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Le colloque organisé en automne 2018 sous les auspices du CRIHN, invitant à repenser les humanités numériques, se proposait de « cerner l’impact du numérique sur le processus de production et de circulation du savoir ». Les humanités numériques se démarquent en effet d’autres champs de recherche en ce qu’elles accordent une attention particulière aux conditions matérielles d’élaboration et de diffusion des connaissances scientifiques (Dacos et Mounier 2014). Or, si ce mouvement modifie en profondeur les conditions de la recherche en humanités (avec l’utilisation de nouveaux outils, de nouveaux dispositifs porteurs d’une matérialité propre), la question de la matérialité langagière des discours scientifiques qui s’élaborent dans les plateformes numériques de communication de la recherche semble bien rester, dans une certaine mesure, un point aveugle.

La matérialité des discours de savoir

Or, de quoi parle-t-on, dès lors qu’il est question de la matérialité langagière des savoirs ? On peut la considérer à deux niveaux. Le premier, celui du matériau linguistique, concerne le lexique, la syntaxe, les marques énonciatives, les registres de langue, etc. Le second, qui s’y superpose, est celui de l’organisation du discours, des séquences narratives ou argumentatives, des genres ; mais aussi celui des stratégies rhétoriques, comme le recours aux métaphores heuristiques qui surgissent parfois dans le discours scientifique. À ces niveaux linguistiques, il faut ajouter une strate de matérialité sémiotique qui touche au rapport du texte à l’image (ou à sa propre image) : formes textuelles, co-construction de l’énonciation par des matériaux visuels, etc. Enfin, cet ensemble est chapeauté par la matérialité du dispositif médiatique dans lequel s’inscrivent ces différents éléments ; qu’il s’agisse du médium au sens strict (monographie, revue, plateforme, etc.) ou de l’économie matérielle régissant les industries éditoriales du texte scientifique[1] – autant d’éléments ayant leur importance pour une discipline comme l’analyse du discours, qui étudie la relation entre un texte et son contexte, le lieu social où il s’inscrit.

L’environnement numérique agit sur les différents niveaux de matérialité des discours de savoirs : les dispositifs informatisés (Jeanneret 2014) commandent le gabarit des textes et en conditionnent les logiques de diffusion; les modalités d’affichage du texte à l’écran sollicitent activement l’allocutaire dans le choix de sa composition ; les éléments langagiers se voient dotés d’un caractère opératoire, comme c’est par exemple le cas des mots hyperliés ; l’ouverture aux matériaux audiovisuels enrichit la polysémioticité des textes; l’élargissement potentiel des publics que permet la diffusion sur le web, tout comme la modification des formats d’écriture, nécessite pour les locuteurs de revoir leurs choix lexicaux ou rhétoriques.

Pour toutes ces raisons, il semble y avoir un intérêt à étudier les mutations du discours scientifique – entendu ici au sens de Rinck (2010, par. 2), qui en fait un « discours produit dans le cadre de l’activité de recherche à des fins de construction et de diffusion du savoir » – dans cet environnement spécifique, son ajustement aux formats et à la temporalité de la recherche qu’il favorise, ainsi qu’au brouillage éditorial (Dacos et Mounier 2010) qu’il met en œuvre. Nous souhaitons contribuer à investiguer la manière dont la matérialité propre aux discours de savoir numériques agit sur la communication de la recherche en humanités, à partir de l’analyse d’un corpus de billets issus de la plateforme de blogging en sciences humaines et sociales Hypothèses. Les observations développées se fondent sur l’analyse de notre corpus de thèse, constitué des 87 billets publiés en Une de la page d’accueil de la plateforme dans sa section francophone, extraits durant trois séquences temporelles (15/10/2016-15/01/2017, 15/04/2017-15/07/2017 et 15/10/2017-15/01/2018)[2]. En raison de ce biais de sélection ainsi que du nombre réduit d’observables, notre étude, inscrite dans le champ disciplinaire de l’analyse du discours et reposant sur une approche qualitative, n’a pas prétention à l’exhaustivité; elle nous paraît toutefois pouvoir dire quelque chose sur cette transformation des discours de savoirs au regard de leur matérialité et de leur inscription dans un nouvel environnement.

Figure 1

Page d’accueil de la plateforme Hypothèses, capturée le 31 janvier 2019

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Hypertexte et intertexte

Les phénomènes d’hypertextualité numérique et d’intertextualité – définie au sens strict par Genette comme « une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre » (Genette 1982, 8) – apparaissent comme étroitement liés. En quelque sorte, la technologie du lien hypertexte qui fonde les relations du web apparaît comme une matérialisation de la relation abstraite, intellectuelle, qui relie deux discours unis par une relation intertextuelle. Comme l’observe Marcoccia, les écrits numériques « manifestent un haut degré d’intertextualité, par la présence (plus ou moins littérale ou intégrale) de textes dans d’autres textes[3] » (2016, 100). Cette présence se manifeste sur un mode singulier, puisqu’elle permet « la coexistence matérielle, synchronique de l’énoncé premier et de l’énoncé ajouté[4] » (Rosier et Grossmann 2018, 45). L’hypertextualité numérique constitue ainsi un indice majeur de l’intertextualité, mais ne peut s’y réduire : Vandendorpe signalait l’intertexte comme fait de lecture, contrairement à l’hypertexte, qui serait un construit informatique (1999; Marcoccia 2016, 105)[5]. Nous nous intéresserons ici aux fonctions qu’assurent cette mise en relation matérielle d’un discours scientifique numérique avec son intertexte par le biais d’une relation hypertextuelle, et ce que cela crée comme effets de lecture dans un texte visant la communication scientifique des savoirs. Ces fonctions nous paraissent relever de quatre ordres : éditorial, critique, informatif et ludique.

Étude du corpus

Fonction éditoriale

Le carnet de recherche, comme lieu de publication sérielle marqué par un caractère ouvert et agrégatif, favorise l’insertion de renvois internes. Ces renvois internes, à l’instar des procédés de redocumentation (Paveau 2017) disponibles au sein du carnet de recherche et mobilisant l’enrichissement hypertextuel (nuages de mots-clés, catégories ou rubriques), assurent une fonction éditoriale destinée à mettre en cohérence les publications d’un même carnet de recherche; fonction importante dans le corpus puisqu’on la repère dans près d’un tiers des billets (soit 28 sur 87 : p. ex. billets n° 1, 15, 23, 25, 31, etc.). Les renvois internes figurent, de manière privilégiée, dans l’incipit (p. ex. billets n° 47, 62, 70, 75, etc.) ; ce qui permet de cadrer le propos et de le situer dans une recherche en cours. La mise en co-présence matérielle des différents états d’une démarche de création de savoir favorise la réflexivité du chercheur sur son propre travail, dès lors que ses propres écrits préparatoires deviennent un intertexte[6].

Fonction critique

Une autre fonction importante de l’enrichissement hypertextuel dans les billets du corpus est, de manière assez attendue, la mise en relation du discours avec les sources primaires ou secondaires sur lesquelles se fonde la recherche. L’enrichissement hypertextuel semble de ce point de vue privilégié par rapport à la citation au sens strict (soit, la reproduction d’un extrait marqué par un site énonciatif antérieur), en particulier pour les sources secondaires. Ce procédé nous paraît assumer une fonction critique, permettant de documenter et de partager la démarche intellectuelle du chercheur. Au niveau des sources primaires, le lien hypertexte pointe alors vers un document numérisé, par exemple sur Gallica (p. ex. billets n° 5, 26, 37, 63, etc.), Google Books (billets n° 63, 68) ou Archives.org (p. ex. billets n° 7, 15, 47, 68, etc.) ; voire vers un album Flickr (billet n° 56) ou un document audiovisuel hébergé sur une plateforme comme YouTube (p. ex. billets n° 7, 47, 62, etc.). Pour les sources secondaires, les hyperliens renvoient vers l’article ou l’ouvrage s’il est disponible en ligne (p. ex. billet n° 2 où de nombreuses références bibliographiques sont cliquables au sein du texte même ; billets n° 4 et 36 qui pointent vers des documents sur HAL, billet n° 26 qui renvoie entre autres vers des livres publiés sur OpenEditionBooks, billet n° 86 renseignant des articles en ligne, etc.).

Les publications des carnets de recherche témoignent d’une extension du champ référentiel, en ce qu’elles sont susceptibles de lier l’actualité de la recherche à une actualité médiatique ou culturelle : de ce fait, il semble bien que l’intertexte convoqué par l’enrichissement hypertextuel dépasse le domaine des publications scientifiques – ceci étant facilité par le fait que cet intertexte, surtout médiatique[7], est désormais disponible en ligne. On relève ainsi des liens hypertextuels ciblant des médias tels que Libération (p. ex. billets n° 2, 26, 39, etc.), Le Monde (billets n° 10, 18, 78, etc.) ou France Culture (p. ex. billets n° 43, 62 etc.)[8]. Un exemple parlant est, de ce point de vue, le paragraphe suivant, extrait du billet n° 66 qui par l’enrichissement hypertextuel met en relation le sujet abordé (la question minière) avec une revue de presse éclairant son traitement dans l’actualité :

Figure 2

Extrait du billet n° 66, capturé le 31 janvier 2019 (les éléments activables figurent en vert foncé)

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Ou encore celui-ci, extrait du billet n° 8 et mettant en évidence de manière concrète les traces de l’activité scientifique du collectif dans les médias d’information au public :

Figure 3

Extrait du billet n° 8, capturé le 31 janvier 2019

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Ces exemples tendent à montrer que l’intertexte du billet de recherche ne repose pas uniquement sur les sources patrimoniales ou scientifiques sur lesquelles se fonde ordinairement la recherche en SHS, mais mobilise également un présent médiatique susceptible de faire sens pour un lecteur qui n’est plus uniquement envisagé comme universitaire : l’intertexte médiatique tend en effet à situer la recherche en SHS dans une actualité sociale susceptible de concerner un ensemble plus large que la seule communauté académique.

On signalera enfin un possible écueil à cette fonction critique de l’enrichissement hypertextuel, qu’est la corruption des liens aboutissant dès lors non à la source mais à une page d’erreur (p. ex. billet n° 7 sur le technomot « Oklahoma » ; billet n° 18 sur le technosegment « Palais Bourbon […] », etc.).

Fonction informative/d’identification

Certains éléments cliquables assurent une fonction herméneutique en ce qu’ils fournissent l’accès à un complément d’information susceptible de guider l’allocutaire vers une meilleure compréhension du texte. Un cas remarquable, parmi les billets du corpus, est l’enrichissement hypertextuel de billets renvoyant vers Wikipédia pour l’explicitation de certains termes plus spécialisés (p. ex. les termes « Proxy » et « VPN » dans le billet n° 78), ou d’objets culturels (p. ex. titres de films et séries télévisées dans le billet n° 25)[9]. Dans le même ordre d’idée, on repère des liens d’identification[10] à partir d’un nom propre, renvoyant alors vers une page institutionnelle, un profil Twitter (p. ex. billets n° 4, 36[11], etc.), ou à nouveau une page Wikipédia (p. ex. billet n° 47, sur le nom « Kati Horna », etc.) ; l’identification est encore menée à partir d’un nom de collectif (institution ou groupe, scientifique [p. ex. billet n° 71], culturel [p. ex. billet n° 82], etc. – voir aussi, à ce propos, l’enrichissement hypertextuel des ressources en ligne proposée dans le billet n° 64) ou d’un titre d’œuvre, par des hyperliens pointant vers une notice de catalogue ou un site d’éditeur (p. ex. billet n° 70 permettant une délinéarisation vers le site d’Armand Colin ; billet n° 67 proposant en légende de chaque vignette illustrée le lien vers un site éditorial)[12]. Dans le premier cas, le lien fonctionne à peu près de manière analogue aux info-bulles que l’on peut trouver sur des sites de vulgarisation scientifique, si ce n’est qu’un mouvement de délinéarisation est nécessaire (là où, pour les infobulles, le complément d’information se greffe au texte premier moyennant le passage du curseur). Dans le second cas, le texte hyperlié est proposé à des fins de présentation d’un acteur ou d’un objet, que le locuteur préfère ne pas imposer à son allocutaire tout en lui laissant la possibilité d’accéder à une information qu’il estime pertinente pour la compréhension de son propos (ce qui lui permet par ailleurs de manifester sa connaissance du sujet traité).

Mais est-ce encore de l’intertexte, soit, on le rappelle, la présence d’un texte dans un autre ? Au sens strict, la réponse est positive : l’adresse URL embarquée (qui s’affiche au bas de la page-écran dès lors que l’on passe le curseur sur le segment cliquable) rend effective cette présence en synchronie. En revanche, cet intertexte ne fonctionne pas réellement comme une source sur laquelle s’appuie le discours de recherche. Il s’agit au contraire d’une information délivrée a posteriori, après le rassemblement des matériaux, qui s’oriente davantage vers la démarche de communication du savoir : elle manifeste la disponibilité de ressources documentaires et la possibilité de les greffer aux éléments langagiers numériques comme composites (Paveau 2017), sans pour autant se situer dans une relation intellectuelle de discussion d’un texte premier par un texte autre. La matérialité du lien hypertexte joue toujours, cependant, un rôle de mise en circulation des textes : si l’on reprend l’exemple des notices Wikipédia hyperliées, cela se traduit par l’établissement d’une relation entre savoir profane et savoir spécialisé, qui contribue à orienter la lecture du billet. En effet, en l’absence de discussion critique sur un texte qui serait une source, le locuteur se porte en quelque sorte garant de la pertinence de l’information communiquée; compte tenu de l’indétermination du niveau de savoir de l’écrilecteur en contexte numérique, l’hyperlien activable manifeste la possibilité permanente d’une mise à niveau des connaissances de l’allocutaire si ce dernier en ressent le besoin.

Fonction ludique

Dans cette même catégorie, on trouve des formes d’enrichissement hypertextuel à fonction ludique, mobilisant sur le mode de l’allusion des références à la culture populaire. Elles prennent à contre-pied les attendus de pertinence des renvois assurant une fonction informative ; en quelque sorte, elles en sont le miroir inversé. La pratique n’est pas marginale, et on en trouve plusieurs exemples dans les billets de notre corpus premier : on trouve ainsi, dans le billet n° 46, une allusion au film Histoire sans fin (« Bref, faire contre mauvaise fortune bon cœur, sans se laisser envahir par la mélancolie des marécages, comme le disait Atreyu dans mon enfance. »)[13] ; le billet n°18 renvoie par un technosegment (« qui n’a rien d’original mais qui est toujours aussi efficace ») vers le sketch Political Choreographer des Monty Pythons sur YouTube, et le billet n° 42 utilise, outre les citations en texte, l’enrichissement hypertextuel pour cibler, par exemple, un manga animé, Hokuto no Ken (« Et quel secret se cache sous le voile de la mariée[14] ? »), ou encore une référence de la culture populaire belge, par l’allusion à une réplique du film Dikkenek prononcée par l’acteur François Damiens (« Il est à présent près de 17h45 partout en Belgique », renvoyant vers un extrait du film sur YouTube)[15]. Ces allusions nous paraissent relever d’une fonction ludique, créant une connivence avec l’allocutaire et visant à rendre les connaissances scientifiques plus attrayantes. En effet, les références à la culture populaire sont mobilisées en situation de co-présence avec d’autres intertextes (scientifiques, médiatiques, etc.) ; et de ce point de vue, l’enrichissement hypertextuel des billets présente la particularité de mettre en relation des textes issus d’univers sociaux relativement étanches. Ainsi, dans le billet n° 42, l’intertexte à fonction ludique entre en résonnance avec un intertexte scientifique (on convoque Bourdieu pour donner sens à la soutenance de thèse comme rite de passage) ainsi qu’avec l’intertexte interne au carnet (des publications antérieures présentant des fragments de la recherche du nouveau docteur, le récit d’anecdotes qui ont parsemé sa recherche, ainsi que la recension d’un ouvrage reçu à l’issue de la soutenance ; bref, un véritable parcours de recherche qui sous-tend le récit de la soutenance comme aboutissement).

Conclusion

L’enrichissement hypertextuel dans les billets de recherche agirait donc principalement à deux niveaux : (i) l’opérativité des éléments du discours qui permet la reproduction d’un geste herméneutique (Souchier et Jeanneret 1999) – geste par lequel le chercheur peut également mettre en perspective ses publications antérieures, ce qui favorise une démarche réflexive dans la construction des savoirs ; (ii) la mise en co-présence d’intertextes participant de sphères d’activités sociales diverses (recherche, médias, culture populaire). Le discours de savoir est, fondamentalement, polyphonique (Jeanneret 2004) ; cependant, au sein des billets, les paroles d’autrui sont parfois mobilisée à d’autres fins qu’un travail sur les sources (comme c’est le cas pour les fonctions ludiques et d’information). Cette mise en co-présence d’intertextes variés nous semble participer du brouillage éditorial des écrits des carnets de recherche qu’ont mis en évidence Dacos et Mounier :‬‬‬‬

Par le blog, le chercheur s’adresse directement à un public qui n’est d’ailleurs plus segmenté […]. Les différents billets, portant sur des sujets divers, rédigés de manières différentes s’adressent à des publics hétérogènes ou, mieux, ne préjugent ni de la qualité ni des compétences de ceux qui peuvent les lire .

(2010, 5)

Le texte scientifique sur blog devient de ce fait polychrésique, susceptible de soutenir différentes logiques sociales et de mener à des usages différents (Jeanneret 2014, 14), même si le carnet reste bien un espace de communication scientifique, étant donné que le contexte éditorial de la science ouverte autorise (en tout cas théoriquement) l’élargissement du lectorat potentiel des publications de recherche. Outre son rôle probatoire, autorisant une vérification des sources par l’allocutaire, l’enrichissement hypertextuel manifeste le souhait du locuteur, grâce à la possibilité d’une délinéarisation (Paveau 2016) permettant d’expliciter une allusion, de se montrer le plus inclusif possible dans l’anticipation d’un lecteur attendu. Si ce souhait peut rester très théorique – on imagine sans doute mal un lecteur lambda consultant un article scientifique pour vérifier les sources du chercheur –, une spécificité est que l’acte concret de délinéarisation produit par l’écrilecteur lui permet le cas échéant de s’inscrire dans une communauté restreinte dont il peut désormais saisir les allusions : par exemple, celle du lectorat d’un carnet (voir, à cet égard, l’allusion hyperliée à un autre billet du carnet qui clôt le billet n° 42 ; ou plus généralement les allusions hyperliées parsemant le billet n° 36).

Le lien hypertextuel assure de ce fait un rôle fondamental dans les opérations d’interprétation des discours scientifiques diffusés sur un carnet de recherche en ligne. Ainsi que l’avaient déjà souligné Tardy et Jeanneret,

la navigation sur le web se définit comme une opération d’écriture intertextuelle au cours de laquelle est réuni un ensemble de textes en réseau. Un « bouton » n’est jamais simplement actionnable ; il y a déjà du sens et, comme nous le développerons plus loin, de l’usage, dans l’écriture des objets médiatiques : ce qui interroge sérieusement sur ce qui est manipulé. Ainsi, il est impossible de dissocier la manipulation de l’interprétation, car les machines suggèrent la pratique sociale – elles mettent à disposition du sens –, et nous réinvestissons et réinventons sans cesse des modèles de communication et d’action qui nous sont proposés .

(Tardy et Jeanneret 2007, 23‑24)

Nous pensons que la dimension dialogique qui entoure l’imaginaire de la communication sur blog scientifique, loin de se limiter à l’interaction avec le lectorat qu’autorise le dispositif par l’adjonction de commentaires, réside également dans cette incitation qui est faite au lecteur d’agir le texte scientifique diffusé sur blog, format de communication également mobilisé pour d’autres pratiques sociales (p. ex. journalisme, loisir, etc.) – nous suivons en cela les propositions de Saemmer, pour qui l’hyperlien est une figure de la lecture (Saemmer 2015). De ce point de vue, les énoncés hyperliés du billet de recherche produits dans le dispositif informatisé du blog, lui-même inscrit dans le réseau du web, invitent à une opération d’écriture intertextuelle dans le chef du lecteur, amené à s’approprier activement les savoirs dans un discours scientifique désormais manipulable.