inexplicable (Alcade, 2011), que les oeuvres sont autonomes et qu’elles arrivent à transmettre un message par elles-mêmes (Chaumier et Mairesse, 2013; Glicenstein, 2009). En ce sens, les outils d’accompagnement à la visite seraient dérangeants et négligeables. Dans cet esprit, les expositions d’art devraient suivre l’opérativité symbolique établie par Davallon (1999) favorisant une situation de rencontre, c’est-à-dire un contact direct entre les publics et les objets muséaux.

Toutefois, la médiation de l’art est revendiquée par un grand nombre de spécialistes et plus particulièrement depuis l’arrivée de l’art contemporain dans les sociétés occidentales. Comme le milieu culturel tend à devenir de plus en plus accessible à partir des années 1960 et 1970, les établissements muséaux ne sont désormais plus exclusifs à l’élite (Alcade, 2011). Des expertes et experts affirment alors que les oeuvres d’art contemporain devraient être expliquées afin que chaque individu puisse se les approprier et les saisir dans leur intégralité. Plusieurs précisent par ailleurs que les pratiques artistiques auraient évolué de sorte que les oeuvres ne soient plus autonomes, nécessitant dorénavant un contexte qui inviterait à leur compréhension (Caillet et Jacobi, 2004; Glicenstein, 2013; Heinich, 2009). Comme le suggère Heinich (2009), les expositions d’art contemporain ne permettent pas que les publics saisissent, en un seul regard, les messages que les artistes tentent d’exprimer au coeur de leurs travaux. Selon elle, les visiteuses et visiteurs doivent voir au-delà des oeuvres et connaître les récits qui les entourent afin de pouvoir intégrer le monde de l’art contemporain – notamment celui des artistes ou des commissaires – pour finalement mieux l’entendre et l’interpréter. L’idée de démocratisation de la culture et les méthodes employées pour y parvenir sont alors repensées au fil du temps (Donnat, 2003).

L’arrivée des technologies dans les musées permet à la médiation de prendre de nouvelles formes et, par le fait même, de diversifier les modes d’accès aux oeuvres et aux expositions. On se questionne dès lors sur l’expérience des publics face à l’oeuvre réelle par rapport à l’oeuvre virtuelle. La relation entre l’être humain et l’ordinateur, spécialement lorsqu’il s’agit d’art et de culture sur le Web, est effectivement un phénomène auquel des chercheuses et chercheurs ont réfléchi au courant des dernières années. Chirollet (2005) explique que la fidélité d’une reproduction numérisée ne réside qu’au plan physique, et non dans l’absolu. Autrement dit, le format numérique d’une oeuvre d’art demeure uniquement conforme à l’original parce qu’il est possible d’obtenir une qualité d’image à haute résolution lors du processus de numérisation. L’émergence de cette pratique suscite dès lors des interrogations à l’égard de l’unicité et de la reproductibilité d’un objet d’art en plus de questionner l’authenticité du propos émis à partir d’un calque digital. Comme la dématérialisation d’une oeuvre est le transfert de sa forme physique vers l’espace numérique, le support de la reproduction numérisée, une fois renouvelé, autorise sitôt la duplication et la diffusion infinie, remettant ainsi en cause la propriété d’originalité (Welger-Barboza, 2001). Il s’avère pourtant que « notre époque est obsédée par l’original » (Latour et Lowe, 2011, p. 177) qui recèle une essence particulière, un discours singulier, voire une aura unique. Un bouleversement est conséquemment suscité dans la manière de rencontrer les oeuvres d’art dans la foulée de la démocratisation culturelle, tandis que se voit affecté(e) la nature ou le propos de la copie numérisée d’une proposition artistique permettant l’élargissement de sa transmission.

Par ailleurs, l’utilisation du numérique au sein de l’espace muséal croise aussi les problématiques qui ont trait aux droits d’autrices et d’auteurs. En 2014, le gouvernement du Québec lançait le Plan culturel numérique pour encourager les institutions culturelles et muséales à étendre leurs contenus sur des plateformes numériques afin d’augmenter leur visibilité[4]. Cette volonté de faire rayonner la culture québécoise sur un plus vaste marché grâce au monde virtuel impose néanmoins une réflexion quant au droit à la propriété intellectuelle. Des spécialistes ayant effectué un état de la question au sein du secteur des arts visuels et de la muséologie ont soulevé différents enjeux, notamment en ce qui concerne le versement de redevances aux artistes (Bellavance et Sirois, 2015).

Somme toute, la médiation de l’art contemporain transforme la rencontre entre les publics et les oeuvres, et la propriété d’originalité d’une proposition artistique peut être affectée lorsque celle-ci se voit transmise par le biais du numérique. Il est alors pertinent d’approfondir les connaissances sur le sujet. Il s’agit ainsi de répondre à la question : quels sont les apports et les limites des technologies numériques utilisées au sein des dispositifs de médiation de l’art contemporain à Montréal?

3. Cadre théorique

3.1. La médiation culturelle

La médiation culturelle est représentée selon plusieurs définitions et se matérialise sous diverses formes, dont, plus récemment, des dispositifs numériques. Malgré certaines nuances émises par différents spécialistes, on peut la définir de façon générale comme étant le rapprochement de deux sujets et, plus précisément, comme l’ensemble des éléments intermédiaires situés entre l’offre culturelle et les publics afin de créer un partage des références donnant accès aux connaissances (Aboudrar et Mairesse, 2018; Caillet et Lehalle, 1995; Caune, 1999; Chaumier et Mairesse, 2013; Davallon, 2002; Glicenstein, 2013).

Dans Lafortune (2017), la médiation culturelle est présentée selon trois orientations : 1) l’interprétation, associée aux politiques culturelles, se distingue comme étant le rapprochement des publics avec les oeuvres; 2) l’animation, liée aux politiques d’immigration et de diversité, représente l’accessibilité des ressources collectives; 3) l’éducation artistique, s’inscrivant dans les politiques éducatives, recouvre le parcours instructif d’un individu en lien avec la culture, à savoir le développement d’une sensibilité, d’une subjectivité ainsi que d’un sens critique. Dans le cadre de cette recherche, l’intérêt porte davantage sur le pôle interprétation, puisqu’il s’agit de l’étude de dispositifs numériques, mobilisés ou non par des équipes montréalaises, afin de mettre en relation des publics avec des propositions d’art contemporain.

3.2. Typologie

L’étude de la médiation culturelle a permis aux chercheuses et chercheurs de rendre compte de différents types d’éléments générateurs de sens au sein d’expositions ainsi que d’une multitude d’outils d’accompagnement à la visite. Ces dispositifs sont identifiés par plusieurs comme des formes de médiation culturelle qui permettent la transmission de la culture afin que les publics puissent obtenir les références nécessaires à l’interprétation des propositions auxquelles ils sont confrontés. On peut notamment relever deux catégories de dispositifs de médiation : les médiations constituantes d’une exposition et les accompagnements des oeuvres (Glicenstein, 2013).

D’une part, les médiations constituantes d’une exposition se rapportent directement aux installations dans un établissement muséal et à la formulation de leur concept. La notion même d’exposition a donc été examinée en profondeur en tant que média symbolique (Davallon, 1999). Elle a aussi été étudiée en comparaison à un texte dont la lecture permet d’adopter une certaine compréhension du discours présenté (Chaumier, 2011). Ainsi, le choix des objets et leur arrangement dans l’espace muséal renvoient à un récit préétabli. Les éléments expographiques, c’est-à-dire l’aménagement des pièces, la disposition des objets, la couleur des murs, l’éclairage des salles ou encore le parcours suggéré, arrivent à créer une atmosphère qui reflète les scénarios imaginés par les commissaires, influençant alors la perception des publics (Merleau-Ponty et Ezrati, 2006). De fait, le médium d’exposition serait lui-même un type de médiation de la culture.

Également, la démarche curatoriale est perçue comme une forme de médiation, car elle peut être considérée telle une opération dépourvue de neutralité. Les messages diffusés à partir du média d’exposition sont en effet déterminés initialement par les commissaires, c’est-à-dire au moment de l’élaboration du concept. Une signification, préalablement construite, s’intègre donc dans ces présentations muséales (Alcade, 2011; Glicenstein, 2017). La vision des spectatrices et spectateurs est alors orientée vers celle des commissaires. Par conséquent, en plus des artistes et de leurs travaux, les autrices et auteurs d’expositions arrivent aussi à transmettre un discours (Heinich, 2009) et occupent en quelque sorte la position de médiatrice ou médiateur, soit d’intermédiaires entre les objets muséaux et les publics.

Enfin, une opposition existe entre les avis des spécialistes de la médiation culturelle quant aux supports servant à promouvoir les expositions. Pour Glicenstein (2013), les publicités telles que les prospectus, les affiches ou encore les communiqués de presse seraient créées et diffusées à des fins de médiation constituante, tandis que Chaumier et Mairesse (2013) notent qu’il peut y avoir une différence entre les activités de médiation culturelle et les activités promotionnelles qui, elles, concerneraient davantage les relations publiques. Pour cette recherche, les outils promotionnels ont été considérés comme des dispositifs constituants de la médiation culturelle.

D’une autre part, les médiations de type accompagnement des oeuvres incluent, par exemple, l’ensemble des textes dans les expositions, qu’ils prennent l’aspect de catalogues, d’écrits sur les sites Internet ou encore de dossiers pédagogiques (Glicenstein, 2013). Cette catégorie de médiation, aussi appelée médiation différée par Bordeaux et Caillet (2013), comprend également les autres outils d’accompagnement spécialement conçus pour les publics comme les visites guidées, les audioguides, les conférences réalisées par les artistes ou les commissaires, les supports interactifs, les contenus multimédias, etc.

3.3. La médiation numérique et la littératie multimodale

La typologie de médiation culturelle varie selon chaque spécialiste du domaine. Néanmoins, les classements évoquent plusieurs similitudes qui permettent d’en relever les principales formes, à savoir tous les types d’écriture et d’énoncés verbaux, le commissariat, l’exposition, les ateliers éducatifs, etc. Les outils numériques se présentent donc eux aussi telle une forme de médiation, un support aux contenus qui sert la mise en relation des individus avec les oeuvres d’art. Fraysse (2015) explique que la médiation numérique « regroupe un ensemble d’objets ou de dispositifs qui permettent l’accès à des informations ou à des ressources et un partage des avis des [actrices et] acteurs et des publics ».

Si la médiation culturelle – sous le pôle interprétatif – se présente comme étant le rapprochement des publics avec les oeuvres et qu’une typologie montre qu’une multiplicité d’interventions existe pour y parvenir, incluant les outils technologiques, il s’agit vraisemblablement d’une pratique qui participe, à partir d’une approche multimodale, au développement de la littératie des publics que l’on peut définir comme étant :

la capacité d’une personne à mobiliser adéquatement, en contexte communicationnel synchrone ou asynchrone, les ressources et les compétences sémiotiques modales (ex. : mode linguistique seul) et multimodales (ex. : combinaison des modes linguistique, visuel et sonore) les plus appropriées à la situation et au support de communication (traditionnel ou numérique), à l’occasion de la réception (décryptage, compréhension, interprétation et évaluation) ou de la production (élaboration, création, diffusion) de tout type de message.

Lacelle et al., 2017

Au sein de cette étude, la « personne » désignée dans cette définition représenterait les membres des équipes muséales ainsi que les visiteuses et visiteurs. On peut penser concrètement aux responsables des départements de communication et des services pédagogiques, aux médiatrices et médiateurs ou encore aux éducatrices et éducateurs muséaux en recherche de moyens pour transmettre les arts et la culture, puisant au numérique, entre autres. Puis, il s’agit également des publics de l’art contemporain, soit les usagères et usagers des dispositifs communicationnels.

4. Démarche méthodologique

Pour répondre à la question de recherche, la méthodologie a été construite à partir d’une approche principalement qualitative, puisqu’il s’agit de comprendre un phénomène, de le détailler et de l’analyser. Les données récoltées se présentent donc, pour la plupart, sous forme de comportements, de motivations ou de représentations mentales (Albarello, 2012). La dimension quantitative n’a toutefois pas complètement été ignorée : quelques statistiques ont aussi été compilées au regard du nombre de répondantes et répondants par rapport aux réponses obtenues. Essentiellement, la démarche méthodologique est constituée d’une recherche à visée nomothétique, d’une enquête empirique composée d’observations, d’entretiens et de questionnaires, puis d’analyses descriptive et thématique. Les deux terrains à l’étude sont la FP et le MAC.

La méthode de l’observation a permis de décrire le comportement des visiteuses et visiteurs des deux institutions ciblées en ce qui a trait aux différentes formes de médiation qui leur sont proposées. Les publics ont été étudiés à partir de grilles d’observations spécialement conçues pour cette recherche. Ceux de la FP ont été observés à deux reprises selon la méthode de l’observation participante (Albarello, 2012) : durant une visite guidée du midi et lors d’une journée de la fin de semaine en tant que membre de l’équipe de l’expérience des visiteuses et visiteurs. Les publics du MAC, quant à eux, ont été observés une fois, un mercredi en soirée, suivant la méthode de l’observation désengagée dissimulée (Angers, 2014).

Afin de déterminer les approches concernant la médiation et le numérique qui sont favorisées au sein des institutions à l’étude, il a aussi été pertinent de s’entretenir avec des personnes qui, dans le cadre de leur travail, ont développé une expertise dans ces domaines. À la FP, les entretiens ont été effectués avec deux membres du personnel travaillant respectivement au service d’éducation et aux communications numériques. Au MAC, les deux personnes qui ont été interrogées oeuvraient au développement des contenus numériques et à la médiation numérique. Les entrevues de recherche ont été individuelles et semi-dirigées (Albarello, 2012; Angers, 2014), puis orientées selon des grilles prédéfinies. Chaque scénario était composé de questions ouvertes. Les transcriptions des entretiens ont été réalisées à la suite des rencontres et approuvées par les personnes interrogées avant toute utilisation afin de certifier l’exactitude des propos, puis d’assurer qu’aucune donnée importante ne soit omise et qu’il n’y ait pas d’informations confidentielles qui soient diffusées publiquement[5].

La collecte de données s’est également effectuée par l’entremise d’une enquête générale de publics (Daignault, 2011). Il s’agissait de connaître les points de vue des visiteuses et visiteurs ainsi que leurs usages et leurs connaissances des outils de médiation offerts à la FP et au MAC. Des questionnaires leur ont été remis en main propre à la fin de leur visite. Plus exactement, à la FP, ils ont été distribués le samedi 16 juin 2018 de 11 h à 18 h et au MAC, le mercredi 20 juin 2018 de 17 h à 20 h. L’échantillonnage a été réalisé de manière aléatoire simple et la taille de l’échantillon représente un total de 47 visiteuses et visiteurs, dont 19 de la FP et 28 du MAC. Les questions étaient à la fois fermées, ouvertes et semi-ouvertes.

Enfin, les données ont été compilées et traitées dans des tableaux (approche qualitative) et graphiques (approche quantitative) à des fins d’analyses descriptive et thématique intracatégorielles (Albarello, 2012). Précisément, un tableau composé de plusieurs catégories a été élaboré à partir des quatre entretiens afin de circonscrire les visions respectivement issues de la FP et du MAC en ce qui a trait à la médiation culturelle et les technologies, puis pour définir les apports et les limites des outils numériques ciblés. Ensuite, des graphiques ont été réalisés avec les données quantitatives en provenance des questionnaires adressés aux publics. Des hypothèses ont pu être formulées et des tendances ont été observées à partir des itérations relevées parmi l’ensemble des données colligées.

5. Résultats

Le MAC et la FP adoptent des approches qui comportent plusieurs similitudes. Les membres de leurs équipes sont préoccupés par les méthodes qui permettent d’accompagner les publics dans leur visite et s’intéressent également à leur faire découvrir et apprécier l’art contemporain. Au sein de ces établissements, la médiation repose surtout sur une approche dialogique, impliquant des échanges et de l’interactivité. Suivant néanmoins aussi une vision plus traditionnelle, la rencontre directe entre les publics et les oeuvres, sans quelconque intermédiaire, interférence ou « bruit » – tel que nommé par Bal (2007) – est également mise de l’avant. En ce sens, les dispositifs technologiques sont de possibles sources de dérangement lors des moments de contemplation de l’art. Les usages du numérique dans la médiation, autant à la FP qu’au MAC, s’effectuent ainsi plus particulièrement par l’entremise de plateformes en ligne. Les autres types de dispositifs technologiques voués à l’accompagnement des visiteuses et visiteurs, comme ceux incorporés parmi les oeuvres dans les salles d’exposition, n’ont pas été intégrés par ces institutions. Celles-ci ont plutôt chacune un site Internet qui a récemment été renouvelé et sur lequel plusieurs contenus s’y trouvent, dont la numérisation d’une partie des oeuvres des collections au MAC et un audioguide à la FP.

5.1. Apports et limites des usages du numérique dans les dispositifs de médiation de l’art contemporain

Les outils de médiation qui relèvent de la technologie sont variés. Ils ont des avantages et des inconvénients généraux, mais leurs caractéristiques singulières peuvent aussi limiter les usages possibles et apporter des bénéfices à chaque institution. Ceux qui ont été ciblés et étudiés au sein de cette recherche sont les dispositifs incorporés aux salles d’expositions, les pages Web, les réseaux sociaux, les microsites, les applications mobiles, les audioguides, les plateformes de numérisation d’oeuvres et les blogues.

5.1.1. Tous types de dispositifs numériques

Selon les personnes interrogées au MAC et à la FP, les technologies apportent de nouvelles formes d’accessibilité aux contenus et leur utilisation engendre une diversification des outils de médiation. L’espace numérique se présente donc comme un second support qui permet aux informations d’exister différemment. Cette hétérogénéisation des outils sert ainsi les institutions culturelles dans la personnalisation de leurs offres et l’élargissement de leurs publics.

À la FP, on explique que le numérique peut toucher un public autonome ou autodidacte, puisque la temporalité d’un audioguide ou d’un site Web, par exemple, est différente de celle d’une visite guidée ou d’une conférence qui, elles, sont offertes à des heures précises. Quant au MAC, on précise que cette autre temporalité permet aussi de préparer une personne à son passage au musée ou encore de créer une suite à sa visite. En ce sens, on peut supposer que les outils numériques sont complémentaires aux autres dispositifs traditionnels de médiation culturelle. Les plateformes virtuelles servent également la diffusion et le partage de contenus qui, habituellement, sont inaccessibles au grand public. Comme l’a mentionné une employée du MAC, les documents conservés qui ont une valeur historique et qui ne peuvent être manipulés que par des spécialistes deviennent disponibles à un plus large public lorsque leur état original prend une seconde forme, celle du numérique. Par ailleurs, les dispositifs technologiques servent aussi plus facilement la traduction multilingue. À la FP, on évoque à ce sujet que des dialogues spontanés entre des guides et des publics lors de visites commentées – à l’opposé de textes prédéfinis voués à être diffusés par voie numérique – sont plus difficilement traduisibles. Les outils technologiques apportent ainsi une dimension internationale à la médiation culturelle, permettant le partage de contenus en une infinité de langues.

Les environnements numériques sollicitent cependant énormément de ressources pour être efficaces. L’ensemble des personnes interrogées au MAC et à la FP confirment que les outils technologiques sont coûteux, puis que les élaborer et les maintenir à jour nécessitent beaucoup de temps et de travail de la part du personnel. Leur utilisation requiert une équipe qualifiée dans le domaine, des fonds pour les matériaux et les expertises nécessaires ainsi que des horaires qui laissent place à leur développement. En plus d’exiger de nombreuses ressources, le rapport entre la mise sur pied d’outils numériques et leur pérennité est un enjeu considérable. Comme l’évolution des technologies s’effectue rapidement et qu’anticiper leurs changements est irréaliste au sein des musées, investir dans des dispositifs de médiation numérique est une question qui se pose au MAC et à la FP. Une participante à l’étude se prononce d’ailleurs sur leur éphémérité et signale qu’il est impossible de réfléchir, plusieurs années à l’avance, à des projets incluant des technologies.

Le personnel des deux terrains s’interroge aussi sur le contact entre les outils numériques et les visiteuses et visiteurs : si le dispositif proposé s’apparente à une machine plutôt qu’à un être humain, une approche de médiation valorisant les échanges et le dialogue, telle que mise de l’avant au MAC et à la FP, est plus difficilement envisageable. Une employée évoque à cet égard qu’ « il n’y a aucune application qui peut interagir de la même façon qu’un être humain en présence physique ». Elle précise que les dispositifs technologiques nécessitent souvent, paradoxalement, une présence humaine « pour les activer, les rendre vivants, les comprendre ». Par ailleurs, l’expérience en galerie offre, selon un membre de l’équipe de la FP, une sorte de contextualisation des objets – quelquefois controversés – qu’aucune autre forme de médiation culturelle ne permet : « Parfois, ça désamorce de voir l’objet alors que les discours qui sont produits autour des oeuvres peuvent être enflammés », explique-t-il. L’expérience virtuelle créée par la médiation numérique se distingue ainsi de l’expérience physique créée par la médiation visible en salle. Les dispositifs numériques n’auraient pas le même pouvoir de transmission ou les mêmes effets que les médiations constituantes telles que l’aménagement de l’espace, le scénario de l’exposition, l’éclairage, le choix des objets, etc.

Finalement, la question du droit d’autrices et d’auteurs est une préoccupation au sein des milieux d’art contemporain à Montréal, puisque la diffusion virtuelle de contenus, comme des images d’oeuvres, impose l’obtention d’autorisations auprès des artistes ainsi que le versement de redevances. Dans l’un des entretiens réalisés au sein de cette étude, on explique qu’il y a plusieurs règles à respecter lorsqu’il est temps d’utiliser des images : il est primordial de les créditer et de ne pas les modifier. Une autre employée interrogée énonce quant à elle que toutes les démarches associées à l’acquisition des autorisations sont très énergivores et requièrent beaucoup de ressources (financière, temporelle, humaine).

5.1.2. Tous types de dispositifs numériques incorporés aux salles d’expositions

Les dispositifs numériques de médiation que l’on peut discerner parmi les oeuvres, au sein des expositions, sont, selon l’une des répondantes, une autre façon de livrer les propos ou de valoriser un discours. Par exemple, l’installation d’écrans tactiles dans les salles ou encore de bornes audiovisuelles permet d’offrir un contenu interactif qui se distingue d’un texte explicatif. Comme l’a indiqué une employée de la FP, ces outils offrent l’accès aux informations à un public qui serait moins à l’aise avec la lecture. Selon une enquête publiée en 2015, au Québec, on compte 1 personne sur 5 âgée de 16 à 65 ans qui affiche un faible niveau de compétence en littératie[6], c’est-à-dire qui a « des capacités très limitées à traiter l’information écrite » (Desrosiers et al., 2015). Les outils numériques interactifs disposés dans les salles d’expositions – qui proposent des contenus autres que textuels, par exemple audiovisuels – permettent ainsi d’inclure cette population aux espaces culturels et, par le fait même, de démocratiser les lieux et les propositions d’art contemporain.

En revanche, pour le personnel de la FP et du MAC, ces outils présents dans les galeries sont intrusifs. Ils se positionnent en travers des expositions et occasionnent la perte de l’essence primaire des oeuvres. Selon les personnes interrogées au MAC, l’expérience de l’appareil interfère avec l’expérience des objets exposés. On indique que les oeuvres d’art détiennent une aura que l’on doit respecter, qu’elles sont sacrées. À leur avis, il serait plus facile d’intégrer ce type de dispositif numérique au sein des musées de société ou d’histoire, ce dont témoigne également un répondant de la FP.

5.1.3. Tous types de plateformes en ligne

Les plateformes en lignes sont utiles aux institutions culturelles, notamment sur le plan commercial. Ces espaces permettent, selon le personnel de la FP, de réduire les coûts en marketing, puisqu’ils sont entre autres utilisés pour publiciser des offres. Cependant, toutes les personnes interrogées au cours des entretiens ont ajouté que les plateformes en ligne servent aussi la diffusion d’informations pratiques et de quelques propositions éducatives. Pour l’une d’entre elles, les contenus disponibles sur Internet tels que les oeuvres numérisées ou le blogue peuvent être utilisés par des enseignantes et enseignants afin de soutenir leurs exposés ou de préparer leurs élèves à une visite du musée. À cet égard, il est intéressant de noter qu’une ambiguïté s’insère parfois entre un acte communicationnel supporté par le numérique et un véritable geste de médiation. Une étude abordant le sujet révèle que :

un outil de communication peut ainsi, d’une certaine manière, faciliter une action de médiation. Mais pouvons-nous dire pour autant qu’il s’agit de « médiation numérique »? Cette question étant posée, nous ne disons pas ici que c’était l’objectif affiché. Cependant, nous remarquons que l’expression « médiation numérique » est souvent employée dans ce genre d’activités qui procèdent davantage soit de l’information-documentation, soit de la communication. […] En somme, si, ce que les [actrices et] acteurs du patrimoine nomment « médiation numérique », donne accès à des informations, cela ne permet pas totalement d’accéder au savoir du musée.

Fraysse, 2015

Apparaître sur le Web ou les réseaux sociaux permet néanmoins au MAC et à la FP d’obtenir une plus grande visibilité, car leurs contenus deviennent disponibles aux internautes et mobinautes. Plusieurs types de publics peuvent alors être rejoints, voire de nouveaux publics, c’est-à-dire les gens qui, d’après une employée, tombent par hasard sur ces plateformes lors de leurs recherches et ceux qui, comme l’a indiqué une autre personne interrogée, n’ont pas le temps, l’occasion ou l’envie de fréquenter les établissements physiquement ou d’accéder aux propositions culturelles en temps réel. Les plateformes virtuelles semblent alors aussi servir à faire rayonner le contenu culturel québécois à l’international, dont la collection publique du MAC, tel que révélé au sein de l’un des entretiens. Plusieurs visiteuses et visiteurs ayant rempli le questionnaire ont d’ailleurs indiqué provenir de l’étranger, alors que beaucoup de répondantes et répondants dont c’était la première visite ont spécifié avoir consulté les pages Internet des institutions. On pourrait donc supposer qu’il s’agit plutôt d’usages communicationnels qui contribuent à l’accessibilité ou à la portée des établissements, mais moins à la transmission culturelle, voire à l’éducation non formelle.

Dans un autre ordre d’idées, on explique au MAC que les plateformes en ligne sont intéressantes, car on peut quantifier leur utilisation. Une employée de la FP explique en effet qu’il est plus difficile de savoir qui a vu une affiche promotionnelle dans l’espace physique par rapport à une publicité dans le monde virtuel, qui est mesurable à l’aide d’outils d’analyse. En contrepartie, même s’il est possible de compter les individus atteints par les publications numériques, qualifier les interactions à partir de logiciels est un plus grand défi. Comme il a été mentionné au courant des entretiens, il n’existe pas de fonctions qui permettent précisément d’interpréter la pensée d’une personne lorsqu’elle s’arrête sur une information en ligne. Les sections commentaires ou les réactions virtuelles comme les j’aime peuvent cependant fournir une idée de l’appréciation des contenus par les usagères et usagers. Encore faut-il qu’un être humain les consulte. Selon l’une des répondantes, on ne peut pas évaluer l’impact que les contenus génèrent sur les visiteuses et visiteurs virtuels comme il est possible de le faire lors d’une visite guidée sur place. D’après son expérience, les publics en présence physique accordent des retours spontanés aux guides, qui ont la faculté de comprendre un langage corporel, verbal ou non. Ils peuvent ainsi réagir et s’adapter. On pourrait alors penser que la transmission culturelle, ou l’éducation non formelle proposée au sein des institutions muséales, se mesure ou s’évalue plus facilement dans une médiation bidirectionnelle et face à face, comme une visite guidée qui repose sur une approche dialogique, que dans une communication numérique unidirectionnelle telle la diffusion de contenus sur des plateformes en ligne.

Leur utilisation est toutefois vraisemblablement un acte contemporain qui permet de communiquer, car la population occidentale est désormais constamment confrontée aux technologies. Un employé de la FP explique qu’utiliser le numérique aujourd’hui signifie simplement que l’on s’adapte à la réalité des publics. Une hypothèse a d’ailleurs pu être formulée à cet égard à partir des observations réalisées au MAC : beaucoup d’individus visiteraient les expositions avec un appareil mobile tel qu’un téléphone intelligent et l’utiliseraient durant leur parcours. À l’entrée des expositions figuraient les informations pour se connecter au réseau sans fil, et plusieurs personnes venaient s’y référer pendant leur visite.

Finalement, l’une des personnes interrogées au MAC souligne une limite à ces plateformes, traitant de la spontanéité que requièrent parfois les propositions numériques (courriels, messageries directes, etc.), tandis que les équipes professionnelles des musées n’ont pas toujours la possibilité d’effectuer des retours instantanés. Elle explique que certaines situations exigent une chaîne d’approbations avant qu’une réponse puisse être envoyée au nom de l’établissement.

5.1.4. Site Web

Au-delà de ces généralités relevées au sein de deux institutions montréalaises au sujet des outils numériques et des plateformes en ligne, la singularité de chaque dispositif regorge d’apports et de limites que l’on découvre également sur les terrains étudiés. Le site Web est un environnement numérique qui sert autant l’équipe de la FP que celle du MAC. Pour l’une des personnes interrogées, il est « un incontournable » et permet d’offrir une image sérieuse au musée : « si on n’est pas sur le Web, pour moi, on n’existe pas », énonce-t-elle. Cette dernière ajoute que le site Internet est un lieu complémentaire à l’endroit physique du musée, tandis que toutes les personnes interrogées expliquent que le Web permet une plus grande disponibilité des informations, puisqu’il est effectivement un second espace de diffusion. Comme la toile touche des internautes qui ne visitent pas nécessairement les lieux physiques des institutions, celle-ci sert vraisemblablement l’élargissement des publics. On compte d’ailleurs 83 % des répondantes et répondants aux questionnaires qui ont indiqué connaître l’existence du site Internet du MAC ou de la FP, et 70 % ont confirmé l’avoir déjà visité. De plus, 72 % de la totalité de l’échantillon ont exprimé leur intention de naviguer sur ces pages à la suite de leur visite. Une autre hypothèse a donc été formulée concernant les sites Web : une majorité des visiteuses et visiteurs de l’art contemporain montréalais les fréquenterait. Cet espace virtuel occupe nécessairement une place importante chez les publics, du moins ceux de la FP et du MAC.

Le Web permet également de diffuser une diversité de contenus. Le design des sites Internet offre la possibilité de concevoir et de proposer des sections distinctes, que ce soit pour des informations pratiques, de la publicité pour les activités ou encore des contenus éducatifs qui, comme le suggère une employée du MAC, sont susceptibles d’intéresser les publics scolaires ainsi que les enseignantes et enseignants. Le site Internet permet donc de créer un lien avec les écoles et les jeunes. C’est d’ailleurs par l’entremise de ces pages que les groupes peuvent s’inscrire ou se renseigner sur les offres pédagogiques, précise la seconde personne interrogée au MAC.

La disponibilité des contenus sur un espace virtuel qui dépasse les murs des institutions culturelles semble permettre de rejoindre un public étranger. Les sites Web favorisent ainsi la prise de contact avec une population précise, soit les touristes qui peuvent trouver sur ces pages l’ensemble des informations leur permettant de planifier leur visite. La moitié des répondantes et répondants aux questionnaires ont d’ailleurs indiqué avoir trouvé les renseignements souhaités au sujet du MAC et de la FP sur leur page Web respective. Ces données dénotent une certaine efficacité quant à la transmission d’informations pratiques par l’entremise de sites Internet.

Or, même si le design des pages Web offre de nombreuses possibilités, certaines opérations sont limitées par les modèles de sites proposés aux institutions culturelles. Trois des quatre personnes interrogées expliquent que beaucoup d’interventions sur leur page Internet sont contraintes par le design de l’interface. Elles indiquent que les possibilités concernant la disposition des informations sont restreintes, spécifiant qu’un recadrage non désiré est parfois nécessaire et que, par le fait même, des renseignements peuvent être omis. Par conséquent, les sites Web ne se présentent pas forcément comme les plateformes les plus optimales pour rendre justice aux contenus des établissements d’art contemporain. On peut donc se questionner sur la légitimité ou l’efficacité d’une transmission culturelle à partir d’une page Internet.

5.1.5. Réseaux sociaux

Les réseaux sociaux permettent, selon deux répondantes, de rejoindre des publics précis : les personnes âgées et les plus jeunes. En fonction des statistiques qu’elles compilent, Facebook touche davantage une population de baby-boomers et Instagram atteint plus particulièrement les milléniaux. Ces plateformes offrent donc la possibilité aux institutions d’être un contact avec des personnes de différentes tranches d’âges.

Par ailleurs, comme l’a mentionné l’une d’entre elles, les réseaux sociaux sont offerts gratuitement. Les utiliser représente ainsi un autre moyen pour les institutions muséales d’accroître leur visibilité et de livrer des informations sans engloutir leur budget. Notamment, les contenus publicitaires peuvent encourager la population à s’intéresser aux activités liées à l’art contemporain ou même à se déplacer pour visiter les expositions en temps réel. Une autre employée explique que les réseaux sociaux servent la vente d’entrées ou d’abonnements annuels. Elle ajoute que ces outils sont efficaces, d’une part, pour soigner l’image publique de l’institution et, d’autre part, pour divertir sa communauté. À la FP, on précise que les réseaux sociaux permettent d’interagir avec les autres établissements culturels, soit par l’entremise des mentions ou des hashtags. La portée des contenus publiés sur ces plateformes peut donc s’étendre à de nouveaux publics ou à de nouvelles communautés. D’un autre côté, les réseaux sociaux, en raison de leur gratuité, sont utilisés par plusieurs. Une membre du personnel du MAC souligne que leur popularité génère une forte compétition entre les institutions. Il faut donc, à son avis, investir beaucoup d’énergie afin de se démarquer tout en gardant sa pertinence. Selon elle, c’est un défi de savoir attirer l’attention tout en demeurant proche de l’essence du musée et en restant de bon goût.

Ensuite, comme il en a été discuté au sein d’un entretien à la FP, les réseaux sociaux offrent une tribune aux publics, qui ont la possibilité de s’exprimer sur ces plateformes et de diffuser publiquement des commentaires qui peuvent parfois être négatifs, quoique modérés par certaines politiques d’utilisation. Ainsi, d’après une employée interrogée, les réseaux sociaux peuvent aussi ternir l’image publique d’une institution culturelle. Elle précise toutefois que cet enjeu est également positif, étant donné que les membres de l’équipe de la FP sont ouvertes et ouverts à la discussion avec leurs publics, et que les commentaires permettent de clarifier les points de vue.

Enfin, seulement 23 % des répondantes et répondants aux questionnaires ont indiqué avoir trouvé des renseignements sur la FP ou sur le MAC par l’entremise des réseaux sociaux. Comme c’est un peu moins du quart de l’échantillon qui s’est informé auprès de ces plateformes, il est probable que les contenus qu’on y diffuse ne servent pas à informer la population au sujet des institutions culturelles. L’hypothèse est donc que les réseaux sociaux sont plus utiles pour le divertissement que pour l’information concernant l’art contemporain. Une personne interrogée au MAC explique d’ailleurs qu’il n’y a que certains types de contenus qui sont adaptés à ces environnements numériques. Elle spécifie que des textes plus longs ou plus chargés n’y ont pas nécessairement leur place.

Dans cet esprit, les réseaux sociaux semblent servir, comme les sites Web, les usages communicationnels, publicitaires et même ludiques. Il s’agit moins ici d’éducation non formelle ou de partage des arts et de la culture, bien que ces échanges virtuels puissent conduire à des discussions sur les oeuvres ou les expositions et relever d’une richesse culturelle relative.

5.1.6. Microsites

Les microsites sont des environnements numériques utilisés et appréciés par les équipes de la FP et du MAC. Sous format mobile, ces plateformes peuvent être employées sur l’appareil personnel des visiteuses et visiteurs. C’est donc, selon une employée du MAC, une façon d’utiliser des technologies en salle sans que ce soit trop intrusif.

Les microsites en format mobile offrent aussi une liberté d’utilisation par les publics. Comme l’a indiqué une répondante de la FP, ne pas offrir d’appareils à l’accueil pour accéder aux informations émises par ces outils permet aux individus de les consulter par eux-mêmes, au moment et à l’endroit où ils le souhaitent. Cette dernière ajoute qu’héberger des microsites n’est pas très dispendieux, et que ceux-ci peuvent être gérés directement au sein de l’institution. Les équipes internes ont donc elles-mêmes la possibilité de modifier ou de reprogrammer les contenus. C’est ainsi, selon elle, un dispositif numérique de médiation peu coûteux et facile d’entretien qui permet d’offrir de l’information – ou des contenus enrichis, comme l’énonce une employée du MAC.

Cependant, rien ne permet d’assurer que l’ensemble des visiteuses et visiteurs possèdent l’équipement nécessaire pour pouvoir profiter des contenus sur les microsites. Les équipes d’éducation doivent donc réfléchir à cet enjeu lorsqu’elles développent ces outils : « Souvent, quand on pose la question du numérique dans les espaces d’exposition, on prend pour acquis, par exemple, que le matériel est disponible […], que les gens vont avoir d’office une tablette ou un téléphone, que les gens vont avoir accès à un wifi ou qu’ils vont avoir des données Internet », a expliqué un répondant de la FP, en précisant que la question concernant l’accès aux équipements relève notamment de la gestionnaire des galeries au sein de son milieu de travail. La transmission d’informations par l’entremise de microsites est donc vraisemblablement limitée aux personnes qui possèdent les appareils essentiels à leur utilisation.

5.1.7. Applications mobiles

De façon générale, les applications mobiles sont moins appréciées au sein des deux terrains étudiés. Le personnel interrogé affirme que le développement de ces environnements numériques est beaucoup plus dispendieux que celui des microsites. On explique aussi que les applications ne permettent pas une gestion rapide et efficace, c’est-à-dire par l’équipe elle-même, qui doit alors faire appel aux responsables de leur développement si une reprogrammation est nécessaire. Il apparaît ainsi plus avantageux à la FP et au MAC de concevoir des microsites plutôt que des applications mobiles, tandis que le résultat est similaire pour les usagères et usagers.

5.1.8. Audioguide

L’audioguide est un outil d’accompagnement à la visite qui, d’après une personne interrogée à la FP, est intéressant pour les personnes qui désirent obtenir de l’information complémentaire au sujet des oeuvres, mais qui éprouvent certaines difficultés avec la lecture des textes que l’on trouve notamment sur les murs des salles d’exposition ou encore dans les dépliants explicatifs. C’est donc un support additionnel pour les contenus, voire une autre forme d’accès au discours développé autour des oeuvres. Cette même employée explique toutefois que l’audioguide est une forme de médiation qui tend à dicter un axe à la visite. Avec l’utilisation de cet outil, les publics sont, selon elle, restreints aux idées qui leur sont suggérées par l’entremise de ce dispositif.

Par ailleurs, la disponibilité du matériel est un enjeu considérable lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’un audioguide directement dans les lieux culturels à partir d’un microsite ou d’une application : les visiteuses et visiteurs doivent indispensablement posséder et transporter avec eux un appareil comme un téléphone intelligent ou une tablette numérique. Néanmoins, cet outil permet aux publics d’écouter les contenus en dehors des établissements culturels, avant ou après leur visite, avec le matériel qu’ils ont à la maison ou encore avec celui disponible dans les bibliothèques publiques. Les données de l’enquête révèlent cependant que 2 personnes sur 3 ont écouté l’audioguide de la FP pendant leur parcours de l’exposition avec un téléphone intelligent. On peut alors émettre l’hypothèse stipulant que l’audioguide est préférablement écouté au moment même de la visite et qu’une majorité des visiteuses et visiteurs de l’art contemporain possède les appareils numériques nécessaires à leur utilisation. L’audioguide est d’ailleurs, selon une personne interrogée à la FP, un outil qui est plus efficace lorsqu’il est utilisé pendant le parcours des oeuvres : « On parle seulement de notre audioguide/microsite aux [visiteuses et] visiteurs une fois qu’[elles et] ils sont dans la galerie, car c’est un outil d’accompagnement à l’exposition, mais qui perd un peu sa valeur s’il est partagé sur le Web sans contexte, sans tous les visuels », explique-t-elle. Un audioguide sous forme de microsite limiterait ainsi la compréhension d’une personne qui l’utilise à l’extérieur des salles d’exposition.

Il n’y a toutefois que 37 % de répondantes et répondants au questionnaire de la FP qui étaient au courant de l’existence de leur audioguide lors de la collecte de données, et c’est seulement 16 % parmi celles et ceux-ci qui ont mentionné l’avoir déjà écouté. Les publics seraient alors possiblement plus enclins à utiliser ce dispositif de médiation si l’on offrait un appareil à l’accueil pour y accéder ou si on le mentionnait. À preuve, 71 % des personnes ayant indiqué connaître l’audioguide de la FP ont précisé avoir appris son existence à la réception de la galerie.

Finalement, une employée du MAC suggère que les audioguides soient des outils rentables pour les grands musées qui réalisent annuellement plusieurs expositions de longue durée. Les investissements financier et temporel pour créer ces types de dispositifs sont, à son avis, considérablement élevés par rapport à leur pérennité et leurs usages lorsqu’il s’agit d’établissements culturels où l’on ne conçoit que quelques expositions par année s’échelonnant sur une courte période.

5.1.9. Numérisation des oeuvres, des salles d’exposition et des collections

Numériser et diffuser une collection en ligne est bénéfique, selon une membre du personnel du MAC, pour une société d’État comme le musée où elle travaille. La disponibilité des oeuvres sur le Web permet en effet à la population québécoise d’avoir accès à la collection publique et, autrement dit, à ses oeuvres. Comme cette employée le mentionne : « C’est 1 % de la collection qui est présenté en salle, donc ça permet de rendre accessible tout ce qui est dans les réserves. » Le numérique est, par conséquent, un moyen de rompre les contraintes imposées par l’espace physique, la surface d’exposition disponible à l’intérieur des murs d’un établissement étant restreinte par rapport à l’amplitude de l’espace virtuel. Cette même personne interrogée explique également que la numérisation des collections offre plus de possibilités que, par exemple, un recueil d’oeuvres imprimé. Ce qui est diffusé en ligne peut continuellement être mis à jour, enrichi ou renouvelé contrairement à un catalogue en version papier : une fois l’impression enclenchée, les contenus ne peuvent plus être modifiés.

La seconde personne du MAC ayant participé à l’étude indique à son tour qu’il est intéressant, au sein du service d’éducation, d’avoir le support visuel numérique d’oeuvres qui ne sont pas accrochées aux murs, car les pièces numérisées peuvent être rapprochées de manières pertinentes (par thématiques, par périodes, etc.) aux oeuvres présentées en galerie. La mise en parallèle de différents travaux artistiques permet de faciliter la compréhension de l’art contemporain et sert ainsi la mission pédagogique des musées.

En contrepartie, la diffusion d’oeuvres sur un environnement numérique publique, comme Internet, demande beaucoup de rigueur quant à la question du droit d’autrices et d’auteurs. Les artistes doivent accepter de figurer sur une page en ligne. Or, obtenir les autorisations est une démarche longue et coûteuse pour les institutions culturelles : « La plus grosse partie de mon budget, c’était pour les droits et non pas pour développer la plateforme », a indiqué une employée du MAC en parlant d’une chronologie destinée à être diffusée sur la page Web du musée qu’elle concevait au moment de l’enquête. Puis, comme pour l’audioguide, il s’avère plus rentable au sein d’un grand établissement d’exécuter un projet de numérisation d’oeuvres et de salles d’expositions. Une personne interrogée à la FP indique que les visites virtuelles des galeries sont des outils « magnifiques » pour des institutions culturelles qui proposent plusieurs expositions par année et qui détiennent une collection ainsi que des expositions permanentes[7]. Également, comme une personne du MAC l’évoque, les environnements numériques sont des espaces à entretenir et sollicitent beaucoup de temps et d’énergie. Elle explique que c’est souvent seulement lorsque le contenu est diffusé sur la plateforme que l’on peut s’apercevoir des ajustements nécessaires. Le projet de numérisation et de diffusion en ligne des collections est donc, selon elle, un énorme travail.

Finalement, ce dispositif numérique de médiation, qui semble intéressant à certains égards pour le personnel du MAC et de la FP, se révèle toutefois méconnu des publics. Ce n’est que 14 % des répondantes et répondants au questionnaire du MAC qui ont affirmé connaître le projet de numérisation de la collection, et seulement la moitié de cet échantillon a indiqué avoir déjà visité cette section du site Web. L’hypothèse formulée à ce sujet concerne la récence de cet outil au moment de la collecte de données : celui-ci n’aurait possiblement pas encore été suffisamment promu et c’est pourquoi il aurait été, à ce moment, méconnu de la population.

5.1.10. Blogues

Pour terminer, le blogue est un outil numérique qui comporte plusieurs apports selon les individus interrogés au MAC et à la FP. Il permet entre autres de diffuser publiquement des contenus enrichis et de nature éducative aux publics et aux personnes qui ne fréquentent pas forcément les institutions physiquement. C’est aussi une plateforme plus adaptée que les réseaux sociaux pour partager des textes plus longs, précise une répondante. Cet espace virtuel est donc une autre forme d’accès à l’établissement et à ses contenus plus chargés.

6. Discussion et conclusion

Dans l’ensemble, cette recherche montre que les équipes des institutions d’art contemporain à Montréal soulignent l’importance de l’éducation muséale en posant des actions concrètes pour s’investir dans le domaine de la médiation culturelle. En déterminant les apports et les limites des usages de dispositifs numériques dans deux lieux, il a été possible de rendre compte de leurs caractéristiques spécifiques et de voir comment les outils traditionnels demeurent pertinents, aujourd’hui, malgré l’arrivée de nouvelles technologies qui, elles, soutiennent non seulement le service éducatif, mais aussi les relations publiques. L’enquête empirique a permis de constater que les membres du personnel des établissements montréalais semblent conscients de la singularité de chaque être humain et des enjeux qui entourent le partage des connaissances à une hétérogénéité d’individus. Par conséquent, les modes d’accompagnement à la visite sont de plus en plus diversifiés, notamment grâce aux technologies, et, par le fait même, personnalisés à plusieurs types de publics. La transmission de la culture apparaît alors comme plus démocratique.

Les dispositifs numériques de médiation comportent à la fois des avantages et des inconvénients qui permettent, à leur manière, de réaliser les projets des institutions culturelles. Certains favorisent une économie des ressources et d’autres offrent la possibilité de toucher un plus grand public. En contrepartie, certains demandent beaucoup trop de ressources et d’autres ne fonctionnent qu’auprès d’un type de public précis. La forme des outils numériques doit donc être déterminée en fonction des besoins et des particularités de chaque établissement qui les utilise (situation financière, ressources humaines disponibles, publics cibles, nombre annuel d’expositions, etc.). Une approche multimodale de la médiation est alors intéressante à condition que l’on connaisse les apports et les limites de chaque dispositif utilisé comme moyen pour diffuser l’information. On a pu constater que les sites Internet et les réseaux sociaux, par exemple, servent plus les relations publiques ou le ludisme et moins la transmission culturelle, tandis que la numérisation des collections, l’audioguide et le blogue permettent mieux le partage de contenus artistiques et même un enseignement du sujet. On peut néanmoins trouver ces outils à partir des pages Web des institutions. Celles-ci favorisent ainsi l’accès à l’information plus riche ou éducative.

Il a été intéressant de remarquer que les technologies numériques, utilisées en tant que supports à la diffusion des connaissances et des contenus, semblent être une suite à l’imprimé. Comme il a été abordé dans Le musée imaginaire, célèbre ouvrage de Malraux (1997), le rapprochement de réalités physiquement éloignées est rendu possible grâce à leur photographie et leur impression dans un même ouvrage, voire au support traditionnel de transmission des savoirs et des images qu’est le livre. Tandis qu’à l’époque actuelle, les rapprochements sont notamment occasionnés dans les institutions d’art contemporain à Montréal grâce à la médiation numérique, que ce soit la connexion entre un individu et une oeuvre, entre deux visiteuses ou visiteurs, entre les publics et une ou un guide, entre l’établissement et le territoire étranger, entre deux oeuvres, entre l’institution et sa communauté, etc. Les plateformes virtuelles ont alors en quelque sorte une fonction d’unification, tel le livre, servant à rassembler ce qui est disparate ou éloigné, que ce soit des personnes, des intérêts ou encore des aptitudes.

Cette recherche a aussi permis de constater que les environnements numériques affectent l’expérience des visiteuses et visiteurs face aux oeuvres, de manière constructive et parfois distractive. Ils sont particulièrement bénéfiques pour les publics qui souhaitent obtenir des renseignements supplémentaires, mais qui n’ont pas les connaissances requises pour accéder à un long texte d’accompagnement. Les contenus virtuels diffusés à l’extérieur des lieux physiques sont perçus comme des informations complémentaires à la visite, qui ne remplacent pas forcément ce qui se trouve dans l’espace réel, mais qui préparent à la visite ou lui font suite. Ces derniers offrent également une liberté d’utilisation par les publics. L’intégration du numérique dans la médiation culturelle permet vraisemblablement de démocratiser les espaces montréalais qui se consacrent à l’art contemporain. En effet, les dispositifs technologiques tendent vers une plus grande accessibilité en raison de leur variété, de leurs particularités ainsi que de leur adaptabilité à tous types de publics.

Il a également été remarqué que, peu importe le type d’établissement, qu’il soit public ou privé, les ressources financières, temporelles et humaines sont des enjeux qui conditionnent le développement des dispositifs de médiation. Le caractère éphémère des technologies est aussi une question qui touche chaque institution. Par ailleurs, le rapport à la tradition muséale, soit l’expérience physique de l’oeuvre, est encore aujourd’hui fort important au sein des lieux d’art contemporain. Ainsi, les outils technologiques sont pertinents, mais ils ne semblent pas pouvoir remplacer complètement les dispositifs traditionnels. Le numérique apparaît alors comme un instrument complémentaire à ceux que l’on trouve dans l’espace physique depuis longtemps.

Enfin, bien que l’intérêt envers l’éducation soit considérable au sein des milieux culturels, les publics semblent parfois ignorer ou sous-estimer les investissements des établissements d’art contemporain. Il s’avère alors pertinent d’utiliser les plateformes numériques dans les opérations de marketing également. Proposer une variété d’outils pédagogiques et démocratiser l’art contemporain relève ainsi de fermes intentions au sein des institutions, mais une communication supplémentaire avec les citoyennes et citoyens paraît nécessaire afin que l’effort d’inclusion soit accru et que l’accessibilité soit réelle pour le grand public. Si la médiation culturelle permet de créer un partage des références qui donne accès aux connaissances, chaque personne doit d’abord savoir qu’elle est admise au sein des lieux comme ceux étudiés au coeur de cette recherche et qu’elle peut en avoir une expérience enrichissante ou divertissante selon ce qu’elle souhaite retirer de l’art contemporain, une pratique artistique qui laisse place à l’interprétation individuelle ainsi qu’à plusieurs formes d’appréciation.

Il est finalement à noter que la quantité de données traitées est insuffisante pour pouvoir généraliser les résultats, et cette recherche est donc limitée. Des tendances ont toutefois pu être décelées et plusieurs hypothèses ont été formulées. Il serait donc pertinent de les vérifier au sein d’études de plus grande envergure. Celles-ci permettraient une meilleure connaissance des outils de médiation. Leur appropriation par les milieux de pratique serait par ailleurs plus adéquate et servirait mieux la réalisation de la mission muséale contemporaine dans toutes ses dimensions (sociale, pédagogique, scientifique ou économique).