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Les heures… les heures de loisir, les heures de travail. Qu’est-ce que les heures? La pellicule s’altère, les grandes maisons d’exploitation s’effondrent les unes après les autres. Il n’en va pas autrement de la vie, ce film impossible à suivre et dont cependant un jour s’éclaire mystérieusement le sens.

André Breton et Louis Aragon, Le trésor des Jésuites

Le théâtre surréaliste a pour origine le spectacle Dada qui prit son envol au Cabaret Voltaire de Zurich à l’hiver 1916. Les tenants de l’avant-garde intellectuelle et artistique s’y rassemblaient autour du poète allemand Hugo Ball, fondateur du lieu, et y organisaient des « soirées poétiques » où « la peinture, la musique, les poèmes récités avec un accompagnement de crécelle ou de grosse caisse n’allaient pas dans le sens du plus grand confort intellectuel » (Béhar, 1979 : 41-42). La première soirée officiellement baptisée « Dada » eut lieu le 14 juillet 1916 et proposait une programmation tout à la fois musicale, dansante, poétique, picturale, sans oublier la proclamation de manifestes en tous genres. Tristan Tzara, qui importera à Paris, en 1920, cette esthétique ubuesque et débridée, décrit le spectacle avec une rage syncopée qui traduit bien sa teneur corrosive :

Devant une foule compacte, Tzara manifeste, nous voulons nous voulons nous voulons pisser en couleurs diverses, Huelsenbeck manifeste, Ball manifeste, Arp Erklärung, Janco meine Bilder, Heusser eigene Kompositionen les chiens hurlent et la dissection du Panama sur piano et embarcadère – Poème crié – on crie dans la salle, on se bat, premier rang approuve deuxième rang se déclare incompétent le reste crie, qui est plus fort on apporte la grosse caisse […] – on proteste on crie on casse les vitres on se tue on démolit on se bat la police interruption

(Tzara, 1975 : 562-563).

Ce compte rendu, originellement publié dans Dada Almanach en 1920, porte la trace de deux éléments majeurs qu’on verra inconditionnellement reliés à ce qui deviendra, par la suite, le théâtre surréaliste : premièrement, un goût immodéré pour la provocation, dont Louis Aragon fera d’ailleurs usage dans beaucoup de ses oeuvres de jeunesse; et deuxièmement, la production d’une forme scénique qui combine avec audace une multiplicité d’arts et de media différents.

Mais déclencher l’ire du public n’est sans doute pas la fonction première de ce théâtre qui bouleverse les codes traditionnels de l’esthétique et de la bien-pensance. En parcourant sa genèse, on assiste en effet à un éclatement du genre qui sera reconduit et réinvesti à de nombreuses reprises, notamment en 1928 dans Le trésor des Jésuites d’André Breton et Louis Aragon, qui fera l’objet de la présente étude. Ce qu’on pourrait qualifier d’« intermédialité[1] » est bel et bien effectif dans cette pièce composée à quatre mains en hommage à Musidora – Jeanne Roques, pour l’état civil. Cette célèbre actrice française du cinéma muet se fit surtout remarquer pour ses rôles de vamp et de femme fatale dans deux mémorables films à épisodes, Les vampires et Judex, réalisés par Louis Feuillade entre 1915 et 1917. Avant toute chose, il est important de signaler que Le trésor des Jésuites fut fortement déprécié par ses créateurs. Aragon le qualifia tardivement d’« assez mauvaise pièce à grand spectacle » (Aragon, 1974b : 276) dont l’intérêt était avant tout biographique, puisqu’il conserve la trace de ce qui est probablement la dernière collaboration entre les deux auteurs. Vers la fin des années 1920 mûrissait effectivement la profonde mésentente entre les deux hommes qui se solderait par une rupture définitive en 1932. Plusieurs différends, d’ordre politique ou esthétique, opposaient Breton et Aragon en 1928, mais s’il est un domaine où leurs goûts se rejoignaient encore, c’est celui des films à épisodes mettant en scène Musidora, au point de générer une oeuvre dont la valeur, nous semble-t-il, va bien au-delà du seul aspect biographique[2]. Au fil de cette étude, nous tenterons de montrer que Le trésor des Jésuites participe d’une esthétique qui relève d’une volonté commune à ses auteurs de rendre hommage au cinématographe en s’inspirant notamment de l’univers des serials[3], dont l’astre Musidora illumina leur jeunesse volée par la Première Guerre mondiale. Pour ce faire, nous nous intéresserons d’abord aux différentes étapes qui ont conduit à l’élaboration du Trésor des Jésuites; nous examinerons ensuite les emprunts directs au contenu et à l’atmosphère de ces films à épisodes; enfin, nous verrons en quoi la structure même de la pièce tente d’absorber, en quelque sorte, l’une des potentialités du septième art, soit sa plasticité temporelle.

À l’origine du Trésor des Jésuites : un mythe surréaliste

Afin de comprendre les tenants et aboutissants de cette passion cinématographique qui fut aussi bien celle des protosurréalistes Breton et Aragon que celle de leurs compagnons de l’époque[4], il faut examiner de près un phénomène particulier qu’on pourrait rétrospectivement appeler « mythologie du surréalisme ». Durant la Première Guerre mondiale, Breton, alors étudiant en médecine, est affecté à la fonction d’interne dans un hôpital militaire de Nantes, ville où il séjourne en 1915 et 1916. Il y fait la rencontre d’un soldat blessé dans les tranchées, Jacques Vaché, dandy local, qui, avant de succomber mystérieusement à une overdose d’opium en 1919, l’aide à s’émanciper de l’influence de Mallarmé et de l’obsession rimbaldienne pour qu’il s’ouvre à une mythologie moderne, le sommant de prendre en considération « l’importance des gestes » et de l’action : « Écrire, penser, ne suffisait plus : il fallait à tout prix se donner l’illusion du mouvement, du bruit » (Breton, 1969 : 17). Dans un article paru initialement en 1951 dans L’âge du cinéma et intitulé « Comme dans un bois », Breton expose l’un des rituels participant de cette mythologie moderne :

Je m’entendais très spécialement avec Jacques Vaché pour n’apprécier rien tant que l’irruption dans une salle où l’on donnait ce que l’on donnait, où l’on en était n’importe où et d’où nous sortions à la première approche d’ennui – de satiété – pour nous porter précipitamment vers une autre salle où nous nous comportions de même, et ainsi de suite […]. Je n’ai jamais rien connu de plus magnétisant […]. Quelques heures du dimanche suffisaient à épuiser tout ce qui s’offrait à Nantes : l’important est qu’on sortait de là « chargé » pour quelques jours

(1967 : 376-377; souligné dans le texte).

La désinvolture sous-jacente à cette pratique délibérément aléatoire de la séance de cinéma définit et fonde en grande partie la conception qu’avait Breton du septième art, « substance lyrique exigeant d’être brassée en masse et au hasard », mais dispensatrice d’un fort « pouvoir de dépaysement » (ibid. : 377; souligné dans le texte). Cependant, tandis que s’élaborait cette méthode arbitraire de visionnage au coeur de l’ancienne cité des ducs de Bretagne, plusieurs bandes spécifiques ne laissaient pas de fasciner les deux acolytes : « Tout ce que nous pouvions accorder de fidélité allait aux films à épisodes déjà si décriés (Les mystères de New York, Le masque aux dents blanches, Les vampires) » (idem), écrit Breton qui avait déjà fait honneur aux serials dans sa préface aux Lettres de guerre[5] de Jacques Vaché : « La belle affiche : Ils reviennent. – Qui? – Les vampires, et dans la salle éteinte les lettres rouges de Ce soir-là » (1919 : III; souligné dans le texte). Ce ton mystérieux et empreint de nostalgie commémore les heures passées, en compagnie de cet ami si admiré et brutalement disparu, dans les cinémas nantais où l’on projetait, entre autres feuilletons, Les vampires de Feuillade. Inspiré par cette rencontre avec l’illustre « dandy des tranchées » (Roy, 1989), Breton s’appliqua à construire l’un des mythes fondateurs du surréalisme, dont une composante prenait racine dans l’inquiétante touffeur criminelle des Vampires, que présidaient la beauté sulfureuse et l’érotisme troublant de Musidora.

Musidora dans Les vampires de Louis Feuillade (1915).

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Musidora ou la « Beauté moderne »

Fervent admirateur de l’interprète d’Irma Vep, protagoniste féminine des Vampires, Breton alla également la voir sur scène le 21 juillet 1917, dans Le maillot noir. Patrick Cazals raconte qu’à l’issue de cette courte pièce, le jeune Breton lança sur la scène un bouquet de roses, avant d’écrire ce mot à Musidora : « Quel poète […] ne s’honorerait aujourd’hui de vous avoir pour interprète? Comment dire ce que vous en êtes venue à incarner pour certains : quelle moderne fée adorablement douée pour le mal, puérile – ô votre voix d’enfant[6] ! » (Breton, cité dans Cazals, 1978 : 64.) Dans cette même missive, l’auteur des Manifestes du surréalisme ajoute qu’à son avis, « Musidora est bien la femme moderne en quelque chose » (Breton, cité dans Hubert, 1988 : 1745).

Les termes qui caractérisent ici la vedette de cinéma anticipent remarquablement la quête effrénée d’un idéal de « Beauté moderne », qu’Aragon entreprendra quelques années plus tard par le biais de son premier roman, Anicet ou Le panorama : « Mais, quand je m’aperçus de quels philtres démodés je faisais usage, je ne persistai pas dans mon erreur et partis à la recherche de l’idée moderne de la vie, de la ligne même qui marquait l’horizon de vos contemporains » (Aragon, 1997a : 37). Dans ce roman initiatique, la muse moderne se prénomme Mirabelle, sorte de divinité insaisissable qui se fait tantôt femme, tantôt pure abstraction; à bien des égards, il est possible de reconnaître en elle le pendant romanesque de Musidora. À plusieurs reprises, Aragon témoignera du culte qu’il vouait à l’actrice et aux Vampires, le film à épisodes qui la rendit célèbre, notamment dans le Projet d’histoire contemporaine[7] qu’il rédigera pour le couturier et mécène Jacques Doucet en 1922 et 1923 :

L’idée que toute une génération se fit du monde se forma au cinéma, et c’est un film qui la résume, un feuilleton. Une jeunesse tomba tout entière amoureuse de Musidora, dans Les vampires. […] À cette magie, à cette attraction, s’ajoutait le charme d’une grande révélation sexuelle. […] Cette magnifique bête d’ombre fut donc notre Vénus et notre déesse Raison

(1994 : 7-9).

Ce passage est révélateur de la charge érotique dont fut investie la vamp au maillot noir, enflammant l’imagination des jeunes spectateurs durant les années 1910. Réactivant en 1928 un mythe vieux d’au moins une décennie, Le trésor des Jésuites offre le premier rôle – simultanément sur scène et dans la fiction – à celle que ses auteurs n’ont pu oublier.

Du Gala Judex au Nové Divadlo : la rédemption par le mythe

Mais pourquoi rendre hommage subitement et surtout si tardivement à l’actrice qui avait fait chavirer leur coeur à peine sorti de l’adolescence[8]? À n’en pas douter, un tel projet aurait pu s’échafauder beaucoup plus tôt; or, il n’en fut rien. Cependant, un événement tragique survint et raviva l’étincelle d’une passion qui s’était peut-être atténuée au fil des ans. En octobre 1928, la veuve de René Cresté – l’interprète de Judex[9] – tenta de se suicider, s’étant retrouvée sans ressources aucunes pour élever sa fille handicapée. Le Tout-Paris s’indignant de la situation, on demanda à Breton et à Aragon d’écrire un sketch dramatique dans lequel pourrait jouer Musidora, qui avait endossé le rôle de l’aventurière Diana Monti dans Judex. Quant à la façon dont ils furent approchés, Olivier Barbarant suppose « que Jean Pidault[10] a pris contact avec l’un ou l’autre des écrivains, sachant leur goût pour un cinéma qu’ils avaient d’autant plus défendu qu’il avait été contesté par une opinion publique moralisatrice et effarouchée » (Barbarant, 2007 : 1351). Ce divertissement devait accompagner la projection des films de René Cresté dans le cadre d’un gala dont le bénéfice serait reversé à la famille démunie du comédien disparu. La pièce fut écrite très vite, le spectacle devant avoir initialement lieu le 3 novembre 1928. Il fut néanmoins reporté une première fois au 1er décembre, la veuve ayant pris peur en apprenant que deux surréalistes étaient responsables de l’écriture du sketch. S’ensuivirent plusieurs conflits de direction et de programmation, si bien que le gala de charité eut finalement lieu en février 1929, mais exempt de la pièce de théâtre écrite pour l’occasion. Pourtant, Étienne-Alain Hubert nous apprend que les préparatifs de la pièce allaient bon train, « comme en témoignent des propositions d’attributions des rôles, le choix pour la partie musicale […] et […] un reportage de Pierre Lazareff […] qui évoquait une séance de lecture du texte par Breton, en présence d’Aragon, au domicile de Musidora » (1988 : 1746). Cette déconvenue est à notre avis symptomatique de l’engouement des surréalistes pour des formes d’art dont le milieu même de production leur est par définition hostile, en l’occurrence celui d’un cinéma commercial et parfois de piètre qualité, très éloigné des avant-gardes de l’époque. La méfiance de la veuve – rapidement suivie de l’éviction complète d’Aragon et de Breton du Gala Judex – témoigne de ce rejet plutôt brutal de deux poètes en quête d’un surréalisme involontaire puisé au coeur d’une culture populaire mais subversive à certains égards, comme nous le verrons plus loin.

Toujours est-il que le fruit de leur travail ne fut pas perdu, puisque, dès juin 1929, Le trésor des Jésuites put jouir d’une publication dans un numéro spécial de la revue belge Variétés[11], « Le surréalisme en 1929 », dont la composition avait été confiée aux deux auteurs. Le hors-série contenait notamment sept poèmes de La grande gaîté d’Aragon, recueil qui allait bientôt paraître chez Gallimard, ainsi que de nombreux textes, documents, tableaux et dessins surréalistes, Le trésor des Jésuites faisant office de clôture. Ce numéro de Variétés ayant pour fonction de dresser un panorama du surréalisme en 1929, tout porte à croire que les textes qui s’y trouvaient – dont la pièce de théâtre étudiée ici – sont emblématiques du mouvement artistique fondé par Breton en 1924. Toutefois, Aragon a pointé du doigt, en 1974, l’artificialité d’une telle publication. Il dit :

Il est à remarquer ici la présence d’un certain nombre de surréalistes qui allaient cette même année briser avec André Breton (en signant un pamphlet contre lui, reprenant à la feuille, publiée lors de l’enterrement d’Anatole France, son titre Un cadavre), par le schisme le plus grave dans l’histoire du surréalisme. J’étais demeuré fidèle à Breton

(1974a : 334).

La rupture entre les deux poètes n’avait effectivement pas encore été consommée, mais elle ne saurait tarder, puisque Breton avait déjà formellement réprouvé les travaux romanesques d’Aragon, alors que ce dernier élaborait un manuscrit paru à titre posthume, inachevé et partiellement détruit : La défense de l’infini. Revenant sur l’oeuvre rédigée à quatre mains en 1928, l’écrivain surréaliste André Thirion fait le constat suivant :

Rien n’illustre mieux la crise traversée en 1929 par le surréalisme que la laborieuse fantaisie écrite en collaboration par Aragon et Breton […]. Le trésor des Jésuites est à mon avis un témoignage très accablant de l’essoufflement du surréalisme à la fin de l’année 1928 et de l’espèce de fading qui couvrait alors la force créatrice de ses deux plus éminents représentants, qui avaient à peine dépassé la trentaine et avaient déjà écrit quelques-unes des oeuvres capitales de la littérature du XXe siècle

(1972 : 191).

Sans remettre en question, comme Thirion, la qualité de la pièce, nous sommes d’avis que Le trésor des Jésuites, par le choix de ses sujets et sources d’inspiration, fait foi d’une volonté de cohésion dans une période critique pour le groupe surréaliste. La salutaire réactivation de mythes anciens, passant par l’évocation des films à épisodes et autres emprunts au cinéma, offre un sursis artistique aux deux compagnons, avant que ne s’effondre une complicité datant de plus de dix ans.

Le trésor des Jésuites ne sera donc jamais monté pour la scène avec l’actrice Musidora en premier rôle, comme cela était prévu à l’origine, mais il bénéficiera d’une création au Nové Divadlo (Théâtre Nouveau) de Prague en 1935 par le metteur en scène Jindřich Honzl dans des décors du plasticien Jindřich Štyrský – soit deux membres du groupe surréaliste praguois qui se forma après le passage de plusieurs artistes tchèques à Paris, dont la peintre Marie Čermínová alias Toyen. Il est d’ailleurs à propos de spécifier le parti pris qui fut celui de cette mise en scène praguoise : on ajouta le sous-titre « kino feuilleton » sur la première page du programme (Hubert, 1988 : 1748-1749), annonçant d’emblée la portée cinématographique d’une oeuvre qui fut élaborée, nous l’avons vu, dans le creuset du septième art. À cela s’ajoute le fait que Honzl, le concepteur du spectacle, fut également réalisateur de films, détail qui vient faire écho aux prémices de la pièce.

Le trésor des Jésuites, un hybride théâtral du film à épisodes

Mirage, nous sommes au cinéma.

André Breton et Louis Aragon, Le trésor des Jésuites

Dès le prologue, Le trésor des Jésuites dévoile un programme ambitieux : métamorphoser la scène de théâtre en un écran de cinéma. Au cours d’un dialogue entre deux personnages qui ne sont rien de moins que les allégories du Temps et de l’Éternité – pastichant au passage le prologue à l’antique –, la teneur du spectacle est annoncée d’emblée :

Tiens, puisque tu t’intéresses au cinématographe, je vais te faire assister à l’apothéose d’un genre oublié, que les événements de chaque jour font renaître. On comprendra bientôt qu’il n’y eut rien de plus réaliste et de plus poétique à la fois que le ciné-feuilleton qui faisait naguère la joie des esprits forts. C’est dans Les mystères de New York, c’est dans Les vampires qu’il faudra chercher la grande réalité de ce siècle. Au-delà de la mode, au-delà du goût

(Aragon et Breton, 2007 : 464-465).

Le phénomène de réactivation du mythe à l’oeuvre dans la pièce est aisément repérable dans ce passage où le medium cinéma se voit convoqué par l’entremise d’un genre oublié – suffisamment marquant pour faire l’objet d’une hantise : le film à épisodes. Désavouant le passage indéniable du temps, l’Éternité martèle la célébration d’une forme cinématographique pourtant rejetée par la critique[12] et les moeurs artistiques contemporaines. À ce sujet, Vincent Antoine fait justement remarquer :

[I]l s’agit avant tout de substituer à la culture préétablie une contre-culture des marges, plus à même de rendre compte de l’époque, ce sera Les vampires, Les détraqués de Palau. Il s’agit aussi de disloquer les repères du beau par l’intrusion d’objets que la raison ne peut interpréter, de déjouer […] les conventions

(2006 : 104).

Nous compléterions cet éclaircissement de l’attrait surréaliste pour le suranné par l’ajout d’un autre facteur déterminant pour l’émergence de la préférence cinématographique chez les protosurréalistes. Défini par l’ingénieuse alliance des propriétés réaliste et poétique, le serial possède une qualité exceptionnelle aux yeux des membres du groupe : celle de promouvoir l’action pour l’action, d’avoir pour essence l’énergie même de la vie :

Ce qui fait le théâtre aussi mort pour nous, disait Anicet, c’est sans doute que sa matière unique est la morale, règle de toute action : notre époque ne peut guère s’intéresser à la morale. Au cinéma, la vitesse apparaît dans la vie, et Pearl White n’agit pas pour obéir à sa conscience, mais par sport, par hygiène : elle agit pour agir. […] Il n’y a eu de place ici que pour les gestes. L’action ne nous a passionnés qu’à titre de tour de force. Qui aurait songé à la discuter? on n’en avait pas le temps. Voilà bien le spectacle qui convient à ce siècle

(Aragon, 1997a : 82-83).

Ce passage du roman Anicet ou Le panorama s’appuie sur l’exemple de l’héroïne athlétique du feuilleton Les mystères de New York, la blonde et vertueuse Pearl White, sorte de double inversé de Musidora. Il élucide l’attirance de Breton et d’Aragon pour un genre démodé : « l’importance des gestes » (Breton, 1969 : 17) soulignée par Vaché est prétexte à un amour démesuré pour des films où l’action constitue l’enjeu principal. Trêve de tergiversations psychologiques, la vérité de l’existence se trouverait dans cette suite frénétique d’épisodes à rebondissements, dans ce schème sensori-moteur[13] que Gilles Deleuze a si justement qualifié d’« image-mouvement », dont la fonction est de « présente[r] un personnage dans une situation donnée, qui réagit à cette situation et la modifie » (Deleuze, 1984). Cette fascination pour les scènes trépidantes dévie les conventions de la beauté et explique comment « réalité » et « poésie » peuvent, de l’avis des surréalistes, cohabiter dans une même image.

Faisant écho aux ressorts du serial, les trois tableaux du Trésor des Jésuites offrent une trame narrative typique du genre policier; l’argument de la pièce en reconduit tous les ingrédients. Plus précisément, avec pour héroïne un personnage féminin énigmatique et subversif du nom de Mad Souri[14], ce texte semble avoir pour ambition de contrefaire un épisode fictif du feuilleton Les vampires. En premier lieu, y évolue un personnage de criminelle dont l’activité principale est le vol et le meurtre. Séduisante et érotisée, elle apparaît d’ailleurs ponctuellement dans un costume de « souris d’hôtel » similaire à celui d’Irma Vep, une bonne partie du premier tableau ayant pour scénographie un palier d’hôtel :

Elle est en maillot noir, lampe électrique à la main. Elle éclaire successivement, comme pour voir si personne ne vient, les divers recoins de la scène, la porte du 331, celle du 332. […] Obscurité complète puis, par la porte du 332, un faisceau lumineux : la lampe électrique de Mad Souri sous le projecteur[15]

(Aragon et Breton, 2007 : 468-469).

L’univers du film à épisodes a contaminé l’espace scénique par le concours d’une foule de motifs qui lui sont propres, accumulation qui atteint son paroxysme dans le dernier segment du premier tableau : casinos où l’on joue toute la nuit et bistrots où l’on boit avec excès, espionnage et document secret, activités suspectes et réunion de malfaiteurs, chaque détail qui compose l’action ou le décor fait signe vers le genre du feuilleton policier muet, dont Les vampires est l’emblème. Pour couronner le tout, Mad Souri, symétriquement à Irma Vep dans le serial susmentionné, assassine méthodiquement[16] le voyageur porteur de la carte du « Trésor des Jésuites », orchestrant ensuite le subterfuge rusé mais cruel qui fera accuser à sa place le personnage de Simon, amoureux transi : « Elle va au 333, y entre, en sort très vite, traînant quelque chose de lourd : le cadavre du voyageur, dans la lumière du projecteur, qu’elle enferme au 332. Puis elle prend les souliers de l’homme, qu’elle vient déposer à la porte du 332 » (ibid. : 469). Dans ce passage, comme le signalait le prologue, la réalité alimente la fiction, car ce crime s’inspire d’un fait divers réel qui oriente indiscutablement le choix du titre : « L’actualité fournissait une occasion de réexploiter le thème de la richesse et de la puissance occulte des jésuites, puisque le 11 février 1928 le caissier des Missions étrangères avait été assassiné dans des conditions obscures qui occupèrent la presse et ne furent jamais élucidées » (Barbarant, 2007 : 1352). Le recours à un tel fait divers répond de front à deux exigences surréalistes : un anticléricalisme radical et agressif, récurrent dans La révolution surréaliste, et un penchant pour les atmosphères sordides, délictueuses, voire criminelles. Dans le troisième tableau, une litanie de titres de presse fictifs vient, du reste, confirmer cette inclination pour un envers négatif et obscur du monde, qu’illustre parfaitement cette reprise théâtrale des Vampires : « “Le crépuscule”, “La nuit”, “Le marasme”! […] édition sportive, beaux crimes en perspective » (Aragon et Breton, 2007 : 476). Qui plus est, Le trésor des Jésuites résulte partiellement d’un collage, le texte du second tableau incluant l’extrait d’un article consacré à l’affaire du caissier assassiné, paru le 1er novembre 1928 dans le magazine Détective :

C’est le samedi 11 février 1928, vers 16h. Dans son bureau, M. Félix de la Tajiada de Pérédès, caissier des Missions Catholiques de France, met en ordre sa comptabilité. La pièce est sommairement meublée d’un bureau, de deux sièges, d’un coffre-fort. Au mur pend un grand crucifix de fonte. D’un tiroir, M. de Pérédès vient de sortir deux larges portefeuilles bourrés de billets de mille. […] Une sonnerie retentit; un visiteur. Le visiteur est entièrement enveloppé dans une cape enroulée qu’il retient en avant de son visage avec le bras gauche

(ibid. : 473).

Dans cet extrait, seule la dernière phrase correspond à un ajout des auteurs alors que le reste reprend avec exactitude le texte de l’hebdomadaire[17], ce qui confirme le constat émis par le personnage de l’Éternité dans l’ouverture du même tableau : « ce qui était le propre de l’écran a passé dans le domaine de la vie » (ibid. : 471). Le prologue annonçait en effet ce phénomène d’interpénétration du cinéma et de la vie : « film impossible à suivre et dont cependant un jour s’éclaire mystérieusement le sens » (ibid. : 464), l’existence devient le creuset d’un feuilleton imaginaire, et il est alors impossible de différencier la fiction cinématographique de la vie réelle[18]. Le spectacle promis dès l’ouverture du Trésor des Jésuites, « l’apothéose d’un genre oublié, que les événements de chaque jour font renaître » (idem), prend ainsi racine dans l’actualité de 1928, année de la rédaction de la pièce, démontrant encore une fois que rien n’est plus réaliste que le ciné-feuilleton et que, symétriquement, rien n’est plus cinématographique que la vie elle-même. Hormis le fait divers déjà évoqué, il est fait allusion, toujours sur un ton satirique, aux articles 70 et 71 de la Loi de finances, sur lesquels s’est attardée la Chambre des députés en octobre 1928[19], et à l’incapacité de la Société des Nations à endiguer la guerre (ibid. : 476) – le pacte Briand-Kellogg a été signé en août 1928, suscitant de nombreuses critiques. Sans compter que le troisième tableau s’inspire du navigateur Alain Gerbault qui avait, comme indiqué dans le texte (ibid. : 477), voyagé en Polynésie française deux ans auparavant. En outre, l’accompagnement musical mentionné dans les didascalies puise plusieurs airs contemporains dans la culture populaire[20]. Faisant abondamment usage de ces anecdotes ou caractéristiques qui appartiennent au temps présent, celui de l’écriture, les deux auteurs mettent à exécution l’un des préceptes surréalistes qui consiste à fabriquer du merveilleux à partir de la banalité quotidienne, concept qu’Aragon s’était attaché à développer dans Le paysan de Paris en 1926 :

Le quotidien, on n’approchera jamais assez du quotidien, […] dans leurs robes de chambre en pilou, leurs vestons familiers, leurs souriantes bonhomies, les simulacres des temps modernes empruntent à l’anodin même de cet accoutrement une force magique

(Aragon, 2007 : 256-257).

Flash-back et saut en avant : emprunts à la plasticité du cinéma

Le trésor des Jésuites ne se contente pas d’implanter son argument dans l’ère contemporaine, puisque les trois tableaux opèrent plusieurs glissements temporels – retour en arrière (en 1917) et saut en avant (en 1939) – dont l’emploi entretient une parenté avec la souplesse temporelle permise par le cinéma. Loin de suivre la règle classique de l’unité temporelle, cette pièce emprunte au cinéma sa plasticité. En effet, l’ère du cinéma – ou « épistémè du cinéma », théorisée par François Albera[21] – est celle d’une crise de l’expérience temporelle traversée par le spectateur des salles obscures, qui n’avait connu jusque-là que le dispositif théâtral :

Au cinéma, ce qui est impressionné sur la pellicule et projeté sur l’écran est immuable. Au théâtre, les acteurs partagent la temporalité immédiate des spectateurs. Ils sont là, dans le même espace-temps. Les acteurs de cinéma sont, au contraire, des fantômes, ils peuvent « revivre » par-delà la mort et cela indéfiniment, ou plutôt tant que défile la pellicule. C’est là une différence majeure entre les deux arts

(Achemchame, 2010 : 360).

Né en 1895 avec la toute première projection publique organisée par les frères Lumière, le cinématographe est indéniablement l’art de la rémanence, en ce qu’il « réalise l’étrange paradoxe de se mouler sur le temps de l’objet et de prendre par surcroît l’empreinte de sa durée » (Bazin, 1981 : 151). Cherchant à transcender l’expérience théâtrale usuelle, Breton et Aragon outrepassent la règle des trois unités en remodelant à leur guise la chronologie des événements, affichant d’entrée de jeu leur intention de façonner le temps : « Viens avec moi. Je te montrerai comment on écrit l’histoire. (Au public, très haut) 1917! » (Aragon et Breton, 2007 : 465.) Du prologue au premier tableau, un « bond » temporel transporte instantanément le spectateur de 1928 à 1917; ce saut en arrière est suivi, au deuxième tableau, par un saut en avant qui fait retourner le spectateur en 1928[22]; finalement, le troisième tableau le propulse en 1939. Dans sa composition, la pièce de théâtre emprunte certains procédés narratifs propres au langage cinématographique, tel le montage « qui est la notion la plus subtile et en même temps la plus essentielle de l’esthétique cinématographique, en un mot son élément le plus spécifique » (Martin, 2001 : 184). En ressuscitant, au beau milieu d’une strate temporelle préétablie, les fantômes d’une époque révolue, pour ensuite conduire le spectateur dans un espace-temps situé dans le futur – à mi-chemin entre la prophétie et le récit d’anticipation –, les deux poètes font oeuvre de cinéma en « sculpt[ant] le temps », selon la définition qu’en donne Andreï Tarkovski :

Tout comme un sculpteur, en effet, s’empare d’un bloc de marbre, et, conscient de sa forme à venir, en extrait tout ce qui ne lui appartiendra pas, de même le cinéaste s’empare d’un « bloc de temps », d’une masse énorme de faits de l’existence, en élimine tout ce dont il n’a pas besoin et ne conserve que ce qui devra se révéler comme les composants de l’image cinématographique

(Tarkovski, 1989 : 61).

Ainsi, c’est en s’inspirant du flash-back au cinéma, qui produit un décalage temporel « entre temps de l’histoire et temps du récit » (Journot, 2011 : 55), que Le trésor des Jésuites conduit le spectateur en 1917, année doublement significative pour Breton et Aragon. D’abord, il s’agit certainement de l’année où l’engouement des protosurréalistes pour l’actrice Musidora est le plus fort, étant donné que cette dernière est au sommet de sa gloire, ayant à son actif le rôle d’Irma Vep dans Les vampires et celui de Diana Monti dans Judex (présenté au public entre janvier et avril 1917). Opérer un retour en arrière à cette époque précise permet donc de ramener à la vie un genre cinématographique tombé désormais dans l’oubli et de « faire défiler devant [n]ous les éléments les plus typiques du ciné-feuilleton, […] perdus de vue depuis les progrès déroutants accomplis par ce qu’il est convenu d’appeler le Septième Art » (Aragon et Breton, 2007 : 471). Cet usage d’un procédé cinématographique, qui produit un effet semblable à celui d’une « machine à explorer le temps[23] », est empreint de nostalgie, voire de déception. Au cours de l’échange entre les deux allégories qui sert d’amorce à la pièce, l’Éternité fait le procès du cinéma, lui reprochant, entre autres, d’être périssable, tout comme le temps qui lui est consacré : « Les heures… les heures de loisir, les heures de travail. Qu’est-ce que les heures? La pellicule s’altère, les grandes maisons d’exploitation s’effondrent les unes après les autres » (ibid. : 464). C’est l’industrialisation du cinéma hollywoodien qui est dénoncée, ainsi que l’émergence d’un cinéma exclusivement commercial[24]. Quant aux « progrès déroutants » dont il est fait mention plus haut, il s’agit du glissement progressif du cinéma muet vers le cinéma sonore (ou parlant), contemporain de la rédaction du Trésor des Jésuites[25], qui déplut profondément aux surréalistes et contribua à leur désintérêt progressif envers ce medium : « La parole, en effet, ruinait tout espoir d’un langage poétique neuf et véritablement onirique; elle signifiait pour les poètes le retour définitif au réalisme seul sur les écrans » (Virmaux, 1968 : 274).

Par ailleurs, le flash-back qui nous ramène en 1917 est également significatif en ce qu’il entre de plain-pied dans les combats sanglants de la Grande Guerre. En effet, la scénographie du premier tableau se partage en deux décors distincts – « pour le tiers gauche, un élément de tranchées de laquelle [sic]  trois hommes émergent à mi-corps, pour les deux tiers droits un palier d’hôtel avec trois portes numérotées » (Aragon et Breton, 2007 : 465) – qui nous permettent de visualiser successivement un simulacre des Vampires et une scène de guerre, au gré d’une focalisation de l’éclairage qui convoque le procédé filmique du montage alterné. L’ubiquité propre au cinéma offre la possibilité d’apposer deux points de vue différents sur la Première Guerre mondiale, qui sont symptomatiques du traitement littéraire qu’en firent systématiquement Breton et Aragon; ces derniers ont fait l’expérience de la violence des combats, ayant tous deux été mobilisés sur le front et dans plusieurs hôpitaux. Bien qu’ils aient été profondément marqués par ce qu’ils y vécurent, très peu de leurs textes surréalistes mentionnent cette période historique[26], leur préférence allant plutôt vers les moyens d’évasion qui leur ont permis de surmonter l’horreur de la guerre, c’est-à-dire Musidora et Les vampires en première ligne :

À quelle lumière voyions-nous, qui n’avions pas vingt ans, la vie bouleversée, nous autres au début de la guerre, sur le seuil des écoles? […] [J]e ne crois pas mentir en disant que jamais la guerre ne fut loin du coeur des jeunes gens qu’en ces jours qu’elle dominait les adultes. […] Il appartint au maillot noir de Musidora de préparer à la France des pères de famille et des insurgés. […] Il y a une idée de la volupté qui nous est propre, et qui nous est venue par ce chemin de lumière, entre les images du meurtre et de l’escroquerie, tandis qu’on crevait ferme autre part sans que nous y prenions seulement garde 

(Aragon, 1994 : 7-9).

Cette dichotomie entre la réalité de la guerre et la fiction compensatrice est, de ce fait, parfaitement exprimée dans le premier tableau du Trésor des Jésuites où deux cadres spatio-temporels sont parallèlement représentés, soit deux façons radicalement opposées de faire l’expérience de la guerre. De plus, de façon très fidèle à la réalité historique, les deux soldats de la seconde scène du premier tableau évoquent Musidora et son rôle de « marraine de guerre » pendant les affrontements. En effet, celle-ci « a […] entretenu une correspondance avec des soldats adoptés comme “filleuls de guerre”. Ces soldats cach[ai]ent la photo de Musidora contre leur poitrine, espérant se préserver de la sorte des balles ennemies » (Buisson, 2014 : 14).

Dans la pièce de théâtre, l’un des deux « poilus », qui porte sur lui la photographie de l’actrice en maillot noir[27], s’apprête à déserter pour la retrouver à Paris. Dans cette courte scène saturée du « bruit de mitrailleuses » (Aragon et Breton, 2007 : 467), les soldats tentent d’atténuer leurs souffrances en se lançant des plaisanteries dans lesquelles le « Chemin des Dames » est associé à un lexique érotique saugrenu. Mais leurs éclats de rire seront bientôt rattrapés par ceux des obus, qui causeront la mort d’un soldat. Simon, le déserteur, s’échappe à temps de cet enfer pour rejoindre Musidora et l’univers des serials, « tout ce dont [le] privaient une morale imposée, le luxe, les fêtes, le grand orchestre des vices, l’image de la femme aussi, mais héroïsée, sacrée aventurière » (Aragon, 1994 : 7).

Combiner la forme théâtrale avec des éléments de montage et de contenu propres au cinématographe revenait à mettre en acte la célébration d’un genre devenu désuet, procédant en quelque sorte à une mise sous respirateur artificiel de ces belles images mythiques, survivance qui ne pouvait se projeter au-delà des limites du texte. Nous l’avons vu, le surréalisme traverse, vers la fin des années 1920, une crise qui précède la désagrégation définitive de l’amitié entre ses deux plus anciens membres. Convoquer le cinéma, Musidora et le film à épisodes, c’est faire appel à ce qui « persiste », à « ce qui trouve dans la vie un écho merveilleux » (Aragon et Breton, 2007 : 464), et c’est remettre à plus tard l’heure des adieux. Écrire l’histoire, soit relancer et élargir la durée historique réelle, c’est là que réside le projet du Trésor des Jésuites, qui lance un défi au temps, et de taille : le troisième et dernier tableau transporte le spectateur en 1939, année pendant laquelle, détail troublant, la guerre semble faire rage[28]. Dans ce dernier segment de la pièce où s’achève l’épisode inventé des Vampires, non seulement Musidora / Mad Souri ne paraît pas atteinte par le passage du temps, mais elle est encore plus resplendissante et mythifiée; la voilà dans un maillot désormais rouge, seule altération notable de sa personne, peut-être sous l’effet de cette « distorsion » temporelle extraordinaire et fulgurante. Elle prononce alors les mots énigmatiques qui ferment le texte, rassemblant futur, permanence du quotidien, fin et commencement, à l’instar de l’« image-cristal[29] » de Deleuze : « Avenir, avenir! Le monde devrait finir par une belle terrasse de café » (ibid. : 483).