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Le contexte de mondialisation constitue un défi de taille pour la diversité culturelle. Dans le préambule de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adoptée en 2003[1] et dans celui de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée en 2005[2], la crainte des processus de mondialisation y est explicitement formulée. La mondialisation culturelle transforme les conditions dans lesquelles les échanges et les interactions entre les sociétés et leurs cultures se réalisent[3]. La menace d’une homogénéisation des cultures a été un élément déterminant à la création des deux conventions.

L’ouvrage collectif intitulé Regards croisés sur la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été assemblé sous la direction de Véronique Guèvremont et d’Olivier Delas qui sont tous deux professeurs de droit à l’Université Laval. Véronique Guèvremont est titulaire de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, tandis qu’Olivier Delas est titulaire de la Chaire Jean Monnet en intégration européenne. Les multiples auteurs qui ont contribué à l’ouvrage sont des experts spécialisés dans divers champs de la culture et oeuvrant dans différents milieux. La diversité d’auteurs permet d’aborder plusieurs aspects du droit international de la culture s’orientant tous autour du même axe d’analyse soit celui des deux conventions. Plusieurs articles se retrouvant dans l’ouvrage collectif ont fait l’objet de contributions présentées lors du colloque international « Regards croisés sur le droit international de la culture. Interactions et chevauchements entre les conventions relatives au patrimoine culturel immatériel et à la diversité des expressions culturelles » qui a eu lieu en octobre 2012 à l’Université Laval[4]. Considérant que le patrimoine est constamment en mouvement et que notre société est en transformation perpétuelle, la littérature juridique portant sur le droit international de la culture doit tenir compte de ces caractéristiques particulières et les chercheurs doivent se faire d’autant plus attentifs aux changements.

L’objectif de cet ouvrage est de démontrer l’apport de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles au développement durable des sociétés et d’explorer les interactions de ces conventions avec d’autres instruments juridiques internationaux en matière de développement durable. Demeurant deux instruments juridiques indépendants, leur complémentarité est mise de l’avant. L’ouvrage contient tout d’abord une note introductive de la professeure Véronique Guèvremont[5] sur le potentiel d’interactions et de chevauchements entre les deux conventions. Ensuite, nous retrouvons un total de treize articles divisés en trois sections. La première section s’intitule « Les conventions relatives au patrimoine culturel immatériel et à la diversité des expressions culturelles », la deuxième se nomme « La contribution des Conventions de 2003 et de 2005 au développement durable des sociétés » et la troisième s’intitule « Les relations entre les Conventions de 2003 et de 2005 et les autres instruments juridiques internationaux ».

La première section débute avec une contribution de la professeure Leila Lankarani[6]. Cet article est consacré à la présentation de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. On y retrouve les éléments fondamentaux de cette convention soit la définition du patrimoine culturel immatériel, ce qui est inclus et exclu du domaine des éléments immatériels, les objectifs de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et ses organes. Cette présentation est nécessaire afin de bonifier la compréhension des articles composant l’ouvrage. L’auteure soulève également un élément novateur de la Convention qui est celui du critère de conformité du patrimoine culturel immatériel avec les droits de l’homme[7].

Le deuxième article de l’ouvrage met l’accent sur la Convention sur la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le professeur Ivan Bernier[8] nous démontre que cette convention est un outil qui a favorisé le développement d’un nouveau discours sur l’interface commerce/culture. La Convention a également largement contribué aux développements dans le champ général de la coopération qui ont, par conséquent, mené à l’accentuation des capacités culturelles des pays en développement[9]. Ivan Bernier nous expose les principes essentiels de la Convention et les conditions de sa mise en oeuvre au niveau institutionnel et au niveau des États. La connaissance de ces éléments est importante avant de poursuivre la lecture des articles subséquents.

La deuxième section débute avec un article de la chercheuse Lilian Richieri Hanania[10] qui traite des biens et des services culturels menacés. Les deux conventions prévoient des dispositions spécifiques pour des situations nécessitant une sauvegarde urgente. En mettant les conventions en parallèle lors de son analyse, l’auteure réussit à mettre de l’avant leur interdépendance tout en délimitant les situations de recours qui leur sont propres. On constate que la Convention sur la promotion de la diversité des expressions culturelles adopte une perspective de « vitalité » des cultures qui implique un caractère dynamique quand la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel opte pour la « viabilité » qui met l’accent sur la survie des expressions qui constituent le patrimoine culturel immatériel[11].

Le consultant en politiques culturelles et développement durable, Antoine Guibert[12], introduit le principe de soutien mutuel comme étant déjà bien présent dans le développement durable et qui gagnerait à être davantage mis en valeur dans les instruments de droit international de la culture. En plus d’avoir comme objectif la conciliation des dimensions économique, sociale, environnementale et culturelle du développement durable, le principe de soutien mutuel va encore plus loin en recherchant une synergie ainsi qu’un renforcement entre ces dimensions[13]. L’explication claire du principe ainsi que sa mise en relation fréquente avec les deux conventions permettent la fluidité de la lecture.

Julien Cazala[14], professeur de droit public à l’Université Paris XIII, débute son article en utilisant la première personne. La forme de l’oralité de cette introduction nous remet dans le contexte du colloque dans lequel cette communication a été présentée. On assiste à une légère rupture avec la forme de la majorité des articles assemblés dans l’ouvrage. Julien Cazala se questionne sur l’impact qu’aurait l’insertion du principe de précaution en droit international de la culture à l’intérieur duquel le principe est quasi inexistant. Une situation de précaution est caractérisée par l’incertitude de la communauté scientifique n’étant pas en mesure d’évaluer pleinement le risque possible de dommage[15]. De plus, une situation de précaution est soumise à des qualifications politiques, qualifications qui se veulent largement subjectives, et qui consistent à délimiter le principe de précaution en le renvoyant à un risque de dommage grave et/ou irréversible[16].

Ivana Otasevic[17], directrice adjointe de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles à l’Université Laval, traite du principe des responsabilités communes, mais différenciées, que l’on retrouve au sein des deux conventions de l’UNESCO. Ce principe vise à assurer un traitement favorable aux États qui n’ont pas suffisamment de capacités, que ce soit au niveau des moyens, des infrastructures ou des ressources, qui leur permettent d’assurer la sauvegarde de leur patrimoine culturel immatériel[18]. L’engagement d’un État dans l’assistance internationale dépend des moyens qu’il possède. Cette technique de différenciation favorise donc la participation universelle des États dans la poursuite d’objectifs communs[19].

La contribution de Geneviève Beaumont-Frenette[20] vise à mettre en évidence l’implication des acteurs non étatiques dans la mise en oeuvre des Conventions. La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel réserve une place importante aux communautés en les considérant comme étant porteuses et créatrices du patrimoine culturel immatériel, identificatrices du contenu du patrimoine culturel immatériel, partenaires des États pour la mise en oeuvre et destinataires de certains programmes[21]. La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles reconnait également le rôle fondamental de la société civile en possédant au sein de son texte deux mentions explicites et quelques mentions implicites à celle-ci[22]. En traitant dans un premier temps de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et dans un second temps de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la structure de l’article favorise l’attention optimale du lecteur sur chacune des Conventions.

Le dernier article de la section est une contribution du professeur Yves Bergeron[23]. Étant un chercheur en muséologie, l’auteur offre un apport diversifié qui est tout aussi pertinent en droit international de la culture. Cependant, l’utilisation de la première personne lors de l’introduction vient encore une fois rompre avec la forme générale de l’ouvrage. Cet article se veut davantage descriptif étant plutôt axé sur les différentes visions que l’Europe et l’Amérique entretiennent par rapport au patrimoine culturel immatériel. L’auteur soulève entre autres qu’il faudrait avant tout réussir à modifier les valeurs communes de la communauté muséale, dans laquelle le patrimoine matériel domine, afin que le patrimoine culturel immatériel puisse être pris en considération[24].

La troisième section est entamée par l’article du chercheur Antonios Vlassis[25] qui porte sur le rapport de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles avec les accords commerciaux. L’auteur opte pour une approche qui met l’accent sur le cheminement politique des deux conventions ainsi que sur les motivations des acteurs impliqués dans les enjeux[26]. Suivant la présentation du cadre théorique, l’illustration à l’aide d’exemples vient renforcer les propos de l’auteur.

La contribution de Kim Fontaine-Skronski[27] est une étude s’intéressant à l’impact des deux conventions sur les engagements de libéralisation qu’adoptent les États lors de leurs négociations commerciales[28]. L’article cherche à démontrer que, même si parmi une très grande majorité d’accords commerciaux aucune référence explicite aux conventions n’y ait faite, il existe des réserves portant sur le patrimoine culturel immatériel et la diversité des expressions culturelles dans les négociations commerciales de certains États[29]. Les tableaux insérés dans le texte et en annexe offrent un appui considérable permettant au lecteur de bien assimiler les éléments constituant l’étude présentée.

Géraud de Lassus Saint-Geniès[30] contribue à l’ouvrage en mettant en relation le système juridique du droit international de la culture et celui du droit international des changements climatiques. Cette approche est inévitable puisque la protection des cultures et la protection du climat sont des objectifs interdépendants. En effet, un environnement qui se trouve bouleversé par les changements climatiques peut mettre en péril le mode de vie traditionnel d’une communauté[31]. La culture, quant à elle, peut constituer un enjeu non négligeable dans la lutte contre les changements climatiques.

Portant sur le droit d’auteur en relation avec les expressions culturelles, la contribution de la professeure Sophie Verville[32] s’avère très technique en ce qui a trait aux notions du droit de la propriété intellectuelle. Cette multitude d’informations sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle peut amener le lecteur à perdre le fil conducteur. Par contre, pour un lecteur avisé, cette présentation étoffée accentue la richesse de l’article. La réponse du droit d’auteur aux questions propres au droit de la culture demeure restreinte puisque plusieurs obstacles importants existent entre les deux. Le champ d’intervention trop spécifique du droit d’auteur ainsi que ses limites temporelles démontrent que les éléments culturels représentés dans les deux conventions ne peuvent se contenter de la protection du droit d’auteur[33].

Finalement, le dernier article de l’ouvrage s’attarde plus particulièrement sur l’apport des traités européens dans le processus de construction d’un droit de la culture. La professeure Francette Fine[34] élabore son argumentaire autour de deux organisations internationales, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, qui cherchent toutes les deux à assurer la mise en valeur du patrimoine culturel européen tout en s’assurant également de le protéger face aux menaces du libre-échange provenant de l’extérieur. C’est lorsque l’auteure se penche sur la juridicisation de la diversité culturelle en droit européen que les deux conventions sont mises de l’avant et qu’il est spécifié que la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a officiellement intégré les sources de droit de l’Union européenne[35].

L’apport pertinent de chaque collaborateur fait de cet ouvrage un incontournable pour ceux qui s’intéressent au droit international de la culture. Les recherches qui y sont présentées sont exhaustives et détaillées. Dans les articles, nous retrouvons un nombre important de références en notes de bas de page qui amènent le lecteur à approfondir ses réflexions au-delà de la lecture de l’ouvrage. Tout en étant un ouvrage détaillé, les notions de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sont clairement présentées dans la première section de l’ouvrage et répétées dans la majorité des articles ce qui permet au lectorat peu familier avec le sujet de tout de même comprendre les problématiques présentées. Dans la littérature juridique, nous retrouvons souvent des ouvrages qui traitent soit du patrimoine culturel immatériel soit de la diversité des expressions culturelles. Cet ouvrage se distingue en combinant à merveille ces deux sujets qui sont au coeur du droit international de la culture tout en utilisant adroitement les deux conventions. En optant pour cette double approche, l’ouvrage constitue un apport considérable à la littérature juridique. Le choix des experts est une des forces de l’ouvrage puisque ces derniers, étant issus de divers milieux, permettent au lectorat d’avoir accès à des avenues moins explorées en droit international de la culture. Une faiblesse de l’ouvrage réside dans sa forme. Les articles constituant l’ouvrage auraient gagné à utiliser des chiffres ou des lettres afin de structurer davantage les sous-titres qui n’étaient différenciés que par l’utilisation de la saisie en gras et en italique. Une telle pratique aurait permis de mieux guider les lecteurs en leur fournissant des repères de structure logique. De plus, certains enjeux qui ont été peu abordés dans l’ouvrage, tel que le tourisme culturel ou la gestion des ressources culturelles, auraient été des enjeux pertinents à explorer davantage dans le contexte de développement durable. Somme toute, les codirecteurs de l’ouvrage ont su recueillir avec succès des articles inspirants offrant de nouvelles pistes de réflexions qui sont d’autant plus pertinentes dans un contexte où le patrimoine culturel nécessite un cadre normatif juridique qui assure sa protection tout en étant adapté à sa nature dynamique.