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Le présent ouvrage est un collectif, dirigé par Seema Shekhawat[1], dont le thème central est la Résolution 1325[2], adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 31 octobre 2000, dans le but de souligner : […] « l’importance d’une pleine participation active des femmes, dans des conditions d’égalité, à la prévention et au règlement des conflits ainsi qu’à l’édification et au maintien de la paix[3] ». Bien que, suite à l'adoption de cette Résolution les données récoltées démontrent que plus de la moitié de tous les accords de paix conclus faisaient référence aux femmes, à la paix et à la sécurité, le rythme du changement demeure trop lent[4]. Sur la période allant de 1992 à 2011, les femmes ne représentaient que moins de quatre pour cent des signataires des accords de paix conclus et moins de dix pour cent des négociateurs lors des pourparlers de paix[5]. Ce collectif vise donc à dresser un bilan des impacts concrets de la Résolution 1325 sur la réalité des femmes en situation de conflit, dix-huit ans après son adoption. Nous proposons ici une analyse par chapitre afin de mieux rendre compte des analyses diversifiées offertes par chaque auteur(e) ayant participé à l'élaboration de ce collectif.

Dans le premier chapitre, Veronica Fynn Bruey[6] démontre comment les femmes au Libéria ont contribué de manière fondamentale à la création de la Résolution 1325. Dans ce sens, Bruey met de l'avant les accomplissements de femmes libériennes telles qu'Ellen Johnson Sirleaf, première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix et de Leymah Gbowee également lauréate du prix Nobel de la paix. Pour Bruey, les méthodes innovatrices employées par les femmes libériennes ont permis non seulement de changer le cours des conflits internes au Libéria mais également de faire rayonner l'importance du rôle des femmes dans la consolidation de la paix et de la sécurité au niveau international.

Dans le deuxième chapitre, Antal Berkes[7] se penche sur le rôle du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes dans la mise en oeuvre effective de la Résolution 1325. Berkes avance que le Comité a permis l'implantation d'un mécanisme de rapports périodiques et a encouragé les États membres à adapter les buts de la résolution par le biais de leurs propres mécanismes de codification afin de mieux les harmoniser avec leurs contextes nationaux respectifs. Pour Berkes, bien que le Comité soit un acteur central en ce qui concerne la sensibilisation à l'inclusion des femmes dans les processus de consolidation de la paix et de la sécurité, il comporte également certaines limites qui sont mises en lumière au sein du chapitre.

Dans le troisième chapitre, Elisabeth Porter[8] insiste sur l'importance d'inclure la religion comme catégorie d'analyse en ce qui concerne la consolidation de la paix. Porter remet en question la vision de la religion comme facteur de conflit et propose plutôt d'envisager la religion comme un élément rassembleur pouvant contribuer positivement à l'implantation effective de la Résolution 1325. À travers son analyse, Porter révèle les différentes façons dont l'intersection entre le genre et la religion s'articule en période de conflit armé et démontre notamment l'importance d’inclure les organisations et chefs religieux dans les processus afin de favoriser l'application de la résolution au niveau local.

Dans le quatrième chapitre, Jan Marie Fritz[9] formule une critique constructive à l'endroit des plans d'action nationaux de mise en oeuvre, dans le but d'alimenter la réflexion en vue d'éventuelles réformes. Pour Fritz, bien que le Conseil de sécurité n'ait pas explicitement mentionné le besoin de tels mécanismes lors de l'adoption de la Résolution 1325, ils n'en demeurent pas moins un élément clé dans son implantation. Fritz offre donc différentes recommandations à l'intention non seulement des gouvernements mais également des organisations non gouvernementales dans le but de favoriser le développement de plans d'action nationaux de mise en oeuvre efficaces.

Dans le cinquième chapitre, Margaret Owen[10] insiste, quant à elle, sur l'importance de prendre en compte les femmes veuves dans l'élaboration des plans d'action nationaux de mise en oeuvre de la Résolution 1325. Pour Owen, la victimisation systématique de ces femmes les empêche d'être considérées comme des actrices à part entière dans la consolidation de la paix et la reconstruction socio-économique de leur pays. Owen défend que l'amélioration des conditions des femmes veuves ainsi que la pleine reconnaissance de leur rôle est essentielle à l'implantation et au maintien d'une paix durable.

Dans le sixième chapitre, Corey Barr[11] aborde les différentes problématiques liées au financement de l'aide internationale au développement. Barr argumente que l'influence des dons financiers sur ces organisations constitue un freint majeur à l'agentivité des femmes dans le cadre de l'implantation de la Résolution 1325. Ainsi, Barr démontre comment les sources de financement poussent les organisations à adopter des approches davantage axées sur la protection et de la vulnérabilité des femmes plutôt que véritablement de chercher à renforcer leur rôle dans les processus de consolidation de la paix.

Dans le septième chapitre, Aurora E Bewicke[12] propose de sortir des visions binaires traditionnelles dans le but d'aborder les problématiques entourant la mise en oeuvre de la Résolution 1325 de manière plus globale. Dans ce sens, Bewicke soutient que le fait de sortir des paradigmes traditionnels permet de mieux prendre en compte la multiplicité des identités que peuvent revêtir les femmes, en situation de conflit : victimes, oppresseurs, combattantes, etc. En somme, pour Bewicke, les réformes structurelles nécessaires à la pleine intégration des femmes au sein des processus de consolidation et de maintien de la paix doivent passer par l'abolition des cadres théoriques binaires par le biais desquels ces thématiques sont envisagées.

Dans le huitième chapitre, Onyinyechukwu Onyido[13] traite plus particulièrement de l'alinéa 8 b) de la Résolution 1325[14]. Bien qu'en théorie, l'alinéa 8 b) invite les États membres à adopter des mesures venant appuyer les initiatives de paix prises par des groupes locaux de femmes, Onyido révèle qu'elles demeurent bien souvent laissées de côté, sur le terrain. Onyido explore donc les différentes façons dont ce décalage s'articule concrètement en contexte post-conflit, à travers le cas pratique du Nigeria.

Dans le neuvième chapitre, Amanda Bennett[15] s'intéresse aux femmes qui militent actuellement pour la paix en Israël. À travers son analyse, Bennett révèle que les femmes qui obtiennent le plus de succès sont les femmes qui ne se réclament pas du féminisme, même si cela peut avoir pour conséquence de les limiter à des champs d'action bien spécifiques. Pour Benett, la Résolution 1325 ne doit pas simplement viser davantage d'inclusion, elle doit également viser à promouvoir le féminisme ainsi que la diversité des femmes prenant part aux processus de consolidation de la paix et de la sécurité.

Dans le dixième chapitre, Emmanuela C. Del Re[16] s'intéresse aux différents obstacles auxquels doivent faire face les femmes désirant s'impliquer dans les processus de consolidation de la paix, en Syrie. Les deux principaux obstacles relevés par l'analyse de Del Re résident à la fois dans la difficulté pour ces femmes à créer des réseaux stables dans la foulée des migrations de masse causées par le conflit et dans la difficulté pour les femmes de faire entendre leur voix au sein de la sphère politique syrienne. En somme, pour Del Re, le manque d'intégration des femmes dans les processus de paix représente un obstacle majeur à l'établissement d'accord de paix durables en Syrie.

Dans le onzième chapitre, Maria Hadjipavlou[17] et Olga Demetriou[18] s'intéressent au Groupes Consultatif sur le Genre, instauré en 2009, dans le but de d’intégrer l’égalité des sexes au processus de paix en Chypre. Hadjipavlou et Demetriou mettent de l'avant les différentes recommandations formulées par le Groupe, notamment en matière de gouvernance et de partage du pouvoir, de droits à la citoyenneté, de droits à la propriété et de droits économiques, sur la base des principes énoncés dans la Résolution 1325. Hadjipavlou et Demetriou soulignent d'ailleurs l'impact de ces recommandations : parmi celles-ci, les trois premières ont déjà été présentées aux négociateurs et à l'équipe des bons offices de l'ONU.

Dans le douzième chapitre, Mollie Pepper[19] explore les différents rôles des femmes racisées dans le développement, le maintien et la résolution de conflits en Birmanie/Myanmar. Pepper examine plus avant les obstacles à l'application de la Résolution 1325 en Birmanie/Myanmar ainsi que l'impact du nationalisme sur l'agentivité des femmes, de manière plus générale. Ainsi, Pepper théorise l'inclusion des femmes racisées en tant que composante clée afin de réaliser la pleine application de la Résolution 1325.

Dans le treizième chapitre Priscyll Anctil Avoine[20], Yuly Andrea Mejia Jerez[21] and Rachel Tillman[22] explorent le rôle des femmes dans le cadre du conflit armé entre le gouvernement et les divers groupes paramilitaires en Colombie. Avoine, Jerez et Tillman s'intéressent aux impacts de l'accord historique de La Havane, conclu entre le gouvernement colombien et les FARC-EP, après plus de six ans de conflit. Avoine, Jerez et Tillman abordent également les différents obstacles pratiques se dressant sur la route vers la paix en Colombie : les experts ont indiqué qu'entre 33% et 40% des membres de la guérilla sont des femmes. Toutefois, la plupart des processus de Démobilisation, Réintégration et Désarmement[23] ne mettent pas l'accent sur le genre dans leurs programmes. S'appuyant sur la théorie décoloniale, Avoine, Jerez et Tillman soutiennent que les femmes colombiennes ont depuis longtemps participé à la consolidation de la paix en dehors de l'extérieur des cadres politiques traditionnels et qu'il serait erroné d'analyser la participation des femmes à travers le seul prisme des négociations de La Havane.

Dans le quatorzième et dernier chapitre, Seema Shekhawat s'intéresse aux contraintes culturelles liées à l'implantation de la Résolution 1325, dans le contexte du Kashmir. Sekhawat démontre comment les a priori patriarcaux entravent la pleine participation des femmes aux processus de consolidation de la paix et de la sécurité. Dans ce sens, Shekhawat met en lumière les raisons profondes qui sous-tendent l'écartement systématique des femmes lors des négociations de paix formelles, au Kashmir.

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Alors que le féminisme semble vouloir prendre une place de plus en plus affirmée sur la scène internationale, ce collectif, dirigé par Seema Shekhawat, représente un apport remarquable à la littérature concernant l'intégration des femmes aux processus de consolidation de la paix. Les multitudes de perspectives abordées en font un ouvrage extrêmement riche, qui pave la voix en vue d'éventuelles réformes.

Ce collectif ce veut donc à la fois un éloge et une critique à la Résolution 1325. D'une part, il ressort des différentes thèses développées dans cet ouvrage que la Résolution 1325 est encore loin d'être complètement appliquée, en pratique. D'autre part, l'ensemble des auteur(e)s semblent reconnaître l'importance de la Résolution 1325 en tant que pilier de l'amélioration des conditions des femmes et de la résolution de conflits, à l'échelle internationale. Une étude réalisée en 2015 par O'Reilly, Suilleabhain et Paffenholz indique d'ailleurs qu'un accord de paix a 35% plus de chances de durer au moins quinze ans si les femmes font partie du processus global[24]. L'augmentation du nombre de femmes participant activement au sein des sphères civiles et politique sera-t-elle corrélative d'une diminution des conflits à l'échelle international?