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Introduction

Plusieurs cliniciens du domaine de la santé mentale peuvent se remémorer une situation où l’expression d’un trait d’humour a su dénouer une impasse avec un patient1. À l’inverse, certains auront été marqués par les conséquences négatives d’un usage inapproprié de l’humour2. C’est la raison pour laquelle on décrit souvent l’humour en thérapie comme une arme à double tranchant. De nombreux auteurs3, 4, 5 se questionnent donc quant à savoir s’il serait pertinent d’initier les cliniciens aux bases théoriques de l’humour thérapeutique pour mieux exploiter ses vertus et pour minimiser ses potentiels effets délétères.

L’étude récente de la psychologue Catherine Boulé6 nous renseigne sur un besoin important de sensibilisation à propos de l’usage de l’humour dans le processus thérapeutique. Les résultats de sa recherche révèlent que la majorité des psychologues québécois interrogés n’ont reçu aucune formation sur le sujet, même si une forte proportion d’entre eux sont convaincus du rôle bénéfique de l’humour en thérapie. Dans le domaine de la psychiatrie, on observe la même tendance, soit l’absence de cours sur l’humour thérapeutique dans le cursus pédagogique des médecins résidents du Québec.

Le présent article vise à exposer les différentes facettes liées à l’usage de l’humour en thérapie. Nous espérons ainsi favoriser l’émergence d’une démarche réflexive qui guidera le clinicien dans l’utilisation créative de ses propres interventions humoristiques.

La place de l’humour thérapeutique au fil du temps

Au début du 20e siècle, moment où la psychanalyse connaissait son plein essor, l’usage de l’humour en thérapie était généralement perçu d’un mauvais oeil par la communauté scientifique7. De nombreux cliniciens estimaient alors que l’expression d’un commentaire de nature comique compromettait l’attitude de neutralité jugée nécessaire en thérapie8. L’humour était en conséquence déprécié, en plus d’être vu par plusieurs comme un « acting out indiscutable du thérapeute »9. Cette vision était partagée par le psychanalyste Lawrence Kubie2. Ce dernier avait formulé une des critiques les plus sévères à propos de l’usage de l’humour en psychothérapie en déclarant que sa place y était « très limitée, voire inexistante [traduction libre] ». Or, plusieurs cliniciens10, 11, 4 ont tenté ces dernières années de redorer le blason de l’humour en thérapie, tout en restant conscients des effets négatifs potentiels liés au mésusage de cet outil. Valentine1 décrit d’ailleurs l’humour comme une forme d’intervention « à hauts gains et à hauts risques [traduction libre] » qui gagnerait à être enseignée aux thérapeutes en apprentissage.

Qu’est-ce que l’humour thérapeutique ?

Nous retiendrons la définition proposée par l’Association interdisciplinaire américaine pour l’humour thérapeutique (AATH) : « Toute intervention qui promeut la santé et le bien-être en stimulant une découverte ludique, l’expression ou l’appréciation de l’absurdité ou de l’incongruité des situations du quotidien. Cette intervention peut améliorer la santé ou être utilisée comme traitement complémentaire d’une maladie pour faciliter la guérison ou l’adaptation physique, émotionnelle, cognitive, sociale ou spirituelle [traduction libre]. »12

La présente analyse se concentrera uniquement sur les habiletés humoristiques que le clinicien peut utiliser de façon spontanée au fil de ses échanges avec un patient dans le cadre d’une thérapie. Les approches de psychothérapie qui intègrent l’humour de manière systématique dans leur protocole de traitement (Rational Emotive Therapy13 ; Provocative Therapy14 ; Natural High Therapy15) ne seront pas abordées ici.

Principales théories à propos de l’humour

De nombreux auteurs16, 17, 18 ont tenté d’expliquer les processus psychologiques impliqués dans la perception de l’humour. Nous allons limiter notre présentation aux trois principales théories rencontrées dans la littérature. Ces modèles explicatifs sont considérés comme complémentaires pour apprécier de façon globale la nature de l’humour.

Théorie de la décharge de tensions 

Cette théorie est issue de la psychanalyse. Elle postule que certaines pulsions libidinales et agressives sont refoulées dans l’inconscient, car elles sont perçues comme étant inacceptables par l’individu19. Selon cette hypothèse, l’humour permettrait de déjouer la constante censure morale à l’oeuvre dans la psyché, ce qui libérerait certains affects refoulés. L’humour provoquerait donc une décharge rapide de tension psychique, accompagnée d’une sensation de soulagement chez l’individu. Cela expliquerait pourquoi les blagues de nature grivoise ou hostile vis-à-vis des moeurs sont généralement appréciées par un large public, car elles permettraient d’exprimer de manière socialement acceptable certaines pulsions réprimées sur le plan individuel.

Théorie de la supériorité

Décrite initialement par Platon et Aristote, cette théorie met l’accent sur le processus psychologique de dénigrement à travers l’humour, soit le besoin de diminuer un autre individu (ou groupe) pour se sentir meilleur7. Le rire serait déclenché par un soudain sentiment de victoire et/ou de maîtrise sur celui qui est l’objet de raillerie. L’humour procure ainsi une valorisation narcissique à la personne moqueuse, cette dernière ressentant un certain plaisir à se placer en position de supériorité. Freud20 affirmait en ce sens que l’humour constituait « un triomphe de l’ego [traduction libre] ».

Théorie de la résolution de l’incongruité

Cette théorie s’attarde davantage à la composante cognitive de l’humour. Le cerveau humain tend à trouver drôle les moments où il est confronté à la « perception simultanée de situations étant évaluées comme incompatibles […] »21, suivie de la résolution de l’incongruité par la découverte d’un sens caché. En d’autres termes, ce phénomène s’apparente à un jeu intellectuel où l’esprit humain s’amuse à débusquer ce qui cloche dans la juxtaposition de deux idées jugées initialement incongrues.

Hypothèses concernant les mécanismes d’action de l’humour en thérapie

Le Boston Change Process Study Group22 a examiné pendant plusieurs années les mécanismes par lesquels la psychothérapie peut induire des améliorations émotionnelles, cognitives et comportementales chez un patient. Il se dégage de cette étude que les moments de connexion émotionnelle plus intenses survenant entre un clinicien et un patient contribueraient grandement aux changements positifs observés dans la thérapie. En fait, une part significative du processus de guérison émotionnelle passerait par l’existence de brefs « moments de rencontre marquants » (here flagged moments/ moments of meeting) où le clinicien et le patient partagent une compréhension mutuelle d’un problème à travers l’expression d’une charge affective authentique1. Il se produirait alors un « réencodage » de la mémoire implicite relationnelle du patient23 en faveur d’une anticipation plus positive du rapport à autrui.

Les épisodes de rires partagés en thérapie correspondent bien souvent à un de ces types de moments significatifs entre le patient et le clinicien. S’ils sont répétés dans le temps, ces instants de complicité ludique peuvent contribuer à une modification des anciennes relations d’objet pathologiques inscrites dans la mémoire procédurale du patient1. Ce nouveau prototype relationnel vécu avec le thérapeute favoriserait la généralisation ultérieure à d’autres liens interpersonnels significatifs pour le patient.

Bénéfices potentiels de l’humour en thérapie

On dénombre plusieurs vertus liées à l’utilisation de l’humour en thérapie (voir tableau 1). Nous détaillerons les cinq avantages potentiels les plus souvent cités7.

Complément à l’évaluation

Le clinicien peut tenir compte du type de réaction du patient face à l’humour pour étayer ses impressions diagnostiques24. La boutade du littéraire Dostoïevsky semblait traduire cette idée lorsqu’il affirmait que l’on « pouvait bien mieux comprendre la personnalité d’une personne en écoutant attentivement son rire qu’en la soumettant à une analyse psychologique ennuyeuse [traduction libre]25 ». L’humour peut être utile pour approfondir l’anamnèse et l’examen mental d’un individu afin de détecter des signes cliniques de psychopathologie. Par exemple, un affect non mobilisable suite à un trait d’humour peut évoquer un trouble dépressif majeur. Greenwald26 affirmait en ce sens que « le rire est incompatible avec la dépression ».

Tableau 1

Effets potentiels de l’humour en psychothérapie

Effets potentiels de l’humour en psychothérapie

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De plus, l’humour peut servir à préciser le pronostic et le niveau d’autocritique du patient face à sa problématique27. Les progrès d’un patient pourraient ainsi être mesurés en constatant que ce dernier est désormais capable de rire de ses réactions émotionnelles exagérées, de ses pensées dysfonctionnelles et de ses mauvaises habitudes. Ce phénomène peut être vu comme étant un sain détachement face à nos imperfections et face aux épreuves de la vie. Frankl28 appelait ce processus mental adaptatif « l’objectification » engendrée par l’humour. La capacité d’un patient à utiliser positivement l’humour peut signaler également la présence de mécanismes de défense plus matures favorisant sa résilience face à l’adversité19, 29.

Renforcement de l’alliance thérapeutique

L’humour améliore souvent la qualité de l’alliance thérapeutique. Un clinicien capable de se montrer amusant en séance risque d’être perçu par le patient comme étant plus humain24 et plus authentique30. Cela a souvent pour effet positif d’atténuer l’idéalisation excessive qui peut parfois se développer à l’égard d’un thérapeute31. Une étude a aussi démontré que le sens de l’humour serait « l’un des traits de personnalité par lequel nous caractérisons le plus nos pairs. Cette dimension de la personnalité serait hautement désirable pour développer de potentiels liens d’amitié ou amoureux dans notre environnement [traduction libre] »32. Un usage judicieux de l’humour par le thérapeute pourrait donc influencer positivement la perception du patient à son égard et favoriser l’adhérence au traitement proposé.

En outre, le clinicien et le patient peuvent tous deux utiliser l’humour pour alléger la tension existant entre eux durant une séance ou pour réparer des bris d’alliance survenus antérieurement33.

Contribution au travail cognitif

Le clinicien peut recourir à l’humour pour amener le patient à développer de nouvelles perspectives face à sa situation. Cela implique que la perception d’un problème puisse être envisagée sous un nouvel angle, avec une connotation amusante associée. Panichelli34 met d’ailleurs l’accent sur cette vertu thérapeutique de l’humour lorsqu’il évoque « qu’un recadrage peut devenir “recadrôle ». Par exemple, un thérapeute qui soigne un employé de bureau en proie à un épuisement professionnel pourrait restructurer de façon humoristique la vision catastrophique du patient à propos de son congé forcé à la maison en référant plutôt à une occasion en or de visionner en rafales toutes les séries télévisées qu’il a mises de côté récemment…

Par ailleurs, les émotions positives induites par l’humour pourraient également aider le patient à développer une plus grande flexibilité mentale, une meilleure capacité de planification et une plus grande créativité dans la résolution de problèmes35.

Régulation affective

L’humour dont fait usage le patient en séance peut engendrer des affects positifs qui chassent momentanément sa détresse. Il est bien connu qu’un rire partagé peut soulager à court terme l’anxiété, la tristesse ou la colère déclenchée par certains évènements pénibles24. Dans la mesure où l’humour est utilisé avec modération et non comme une source d’évitement chronique de la souffrance, le clinicien pourra encourager cette forme d’autoapaisement en séance et ailleurs.

Changement de comportements répétitifs dysfonctionnels

Les échanges entre le patient et le thérapeute représentent autant d’opportunités de modelage in vivo pour la résolution de problèmes via l’humour, notamment lors de conflits interpersonnels7. Le clinicien est alors en mesure d’exercer le renforcement positif nécessaire afin que le patient puisse à son tour utiliser l’humour de façon appropriée.

Écueils potentiels liés à l’usage de l’humour en thérapie

Certains auteurs2, 27, 36 ont énoncé des mises en garde à propos de l’usage de l’humour en thérapie. Trois écueils potentiels seront maintenant discutés (voir tableau 1).

Perception d’humiliation de la part du patient

La nature même de l’humour est d’être ambigu. Malgré les bonnes intentions du thérapeute, un trait d’humour peut parfois être perçu par le patient comme une attaque personnelle visant à minimiser sa détresse ou à le blesser volontairement. Comme facteurs de risque potentiels, on pensera tout d’abord aux individus ayant subi de l’intimidation psychologique antérieurement2. La prudence sera aussi de mise avec les patients ayant une estime de soi fragile ou ayant des traits de personnalité paranoïdes37. La réaction d’un patient face à l’humour est toutefois difficile à prévoir par moment. Le clinicien doit donc être soucieux de moduler la nature et la fréquence de ses interventions humoristiques en fonction du degré de réceptivité du patient.

Évitement des émotions

Le thérapeute exerce une fonction de contenance émotionnelle durant les séances. Il doit communiquer au patient qu’il peut exprimer des affects intenses et aborder des enjeux délicats durant son traitement. Certains auteurs2, 36 ont toutefois observé que l’humour pouvait servir de diversion pour soulager le thérapeute de son propre inconfort. Ce type d’évitement est souvent nuisible pour le patient, car celui-ci peut avoir le sentiment que certaines émotions ne pourront être accueillies par le thérapeute. Le clinicien pourrait aussi se positionner malgré lui en collusion avec un patient qui, par son usage compulsif de l’humour, déploierait des défenses hypomaniaques38 pour diminuer l’impact émotionnel des évènements affectant sa vie. Cette attitude du thérapeute serait tout aussi néfaste puisque cela renforcerait le déni du patient face à ses émotions négatives.

Gratification narcissique du clinicien

Un thérapeute pourrait être tenté (consciemment ou non) d’utiliser l’humour pour satisfaire principalement ses besoins et non pour répondre à ceux du patient. Ainsi faut-il insister sur le rôle essentiel joué par la règle d’abstinence dans le processus de thérapie. Une intervention humoristique qui viserait essentiellement à divertir, à valoriser ou à soulager le clinicien sera donc à proscrire au cours de la démarche thérapeutique39. Kubie2 invitait d’ailleurs les cliniciens à se méfier de la charge d’agressivité à l’égard d’un patient qui peut parfois être évacuée inconsciemment via l’humour. Saper39, pour sa part, ajoutait que certains intervenants utilisent à mauvais escient le mot d’esprit dans le but inavoué d’exhiber leurs talents humoristiques. Cela peut placer le patient dans une position délicate où il se sent contraint à rire pour éviter de déplaire au thérapeute.

Recherches portant sur l’efficacité des interventions humoristiques

Depuis le début du 20e siècle, plusieurs études de cas ont décrit de façon anecdotique les bénéfices associés à la présence d’un bon sens de l’humour chez le clinicien11, 40, 1. Néanmoins, l’efficacité thérapeutique liée à la maîtrise d’habiletés humoristiques par le clinicien n’a jamais pu être démontrée empiriquement à large échelle jusqu’à ce jour41.

Une étude importante portant sur l’impact de l’humour en thérapie fut réalisée par l’équipe de Golan42. On avait demandé à 60 femmes présentant des styles de personnalité dépressifs, obsessionnel-compulsifs ou hystériques de noter leur degré d’appréciation de plusieurs interventions humoristiques et non humoristiques formulées par un thérapeute enregistré sur vidéo. Les résultats de cette étude ont surpris plusieurs experts, car une majorité de patients avait préféré les interventions non humoristiques à celles humoristiques, et ce, indépendamment de leur type de personnalité de base. Ces résultats allaient dans le même sens que ceux obtenus par Rosenheim43 et Killinger44 lors d’expériences cliniques similaires. On peut toutefois mettre en perspective la portée clinique de ces données scientifiques en considérant les difficultés méthodologiques inhérentes à l’étude de l’humour en thérapie, notamment quand il s’agit de cerner un phénomène aussi spontané et idiosyncrasique que l’humour.

Facteurs influençant la réceptivité du patient à l’humour

Il est difficile de prédire avec certitude si un patient appréciera ou non une intervention humoristique. Certains principes généraux peuvent néanmoins guider le clinicien.

Tout d’abord, la cible de l’humour aura un énorme impact sur la réceptivité de la personne engagée dans le processus de thérapie45. Il est en effet beaucoup plus facile pour le patient de rire d’autrui que de rire de lui-même. Le clinicien gagne donc à pratiquer d’abord l’autodérision avant d’oser émettre une plaisanterie concernant le patient.

De même, l’établissement d’une alliance thérapeutique solide semble une condition préalable à satisfaire avant d’adresser directement un trait d’humour au patient. C’est souvent la qualité du lien thérapeutique qui déterminera si un patient perçoit qu’on rit « avec » lui et non « de » lui46.

Signalons aussi la nécessité pour le clinicien de formuler ses interventions humoristiques au moment le plus opportun au cours d’une séance. On veut ainsi éviter de court-circuiter le processus réflexif du patient par la divulgation prématurée d’un commentaire comique39. Au-delà du contenu langagier véhiculé, certains éléments de la communication non verbale tels que le ton de la voix, la posture et les mimiques faciales du thérapeute seront déterminants pour qu’un stimulus humoristique soit interprété comme étant bienveillant.

Enfin, les caractéristiques personnelles du patient influencent significativement son appréciation de l’humour. Certains tempéraments seraient plus réceptifs, notamment ceux qui sont de types « enjoués » et « ouverts d’esprit »47. Le clinicien peut donc jauger rapidement le « quotient d’humour » du patient en évaluant sa production d’humour en séance et sa réaction lors de stimuli comiques antérieurs45. Il est également important de tenir compte de l’origine ethnique et religieuse du patient avant de formuler une intervention, car l’humour s’exprime de manière fort différente à travers les différentes cultures du monde8.

Nous pourrions résumer la démarche réflexive du thérapeute en trois questions : le patient comprendra-t-il facilement l’intervention humoristique ? Lui sera-t-elle profitable ? Est-ce le bon moment pour l’exprimer ? Advenant une réponse négative à l’une de ces interrogations, le clinicien devrait s’abstenir de divulguer son intervention au patient. Primum non nocere !

L’usage de l’humour en thérapie pose le défi d’interagir avec le patient de manière réfléchie sans que cela n’affecte la spontanéité des échanges. Il serait contre-productif d’essayer d’analyser à l’excès en séance les multiples facteurs pouvant faire rire ou non un patient. Tout comme dans sa vie privée, le clinicien doit rester naturel dans ses interventions s’il désire préserver son sens de l’humour.

Typologie fonctionnelle de l’humour

Afin de préciser le caractère adaptatif ou non de l’humour dans la relation thérapeutique, les interventions du patient et du clinicien peuvent être classées en quatre catégories, en fonction de deux axes48 : l’orientation de l’humour (vers soi ou vers la relation interpersonnelle) et la nature des intentions de l’émetteur (bienveillantes ou malveillantes). En voici une brève description (voir tableau 2) :

  1. L’humour de « croissance personnelle », c’est-à-dire orienté vers soi et de nature bienveillante. Ce type d’humour permet à l’individu de s’adapter plus facilement au stress et à l’adversité en entretenant un regard ludique sur la vie ;

  2. L’humour « affiliatif », c’est-à-dire orienté vers la relation interpersonnelle et de nature bienveillante. Ce type d’humour favorise le rapprochement interpersonnel ou la consolidation d’un lien existant par l’expression de propos destinés à amuser autrui ;

  3. L’humour « autodépréciatif », c’est-à-dire orienté vers soi et de nature malveillante. Ce type d’humour se définit comme un excès de commentaires dénigrants dirigés contre soi. Cela implique que la fréquence ou l’intensité du discours autodévalorisant engendre une perte d’estime personnelle ou induit une vision négative de la personne par les membres de son entourage ;

  4. L’humour « agressif », c’est-à-dire orienté vers la relation interpersonnelle et de nature malveillante. Ce type d’humour implique l’utilisation abusive de moqueries ou de sarcasmes qui engendrent une distanciation ou une aliénation des liens sociaux.

Tableau 2

Typologie fonctionnelle de l’humour

Typologie fonctionnelle de l’humour

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Selon Martin49, les deux premières catégories d’humour seraient profitables pour la santé psychologique d’un individu, alors que les deux dernières seraient néfastes.

Quelques formes d’humour utiles en thérapie

De nombreuses formes d’humour thérapeutique ont été décrites par des cliniciens issus de diverses orientations théoriques7. Nous décrirons celles qui semblent les plus appropriées au contexte de psychothérapie (voir tableau 3).

L’autodérision

L’usage de l’autodérision permet souvent au patient d’atténuer l’idéalisation qui se développe à l’égard du thérapeute. Aussi, une blague dont le clinicien est la cible devient moins menaçante pour le patient45. Cette forme d’humour est probablement la plus sécuritaire à utiliser pour le clinicien. Toutefois, le thérapeute doit s’assurer que ses propos demeurent dans un registre humoristique d’autodérision et non d’autodépréciation.

Vignette clinique : un thérapeute se présente à son bureau privé un matin d’hiver neigeux et réalise soudainement qu’il a oublié ses souliers. Habitant loin de son lieu de travail, le clinicien se résigne à passer la journée vêtu de larges bottes de poils peu élégantes dans le cadre d’une thérapie. Au début de la séance, le clinicien déclare (en essayant de demeurer sérieux) : « C’est mon nouveau look de travail. » Le patient s’en voit pour le moins étonné. Puis, le clinicien ajoute une fraction de seconde plus tard : « Je vous agace… j’étais distrait ce matin et j’ai oublié mes souliers à la maison. Je devrai donc rester accoutré en véritable “coureur des bois” pendant notre entretien. Il ne me manque que les raquettes en babiche pour compléter le costume… »
Dans le cas présent, l’image du « coureur des bois » fut accueillie avec amusement par le patient et a permis au clinicien d’incarner le principe général que le « ridicule ne tue pas ».

Tableau 3

Quelques formes d’humour utiles en thérapie

Quelques formes d’humour utiles en thérapie

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L’exagération

L’exagération est l’action de grossir démesurément la proportion des choses. Le but du clinicien se servant de cette forme d’humour est de rendre une pensée, une émotion ou une image à propos de soi-même ou d’autrui suffisamment décalée de la réalité, bien qu’en continuité, afin que le patient y détecte rapidement une distorsion amusante de sa propre situation.

Vignette clinique : un patient ingénieur de quarante ans avec une personnalité obsessionnelle-compulsive se présente en détresse, car il dit consacrer dix heures par semaine à nettoyer sa voiture. Avec l’accord du patient, le thérapeute prescrit alors le devoir de faire le ménage de sa voiture de façon hebdomadaire, et non plus quatre fois par semaine. Le patient se présente la semaine suivante et dit : « Je me suis abstenu de nettoyer ma voiture, mais je crains maintenant de jeter un coup d’oeil sur le panneau de bord ; ça doit être tellement sale ! » Le thérapeute demande alors : « Tellement sale que vous pouvez y faire des dessins dans la poussière avec vos doigts ? » Le patient se met alors à rire en réalisant l’exagération volontaire du clinicien et en prenant conscience de la faible probabilité que son tableau de bord soit devenu aussi malpropre en si peu de temps. Ce trait d’humour aura permis de dédramatiser la situation, en plus de créer une brèche pour assouplir les exigences rigides du patient face à la propreté.

La métaphore

Dans une perspective humoristique, la métaphore est utilisée pour dégager des ressemblances comiques entre les caractéristiques du problème d’un patient et un substitut analogique (image, objet, situation, etc.) afin de produire de nouvelles significations. Nardone50 affirme que la métaphore « ne se borne pas à susciter nos émotions ou à permettre leur expression. Le vécu de la métaphore est une émotion ou une sensation en elle-même. Ce dispositif offre une expérience émotionnelle correctrice qui touche ».

Vignette clinique : une femme souffrant de phobie sociale est constamment inhibée en entrevue depuis un an de suivi, car elle craint le jugement du thérapeute. Le clinicien se sent coincé dans la mesure où chaque interprétation est perçue comme une critique et engendre un inconfort accru dans la dyade thérapeutique. Un jour, au milieu d’une séance, le thérapeute s’exprime ainsi : « Je voulais vous remercier de m’avoir trouvé un deuxième emploi. En plus d’être psychiatre, je suis aussi douanier en votre présence. » La patiente devient perplexe et fixe du regard son interlocuteur, en attente de clarifications. Un sourire en coin, le thérapeute poursuit : « Je m’explique : j’ai l’impression que votre expérience des séances peut parfois s’apparenter à celle d’un passage aux douanes. Il m’arrive de m’imaginer que je suis un agent frontalier qui pose des questions très insistantes et personnelles et que vous êtes une touriste qui se voit imposer un interrogatoire serré de façon hebdomadaire. Cette image vous parle-t-elle ? » La patiente sourit alors devant cette comparaison originale et dit apprécier l’analogie soumise, car elle perçoit une ressemblance frappante entre les sentiments d’inconfort suscitée par ces deux situations. Cette intervention à saveur humoristique diminuera par la suite l’inhibition qui l’empêchait de se confier pleinement à son thérapeute.

Le jeu de mots

Le jeu de mots permet l’utilisation ludique du langage parlé pour créer de nouveaux sens potentiellement cocasses. Cette forme d’humour semble particulièrement appréciée de la clientèle pédiatrique51, mais elle peut l’être également des adultes, à condition d’en faire un usage créatif correspondant au niveau de développement cognitif du patient.

Vignette clinique : un thérapeute rencontre une adolescente souffrant d’une déficience intellectuelle légère dans la salle d’urgence d’un hôpital. En se présentant à elle, le clinicien dit : « Bonjour, moi c’est Dr Chaloult, vous vous en rappellerez facilement parce que ça sonne comme deux animaux : un chat et un loup. » Ce simple jeu d’homophones égaie la patiente qui répliquera alors : « Moi je trouve que ton nom sonne plus comme une chaloupe… À l’eau (allo), Dr Chaloupe ! » Ainsi, le contact se fait dans le plaisir entre le thérapeute et la patiente, ce qui permet une ambiance décontractée parfois difficile à établir en début de rencontre dans un contexte de consultation à la salle d’urgence.

Le comique de répétition (running gag)

Le clinicien peut tirer avantage d’une situation cocasse ayant été particulièrement significative pour la dyade thérapeutique en y référant plus tard durant toute la démarche de psychothérapie. La redondance d’un stimulus humoristique est ainsi bénéfique dans la mesure où elle permet aux deux partis de se remémorer des souvenirs plaisants de leur relation. La répétition offre également l’occasion de faire évoluer la blague de manière créative par le biais de plusieurs déclinaisons possibles1.

Vignette clinique : une jeune patiente souffrant de trouble de personnalité limite est engagée dans un processus de thérapie depuis deux ans. Elle se présente une journée au bureau du thérapeute en s’exclamant d’un ton irrité : « Je suis exaspérée par cette poubelle ! Vous la placez toujours par exprès à côté de ma chaise pour me dégoûter avec vos odeurs de vieilles pelures de banane ! » Le thérapeute reste tout d’abord coi devant cette accusation, puis adopte stratégiquement une position conciliante pour diminuer la tension ambiante en répliquant : « Je suis vraiment désolé que ma poubelle vous importune de la sorte. C’était franchement involontaire de ma part. Que diriez-vous si on la plaçait dans le coin là-bas, le plus loin possible de vous ? » La patiente se calme alors et accepte l’offre en réalisant que sa suspicion à l’égard du thérapeute était probablement sans fondement. La semaine suivante, une fois la poussière retombée, le thérapeute décide de débuter la rencontre en demandant à la blague à la patiente si, à son avis, la poubelle est assez loin d’elle pour éviter les effluves désagréables… Cette dernière rit de bon coeur et arrivera même à se moquer de sa tendance à s’irriter trop rapidement contre les autres. À moyen terme, le comique de répétition deviendra encore plus ludique au point où le thérapeute demandera à la patiente à chaque séance de placer la poubelle à l’endroit qu’elle désire dans la pièce. Ces échanges ludiques répétés permettront de tisser un lien plus fort entre le patient et le thérapeute et deviendront en quelque sorte un patrimoine commun de moments humoristiques uniques.

L’ironie

L’ironie est une forme d’humour complexe dans la mesure où l’émetteur dit le contraire de sa vraie pensée, ce qui peut souvent rendre le message ambigu. Ainsi, l’espace d’une fraction de seconde, le patient qui entend un énoncé ironique se posera la question à savoir s’il doit l’interpréter tel quel ou s’il faut plutôt en décoder un sens opposé. C’est cette ambivalence cognitive qui est à l’origine du rire, une fois le sens réel débusqué par le récepteur. Il s’agira cependant d’un type d’interventions à utiliser avec précaution en thérapie, car le clinicien pourra rarement prévoir avec certitude la capacité de compréhension du patient. Ainsi, l’usage de l’ironie risque d’induire un malaise chez le patient advenant qu’il réalise sa difficulté à saisir les subtilités de l’humour du clinicien. De plus, le patient est souvent plus enclin à percevoir un ton moqueur derrière ce type de commentaire humoristique34. Greenwald26 dira utiliser l’ironie uniquement avec les patients qu’il apprécie pour diminuer le risque que l’humour ne devienne, avec certains clients difficiles, une voie d’évacuation indirecte de la colère.

Vignette clinique : dans l’exemple ci-haut de la dame manifestant sa colère contre la poubelle du thérapeute, une réponse ironique de sa part aurait pu être la suivante : « Il était temps que vous vous en rendiez compte ! Oui, c’est vrai, ça fait bientôt deux ans que j’essaie de vous empester subtilement avec ma poubelle ! Je devrai trouver à l’avenir un autre truc pour vous faire la vie dure. On comprend vite à quel point cet exemple a le potentiel de provoquer des réactions assez dichotomiques chez cette patiente avec un trouble de personnalité limite, d’où le caractère risqué de l’ironie.

Conclusion

Malgré un intérêt grandissant des cliniciens pour l’usage de l’humour en thérapie6, nous constatons encore à ce jour un manque de données probantes quant à l’efficacité de cette habileté relationnelle. Ceci dit, plusieurs experts en santé mentale estiment que les bénéfices liés aux interventions humoristiques en thérapie dépassent largement les risques potentiels pour le patient, dans la mesure où le clinicien en fait un usage approprié3, 52, 21, 53. L’humour peut exercer de multiples fonctions utiles pour la progression du traitement, notamment en consolidant l’alliance thérapeutique, en développant de nouvelles perspectives sur les difficultés du patient et en favorisant l’autorégulation émotionnelle24. À l’inverse, un recours inopportun à l’humour peut être délétère, car cela a le potentiel d’humilier le patient en séance, de lui faire éviter certaines émotions négatives, ou enfin, de l’inciter à rire uniquement pour plaire à son thérapeute. Pour en faire un usage judicieux, le clinicien doit évaluer préalablement la qualité du lien thérapeutique, les caractéristiques du patient et les formes d’humour les plus adaptées à un contexte donné. L’autodérision constitue sans doute une des formes d’interventions humoristiques les moins risquées à utiliser en début de relation45, alors que l’ironie demeure un outil plus délicat à manier avec certains patients fragiles26. La maîtrise des rudiments de l’humour thérapeutique pourrait faire partie de l’éventail des aptitudes valorisées dans la formation des cliniciens en santé mentale4. Cette habileté relationnelle peut être enseignée aux futurs thérapeutes via des cours théoriques et des supervisions cliniques individuelles1.

L’étude menée par Gregson40 constitue une piste d’investigation intéressante pour l’avenir. Cette recherche démontrait que les échanges humoristiques ayant le plus d’impact positif en séance sont généralement ceux initiés par les patients, et non par le clinicien. On peut donc émettre l’hypothèse que les thérapeutes maîtrisant le mieux cet outil présentent une grande réceptivité à l’humour produit par leurs patients. Ainsi, une question s’impose : les études portant sur l’efficacité de l’humour en thérapie devraient-elles s’intéresser davantage à la qualité de réponse à l’humour du patient plutôt qu’à l’initiation de commentaires humoristiques par le thérapeute ?