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Introduction

Les caractéristiques des systèmes d’information comptable de même que les pratiques de gestion nécessitant des éléments d’information comptable intéressent, depuis longtemps, les chercheurs en sciences comptables (Gordon et Miller, 1976; Merchant et Simons, 1986; Chendall et Morris, 1986; Abernethy et Guthrie, 1994; Van der Stede, 2000). Plusieurs études ont, en effet, porté sur l’identification des caractéristiques des systèmes d’information comptable pouvant favoriser une performance supérieure compte tenu des stratégies poursuivies par les entreprises, des spécificités de l’environnement dans lequel elles opèrent et de leurs pratiques de gestion. Malgré un nombre relativement important de travaux, les caractéristiques des systèmes d’information comptable des petites et moyennes entreprises ainsi que leurs pratiques de gestion sont encore peu connues. Ceci s’explique par le fait que la plupart des travaux effectués jusqu’à maintenant ont porté sur des échantillons composés de grandes entreprises et que la généralisation de ces travaux aux petites et moyennes entreprises peut s’avérer difficile dans plusieurs circonstances, pour ne pas dire impossible. Chacune de ces deux catégories d’entreprises a des caractéristiques qui lui sont propres. À titre d’exemple, la délégation de l’autorité dans une petite et moyenne entreprise est beaucoup moins importante que dans une grande entreprise. Dans le même ordre d’idées, les sommes consenties à la mise en place et au maintien des systèmes d’information comptable sont, en général, beaucoup moins importantes dans les petites et moyennes entreprises qu’elles ne le sont dans les grandes entreprises.

Bien que les caractéristiques des systèmes d’information comptable et les pratiques de gestion des petites et moyennes entreprises ne semblent pas avoir suscité autant d’intérêt chez les chercheurs en sciences comptables que celles des grandes entreprises, cela n’implique pas qu’elles sont moins importantes. Pour certaines économies, telles que celles des différentes provinces canadiennes, dont le Nouveau-Brunswick, les petites et moyennes entreprises représentent une portion importante du tissu industriel. À titre d’exemple, d’après l’Agence de promotion économique du Canada Atlantique (1998), 51,2 % des emplois occupés au Nouveau-Brunswick en 1995 étaient des emplois développés par des petites et moyennes entreprises. Pour l’ensemble du Canada, on parle d’un taux de 55,9 %. Aussi, de par l’importance qu’occupent les petites et moyennes entreprises dans certaines provinces et dans l’économie canadienne en général, les caractéristiques des systèmes d’information comptable et les pratiques de gestion de celles-ci apparaissent tout aussi importantes que celles des grandes entreprises et elles nécessitent d’être connues davantage. L’approfondissement de ces connaissances pourrait, entre autres, permettre d’améliorer les systèmes d’information et les pratiques en place de même que la formation dispensée pour l’utilisation de ceux-ci.

Le manque de connaissances entourant les systèmes d’information comptable et les pratiques de gestion des petites et moyennes entreprises se fait aussi sentir sur la formation dispensée aux étudiants et étudiantes en sciences comptables. La plupart des cours enseignés dans les programmes de baccalauréat en sciences comptables sont fortement étayés par des exemples de systèmes d’information comptable et des pratiques de gestion convenant à de grandes entreprises (Horngren et al., 2000; Hilton et al., 2000). Dans les manuels de classe, très peu d’exemples portent sur des petites et moyennes entreprises. Compte tenu de ce constat, peut-on affirmer que les étudiants gradués des programmes de baccalauréat en sciences comptables sont bien formés pour les cheminements de carrière que plusieurs d’entre eux auront ?

C’est dans cet ordre d’idées que la présente étude a été effectuée. L’un de ses objectifs est d’enquêter sur les caractéristiques des systèmes d’information comptable ainsi que sur les pratiques de gestion des petites et moyennes entreprises de la province du Nouveau-Brunswick. Ceci dans le but d’améliorer les connaissances entourant ces éléments et de traiter de ceux-ci dans les cours dispensés aux étudiants et étudiantes des programmes de baccalauréat en sciences comptables dont une grande proportion sont susceptibles d’avoir un cheminement de carrière au sein de petites et moyennes entreprises.

Le second objectif de l’étude est d’évaluer l’ampleur du recours aux éléments d’information comptables fournis par les systèmes et découlant des pratiques de gestion en place, lors de prises de décisions importantes. Certaines études tendent à démontrer que l’absence d’éléments d’information pertinents conduit les gestionnaires à avoir recours à l’intuition lors de leurs prises de décisions importantes (Burke et Miller, 1999; Khatri et Ng, 2000). Parallèlement à cette réalité, on argumente que les systèmes d’information comptable des petites et moyennes entreprises sont limités (Holmes et Nicholls, 1989; Marriott et Marriott, 2000) en raison des ressources disponibles pour procéder à leur implantation ou à leur maintien. Compte tenu de ces deux constats, il apparaît intéressant d’évaluer si les dirigeants des petites et moyennes entreprises ont recours à l’intuition pour compenser les limites de leurs systèmes d’information comptable de portée possiblement plus restreinte que ceux des grandes entreprises. L’évaluation de cette possibilité ajoutera, elle aussi, aux connaissances entourant l’adéquation des cours dispensés aux étudiants en sciences comptables au regard des besoins en information pour la prise de décision par les dirigeants.

L’étude présentera d’abord l’échantillon retenu de même que la méthodologie de recherche utilisée. Par la suite, les principaux résultats de l’enquête seront relevés.

Échantillon et méthodologie de recherche

1. Échantillon

L’échantillon retenu pour les fins de l’étude a été sélectionné à partir de la base de données Scott’s Directories Atlantic Industrial. Trois critères de sélection ont été élaborés compte tenu des objectifs de l’étude ou des contraintes de ressources. Le premier était de ne répertorier que les entreprises opérant dans les secteurs d’activités représentés par les codes NAICS compris entre 311111 et 339990 afin d’avoir un échantillon d’entreprises susceptibles d’avoir davantage recours à différents systèmes d’information comptable. À cet effet, les codes NAICS compris entre 311111 et 339990 représentent des entreprises ayant nécessairement des activités de fabrication (Statistique Canada, 1997). Le deuxième critère de sélection était que les entreprises sélectionnées devaient avoir entre 5 et 250 employés. Ceci dans le but de ne pas inclure dans l’étude les entreprises représentant des travailleurs indépendants et celles plutôt qualifiées de grandes entreprises. Finalement, les entreprises sélectionnées devaient avoir leur siège social au Nouveau-Brunswick. Ce critère de sélection visait à limiter la taille de l’échantillon. Au total, 888 entreprises incluses dans la base de données Scott’s Directories Atlantic Industrial répondaient à ces critères.

2. Méthodologie de recherche

La méthodologie de recherche utilisée est l’enquête. L’enquête semble appropriée lorsque les objectifs de l’étude sont de nature descriptive (Zikmund, 2000) et que l’échantillon d’observations peut être de taille relativement importante (Thiétart, 1999). Un questionnaire répondant à l’ensemble des objectifs de l’étude a été développé. Certaines questions ont été reprises des travaux antérieurs, notamment celles concernant le recours à l’intuition lors de prises de décisions importantes (Khatri et Ng, 2000), alors que d’autres ont été élaborées spécifiquement pour les objectifs de l’étude. L’annexe 1 présente les différentes questions posées dans le cadre de cette étude. À la suite de l’élaboration d’un questionnaire préliminaire, celui-ci a été prétesté auprès d’un groupe d’étudiants inscrits dans un programme de Maîtrise en administration des affaires (MBA) afin d’évaluer la compréhension des questions posées et la justesse du vocabulaire utilisé. Le questionnaire a, par la suite, aussi été révisé par des professeurs enseignant au niveau du baccalauréat et de la maîtrise en administration des affaires.

La collecte des données s’est effectuée par l’entremise d’interviews téléphoniques durant les mois de juin et de juillet 2001. L’interview téléphonique a été privilégiée comme stratégie de recherche afin de favoriser un taux de réponse élevé. Jusqu’à trois appels téléphoniques ont été effectués pour rejoindre les dirigeants des entreprises incluses dans l’échantillon. Les dirigeants des entreprises ont été visés comme répondants puisque ce sont eux qui sont davantage susceptibles de prendre des décisions importantes au sein des petites et moyennes entreprises et puisque l’on peut croire que ce sont eux qui définissent leurs besoins et qui attribuent les ressources au niveau de la mise en place des systèmes d’information comptable. Au total, 201 dirigeants ont accepté de participer à l’enquête, ce qui représente un taux de réponse de 23 %. Ce taux de réponse est comparable à ceux obtenus dans les études antérieures dont les sujets de l’étude étaient des dirigeants de petites et moyennes entreprises (Gul, 1991). Selon Asseal et Keon (1982), des taux de réponse relativement faibles peuvent survenir dans ce genre d’études en raison de contraintes de temps chez les sujets de l’étude. Des 201 questions répondues, 21 ne respectaient pas les critères de sélection de l’échantillon relatifs au nombre d’employés. Ils représentaient des entreprises qui avaient plus de 250 employés ou encore qui avaient moins de cinq employés[2]. Ces questionnaires ont donc été retirés de l’échantillon servant aux analyses statistiques. L’échantillon final était de ce fait composé de 180 sujets.

Résultats

1. Statistiques descriptives des répondants

Les statistiques descriptives relatives aux répondants et aux entreprises incluses dans l’échantillon se présentent comme suit : l’échantillon était composé de 81,7 % d’hommes et de 18,3 % de femmes. Environ neuf pour cent (8,9 %) des dirigeants interrogés avaient une formation académique de niveau primaire et élémentaire, 31,7 % de niveau secondaire, 24,4 % de niveau universitaire de premier cycle et 5 % avaient une formation de niveau universitaire de deuxième et troisième cycles. L’âge des répondants était, en moyenne, de 47,38 ans et ils travaillaient dans l’entreprise qu’ils dirigeaient depuis, en moyenne, 15,55 ans. En ce qui concerne les entreprises, celles-ci avaient, en moyenne, 32,43 employés et la distribution de leur chiffre d’affaires se présentait comme suit : 1,8 % avaient un chiffre d’affaires inférieur à 99 999 $, 5,3 % avaient un chiffre d’affaires se situant entre 100 000 $ et 249 999 $, 10,7 % entre 250 000 $ et 499 999 $, 17,8 % entre 500 000 $ et 999 999 $, 42,6 % entre 1 000 000 $ et 4 999 999 $, 9,5 % entre 5 000 000 $ et 9 999 999 $ et 12,4 % avaient un chiffre d’affaires de plus de 10 000 000 $.

2. Résultats

Les statistiques relatives à l’adoption de différents outils d’information comptable se présentent comme suit : 76,7 % des dirigeants interrogés avaient mis en place un système budgétaire, 38 % un système d’information qui recueille des éléments d’information de nature non-financière, tels que des taux de rejets, le nombre d’accidents du travail, les délais moyens de production, etc. et 81,1 % ont déclaré avoir mis en place un système de coût de revient. Ce taux de mise en place d’un système de coût de revient apparaît relativement élevé. Il s’explique toutefois par la nature des entreprises visées par l’étude. Rappelons que l’un des critères de sélection était qu’elles devaient avoir des activités de fabrication. De plus, en ce qui concerne les systèmes d’information qui recueillent des éléments d’information non-financière, bien que seulement 38 % des répondants ont déclaré posséder un tel système, 63 % de ceux-ci ont déclaré utiliser des éléments d’information de nature non-financière dans leurs prises de décisions importantes.

Quant aux types de systèmes de coût de revient utilisés par les entreprises incluses dans l’échantillon de l’étude, la majorité des répondants (73 %) utilisent des systèmes de coût de revient basés sur les coûts réels, 16 % utilisent des systèmes de coût de revient standard et 20 % utilisent des systèmes de coût de revient basés sur une analyse des activités. 3 % des répondants ne savaient pas le type de système de coût de revient qu’ils utilisaient.

Si l’on se penche maintenant sur les caractéristiques des systèmes de production, 76,10 % des répondants fabriquent sur commande, 32,80 % ont un mode de fabrication par lots et seulement 16,10 % ont un mode de fabrication continue.

Les statistiques descriptives relatives à différentes pratiques de gestion nécessitant des éléments d’information comptable se présentent comme suit. Plus de 55 % (55,6 %) des répondants ont déclaré avoir eu recours, durant les trois dernières années, à des analyses du seuil de rentabilité pour certains de leurs produits. Près de 81 % (80,60 %) des répondants ont déclaré avoir implanté un système de gestion de la qualité pour leurs produits et 44 % ont mentionné avoir mis en place un système de bonification pour leurs cadres alors que 46 % ont mentionné avoir mis en place un tel système pour leurs employés. Enfin, 42,20 % des sujets de l’étude ont déclaré posséder un système de gestion des inventaires informatisé. Pourtant, 69,4 % des répondants ont également déclaré que leur entreprise avait un niveau d’inventaire important.

En ce qui concerne les caractéristiques des systèmes informatisés de gestion des inventaires des 42,20 % des répondants ayant déclaré que leur entreprise possédait un système informatisé de gestion des inventaires, 86,8 % ont déclaré que les stocks de matières premières étaient enregistrés dans ce système et 86,6 % ont déclaré que les stocks de produits finis étaient enregistrés dans ce système. Du reste, 11,8 % des 42,20 % des répondants ont relevé que leur entreprise possédait un système informatisé de planification des besoins de matières premières.

Finalement, notons que 43,3 % des entreprises interrogées avaient parmi leurs employés un comptable à temps plein.

En ce qui concerne le recours par les dirigeants aux éléments d’information comptables fournis par les systèmes d’information lors de prises de décisions importantes, les résultats semblent démontrer que les dirigeants ont recours à l’intuition mais qu’ils ont quand même besoin d’information pour leurs prises de décisions importantes concernant leurs entreprises. Trois questions découlant des travaux de Khatri et Ng (2000) ont été posées à cet effet et les résultats sont les suivants. La première de ces questions demandait aux répondants dans quelle mesure ils se fiaient uniquement à leur jugement dans leurs prises de décisions importantes concernant leur entreprise. Sur une échelle allant de 1 (peu souvent) à 7 (très souvent), la moyenne des réponses obtenues a été de 5,08. La deuxième question demandait aux répondants d’évaluer l’importance accordée à leurs expériences passées dans leurs prises de décisions importantes concernant leur entreprise. La moyenne des réponses obtenues sur une échelle allant de 1 (peu important) à 7 (très important) a été de 5,78. Finalement, toujours sur une échelle allant de 1 (peu souvent) à 7 (très souvent), la moyenne des réponses obtenues a été de 3,62 pour la troisième question qui se présentait comme suit : arrive-t-il souvent que vous n’ayez pas l’information appropriée et que vous preniez des décisions importantes concernant votre entreprise basées uniquement sur votre intuition (feeling) ? Tout comme dans le cadre de l’étude de Khatri et Ng (2000), les deux premières questions s’attardaient à deux facettes importantes de l’intuition, soit le jugement et les expériences passées (Simon, 1997; Bunge, 1975; Prietula et Simon, 1989). Les moyennes des résultats obtenus à ces deux premières questions apparaissent relativement plus élevées que celle des résultats obtenus à la troisième question et qui s’intéressait plutôt à la disponibilité des éléments d’information pertinents pour la prise de décision. Globalement, ces résultats permettent de conclure qu’il semble effectivement que les dirigeants des petites et moyennes entreprises du Nouveau-Brunswick, tout comme ceux des grandes entreprises, ont recours à l’intuition lors de prises de décisions importantes, mais que ces comportements ne semblent toutefois pas uniquement attribuables au manque d’éléments d’information pouvant appuyer leurs prises de décisions.

Quant à la question de savoir si l’on devait enseigner des cours d’intuition dans les programmes de baccalauréat en sciences comptables, la réponse a pour l’instant une connotation négative, si l’interprétation de celle-ci est à l’effet que l’intuition pourrait compenser certains besoins d’information comptable. Bien que le recours à l’intuition dans les prises de décisions importantes semble bien réel auprès des dirigeants des petites et moyennes entreprises du Nouveau-Brunswick et que, à ce titre, des efforts pourraient être déployés pour essayer de développer ce trait de personnalité dans le cadre des programmes de baccalauréat en administration des affaires, le besoin de prise en compte de ce trait de personnalité ne semble pas créé par les lacunes des systèmes d’information comptable utilisés par les petites et moyennes entreprises du Nouveau-Brunswick.

Conclusion

L’étude poursuivait deux objectifs. D’une part, enquêter sur les caractéristiques des systèmes d’information comptable de même que sur les dirigeants des petites et moyennes entreprises et, d’autre part, évaluer l’ampleur du recours aux éléments d’information fournis par ces systèmes. Contrairement aux attentes initiales, les résultats de l’étude tendent à démontrer que les systèmes d’information comptables et que les pratiques de gestion des petites et moyennes entreprises du Nouveau-Brunswick sont relativement élaborés. Plus de 75 % des entreprises incluses dans l’échantillon possèdent un système budgétaire, plus de 80 % un système de coût de revient et plus de 40 % ont mis en place des systèmes de bonification de leurs cadres ou de leurs employés. Soulignons, de plus, que 80 % des dirigeants interrogés ont déclaré que leur entreprise avait mis en place un système de gestion de la qualité.

À la question de savoir si le manque de ressources pouvant être allouées à l’élaboration et au maintien de systèmes d’information comptable pouvait amener les dirigeants interrogés à avoir davantage recours à leur intuition lors de prises de décisions importantes, les résultats de l’étude semblent démontrer que les dirigeants de petites et moyennes entreprises ont fréquemment recours à l’intuition lors de prises de décision importantes, mais que ces comportements ne semblent toutefois pas uniquement attribuables au manque d’éléments d’information pouvant soutenir leurs prises de décisions. Cela dit, la question mérite peut-être d’être explorée davantage. La prise en compte de certains facteurs contextuels, tels que les stratégies poursuivies par les entreprises, le sexe des dirigeants, la taille des entreprises, etc. pourrait éventuellement constituer des avenues de recherche prometteuses. Celles-ci permettraient d’approfondir les connaissances entourant les prédispositions des entreprises qui façonnent les besoins de formation des étudiants et étudiantes. Rappelons, que ces étudiants et étudiantes deviendront les experts-comptables et les dirigeants de demain.