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Disons d’emblée que l’on ne pourra plus se pencher sur l’histoire du mouvement étudiant canadien ni sur celle du nationalisme acadien sans tenir compte de cette étude. C’est dire l’importance et toute l’originalité de sa contribution. D’un point de vue général, elle confirme à quel point la tendance des historien/nes à penser le mouvement étudiant au Canada comme étant le reflet d’une dualité canadienne, canadienne-anglaise d’une part et québécoise d’autre part, occulte des pans importants de son histoire. En analysant par le menu les convictions et les causes épousées par les cohortes de leaders étudiants acadiens de Moncton entre 1957 à 1969 – notamment ceux de l’Université de Moncton – Joel Belliveau lève le voile non seulement sur le militantisme étudiant d’une région trop souvent ignorée, mais confirme que ces jeunes sont bien de leur temps et vivent au diapason des contestations de la jeunesse occidentale. Il cherche, de fait, à établir comment se sont articulés leur allégeance aux idéaux de leurs semblables ailleurs et leur activisme qui découle spécifiquement du contexte monctonien et de leur identité acadienne.

Or, sa contribution la plus significative et tout probablement celle qui suscitera le plus de débat, tient aux nuances de poids qu’il apporte à la thèse avancée par d’autres chercheurs, voulant que le mouvement étudiant soit à l’origine du néonationalisme acadien, l’un donnant naissance à l’autre. S’il ne conteste pas cette parenté, qui a d’ailleurs largement fait consensus, il tient à démontrer toutefois que le mouvement étudiant « précède, et de beaucoup, l’apparition du courant néonationaliste » qui s’inspire d’abord et avant tout des objectifs et des prises de position du mouvement étudiant occidental. Plus encore, l’auteur soutient que jusqu’à la fin des années 1960, les étudiants les plus militants étaient antinationalistes.

C’est en fournissant une analyse fine et nuancée du discours étudiant sur la longue durée, tiré entre autres de la presse étudiante et des documents provenant du fonds d’archives de Pierre Perrault, réalisateur du film L’Acadie, l’Acadie ? ! ?, qu’il a su découper cette décennie au sens large en trois périodes. Il confirme du coup à quel point la culture politique étudiante évolue et se transforme de façon remarquable et en peu de temps. Au cours de ces années, soutient Belliveau, les étudiants de Moncton développent leur identité propre à titre d’étudiants et en viennent à se percevoir comme un corps social autonome avec une vision du monde qui les distingue. On peut dire qu’en cela ces jeunes suivent un parcours très comparable à celui de leurs collègues ailleurs au pays. Ils adoptent aussi des causes et les idéologies de la « nouvelle gauche », adhèrent à des théories anticolonialistes et appuient la participation démocratique au sein des universités ainsi qu’une augmentation du financement universitaire et étudiant, pour ne nommer que celles-là.

Or, selon Belliveau, c’est en 1964-1965 que naît le premier mouvement étudiant acadien – l’année de la première manifestation étudiante au Nouveau-Brunswick depuis la Seconde Guerre mondiale – contre une augmentation des frais de scolarité à Fredericton. C’est aussi à partir de cette date, et jusqu’en 1967, que les leaders étudiants de Moncton adhèrent à ce qu’il baptise « l’idéologie de la participation modernisatrice ». C’est dire qu’ils vouent une confiance sans réserves à l’État providence, seul capable à leurs yeux de mener à bien la modernisation et le progrès de leur société et d’assurer une participation citoyenne démocratique aux affaires publiques. Ils endossent tout particulièrement les nouvelles politiques entérinées par le gouvernement de Louis Robichaud – premier Premier ministre acadien de la province. Mais, en contrepartie, l’engagement prioritaire qu’ils accordent aux valeurs démocratiques et libérales fait en sorte que ces jeunes rejettent les causes qui accaparent l’attention des nationalistes de tout acabit. Ils dénoncent ainsi le nationalisme et les valeurs des membres de l’élite définitrice acadienne – porte-étendard d’un nationalisme traditionnel rétrograde auxquels ils ne peuvent s’identifier. Ils ne s’identifieront pas plus aux nationalistes réformateurs, préférant s’éloigner des querelles et des dissensions intestines qui divisent le mouvement nationaliste acadien à cette époque. Leurs priorités sont ailleurs.

Belliveau fournit un exemple des plus probants du peu de cas qu’ils font de leur identité acadienne lorsqu’il signale que ces jeunes appuient le bilinguisme mais en autant qu’il améliore l’accès de tous les citoyens à l’appareil étatique quelles que soient leurs origines ethniques. Leur manque d’intérêt pour les débats linguistiques qui ponctuent l’actualité représente une réaction du même ordre. Si l’auteur remarque que « voilà une posture qui étonne de la part de membres d’un groupe linguistique minoritaire », elle étonne moins grâce à ses explications. Or, les choses vont changer du tout au tout, entre 1968-1969. De fait, Belliveau estime qu’on assiste alors à la montée d’un deuxième mouvement étudiant. En effet, les étudiants opèrent un virage radical abandonnant du coup leurs convictions libérales réformatrices pour finalement défendre l’idéologie néonationaliste. Il affirme que ce virage est en partie imputable à la désillusion grandissante et amère qui s’empare d’eux devant les échecs de l’idéologie de la participation modernisatrice du gouvernement. Un sentiment d’aliénation s’installe à demeure.

Mais c’est aussi à cette époque que les étudiants acadiens de Moncton développent une sensibilité accrue aux inégalités linguistiques et sociales qui persistent entre Acadiens et anglophones. Dit autrement, ce n’est qu’à partir de 1968 qu’ils tissent un lien étroit entre leur identité acadienne et leur infériorité économique et le peu de place accordée au français. L’auteur note la retombée d’incidents précis tels que les propos provocateurs du maire anglophone de Moncton, Richard Jones, ou encore les tensions linguistiques de plus en plus conflictuelles qui sévissent au sein des écoles publiques. Or, tout comme pour les périodes précédentes, Belliveau estime que ces facteurs ne sont pas suffisants pour rendre compte de la radicalisation de la pensée étudiante.

Comme partout ailleurs, les étudiants acadiens monctoniens connaissent eux aussi leur « moment 68 » durant lequel leurs collègues se radicalisent à l’échelle occidentale. L’auteur aurait pu fouiller encore davantage cette parenté en confirmant si, à ce stade, le mouvement acadien a été la proie de dissensions idéologiques gauchisantes se déclinant en fonction du nom de ceux qui furent des héros parmi certains y compris Mao Tse Tung, Leon Trotsky, Fidel Castro pour ne nommer que ceux-là. Ces dissensions idéologiques et sans frontières ont certainement déchiré un grand nombre de mouvements étudiants à la fin des années 1960. Qu’en a-t-il été du mouvement étudiant acadien ? Cette question vient surtout souligner à quel point cette étude toutes en nuances nous invite à continuer sur sa lancée pour fouiller encore davantage comment le mariage des influences de l’ailleurs et du local ont de fait donné naissance à des mouvements étudiants uniques dans toutes leurs ressemblances.