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Ce texte traite d’abord de la naissance des entreprises d’économie sociale en aide domestique (EESAD), puis de la mission de celles-ci. Quatre éléments de conjoncture sont ensuite abordés au regard de l’élargissement éventuel de la mission des EESAD. Après avoir énoncé quelques éléments de réflexion quant à la place des organismes communautaires et du secteur privé, la conclusion porte sur le contrat entre la société civile et le gouvernement que constitue la création des EESAD.

La naissance des EESAD

La mise sur pied des EESAD constitue l’un des grands changements survenus dans le secteur du maintien à domicile au Québec au cours des dernières années.

Rappelons que la Marche des femmes de 1995 avait mis de l’avant l’idée de créer un programme d’infrastructures sociales pour fournir des emplois aux femmes, en référence au modèle classique des travaux d’infrastructures qui créent des emplois essentiellement chez les hommes. Le salaire de base visé était minimalement de 8,30 $ de l’heure. Le Sommet socioéconomique tenu à l’automne 1996 a transformé cette idée et a donné naissance au Chantier de l’économie sociale, dont l’un des projets était la création de 6 000 emplois dans les EESAD.

Dans ce contexte, à Longueuil – pour prendre cet exemple concret – au printemps 1996, des organismes communautaires et les CLSC Longueuil-Ouest et Longueuil-Est se sont penchés sur la possibilité de transformer les programmes Extra. En effet, depuis sept ans, un organisme de Longueuil, Services-Maison, fournissait des services d’entretien ménager aux personnes âgées grâce au travail de femmes bénéficiaires de l’aide sociale. Celles-ci recevaient 150 $ par mois, en plus de leur prestation de base d’aide sociale, pour 20 heures par semaine de travaux d’entretien ménager. Après neuf mois, ces personnes se retrouvaient le bec à l’eau : leur stage d’insertion était terminé et elles n’avaient pas d’emploi.

Les groupes communautaires et les CLSC de Longueuil ont donc souhaité faire disparaître ces programmes Extra et travailler à la mise sur pied d’une coopérative de solidarité en aide domestique. Cette coopérative, nommée Coop Aide Rive-Sud, a obtenu son incorporation au mois d’août 1997 et a depuis créé 47 emplois stables. En 1999, Coop Aide Rive-Sud a généré des revenus de 669 000 $, après seulement 18 mois d’opération. Ce changement de paradigme est remarquable.

Aux personnes qui ont de façon légitime et de bonne foi, des réticences et qui s’interrogent au sujet de l’économie sociale, il est important de poser la question suivante : plutôt que de maintenir en place un système qui exploitait littéralement des femmes prestataires d’aide sociale, ne valait-il pas mieux travailler à créer des emplois stables, rémunérés à 8,30 $ de l’heure conformément aux revendications de la Marche des femmes ?

Pour faire le lien avec la question des allocations directes, qui sera ultérieurement examinée plus en profondeur, mentionnons que l’organisme Services-Maison, qui s’occupait des programmes Extra à Longueuil, a continué à exister mais en se consacrant au maintien d’une banque de personnes qui acceptent de travailler de gré à gré dans le cadre du chèque emploi-services. Il est à noter que les allocations directes ne sont qu’à 7,71 $ de l’heure en Montérégie, alors qu’elles sont aux environs de 9,75 $ dans la moitié des régions du Québec. Nous considérions donc qu’il ne fallait pas mêler le dossier des allocations directes avec celui des EESAD, car les allocations directes ne couvrent aucunement les coûts de fonctionnement des EESAD.

Les EESAD montérégiennes perdraient leur chemise en acceptant de donner des services dans le cadre des allocations directes. Le directeur d’une EESAD de la Montérégie rapportait d’ailleurs que son entreprise perdait des milliers de dollars annuellement en acceptant les allocations directes pour rendre service aux usagers dans le besoin et aux CLSC dans le désarroi. Combien de temps cette situation absurde pourra-t-elle durer ? Nous y reviendrons plus loin.

La mission des EESAD

La mission des EESAD soulève plusieurs questions. Faut-il l’élargir ? Les EESAD doivent-elles offrir un service de gardiennage ou même aller jusqu’à dispenser des soins d’hygiène comme les bains ? Il est important de rappeler le consensus qui s’est bâti entre tous les partenaires présents au Sommet socioéconomique de 1996 : créer des emplois de qualité, décemment rémunérés, durables et ne se substituant pas aux emplois du secteur public. Il est donc évident que si les EESAD offraient des services d’hygiène personnelle, elles empiéteraient sur le champ de la responsabilité des CLSC. Par ailleurs, les services des auxiliaires familiales et sociales des CLSC sont gratuits, donc très accessibles, alors que les services des EESAD sont tarifables, en fonction des revenus de l’usager dans le cadre du Programme d’exonération.

Pour bien analyser la question de l’élargissement éventuel de la mission des EESAD, il faut considérer quatre éléments conjoncturels :

  • le rapport Arpin ;

  • le crédit d’impôt pour l’aide à domicile ;

  • l’illégalité dans laquelle agit présentement la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) ;

  • les visions différentes portées par deux regroupements, soit le Regroupement des entreprises d’économie sociale en aide domestique du Québec (REESADQ) et la Fédération des coopératives de services à domicile du Québec (FCSDQ).

Premier élément conjoncturel : le rapport Arpin

Le rapport Arpin, du Groupe de travail sur la complémentarité privé-public, doit être lu en tenant compte du contexte explicité ci-dessus. Malheureusement, ce rapport n’apporte pas beaucoup de lumière dans ce dossier. Les membres du groupe de travail ne semblent pas avoir une grande connaissance de la réalité des services à domicile. Par exemple, ils parlent à plusieurs reprises « des entreprises d’économie sociale et des coopératives de services à domicile » alors les coopératives de services à domicile font partie des entreprises d’économie sociale ; c’est à ce titre qu’elles sont reconnues aux fins du Programme d’exonération.

La principale recommandation du groupe de travail au sujet des services à domicile est la suivante : les CLSC devraient « procéder à l’achat de services à domicile pour les usagers prioritaires du réseau public dans les entreprises d’économie sociale et les coopératives respectant les normes et standards définis par le cadre normatif plutôt que dans les entreprises à but lucratif ».

De nombreuses ambiguïtés demeurent : Quels services seront achetés ? Des heures de gardiennage ? Des soins à la personne normalement prodigués par les auxiliaires familiales et sociales des CLSC ? Où les CLSC prendront-ils l’argent pour acheter ces services ? Dans leur budget des allocations directes ? Les entreprises d’économie sociale en aide domestique seront-elles d’accord pour vendre leurs services à ce tarif ridiculement bas ? Tombons-nous directement dans le piège de la substitution d’emplois du secteur public que le Chantier de l’économie sociale voulait éviter à tout prix ? Que de confusion suscitée par cette recommandation du rapport Arpin !

On prend note de la philosophie du groupe de travail : « Le groupe de travail est d’avis que, en tenant compte de leur capacité de payer, l’aide financière doit continuer à être accordée aux individus et non directement aux entreprises qui offrent les services. » C’est un système qui oblige l’individu à contribuer au paiement, ce qui est acceptable pour des services comme l’entretien ménager, mais qui le devient beaucoup moins pour des services comme le répit-gardiennage (par exemple, pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer) ou les services à la personne (les bains, par exemple). Si le coût est trop élevé pour une personne âgée qui souhaite demeurer à la maison, elle demandera tout simplement à « être placée » en Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et ne voudra plus demeurer à domicile. Lorsque l’aidante naturelle sera épuisée parce qu’elle n’a pas suffisamment de répit et que le répit-gardiennage lui coûte trop cher, elle demandera que l’aidé soit « placé ».

Deuxième élément conjoncturel : le crédit d’impôt pour l’aide à domicile

Quelle est la façon la moins efficace de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ? C’est par un crédit d’impôt ; c’est malheureusement la mesure retenue par le ministre Landry, mesure destinée à combattre le travail au noir, mais dont l’effet dans le dossier du maintien à domicile est perturbateur et délétère. Voyons plus exactement de quoi il s’agit.

Au printemps 1999, le ministre Landry annonçait, dans son discours du budget, l’instauration d’un crédit d’impôt pour le soutien à domicile des personnes âgées de plus de 70 ans. Le crédit est entré en vigueur le 1er janvier 2000. Il est de 23 % du coût des services, c’est-à-dire que le client paie 77 % du coût des services. Il faut savoir qu’un crédit d’impôt représente une dépense pour le gouvernement. Or, l’argent affecté au crédit d’impôt n’ira pas dans le budget des CLSC ni dans celui des entreprises d’économie sociale en aide domestique ni dans celui des groupes communautaires.

Lors du colloque du REESADQ tenu en octobre 1999 à Sainte-Foy, Nancy Neamtan, du Chantier de l’économie sociale, rapportait qu’un tel crédit d’impôt existe en France depuis quelques années et que des études ont démontré qu’il est utilisé essentiellement par les personnes riches.

Dans les résidences privées pour personnes âgées, où le coût mensuel peut facilement atteindre 2 000 $, les résidents pourront demander un crédit d’impôt pour la partie de leur loyer qui va à l’entretien ménager et à la préparation des repas. Ce crédit d’impôt va-t-il financer la verrerie de cristal des résidences privées ? Est-ce vraiment une priorité sociale ?

Ce crédit d’impôt s’inscrit dans le courant néolibéral dominant où le gouvernement favorise les baisses d’impôt au détriment du maintien et du développement des services publics. Bref, une politique de maintien à domicile qui fonde beaucoup d’espoir sur un crédit d’impôt n’est pas particulièrement social-démocrate.

Il faut également prendre en considération la complexité des procédures entourant l’obtention de ce crédit d’impôt. La brochure explicative du crédit d’impôt, destinée au grand public, comporte 32 pages et comprend un formulaire qui doit être rempli par la personne âgée. Cette dernière doit y joindre un spécimen de ses chèques personnels. Les personnes âgées sont particulièrement réticentes à employer cette procédure par laquelle leur fournisseur de services sera autorisé, en respectant certains paramètres, à piger directement dans leur compte de banque. Une intervenante de CLSC mentionnait qu’une personne âgée n’avait pas dormi de la nuit après avoir signé ce formulaire d’autorisation : elle se demandait si elle n’avait pas fait une erreur en souscrivant à ce programme.

En plus d’être un programme très peu social et très inégalitaire, c’est un crédit qui ne tient pas du tout compte de la vulnérabilité et de la fragilité des personnes âgées. Lorraine Guay, du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale, signalait, lors d’un colloque, qu’un diagnostic ne figurait malheureusement pas dans les manuels de classification des maladies mentales, et c’est le « délire technocratique » ; le crédit d’impôt pour l’aide à domicile est l’une des manifestations de ce délire.

Troisième élément conjoncturel : l’illégalité de la RAMQ

Dans le dossier du financement et de la mission des EESAD, il règne actuellement une telle incohérence dans les politiques gouvernementales que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) nage dans l’illégalité.

C’est le Service d’aide financière à l’hébergement et à l’aide domestique (SAPHAD), une unité administrative de la RAMQ, qui est responsable de la mise en oeuvre du Programme d’exonération. Dans un rapport produit par la Direction de la planification et de l’évaluation du MSSS, en date de mai 1999, intitulé « La place des entreprises d’économie sociale dans les services à domicile », on apprend que le SAPHAD accepte de rembourser, à l’encontre des directives du MSSS, un nombre hebdomadaire d’heures de service très élevé dans le cas de certaines EESAD. Concrètement, cela signifie que certaines EESAD ne respectent pas le cadre de référence ayant fait l’objet d’un accord au Chantier de l’économie sociale et élargissent leur mission pour y inclure du gardiennage (parfois appelé « surveillance sécuritaire »).

Ainsi, on observe que, dans la région Chaudière-Appalaches, les EESAD facturent une moyenne d’heures de service 2,6 fois plus élevée que les EESAD des autres régions. C’est vraisemblablement parce que des heures de gardiennage ont été ajoutées à l’entretien ménager et à la préparation de repas ; ces heures de gardiennage sont facturées au tarif de l’entretien ménager, comme si c’était de l’entretien ménager.

Il y a plusieurs conséquences à cette attitude :

  • d’une part, au rythme où des entreprises puisent dans les 30 millions de dollars consacrés annuellement au Programme d’exonération, il n’y aura plus d’argent dans quelques mois pour les entreprises qui se limitent strictement à l’entretien ménager, car le SAPHAD aura accepté de compenser des services qui ne doivent pas être couverts par le Programme d’exonération, selon la circulaire du MSSS à ce sujet. Est-il acceptable que la RAMQ et son unité administrative, le SAPHAD, agissent illégalement dans ce dossier ? Le ministère est au courant de cette illégalité depuis au moins un an : qu’attend-il pour agir ?

  • d’autre part, les usagers des services de gardiennage devraient normalement recevoir des services gratuits par l’intermédiaire des allocations directes offertes par les CLSC. Il y a donc des personnes qui, dans certains territoires de CLSC, paient pour des services qui, dans d’autres territoires, sont gratuits.

Quatrième élément conjoncturel : les visions différentes du REESADQ et de la FCSDQ

Il existe deux associations qui regroupent les EESAD et cet élément colore les discussions concernant l’élargissement éventuel de la mission des entreprises. Il y a, d’une part, le REESADQ qui réunit 73 entreprises (soit 60 OSBL et 13 coopératives accréditées au Programme d’exonération) et, d’autre part, la FCSDQ, qui regroupe 30 coopératives accréditées. Récemment, la direction de la FCSDQ est partie en guerre contre les syndicats, en demandant un élargissement de la mission des EESAD, ce qui ouvrirait la porte à la substitution d’emplois.

Plusieurs indices permettent de saisir la nature de la récente offensive antisyndicale menée par la FCSDQ. Dans un bulletin publié par la FCSDQ, on peut lire un texte sur les grands enjeux auxquels fait face la fédération. La direction y affirme que, parmi les principales menaces, figure « un certain corporatisme et syndicalisme partisans qui limitent le panier de services ». Car c’est de cela qu’il s’agit : la direction de la FCSDQ s’en prend aux syndicats qui veulent empêcher un élargissement de la mission des EESAD. Ce faisant, la FCSDQ s’en prend également à la grande majorité des représentants de la société civile (groupes communautaires, groupes de femmes, etc.) qui ont été partie prenante du consensus large au Sommet socioéconomique d’octobre 1996.

La FCSDQ a fait connaître ses intentions dans un mémoire qu’elle a présenté le 31 janvier 1999 au ministère des Finances dans le cadre des discussions pour le renouvellement du Programme d’exonération. Dans son mémoire, la FCSDQ demande que le Programme d’exonération couvre tout le champ des activités d’aide à la personne, incluant les bains et les soins d’hygiène. À l’heure actuelle, ces tâches sont effectuées par les auxiliaires familiales et sociales des CLSC.

Pour donner à cette proposition un semblant de vertu, la FCSDQ demande que ces services soient fournis « sur référence des CLSC ». Or, c’est la mission des CLSC de dispenser eux-mêmes les services d’hygiène. Et il ne faut pas oublier que le Programme d’exonération exige une contribution minimale de 4 $ (pouvant aller jusqu’à 10 $) alors que les services des auxiliaires familiales et sociales des CLSC sont gratuits. Demande-t-on aux écoles publiques, lorsqu’elles sont débordées, de « référer » des élèves aux écoles privées ?

Ce qui crée de la confusion dans ce dossier, ce sont les allocations directes. Conçues au départ à la demande des personnes handicapées, d’abord gérées par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) puis transférées aux CLSC, les allocations directes devaient assurer l’autonomie de la personne et une continuité dans les services variés que requièrent les personnes handicapées (entretien ménager, transferts sécuritaires, soins d’hygiène, etc.). Cependant, les allocations directes présentaient le défaut d’être une composante du travail au noir, défaut qui a été éliminé par l’introduction du chèque emploi-services.

Les allocations directes ont, par la suite, été offertes à d’autres clientèles, en particulier pour des services de gardiennage : le programme Soutien à la famille (pour les parents des enfants handicapés intellectuellement ou physiquement, pour les aidants naturels des personnes souffrant de troubles cognitifs, etc.) et le programme Services intensifs de maintien à domicile ou SIMAD (pour les personnes en soins palliatifs, par exemple).

Certains voudraient que les CLSC versent la totalité des allocations directes aux EESAD pour qu’elles se chargent de l’ensemble des tâches concernées, incluant les bains et les soins d’hygiène. Or, les CLSC ne peuvent pas confier à un sous-contractant une tâche qui peut normalement être accomplie par un de leurs employés. C’est ce que prévoient les conventions collectives qui empêchent ainsi les CLSC de faire exécuter par une main-d’oeuvre de l’extérieur, à un salaire moindre, un travail qui pourrait normalement être effectué par leur propre personnel.

À l’heure actuelle, certains CLSC, dont les syndicats manquent peut-être de vigilance, ont recours à des EESAD pour exécuter des tâches qui relèvent normalement de leur propre responsabilité, tâches devant être accomplies par un personnel qualifié dans le cadre de plans de services. Des griefs syndicaux pourraient être présentés avec succès devant les tribunaux concernés ; d’ailleurs, certains ont récemment été déposés à Trois-Rivières à ce sujet.

Par ailleurs, il faut préciser que, certains CLSC font appel à des agences privées, qui sous-rémunèrent leur personnel, pour assumer des tâches qui relèvent parfois de la mission de base des CLSC ; ces pratiques mériteraient un examen plus approfondi et une remise en question. On constate que le fouillis actuel favorise des conditions de travail souvent déplorables. Toutefois, d’autres CLSC ont eu des initiatives plus intéressantes, comme au CLSC Villeray, où le syndicat a négocié la transformation des heures d’allocations directes, auparavant confiées à des agences, en postes d’auxiliaires familiales et sociales.

Les CLSC ne trahissent pas les conventions collectives lorsqu’ils versent une somme d’argent (les allocations directes à travers le chèque emploi-service) à un bénéficiaire qui embauche le préposé de gré à gré de son choix. Mais les conventions collectives ne permettent pas aux CLSC de payer directement une EESAD pour qu’elle donne des soins d’hygiène en lieu et place de ses propres auxiliaires familiales et sociales. D’ailleurs, les tarifs ridiculement bas des allocations directes ne couvrent pas les coûts réels de main-d’oeuvre des EESAD : l’économie sociale exige des salaires décents que ne peuvent offrir les allocations directes.

La direction de la FCSDQ profite de la confusion engendrée par le système bancal et les insuffisances des allocations directes pour demander au ministère des Finances que les coopératives puissent investir tout le champ des services d’hygiène à domicile. Bien que cette requête marque un recul de la gratuité pour le bénéficiaire, la FCSDQ demande que le gardiennage et les services d’hygiène fassent partie du « panier de services » couverts par le Programme d’exonération. Dans ses recommandations, la FCSDQ ne prévoit aucun arrimage avec les allocations directes qui, tout comme le travail des auxiliaires familiales, constituent un mode gratuit de dispensation des services. Les recommandations adressées par la FCSDQ au ministère des Finances ont des conséquences extrêmement importantes, tant pour le système public que pour les bénéficiaires. Cependant, le mémoire de la FCSDQ n’analyse aucun de ces impacts.

A contrario, le REESADQ surveille les impacts possibles de l’élargissement de la mission des EESAD et le Chantier de l’économie sociale manifeste la même circonspection que le REESADQ.

L’offensive de la FCSDQ est par ailleurs prématurée puisque le MSSS n’a pas encore pris position quant aux services qui devraient continuer à être offerts par le secteur public. L’annonce d’une nouvelle politique du MSSS à ce sujet est prévue pour septembre 2000. Flairant le sous-financement des CLSC, la direction de la FCSDQ avance dans ce dossier avec bien peu de délicatesse. En effet, la FCSDQ s’appuie sur les cas exceptionnels que représentent quelques CLSC (par ailleurs exsangues), qui ont renoncé à assumer décemment leur mandat en soutien à domicile, pour généraliser un modèle où le secteur public renonce à assumer ses responsabilités de base.

Il ne s’agit pas ici de plaider pour le « tout à l’État ». Le consensus du Sommet socioéconomique de 1996 favorisait un partage équitable des responsabilités, respectueux des expertises de chacun, afin que le bénéficiaire ait des services appropriés à ses besoins. Selon ce partage, les activités de vie domestique relèvent des EESAD tandis que les services d’hygiène relèvent des CLSC. Quant au gardiennage, c’est l’éternel parent pauvre, couvert par les allocations directes, dont le tarif varie d’une région à l’autre et dont les fonds sont évidemment trop limités.

Les syndicats (sauf quelques nostalgiques du « tout à l’État ») acceptent que le champ de l’entretien ménager soit attribué aux EESAD. Toutefois, ils refusent de céder, et avec raison, au sujet de la responsabilité des services d’hygiène.

Si la direction de la FCSDQ avait voulu travailler en partenariat avec les autres acteurs, elle aurait, entre autres choses, plaidé pour une augmentation des ressources des CLSC destinées aux auxiliaires familiales et sociales et aurait demandé une augmentation du tarif horaire des allocations directes (une équité interrégionale). Dans ce dossier se profilent des institutions, comme l’Assurance-vie Desjardins-Laurentienne, désireuses de se positionner sur le marché de l’assurance des services à la personne.

Aujourd’hui, concrètement, la FCSDQ contribue à diviser les EESAD. Plutôt que de participer à un front commun des 101 EESAD face au gouvernement, la direction de la FCSDQ écrit son propre mémoire, fragilisant ainsi la négociation avec le ministère des Finances. L’attitude de la FCSDQ scandalise l’ensemble des partenaires du consensus de l’automne 1996.

Ainsi, la proposition de la FCSDQ placerait les EESAD dans un rapport de sous-traitance et de dépendance à l’égard des CLSC, ce qui s’oppose totalement à la tradition d’autonomie du mouvement communautaire.

Lors de la rencontre du 31 janvier1999, le ministère des Finances a indiqué que le renouvellement du Programme d’exonération entraînerait un coût de 90 millions de dollars pour trois ans si les EESAD s’en tiennent à l’entretien ménager ; ce coût grimperait à 200 ou 300 millions de dollars si les services de gardiennage étaient ajoutés.

La FCSDQ prétend que l’élargissement de la mission des EESAD favoriserait la rentabilité de l’entreprise. Mais, si les tâches des préposées des EESAD étaient élargies aux soins d’hygiène, ne devrait-on pas augmenter leurs salaires ? Cela serait-il compatible avec une rentabilité facile ?

Au fond, il faudrait rentabiliser et consolider les EESAD dans leur mission initiale, l’entretien ménager, par un Programme d’exonération amélioré. Voilà l’objectif réaliste à poursuivre, et qui, en plus, est respectueux des partenaires.

Proposition d’un modèle de consolidation de l’offre de services

Cette partie de la conférence, incluant deux tableaux, ne figure pas dans ce texte.

Un modèle de consolidation de l’offre de services devrait inclure les propositions suivantes :

  • continuer à confier les services d’hygiène personnelle aux auxiliaires familiales et sociales des CLSC et fournir aux CLSC les ressources nécessaires ;

  • bonifier le Programme d’exonération de façon à ce que les EESAD couvrent les coûts réels de leur fonctionnement (17 $ de l’heure) ;

  • hausser et uniformiser les allocations directes à 10 $ de l’heure pour assumer correctement la fonction gardiennage et les services diversifiés aux personnes handicapées.

Les besoins des personnes handicapées

Les besoins des personnes handicapées, ou des personnes ayant des incapacités, peu importe leur âge, sont, dans la conjoncture actuelle, un peu négligés en raison de la forte croissance de la demande du côté des personnes âgées. La hausse du taux de vieillissement occulte l’importance des besoins réels des personnes ayant des incapacités.

Les personnes handicapées, s’appuyant sur la loi, estiment avoir droit à des services publics et gratuits pour permettre leur intégration sociale ; elles luttent vigoureusement pour se tailler une place dans la société. Par exemple, à Longueuil, l’Association des usagers pour l’aide à domicile (AUPAD) travaille à accroître la visibilité des besoins de ses membres et à chercher des solutions pour répondre à ces besoins.

Le modèle proposé ici reconnaît que les personnes ayant des incapacités ont droit à des services intégrés (un seul préposé, de gré à gré, pour dispenser les services) et permet que ce préposé puisse fournir autant des services d’entretien ménager (gratuitement, dans le cadre des allocations directes) que des activités de vie quotidienne.

Les organismes communautaires

Quelle est la place des organismes communautaires dans ce modèle ? Les services que peuvent dispenser les groupes communautaires en maintien à domicile sont nombreux et indispensables : visites d’amitié, popotes roulantes, accompagnement-transport, entraide, soutien aux aidantes naturelles, défense des droits, etc. Cette liste est loin d’être exhaustive. Les groupes communautaires attendent un meilleur soutien financier du gouvernement dans ce domaine. Les services offerts par ces groupes sont complémentaires aux services publics et du secteur de l’économie sociale décrits plus haut.

L’entreprise privée

Quant à l’entreprise privée, je ne vois aucune place pour elle dans la dispensation de services défrayés par les fonds du secteur public. Des CLSC versent autour de 11 $ de l’heure à des entreprises privées, pour des services variés, et l’employé se retrouve avec un salaire de 6,90 $, le salaire minimum ou un peu plus. Si l’on arrimait bien les CLSC, les EESAD et les préposés de gré et gré, il n’y aurait pas de place pour l’entreprise privée.

Les préposés de gré à gré constituent un bien meilleur choix que le recours à l’entreprise privée puisque les préposés de gré à gré ont un meilleur salaire en se passant de l’intermédiaire inutile que constitue l’entreprise privée. Il faut donc promouvoir la constitution de banques de préposés de gré à gré bien formés qui pourraient être gérées par des OSBL, c’est le cas notamment de l’organisme Services-Maison à Longueuil. L’OSBL qui gère la banque de préposés pourra réunir ses préposés à l’occasion, en particulier pour de la formation.

Y aurait-il un réel bénéfice « d’appartenance » pour un préposé à être employé par une entreprise privée, à la gestion de laquelle il ne participe pas et qui lui laisse un salaire dérisoire ? La formule des préposés de gré à gré n’est pas parfaite, loin de là, mais dans la conjoncture actuelle et compte tenu de l’historique de ce mode de dispensation des services, elle offre un compromis défendable.

On ne peut accepter que l’entreprise privée accumule des profits en donnant des services qui devraient être financés par l’État et qui sont nécessaires au bien-être physique et psychologique des personnes. Il est évident que les personnes nanties pourront toujours acheter les services dont elles ont besoin auprès des entreprises privées. Toutefois, le panier de base de services publics gratuits et les services offerts par les EESAD qui tarifent en fonction des revenus de l’usager doivent être maintenus.

Conclusion

Au cours des prochains mois, des développements majeurs sont attendus. Nous les avons brièvement évoqués plus haut : le MSSS a mis sur pied un comité, présidé par M. Hervé Anctil, pour réviser sa politique de maintien à domicile du MS. La ministre prendra par la suite position.

Je souhaite que Pauline Marois ne transforme pas la mission des EESAD afin que l’économie sociale demeure de l’économie sociale. Ainsi, il faut que les travailleurs des entreprises puissent continuer à bénéficier d’un salaire de 8,30 $ de l’heure ; si on élargit la mission des EESAD à des fonctions non rentables, cela va exercer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs. Pauline Marois ne peut unilatéralement décréter que la mission des EESAD sera élargie, que les usagers n’ont qu’à s’adresser à ces entreprises et payer eux-mêmes les services. Les objectifs de maintien à domicile ne seraient alors pas du tout atteints. Les aidants naturels n’auraient pas les moyens de se payer des heures de gardiennage et seraient vite épuisés. De plus, les personnes âgées ne sont pas prêtes à payer pour des services d’hygiène à la maison, comme l’ont constaté les travailleurs sociaux des CLSC lors de l’évaluation des besoins.

Les EESAD procèdent d’un contrat entre la société civile et le gouvernement, entre les partenaires et le gouvernement ; ce dernier ne peut pas modifier unilatéralement ce contrat. Les EESAD présentent un coût global peu élevé, compte tenu du nombre d’emplois créés et de la contribution au bien-être des personnes en besoin. Il ne faudrait pas fragiliser leur base financière par une modification de leur mission.

Les trois éléments suivants sont à revaloriser :

  1. Le travail des auxiliaires familiales et sociales des CLSC. Ceux-ci doivent disposer d’un nombre suffisant d’auxiliaires pour donner aux personnes âgées les services d’hygiène dont elles ont besoin.

  2. Le travail des EESAD. Celles-ci doivent recevoir un financement adéquat afin de remplir la mission pour laquelle elles ont été créées, soit l’entretien ménager (incluant la préparation de repas), sans devoir déborder vers une mission qui les mènerait à la faillite.

  3. Le concept des allocations directes. Les préposés de gré à gré devraient, eux aussi, recevoir un salaire de 8,30 $ de l’heure, comme les travailleurs des EESAD. Si les allocations directes ont bien des défauts, elles ont par contre une grande qualité du point de vue de l’usager : elles assurent la gratuité du service.

L’abolition du crédit d’impôt pour l’aide à domicile permettrait de consacrer plus d’argent aux revalorisations mentionnées ci-dessus.

La formule que je suggère constitue un « compromis radical » (une belle expression paradoxale) qui vise, d’une part, à consolider l’offre dans deux champs d’activités (hygiène personnelle et gardiennage), de façon à maintenir un service totalement gratuit dans ces deux secteurs et, d’autre part, à continuer à solvabiliser la demande dans le champ de l’entretien ménager, où l’usager est appelé à payer les services en fonction de ses revenus.

Le modèle présenté ici contribuerait à résoudre le dilemme qu’évoquait Pauline Marois, à savoir que la croissance du vieillissement dépasse la croissance du produit intérieur brut. Incidemment, certaines études démontrent que le vieillissement n’est responsable que de 1,5 % de la croissance annuelle des coûts et qu’il faut plutôt chercher un « coupable » du côté de la sophistication des nouveaux équipements médicaux et des nouveaux médicaments. Nous avons les ressources nécessaires pour arriver à un partage équilibré des responsabilités entre les CLSC, les EESAD et les préposés du chèque emploi-services.

N’oublions pas que le Québec dépense beaucoup moins que les autres provinces pour le maintien à domicile : en 1997-1998, le montant par habitant alloué aux services à domicile au Québec était d’environ 37,80 $ alors que celui des provinces sans le Québec atteignait 79,20 $, soit le double.

Comme citoyens responsables, nous nous devons de mettre notre créativité à l’oeuvre pour trouver des solutions ou, du moins, des pistes d’action constructives. Les réflexions présentées dans cet article participent de cette volonté d’identifier des éléments de solution plutôt que de demander au gouvernement de trouver la solution pour nous, ou de faire des demandes maximalistes s’opposant à une conjoncture écrasante et irréfragable, ou de conserver une attitude de cynisme ou de découragement. Nous devons avoir, en toutes circonstances, une attitude éthique à l’égard des usagers. Avec un peu d’imagination, un zeste d’équité sociale, un brin de solidarité, beaucoup d’esprit partenarial, on peut arriver à un modèle qui réponde mieux aux besoins des usagers, qui respecte les travailleuses du secteur public et des entreprises d’économie sociale et qui donne un créneau décent aux EESAD et aux groupes communautaires.