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En Occident, la période entre la fin de l’enfance et le début de l’âge adulte a récemment été définie comme étant « l’adolescence ». Historiquement, ce sont souvent les rites de passage qui définissent les différentes périodes de la vie ; or, dans nos sociétés occidentales, ces rites tendent à s’effacer (Emmanueli 2005). C’est en partie grâce à la démocratisation de l’éducation et l’allongement du temps obligatoire de scolarisation que se structure, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’étape qu’on appelle désormais l’adolescence (Emmanueli 2005 ; M. Gauthier 2005). C’est justement la généralisation de l’éducation qui viendra définir et unifier le quotidien des adolescents (Barrère 2011). Par ailleurs, Gauthier rappelle que la conception de ces phases de vie : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte, varient selon les sociétés, les périodes et les évènements historiques. De plus, c’est à cette période qu’émergent de nombreux changements biologiques, psychologiques et sociaux chez les élèves adolescents. En ce sens, considérant que les enseignants sont partie intégrante de la vie de leurs élèves, ils font face à plusieurs défis liés à ces transformations. Lors de leur formation, les futurs enseignants apprennent et acquièrent de nombreuses connaissances et compétences qu’ils tenteront, par la suite, d’intégrer à leur pratique d’enseignement. Dans ce travail, nous nous intéressons à la formation initiale des enseignants du secondaire, mais sous l’angle des savoirs relatifs au développement de l’adolescent. Nous souhaitons en effet interroger la place qu’occupent les savoirs relatifs à l’adolescence dans les programmes de formation à l’enseignement secondaire au Québec.

Ainsi, nous exposons rapidement notre problématique, suivie brièvement du cadre conceptuel entourant les savoirs enseignants ; ensuite, nous détaillons quelque peu notre méthodologie, pour finalement aborder nos premiers résultats : l’offre de cours relatifs à l’adolescence dans les programmes de formation initiale à l’enseignement secondaire et en ÉPS au Québec.

1. L’adolescence : une période non négligeable pour l’enseignement

Dès l’entrée à l’école secondaire, les élèves commencent à raffiner leurs habiletés sociales, à se former une identité et à transformer leur vision de la famille, des amis et des amours : ils deviennent aussi sexuellement matures (Cloutier et Drapeau 2015). C’est une période de grands changements, mais également une période « à risque » : le développement de l’identité et de l’estime de soi, parfois fragile, peut mener certains adolescents à développer des symptômes dépressifs, des pensées suicidaires, des troubles comportementaux ou des troubles alimentaires (Domagala-Zysk 2006 ; Olds et Papalia 2005). Cloutier et Drapeau disent aussi que tant sur le plan neurologique que des relations interpersonnelles, l’adolescent fait face à de grandes transformations, qui peuvent parfois, sans être « anormales », être troublantes. L’adolescence se révèle donc cruciale pour le développement personnel de tout individu (Olds et Papalia 2005).

Les acteurs qui font partie de la vie à l’école sont intimement investis dans le développement des élèves ; ils doivent connaître les caractéristiques du développement biologique, social et psychologique, et leurs impacts sur l’adolescent (G. Roaten et Roaten 2012). Cependant, peu d’études se sont penchées sur la question des savoirs enseignants relatifs au développement à l’adolescence (Letendre et Akiba 2001). Pourtant, il s’agit d’un thème pertinent au regard de l’étude sur la formation et la pratique enseignante, puisque les années circonscrites par le passage au secondaire représentent un moment de grands changements, pendant lesquels on doit soutenir et favoriser les jeunes pour leur permettre de bien se développer, et ce, à tous les niveaux.

Si nous nous concentrons sur la recherche en éducation portant sur les connaissances enseignantes relatives à l’élève adolescent, on se rend vite compte que peu d’études existent. Or, selon plusieurs auteurs, dont Shulman (1986) et Stran et Curtner-Smith (2010), ces connaissances sont primordiales dans les choix de stratégies d’enseignement. De plus, celles-ci reviennent souvent parmi les savoirs les

plus importants énoncés par les enseignants lorsqu’on les interroge (Hill, Schilling, et Ball 2004 ; Lee et Luft 2008 ; Stran et Curtner-Smith 2010). En 2001, Letendre et Akiba (2001) affirment que les enseignants possèdent des connaissances en rapport avec le développement de l’adolescent ; toutefois, ils ne dressent pas un portrait précis de ces connaissances. Plusieurs études montrent comment les enseignants utilisent les connaissances sur l’apprentissage, surtout tirées de la psychologie, pour améliorer leur enseignement et leurs choix de stratégies pédagogiques (Fisher 2003 ; Kiliç 2011). Cependant, on décrit peu les connaissances plus « spécifiques » des élèves autour du développement biologique, de la transformation des habiletés sociales, du comportement, etc., et de leurs impacts possibles sur les interactions et les relations interpersonnelles.

Ainsi, en étudiant la littérature sur les savoirs enseignants de plus près, on se rend compte que peu d’études ont été menées dans le but d’explorer les connaissances des enseignants à propos des caractéristiques des élèves (Letendre et Akiba 2001). Si la connaissance qui nous intéresse est présente dans plusieurs typologies du savoir enseignant (Grossman 1991 ; Shulman 1987), elle reste toutefois peu détaillée dans la littérature. Puisque la mission première de la formation initiale à l’enseignement est de faire assimiler une base de savoirs aux futurs enseignants (Calderhaed 1991 ; Tardif 2013) , nous pensons que celle-ci devrait les préparer à travailler avec des élèves adolescents, au centre d’importants changements, tant sur le plan psychologique que physiologique. Dans cette optique, nous nous demandons : quelle est la place de ce savoir spécifique dans la formation à l’enseignement ?

2. La formation initiale à l’enseignement et les savoirs enseignants

Dès les années 1980, le désir de professionnaliser l’enseignement met de l’avant l’idée que le travail enseignant repose sur une base de savoirs (ou connaissances) : pour Calderhaed, cette base est nécessaire pour la formation. D’importants chercheurs en éducation, notamment Shulman et Grossman, s’intéressent à celle-ci dès les années 1980, mais aucun consensus clair n’émerge depuis ces travaux (Hashweh 2005). La documentation montre toutefois que les connaissances nécessaires à l’enseignement sont nombreuses et multidimensionnelles (Liu 2010). Selon l’historique dressé par Tardif, au Québec, d’abord en 1994, puis en 2001, les autorités s’engagent à réformer la formation à l’enseignement, entre autres pour faire passer l’enseignement d’un statut de « métier » à celui de « profession » : on rapproche les milieux universitaires des milieux de pratique (écoles) ; on crée une approche par programme ; on intègre douze compétences et connaissances à développer tout au long de la formation. Finalement, on tente de construire une formation solide, ayant un caractère professionnel (MELS 2001). Pour bien définir le concept de « savoir enseignant » (connaissances et compétences), tournons-nous succinctement vers la conceptualisation de cette notion et des connaissances intégrées dans la formation initiale à l’enseignement.

Les savoirs enseignants

D’abord, les importants travaux de Shulman montrent que le savoir enseignant est divisé en plusieurs catégories de connaissances : celles du contenu ; du curriculum ; des visées de l’éducation ; du contexte d’enseignement ; de la pédagogie ; de la connaissance pédagogique de la matière, puis de la connaissance des caractéristiques des élèves et de l’apprenant. Selon cet auteur, dans son travail, l’enseignant doit procéder à un raisonnement pédagogique (passer un contenu de matière, tel une notion d’algèbre), à sa prestation en classe (l’acte d’enseigner la notion), puis à son évaluation : dans ce raisonnement, la connaissance du contenu, de la pédagogie et des élèves sont intimement liés.

Faisant suite à Shulman, les auteurs reprendront surtout la catégorie de connaissance entourant la pédagogie de la matière : c’est le cas de Grossman qui la redéfinit. Elle y insère, à la différence de Shulman, la connaissance de l’élève et nous dit également que l’enseignant doit adapter ses activités à l’hétérogénéité de sa classe. Ainsi, au fil du temps, la connaissance pédagogique de la matière est devenue la catégorie de savoir la plus étudiée, car elle est souvent considérée comme centrale à l’enseignement (Lee et Luft 2008). Hashweh affirme qu’elle est moins structurée et organisée que les autres connaissances, et qu’ainsi, elle est difficile à enseigner lors de la formation initiale à l’enseignement. Selon lui, elle se construit principalement en contexte de travail, avec l’expérience. Pour développer sa connaissance pédagogique de la matière, l’enseignant doit développer des habiletés de planification, ainsi que la capacité de créer des analogies et des alternatives pour transmettre une notion ou un sujet. Sur ce point, Hashweh rejoint Shulman sur l’adaptation de la matière à son groupe d’élèves. Toutefois, lorsqu’il parle de connaissance des élèves, il fait référence aux caractéristiques de ceux-ci par rapport à leurs conceptions de la matière, et non aux caractéristiques de l’apprenant (développement, capacités intellectuelles, etc.). Finalement, le savoir qui nous intéresse spécifiquement — la connaissance des élèves — reste peu défini, même si de nombreux auteurs l’incluent dans la connaissance pédagogique de la matière. Nous nous demandons donc : comment est-il intégré dans la formation à l’enseignement ?

Les savoirs intégrés dans la formation à l’enseignement

Au Québec, Tardif et Borges ont tenté de définir les grands domaines de savoirs normalement intégrés dans les formations des maîtres. Ils en décrivent cinq : 1 — les disciplines de références (matières) ; 2 — le domaine des didactiques ; 3 — les sciences de l’éducation ; 4 — la psychopédagogie et ; 5 — la formation pratique et les stages. Ces auteurs soutiennent également que les frontières entre ces domaines ne sont pas rigides et varient beaucoup d’un pays à l’autre, voire d’une province à l’autre. La connaissance relative aux élèves, qui nous intéresse, semble, selon cette typologie, se retrouver pour l’essentiel dans le domaine des sciences de l’éducation. Toutefois, comme mentionné, puisque les frontières sont flexibles, nous pensons que notre objet d’étude pourrait se retrouver dans d’autres domaines de savoir, particulièrement celui de la psychopédagogie.

Nous venons de voir que l’ambition première des travaux sur le savoir enseignant est de fournir une base de connaissances pour la formation à l’enseignement et d’ainsi contribuer à sa professionnalisation. Depuis les années 1980, toutes les réformes de la formation initiale à l’enseignement ont tenté d’y intégrer cette base. À la lumière des nombreux travaux sur les savoirs enseignants tels ceux de Shulman, Grossman, Tardif et Lessard ou encore ceux de Hashweh, il semble qu’il y ait trois types de connaissances enseignantes à propos des élèves : 1 – les connaissances scientifiques élaborées par les sciences humaines et sociales à propos des adolescents et des élèves (type 1) ; 2 –  la traduction des connaissances de type 1 dans les programmes de formation à l’enseignement (type 2) ; 3 – les connaissances des enseignants relatives à leurs élèves dans leurs propres classes : leurs caractéristiques personnelles, leurs environnements sociofamiliaux, etc. (type 3). Nous nous intéressons aux connaissances de type 1 et 2, soit à l’intégration des connaissances relatives à l’adolescence dans la formation initiale en enseignement au secondaire. Dans la prochaine section, nous détaillons notre méthode de recherche qui nous a permis de dresser un portrait de l’offre de cours relatifs aux adolescents intégrés dans les programmes de formation à l’enseignement secondaire et en ÉPS au Québec.

3. Méthodologie

D’abord, il faut préciser que le MELS fournit des balises aux universités lors de l’élaboration de leurs programmes de formation ; cependant, celles-ci sont larges et laissent plusieurs éléments à la discrétion des facultés d’éducation (Desjardins et Dezutter 2009). Ainsi, les formations varient grandement d’une institution à l’autre (CAPFE 2015). L’analyse et la comparaison de programmes semblent donc appropriées à notre étude, puisqu’ils permettent de mieux comprendre certaines problématiques ou enjeux en les comparant, et offrent ainsi au chercheur une occasion de relativiser sa vision du phénomène étudié (Morales-Perlaza 2015).

Notre question de recherche est : quelles connaissances relatives à l’adolescence sont intégrées dans la formation ? Plus spécifiquement : comment intègre-t-on ces connaissances dans les cours offerts dans les programmes de formation à l’enseignement secondaire au Québec ? Quelles sont ces connaissances ? Nous avons choisi d’analyser les programmes de formation des universités québécoises francophones offrant la formation à l’enseignement secondaire et en éducation physique et à la santé (ÉPS) : Université de Montréal, Université Laval, Université de Sherbrooke et les universités du réseau des universités du Québec (UQÀM, UQTR, UQAC, UQAR, UQO, UQAT). Il aurait été intéressant d’aborder également la formation dans les universités anglophones. Cependant, cela aurait alourdi notre démarche de recherche, puisque, selon le CAPFE, les universités anglophones tentent, bien entendu, de représenter leur communauté et s’inspirent souvent de modèles canadiens et américains, ce qui nous aurait obligés à prendre en compte des phénomènes pancanadiens. Ainsi, pour comparer les différents programmes de formation, nous avons choisi d’analyser les descripteurs de cours et les plans de cours : voici comment nous avons procédé.

Analyse documentaire

En premier lieu, nous avons ciblé les cours touchant, de près ou de loin, à l’adolescence, à partir des informations disponibles sur les sites universitaires et à l’aide de mots-clés, tels que : adolescence, développement adolescent, théories d’apprentissage, psychologie de l’adolescent. Ensuite, nous avons procédé à l’analyse des descripteurs des cours (titres, statut des cours, nombre de crédits, etc.) et avons dressé un portrait plus quantitatif de l’offre de cours.

Dans un deuxième temps, nous avons tenté d’accéder aux plans de cours des cours recensés directement liés à l’adolescence, et les avons comparés au niveau des objectifs de cours, des contenus et des modes d’évaluation. En ciblant ces thématiques, nous détaillons davantage ce que les étudiants apprennent de leur futur objet de travail (l’élève). De plus, ces premières analyses serviront de toile de fond pour notre deuxième partie de collecte de données, soit des entretiens de recherche avec des professeurs universitaires et chargés de cours responsables de donner les cours dans les programmes retenus, auxquels nous procéderons sous peu. La section suivante expose les résultats de cette analyse documentaire.

4. L’offre de cours relatifs aux adolescents dans les universités du Québec

Analyse des descripteurs de cours

Suite à la lecture des nombreux descripteurs de cours et après avoir particulièrement ciblé ceux touchant à l’adolescence, nous remarquons que la plupart des universités offrent au moins un cours touchant à l’adolescent. Seule l’Université de Sherbrooke offre deux cours obligatoires sur l’adolescence : Apprentissage et développement I et II, et cela, pour toutes les spécialisations en enseignement secondaire. De l’autre côté, l’Université du Québec à Montréal n’offre aucun cours obligatoire sur l’adolescence dite « normale », et offre plutôt un cours obligatoire sur l’adolescence et les difficultés d’ordre comportemental au secondaire. Pourtant, dans le baccalauréat en ÉPS, l’UQÀM offre un cours sur la psychologie du développement (PSY2634) : ne serait-il pas pertinent pour tous les futurs enseignants qui travailleront avec des élèves adolescents ? On voit rapidement que l’importance d’un cours sur l’élève adolescent est peu reconnue de façon uniforme parmi les universités du Québec qui offrent une formation à l’enseignement secondaire. Certains cours sur l’adolescent sont très généraux (ex. : psychologie de l’adolescent, psychologie du développement), alors que d’autres sont plus spécifiques (ex. : développement humain en éducation physique et à la santé, l’adolescent et l’expérience scolaire). Or, dès les années 1990, Calderhaed mentionne l’importance pour les enseignants de posséder des connaissances étoffées sur l’enfance et les élèves et depuis, cet aspect revient abondamment dans les grands travaux sur le savoir des enseignants (Grossman, Shulman, Tardif et Lessard, etc.).

Dans le même sens, les titres des cours diffèrent signifiactivement : dans certains cas, les cours sont nommés « Sexualité et éducation », dans d’autres, « Développement socioaffectif de l’élève » ou encore « L’adolescent et l’expérience scolaire ». Aussi, en examinant les énoncés et les descriptions des cours, il semble qu’il n’existe pas de consensus sur le contenu et les connaissances sur l’adolescence à transmettre dans ces cours : certains cours semblent très axés sur les théories d’apprentissages et ses influences (ex. : fondements de l’apprentissage scolaire, développement cognitif, apprentissage et pratiques pédagogiques) et d’autres, plutôt sur le développement biopsychosocial de l’élève (ex. : adolescence et vie adulte [UQAC], adolescence et vie adulte [UQAR]). Cela étant dit, nous constatons que la grande majorité des étudiants dans les programmes de formation à l’enseignement au secondaire et en ÉPS suivent au moins un cours touchant, de près ou de loin, à l’adolescence. Ce qui semble varier d’une formation à l’autre sont plutôt les contenus en rapport aux adolescents et leur développement explorés dans les cours. Ainsi, nous croyons que les futurs enseignants ne sont pas tous formés de la même façon en cette matière. Nous pensons que l’analyse des plans de cours nous permet de mieux saisir les différents contenus et objectifs de ces cours, ainsi que l’importance qui leur est accordée dans les différents programmes.

Analyse des plans de cours

Lors de la première analyse documentaire, presque 50 cours ont été recensés ; or, seuls 14 cours touchent directement l’adolescence (tableau 1). Nous avons tenté d’accéder aux plans de cours pour cette analyse : une seule université s’est abstenue. Nous pensons que le poids relativement faible de ces types de cours, dans les formations à l’enseignement, renvoie au peu de recherches systématiques faites sur le sujet. Même si les grandes typologies du savoir enseignant mentionnent la connaissance des élèves, celle-ci reste peu définie par la littérature. Pour approfondir cette première analyse et mieux comprendre comment l’adolescence est abordée dans les formations, tournons-nous maintenant vers les plans de cours que nous avons réussi à recueillir et analysons succinctement les compétences professionnelles visées, les objectifs de cours, les thématiques et modes d’évaluation.

Fig. 1

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D’abord, les plans de cours se ressemblent quant aux éléments qu’ils présentent : description du cours, compétences visées, objectifs ou intentions, thématiques abordées, modes d’évaluations et modalités d’usages (retards, plagiat, bibliographie, etc.). Toutefois, le contenu de chacun de ces éléments est très disparate : par exemple, alors qu’un cours affirme viser et évaluer les compétences 6 : planifier, organiser et superviser le mode de fonctionnement du groupe-classe en vue de favoriser l’apprentissage et la socialisation des élèves et 7 : adapter ses interventions aux besoins et aux caractéristiques des élèves présentant des difficultés d’apprentissage, d’adaptation, ou un handicap, un autre vise plutôt les compétences  : agir en tant que professionnelle ou professionnel héritier, critique et interprète d’objets de savoirs ou de culture dans l’exercice de ses fonctions et 12 :  agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions. En fait, sur les 13 cours recensés, 9 des 12 compétences sont évoquées (tableau 1). Ainsi, déjà, il n’existe pas de consensus, même sur les compétences visées par un cours sur l’adolescence.

Ensuite, il faut souligner que les objectifs poursuivis par ces cours sont très variés, tant par de leur nombre que par leur formulation. On peut toutefois dire que, en général, le cours sur l’élève adolescent dans les programmes de formation à l’enseignement tente d’amener l’étudiant à comprendre le développement humain à cet âge et à prendre en compte l’élève dans l’élaboration des ses activités d’enseignement et d’apprentissage. Pour y arriver, plusieurs thématiques sont abordées : toutes discutent des transformations physiques et de la puberté ; du développement moral et de l’estime de soi ; des théories classiques du développement (Piaget, Vygostky, théories cognitivistes, etc.) ; de la relation avec les amis et la famille, etc. De plus, les étudiants sont amenés à réfléchir à certaines problématiques « typiques » à l’adolescence, telles que la délinquance, le suicide, les troubles alimentaires, les troubles de comportement, etc. Cela étant dit, puisque l’éventail d’enjeux et de transformations est large à l’adolescence et varie énormément d’un individu à l’autre, les sujets abordés en classe ne sont pas toujours exposés de la même façon. Par exemple, alors que certains cours traitent de l’estime en lien avec la théorie des besoins de Maslow (PSD1046, UQTR) d’autres la développeront plutôt en lien avec la motivation scolaire (EDU2304, UQAT). Alors que le PSD1046 de l’UQTR aborde différents troubles de comportements (troubles alimentaires, dépression, suicide), le trouble du déficit d’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H) et la résilience, le PPA1210 de l’UDM présente plutôt les thématiques d’abandon scolaire et de problèmes psychosociaux. Il ne semble pas y avoir consensus entre les différentes formations sur les notions à faire acquérir aux futurs enseignants du secondaire.

Finalement, lorsqu’on observe plus attentivement les modes d’évaluation des différents cours que nous avons recensés, il semble que plusieurs formes soient employées. Par exemple, pour le PSD1046 (aussi offert en ÉPS, UQTR), il y a deux examens, un rapport de lecture et un travail d’équipe. D’ailleurs, tous les cours étudiés dans les formations en enseignement au secondaire privilégient les examens (souvent deux) et les travaux de session. On remarque que la plupart des cours tentent d’offrir des activités d’intégration (études de cas, élaboration d’activité d’apprentissage-enseignement en fonction des élèves, etc.) pour mener l’étudiant à faire le pont entre la théorie vue dans le cours et la pratique enseignante. Mais l’intégration se fait-elle vraiment ou n’est-ce qu’une question de temps, d’expérience sur le terrain ?

Nous constatons que les connaissances abordées dans ce type de cours tirent surtout leurs sources de la psychologie. Selon nos lectures, ces connaissances proviennent donc du domaine des sciences de l’éducation décrit par Tardif et Borges (2009). Ce domaine, non directement lié à l’acte d’enseigner, reste une base fondamentale de la profession enseignante : il offre des connaissances au niveau des politiques et systèmes éducatifs, des stéréotypes, des élèves, etc. (C. Gauthier et al. 1997). Selon Shulman (1987), la formation théorique est une source importante du savoir enseignant : il s’agit en effet du « Formal Educational Scholarship », soit les connaissances issues de la recherche sur l’apprentissage, l’enseignement, le développement humain, mais également les fondements philosophiques et éthiques de l’éducation. La formation théorique est donc cruciale dans le cheminement de l’enseignant : elle lui transmet une importante base de connaissances.

Au final, nous sommes en droit de nous demander dans quelle mesure les connaissances relatives à l’élève adolescent sont développées dans ces types de cours et jusqu’à quel point le développement adolescent peut être enseigné en 45 heures de cours en moyenne. Selon Letendre et Akiba (2001), les enseignants possèdent des connaissances sur l’adolescent et, selon notre première analyse, ils possèdent, à la fin de leur formation, une base de connaissances relatives à l’adolescence. Puisque ces connaissances sont primordiales dans les choix de stratégies d’enseignement et que, lorsque l’on interroge des enseignants, la connaissance des élèves revient souvent parmi les savoirs les plus importants, nous pensons que la formation initiale à l’enseignement devrait fournir une base solide de connaissances relatives aux élèves (adolescents dans notre cas) aux futurs enseignants. Suite à notre première analyse, nous pensons que ce type de connaissance reste généralement peu représenté dans les programmes de formation.

Conclusion

Comme le disait Shulman (1987), les connaissances de la matière, de la pédagogie et des caractéristiques des élèves sont indéniablement liées. Suite à ses travaux, la connaissance pédagogique de la matière fut étudiée par de nombreux chercheurs (Hasweh, Grossman, Lee et Luft, Van Driel et Berry, etc.), qui semblent s’entendre sur un fait : c’est cette connaissance qui différencie l’enseignement des autres professions ; qui différencie l’enseignant en physique du scientifique-physicien (C. Gauthier et al. 1997 ; Lee et Luft 2008). Puisque cette connaissance est centrale à l’acte d’enseigner (Tardif et Lessard 1999, 569) et que, selon plusieurs typologies, elle englobe plusieurs autres savoirs (Tardif et Lessard 1999 ; Hashweh 2005 ; Lee et Luft 2008), nous pensons que les connaissances relatives à l’adolescence, abordées dans les formations en enseignement secondaire et en ÉPS, doivent être abordées dans le but de faire le pont entre la théorie et la pratique enseignante en classe ; entre les savoirs de contenus, de la pédagogie et des élèves. Il semble toutefois que les connaissances relatives aux adolescents occupent une place réduite dans les programmes québécois francophones. Tout porte à croire que le faible apport de la recherche sur ces connaissances se reflète par leur faiblesse au sein des curriculums.

Il est évident que ces conclusions et questions ne peuvent être entièrement répondues uniquement à l’aide des descripteurs de cours et des quelques plans de cours que nous avons analysés : c’est pourquoi nous pensons que des entretiens avec des directeurs de programme et des professeurs ayant enseigné l’adolescence aux futurs enseignants pourraient nous éclairer davantage quant aux connaissances réellement transmises et ainsi nous aider à dresser un portrait plus fidèle de l’intégration des connaissances relatives aux élèves adolescents dans les formations à l’enseignement secondaire et en ÉPS du Québec.