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La violence est un phénomène social qui attire l’attention des chercheurs en psychologie depuis plusieurs décennies. Afin d’en faciliter la compréhension, il est important de définir le concept de la violence et de distinguer la violence intraconjugale de la violence extraconjugale. Les deux types de violence se décrivent par des stratégies de contrôle ou de domination qui portent atteinte à la sécurité, à la dignité, à l’intégrité physique, psychique ou morale d’une personne. La violence intraconjugale est dirigée vers un partenaire amoureux tandis que la violence extraconjugale est dirigée vers tout autre individu.

Certains auteurs ont observé des motivations sous-jacentes aux comportements violents. Ross et Babcock (2009) présentent deux sous-types de violence soit la violence réactive et la violence proactive. Le premier type se définit par des gestes de violence plus impulsifs, non planifiés, hostiles, motivés par de la colère et souvent en réponse à une provocation perçue (Bushman et Anderson, 2001). Le deuxième type se définit plutôt par un besoin de contrôle à exercer, une violence instrumentale et préméditée. Ces gestes de violence ne sont pas posés en réponse à une provocation ou à de la colère (Ramirez et Andreu, 2003).

Des études ont aussi tenté de comprendre ce qui incite à commettre des gestes de violence (Whittington et Richter, 2006). Ainsi, il a été reconnu que diverses causes biologiques, psychologiques, sociales, environnementales pouvaient être reliées aux comportements violents (Whittington et Richter, 2006 ; Shaver et Mikulincer, 2011). Ces études ont permis de mieux comprendre l’interaction entre certaines variables prédisposant un individu à la violence, entre autres, la présence de troubles de personnalité (Berman et al., 1998 ; Fountoulakis et al., 2008 ; Mauricio et al., 2007) et la consommation de substances psychoactives (Boles et Miotto, 2003). Le trouble d’attachement a aussi attiré l’attention des chercheurs pour comprendre la présence de violence au sein des couples (Bartholomew et al., 2001 ; Dutton et al., 1994). Le trouble d’attachement se manifeste par un désordre au niveau comportemental, des émotions et des interactions sociales à la suite d’un attachement inadéquat, c’est-à-dire que la figure d’attachement n’a pas répondu ou répondait inadéquatement aux besoins de l’enfant (Bartholomew et al., 2001). Ces chercheurs (Bartholomew et al., 2001 ; Dutton et al., 1994) ont démontré l’existence d’une relation entre le trouble de l’attachement, le trouble de la personnalité et la manifestation de comportements violents. Cependant, le style d’attachement et les troubles de personnalité ont rarement été mis en relation dans un contexte de violence interpersonnelle. Le trouble de l’attachement a principalement été mis en lien avec le phénomène de violence intraconjugale (Allison et al., 2008 ; Bartholomew et Allison 2006) tandis que la présence de troubles de personnalité a davantage été liée à la violence extraconjugale (Fountoulakis et al., 2008). Il est pertinent de vérifier l’influence du style d’attachement d’un individu qui a recours à la violence de type réactive puisqu’il y a lieu de croire que ces individus ont des difficultés relationnelles dans toutes les sphères de leur vie.

Pour vérifier ces liens, nous présentons une synthèse des écrits sur ces variables en identifiant d’abord les études sur les troubles de personnalité en lien avec les comportements violents ; nous abordons ensuite les théories sur l’attachement et la relation entre l’attachement et les comportements violents, la relation entre le style d’attachement et les comportements violents. En conclusion, nous discutons de la relation entre les troubles de la personnalité, le style d’attachement et les comportements violents chez les individus commettant des gestes de violence dans un contexte autre que conjugal.

Méthodologie

Cette synthèse des écrits, bien que non exhaustive, a été effectuée en employant PsychInfo et Medline, deux bases de données très utilisées en psychologie. Nous avons inclus les études et les documents pertinents qui portent sur les trois variables à l’étude : les troubles de personnalité, les troubles de l’attachement et la violence. De plus, nous nous sommes attardés aux travaux qui mettent ces variables en relation.

Troubles de personnalité et violence

La personnalité peut se définir comme l’ensemble organisé des caractéristiques psychiques (Bouchard et Gingras, 2007), des comportements et des aptitudes d’une personne. Un aspect important de l’étude de la personnalité est la compréhension du développement des personnalités pathologiques. Le DSM-IV-TR offre une définition générale de chacun des dix troubles de personnalité (APA, 2000). Ces troubles sont décrits à l’aide de caractéristiques spécifiques, entre autres par la façon qu’a un individu de penser, de se comporter et de se sentir (APA, 2000) qui diffère significativement de la population générale. En effet, l’individu aux prises avec un trouble de personnalité se conduit d’une manière qui dévie considérablement de ce qui est attendu en société (APA, 2000). Ces conduites sont déjà présentes à l’adolescence ou au début de l’âge adulte et peuvent demeurer stables dans le temps. Ces conduites sont rigides, chroniques et envahissantes, c’est-à-dire qu’elles influencent diverses sphères de leur vie (travail, relations, famille) (APA, 2000 ; Durand et Barlow, 2002). Cette façon de penser et de se comporter entraîne une souffrance significative (Durand et Barlow, 2002). Zimmerman et al. (2005) rapportent que la majorité des personnes avec un trouble de personnalité sont aussi susceptibles de répondre à un ou des critères d’un autre trouble de personnalité. Le chevauchement des divers troubles s’expliquerait entre autres par la présence des traits de personnalité similaires dans les dix troubles présentés dans le DSM-IV-TR.

La violence interpersonnelle physique est définie par la commission de gestes d’agression posés par un être humain envers un autre. Ce phénomène constitue un des problèmes sociaux les plus importants (Fountoulakis et al., 2008) et a largement été étudié dans les dernières années afin de mieux comprendre et expliquer la relation entre les diverses variables qui influencent le passage à l’acte.

Un consensus existe chez les professionnels en santé mentale quant à la reconnaissance de la propension à commettre des gestes violents chez certaines personnes souffrant d’un trouble de personnalité (Fountoulakis et al., 2008 ; Gilbert et Daffern, 2011). En effet, plusieurs études sur des contrevenants violents ont démontré que le taux de troubles de personnalité chez ces individus était très élevé (Watzke et al., 2006). D’autres recherches sur les troubles de personnalité ont démontré un taux de violence plus élevé chez ces individus (McMurran et Howard, 2009). Les comportements violents font même partie des critères diagnostiques de certains troubles de personnalité décrits par le DSM IV-TR (APA, 2000). Les personnalités de types antisociale, borderline, schizoïde, narcissique, histrionique et paranoïaque sont liées aux comportements violents (APA, 2000 ; Nathan et al., 2003 ; Tardiff, 2001). Selon le DSM-IV-TR, les personnalités antisociales démontrent une indifférence importante envers les règles sociales et les droits des autres, ce qui les rend particulièrement susceptibles au passage à l’acte violent (APA, 2000 ; Tardiff, 2001). Les personnalités borderlines sont caractérisées par une instabilité marquée aux plans des relations interpersonnelles, de l’image personnelle et des affects. Elles peuvent aussi présenter une impulsivité marquée, incluant des comportements violents (APA, 2000 ; Tardiff, 2001). Les personnalités de type schizoïde sont caractérisées par un détachement dans les relations sociales ainsi qu’une pauvreté des expressions émotives. Dans certaines situations, les personnalités schizoïdes peuvent manifester des comportements violents (APA, 2000 ; Tardiff, 2001). Les personnalités narcissiques ont un besoin important d’attention ainsi qu’un côté très grandiose. De plus, elles sont caractérisées par un besoin important d’être admirées et démontrent un manque d’empathie. Elles peuvent manifester des comportements violents sévères lorsqu’elles ne reçoivent pas l’attention ou l’admiration qu’elles croient mériter (APA, 2000 ; Tardiff, 2001). Les personnalités histrioniques ont également un besoin envahissant et excessif d’attention. Lorsque ce besoin n’est pas satisfait, elles ont tendance à démontrer des réponses émotionnelles excessives, incluant de la violence interpersonnelle, cependant moins sévère que celle des autres troubles de personnalité (APA, 2000 ; Tardiff, 2001). Finalement, les personnalités paranoïaques sont caractérisées par une méfiance à l’égard des autres. En effet, ces personnes interprètent les intentions des autres comme étant malveillantes. Elles n’ont pas l’habitude d’avoir des comportements violents ; par contre, lorsqu’elles commettent des gestes violents, ils sont parfois extrêmes (APA, 2000 ; Tardiff, 2001).

Afin d’approfondir la compréhension du lien entre les troubles de personnalité et les comportements violents, des études ont été menées dans des milieux carcéraux (Moran, 1999), psychiatriques (Stupperich et al., 2009) et communautaires (Coidet al., 2006 ; Johnson et al., 2000). Les résultats similaires obtenus dans ces divers milieux ont permis de confirmer que la relation entre ces troubles de personnalité et les comportements violents est présente dans ces diverses populations (Berman et al., 1998 ; Blonigen et Krueger, 2007 ; Fountoulakis et al., 2008 ; Loza, 2003 ; Loza et Hanna, 2006 ; Tardiff, 2001 ; Widiger et Trull, 1994).

D’autres études ont permis de constater que des facteurs comme la consommation de substances psychoactives, les abus dans l’enfance, le fait d’avoir évolué dans un milieu criminel en bas âge peuvent solidifier le lien entre les comportements violents et les troubles de personnalité (Fountoulakis et al., 2008 ; Friedmann et al., 2008 ; Goethals et al., 2008). Le style d’attachement constitue une autre variable qui semble liée aux comportements violents et au trouble de personnalité.

Attachement et violence

Les théories de l’attachement ont été élaborées selon la prémisse que chaque être humain possède une orientation innée vers la vie sociale (Rholes et Simpson, 2004). Certains auteurs se sont intéressés au phénomène de l’attachement, plus particulièrement Bowlby qui a présenté les concepts de base de la théorie de l’attachement tandis qu’Ainsworth a développé un instrument de mesure des différents styles d’attachement (Ainsworth et al., 1978 ; Bowlby, 1969 ; Bretherton, 1994). Bowlby (1969) a affirmé que les relations d’attachement débutent dès la naissance et se maintiennent tout au long de la vie. Les trois premières années sont très importantes dans le développement du style d’attachement. Bowlby (1969) a défini l’attachement comme étant un besoin primaire et vital de l’enfant pour se sentir en sécurité. L’enfant créera un lien d’attachement avec la personne qui prendra soin de lui, le rassurera et le protégera. Ainsi, la mère est identifiée comme étant la figure principale d’attachement compte tenu qu’elle répond habituellement à ce genre de besoins (Bowlby, 1969). Pour satisfaire leurs besoins d’attachement, les enfants adopteront des comportements leur permettant d’attirer l’attention de leur figure d’attachement. Ainsi, cette dernière pourra répondre aux besoins exprimés par l’enfant (Bowlby, 1969). Ces comportements, nommés comportements d’attachement, sont des actions entreprises par l’enfant pour être sécurisé lorsqu’il vit du stress ou qu’il perçoit un danger. Ces comportements permettent un rapprochement psychologique et physique de l’enfant à sa figure d’attachement (Ravitz et al., 2009 ; Rholes et Simpson, 2004).

Ce ne sont pas tous les liens d’attachement qui sont identiques (Rholes et Simpson, 2004) et divers styles d’attachement peuvent se développer selon la réponse de la figure d’attachement envers les comportements de l’enfant (Ainsworth et al., 1978). Ces styles d’attachement se caractérisent par deux variables : la croyance qu’a l’individu de mériter ou non l’attention et l’amour des autres et sa croyance que les autres sont dignes ou non de confiance (Bowlby, 1980). Bowlby mentionne aussi que la qualité et la nature du lien de l’enfant avec sa figure d’attachement influencent le développement de sa personnalité ainsi que la formation des représentations cognitives à la fois positives ou négatives qu’il aura de lui-même et des autres (Bowlby, 1980). Ainsworth a décrit trois styles d’attachement : sécurisant, anxieux/ambivalent et évitant (Ainsworth et al., 1978). Le style d’attachement sécurisant se définit par la relation entre l’enfant et la figure d’attachement où cette dernière écoute et répond aux besoins de l’enfant. Ces enfants ont tendance à mieux réagir lors de situations de détresse (Campos et al., 1983) et utilisent des comportements plus appropriés pour obtenir le réconfort désiré. L’interaction entre la figure d’attachement et l’enfant est harmonieuse donc plus positive (Noël, 2003). Le style anxieux/ambivalent se développe dans un contexte où la figure d’attachement est elle-même une personne anxieuse et pas toujours disponible pour répondre aux besoins de l’enfant. L’ambivalence de la figure d’attachement a comme résultat de rendre l’enfant anxieux (Campos et al., 1983). L’enfant lui-même démontrera une certaine ambivalence quant à sa figure d’attachement. Finalement, le style d’attachement évitant se définit par une figure d’attachement qui ne répond pas aux besoins de l’enfant. Elle peut même rejeter littéralement l’enfant (Campos et al., 1983). L’enfant, à son tour, va éviter la proximité et l’interaction avec la figure d’attachement (Noël, 2003).

Il est important de mentionner que la terminologie des styles d’attachement à l’âge adulte diffère légèrement de ceux à l’enfance. La plupart des chercheurs se basent sur deux dimensions importantes pour définir les styles d’attachement à l’âge adulte soit l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité (Hazan et Shaver, 1987). Quatre styles d’attachement sont répertoriés : sécurisant, préoccupé, détaché et craintif. Par contre, nous retrouvons dans la littérature certaines variantes dans la nomenclature des styles d’attachement sans toutefois qu’il y ait des différences significatives dans la définition.

Les théories de l’attachement ont été le point central de diverses études sur les enfants et les adultes (Ainsworth et al., 1978 ; Collins et Read, 1994 ; Crowell et al., 1999 ; Dozier et al., 1999 ; Thompson, 1999). Ces études ont permis de mieux comprendre le phénomène de l’attachement et son impact sur les individus. Le style d’attachement influence, entre autres, le fonctionnement social, les stratégies d’adaptation et la santé psychologique d’une personne (Ditzen et al., 2008 ; Maunder et al., 2005 ; Rholes et Simpson, 2004). Il est donc pertinent de vérifier le rôle du style d’attachement dans le développement de la personnalité d’un individu et dans l’adoption de certains comportements, dont les comportements violents.

Bowlby (1969) affirme que les enfants qui n’obtiennent pas le réconfort ou les réponses appropriées à leurs besoins vivront une perturbation au niveau de leur style d’attachement. Inévitablement, les menaces d’inaccessibilité à la figure d’attachement amènent l’enfant à vivre une anxiété pouvant déclencher des comportements de protestation (Bowlby, 1969). Bowlby (1988) constate que les comportements de colère sont une façon pour les enfants de démontrer à leur figure d’attachement l’insatisfaction qu’ils ressentent face à leur non-disponibilité.

Ces comportements d’attachement, généralement stables à travers le temps, permettront de définir les styles d’attachement qu’un individu aura à l’âge adulte (Hazan et Shaver, 1990 ; Ravitz et al., 2009). Les individus qui ont vécu des frustrations au niveau de leur lien d’attachement et qui sont vulnérables au sentiment de perte de la figure d’attachement pourraient se comporter violemment à l’âge adulte afin de garder les autres près d’eux (Bartholomew et al., 1997). En effet, il a été démontré que les enfants qui ont vécu des frustrations de façon répétitive ou un besoin d’attachement non satisfait pourront avoir des difficultés à entretenir des relations affectives significatives à l’âge adulte (Noël, 2003). Noël (2003) rapporte que les enfants ayant employé les protestations de colère, voire de violence, pour obtenir une réaction de la part de leur figure d’attachement pourraient avoir un faible contrôle de leurs impulsions et une difficulté à ressentir des remords. Des personnes avec un style d’attachement anxieux/ambivalent ou évitant pourront cesser de croire que quelqu’un répondra à leurs besoins et auront tendance à développer des relations intimes dysfonctionnelles et une incapacité à s’engager dans des relations, car toute relation comporte un risque d’abandon pour eux (Steinhauer, 1996).

La relation entre l’attachement et la violence a surtout été étudiée sous l’angle de la violence conjugale puisque la partenaire sexuelle est choisie comme figure d’attachement ; elle succède à la relation d’attachement vécue entre l’individu et ses parents durant l’enfance (Dutton et al., 1994). Une relation significative entre le style d’attachement anxieux/ambivalent ou évitant et les comportements violents en milieu conjugal a été démontrée (Allison et al., 2008 ; Bartholomew et Allison, 2006 ; Doumas et al., 2008 ; Henderson et al., 2005 ; Lawson, 2008 ; Levy et Orlans, 2004 ; Mauricio et al., 2007 ; Pietromonaco et al., 2004). Plus précisément, le style d’attachement craintif est significativement lié avec le passage à l’acte violent dans un couple (Brassard et Lussier, 2009). Ces personnes vivent une double problématique ; en effet, il s’agit d’individus inconfortables dans les relations intimes, qui tentent de tenir leur partenaire à distance, mais qui ont également un grand besoin de se faire rassurer (Mikulincer et Shaver, 2007). Il y a lieu de se demander si cette relation est aussi présente chez les individus qui posent des gestes violents dans un contexte hors conjugal.

Peu d’études ont fait le parallèle entre le style d’attachement et la violence interpersonnelle à l’âge adulte. Certaines ont considéré ces mêmes variables auprès des enfants et des adolescents (Levy et Orlans, 2000). Une relation a été établie entre un trouble de l’attachement et l’agressivité ainsi que des troubles de conduites à l’enfance (Levy et Orlans, 2000). De plus, il a été démontré qu’un attachement dysfonctionnel en bas âge contribue aux crimes violents commis par des jeunes (Levy et al., 2005). Les garçons avec un trouble d’attachement vont commettre trois fois plus de crimes violents à l’adolescence que ceux qui ont un style d’attachement sécurisant (Raine, 1993).

Des études longitudinales réalisées auprès d’enfants démontrent la stabilité des caractéristiques des personnalités pathologiques et des comportements violents (Moffitt et al., 2002). Cette constatation souligne l’importance de s’attarder aux liens entre les traits de personnalité, l’attachement et la violence observés en bas âge afin de pouvoir prévenir que ces gestes se perpétuent à l’âge adulte.

Styles d’attachement, troubles de personnalité et violence extraconjugale

Dix troubles de personnalité sont répertoriés dans le DSM IV-TR : antisociale, borderline, narcissique, histrionique, évitante, dépendante, obsessionnelle, paranoïaque, schizoïde et schizotypique (APA, 2000). Le DSM IV-TR permet d’établir un lien entre les troubles de la personnalité et le trouble de l’attachement. Effectivement, dans la définition de plusieurs troubles de personnalité, la difficulté d’avoir des relations affectives stables et fonctionnelles est un critère (APA, 2000).

Une personne avec un trouble de personnalité, par exemple la personnalité borderline, schizoïde, antisociale, histrionique, aurait tendance à avoir des difficultés relationnelles, et ce, depuis l’enfance ou l’adolescence (APA, 2000 ; Magnavita, 2004 ; West et al., 1994). Certains troubles de la personnalité sont généralement liés à un style d’attachement : les personnalités du groupe A (schizoïde, schizotypique et paranoïaque) sont associées au type d’attachement évitant tandis que les personnalités du groupe B (antisociale, histrionique, borderline et narcissique) et celles du groupe C (évitante, dépendante et obsessionnelle) sont associées au type d’attachement anxieux (Bartholomew et al., 2001 ; Bender et al., 2001 ; Crawford et al., 2007 ; Gunderson, 1996 ; Levy et Orlans, 2004 ; Magnavita, 2004 ; Mauricio et al., 2007 ; Sable, 1997 ; Scott et al., 2009 ; Timmerman et Emmelkamp, 2006).

Rappelons brièvement que les personnalités histrioniques se caractérisent par un besoin désespéré d’obtenir de l’attention et d’être rassurées par les autres. Ces personnes ont tendance à avoir un attachement de type anxieux/ambivalent (Bartholomew et al., 2001) puisqu’elles vont souvent surestimer leurs relations et même les idéaliser. Par contre, leurs relations interpersonnelles ne répondront pas à leurs attentes surélevées.

La personnalité borderline se caractérise par une instabilité affective, relationnelle et de l’image de soi en plus d’une impulsivité marquée (APA, 2000 ; Oldham, 1991). Les styles d’attachement anxieux (Aaronson et al., 2006 ; Dutton et al., 1994 ; Eurelings-Bontekoe et al., 2003 ; Levy et al., 2005 ; Meyer et al., 2001 ; Nickell et al., 2002) et évitant sont présents chez la personnalité borderline (Bender et al., 2001 ; Eurelings-Bontekoe et al., 2003 ; Fonagy et al., 2000 ; Gunderson, 1996 ; Levy et al., 2005 ; Meyer et al., 2001 ; Nickell et al., 2002 ; Sable, 1997 ; Sperling et al., 1991). De plus, certains auteurs ont affirmé que la relation entre le style d’attachement et le trouble de personnalité borderline est une relation indirecte, c’est-à-dire qu’il y aurait présence d’une variable médiatrice, entre autres, la présence de traits agressifs et impulsifs chez certains individus (Fossati et al., 2005).

Les personnalités de type évitant souhaitent se rapprocher des autres et désirent une relation intime tout en ayant peur d’être rejetées. Elles ont donc tendance à agir de façon stratégique afin d’éviter les relations intimes (Bartholomew et al., 2001). La personnalité de type évitant serait, pour sa part, liée aux types d’attachement évitant (Bartholomew et al., 2001).

Finalement, la personnalité antisociale est caractérisée par un manque de remords et d’empathie à l’égard des autres. Ce type de personne a peu de respect des règles sociales et a tendance à tromper les autres par plaisir ou par intérêt personnel. La personnalité antisociale serait liée au type d’attachement évitant (Bartholomew et al., 2001 ; Levy et Orleans, 2004).

Des études longitudinales vont dans le même sens, suggérant que le style d’attachement insécurisant en bas âge influence le développement des traits de personnalité une fois adulte (Hagekull et Bohlin, 2003 ; Stams et al., 2002). Sarkar et Adshead (2006) rapportent que les personnes avec un trouble de personnalité ont des réponses désorganisées dans les relations interpersonnelles et un système affectif déréglé.

Le fait d’utiliser la théorie de l’attachement pour expliquer la présence des troubles de personnalité permet de comprendre davantage l’univers psychique des individus avec ces problématiques (Nakashi-Eisikovits et al., 2002). La théorie de l’attachement permet aussi de comprendre comment les relations interpersonnelles en bas âge influencent le développement de la personnalité et le fonctionnement psychosocial futur (Bowlby, 1988 ; Meyer et Pilkonis, 2006). Tel que mentionné précédemment, les enfants avec un trouble de l’attachement ont plus de chances de développer de l’agressivité ainsi qu’un trouble des conduites (Levy et Orlans, 2000). Ils utilisent cette agressivité pour obtenir l’attention de leur figure d’attachement (Levy et Orlans, 2000). Considérant qu’ils n’ont pas une réponse adéquate à leur besoin, ces comportements de colère ou de protestation auront tendance à s’amplifier. Ces enfants pourront donc avoir tendance à commettre des actes de violence à l’enfance et à l’âge adulte (Levy et Orlans, 2004).

Discussion

Cette recension des écrits démontre l’importance de poursuivre les études sur les liens entre les troubles de personnalité, les troubles d’attachement et les comportements violents. Diverses études ont permis de définir les troubles de personnalité, les styles d’attachement afin de mieux comprendre la relation existante entre ces deux variables et les comportements violents (Fountoulakis et al., 2008 ; Henderson et al., 2005 ; Levy et al., 2005 ; Levy et Orlans, 2000 ; Mauricio et al., 2007). Ces recherches ont permis d’émettre l’hypothèse que le style d’attachement anxieux/ambivalent ou évitant et certains troubles de personnalité tels que la personnalité antisociale, borderline, schizoïde, paranoïaque, narcissique ou histrionique favorisent le passage à l’acte violent à l’âge adulte. Par contre, cette hypothèse devrait être vérifiée empiriquement. Nous savons aussi que cette relation a davantage été étudiée dans un contexte de violence conjugale (Mauricio et al., 2007). Qu’en est-il de cette relation chez les hommes qui sont violents dans un contexte autre que conjugal ?

Compte tenu que la relation entre ces facteurs et les comportements violents n’est pas encore claire, nous suggérons que des études longitudinales soient effectuées auprès d’enfants en bas âge pour permettre d’identifier les traits associés aux troubles de personnalité développés à l’âge adulte et les comportements violents perpétrés par ces enfants. Les données de ces études pourront éventuellement servir à l’élaboration d’interventions cliniques.

En considérant la théorie de l’attachement, le fonctionnement psychosocial futur de chaque individu pourrait être mieux compris et permettrait d’agir en prévention dès l’enfance. Ainsi, les risques que l’individu commette des gestes violents pourraient être diminués en améliorant, en bas âge, les difficultés liées à l’attachement par un travail en psychothérapie. Il serait aussi important de mesurer empiriquement l’impact des difficultés d’attachement au niveau de la formation des troubles de la personnalité qui sont associés à un plus grand risque de commettre des gestes violents.

En intervenant rapidement auprès de cette population pour l’aider à cheminer et à adopter des comportements plus acceptables, une diminution de la violence pourrait se manifester.

Enfin, nous estimons qu’évaluer et considérer le style d’attachement et le type de personnalité dans l’intervention en milieux thérapeutiques pourrait avoir un impact important chez la clientèle aux prises avec des comportements violents. En effet, nous croyons que le modèle d’intervention serait plus complet et plus efficace. Ces variables permettraient d’obtenir un meilleur portrait clinique. Les thérapeutes pourraient ainsi ajuster leur approche auprès de la clientèle violente. Certes, d’autres facteurs peuvent influencer le passage à l’acte violent, mais il n’en demeure pas moins que favoriser le développement d’un style d’attachement sécurisant ainsi que travailler à ce que la personnalité devienne plus adéquate sont des facteurs pouvant diminuer le passage à l’acte violent. Selon l’étude de Livesley et al. (1993) auprès de 175 jumeaux, l’apport héréditaire dans l’explication des troubles de la personnalité variait entre 0 % pour les troubles de conduite et 64 % pour le narcissisme. Ces auteurs soutiennent que le meilleur modèle pour évaluer l’ensemble des dimensions de la personnalité devrait tenir compte des facteurs génétiques et environnementaux, entre autres l’attachement. De plus, la présence d’un trouble à l’axe II en psychologie ternit le pronostic d’une psychothérapie. Le travail et le maintien en thérapie sont souvent difficiles avec les personnes qui ont des troubles de personnalité (McMurran et al., 2010). Le fait d’intervenir de façon précoce auprès d’enfants avec des difficultés d’attachement pourrait permettre de diminuer les traits liés aux troubles de personnalité à l’âge adulte et ainsi, possiblement, réduire le risque de violence.

Finalement, les thérapeutes qui interviennent auprès de cette clientèle pourraient faire davantage de prévention en accordant plus d’importance au type d’attachement et au développement de la personnalité des enfants. Nous croyons que des répercussions positives pourraient être constatées tant sur le plan de la recherche que sur le plan clinique. Des études ont bien démontré l’efficacité des interventions précoces, c’est-à-dire dans les trois premières années de la vie d’un enfant (Ramey et Ramey, 1998). Ces interventions permettraient de résorber les difficultés d’attachement de l’enfant envers ses figures d’attachement.