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Cet ouvrage collectif, issu d’un colloque, devrait intéresser les lecteurs des Cahiers de droit. Il revisite deux thèmes qui, lorsqu’ils sont mis en relation, sont d’une ampleur telle qu’ils invitent au débat : la sécurité juridique et le droit économique. L’étude offerte est enrichie par les visions du droit économique, du droit comparé et de la philosophie du droit.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à la sécurité juridique, et il est aisé de constater à quel point son appréhension est complexe, à la lecture des textes sur sa valeur normative, ses interactions avec le lien social et le droit économique et ses caractéristiques en droit économique allemand. Ses particularités en common law où, chacun le sait, le juge occupe une place centrale, sont également traitées. Notion pour le moins polysémique, la sécurité juridique, lorsqu’elle croise le droit économique, devient carrément fuyante. Est-ce, comme cela est entendu traditionnellement, un principe structurant du système juridique qui assure la prévisibilité et la stabilité de la norme ? Est-ce un pléonasme du droit issu d’un passé lointain qui ne correspond plus au pluralisme juridique, au « désordre normatif » ambiant ? La sécurité juridique est-elle, dans le contexte d’un droit de plus en plus volumineux, complexe et pluraliste, une chimère en devenir ? La jurisprudence française, communautaire et européenne a eu l’occasion, à maintes reprises, de se questionner sur la justification de la sécurité juridique et sur son objectif de créer un droit cohérent et prévisible. Les auteurs de ce collectif analysent cette jurisprudence sans tomber dans le piège de la facilité. Pour eux, il ne s’agit pas de justifier l’exigence de la sécurité juridique, mais d’en faire un bilan critique en matière de droit économique.
Pourquoi en cette matière plus qu’une autre ? Branche du droit dont « le centre de gravité est l’entreprise », le droit économique ne se limite pas au strict droit commercial, mais il englobe le droit de la concurrence, des marchés financiers et du commerce international. Dans ces matières, la prévisibilité et la stabilité du droit applicable sont primordiales, mais elles ne doivent toutefois pas scléroser la norme. Plusieurs auteurs du collectif soulignent que cette dernière doit évoluer pour tenir compte de la complexité grandissante de la société contemporaine et, conséquemment, du droit économique qui l’encadre. La spécificité du droit économique qui « recherche avant tout l’adaptation du droit au fait, au détriment des catégories juridiques formelles » en fait un terrain d’application indiqué pour étudier la manière dont la sécurité juridique agit ou peut agir.
La deuxième partie de l’ouvrage, très instructive, s’inscrit dans la recherche de ces croisements entre sécurité juridique et droit économique et c’est, entre autres, aux méthodes du droit économique (analyse formelle ou substantielle) que se consacrent certains des auteurs. Le droit économique s’intéresse, le fait est connu, aux mutations des formes juridiques dans un monde où ont lieu de profondes transformations économiques. Puisque la sécurité juridique n’est que l’un des principes qui influent sur l’élaboration du droit, les auteurs relèvent qu’il ne peut être seul pris en considération. L’efficacité, l’adaptabilité, la justice et l’équité sont autant de principes qui, aux côtés de la sécurité juridique, commandent la production du droit. Si nous y ajoutons le fait que le droit est, par essence, une discipline dans laquelle l’interprétation – notamment celle du juge – occupe une position centrale, la relativité du « principe » de la sécurité juridique est, dès lors, une prémisse incontournable. La « sécurité juridique est relative », insistent d’ailleurs les auteurs de ce collectif et certains avancent, en conséquence, l’idée que ce principe n’est valable que s’il est « raisonnable », compte tenu des objectifs de clarté, d’intelligibilité et de prévisibilité de la norme.
La troisième et dernière partie de l’ouvrage consiste en une analyse de plusieurs des manifestations de la portée relative de la sécurité juridique en droit économique. Sont abordées, tour à tour, les potentialités et les limites de la sécurité juridique au sein de la régulation, du droit de la concurrence, de la théorie du bilan coût / avantage, du système financier, du droit pénal économique, du droit public économique, des relations commerciales internationales, du droit encadrant le risque environnemental ainsi que de la qualité et de la sécurité des produits. Les pivots de ces analyses se trouvent dans la conception nouvelle de l’État dans l’économie, la participation des destinataires de la norme et l’ouverture à l’égard de valeurs non économiques. Ces préoccupations sont traitées avec beaucoup de pertinence par les auteurs. Ils font réfléchir les lecteurs aux destinées de la sécurité juridique en droit économique et leur font constater que l’analyse de la sécurité juridique dans d’autres branches du droit, telles que le droit social, bénéficieraient d’une étude collective aussi nourrie que celle que cet ouvrage leur offre.