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Introduction

Les jeunes migrants interrégionaux sont immédiatement visés lorsqu’il est question de la situation démographique des régions du Québec, plus particulièrement de celles qualifiées de « régions éloignées », soit les quatre régions les plus au nord et les deux les plus à l’est de la province[1]. La tendance est de percevoir les jeunes – ici les personnes âgées entre 15 et 34 ans – comme des acteurs responsables de la baisse ou d’une certaine stagnation de la population de ces régions. Le regard tourné vers cette cohorte d’âge n’a pas de quoi étonner : le mouvement migratoire interrégional, c’est-à-dire le passage d’une région administrative[2] à l’autre, a été (Perron, 1997) et continue d’être principalement le fait de cette période de la vie qu’on appelle « la jeunesse » (figure 1).

La circulation de jeunes sur le territoire est si variable, tant dans le temps que dans l’espace, qu’il importe d’y revenir périodiquement dans la double perspective de voir ce qui a changé dans les choix des jeunes et d’analyser l’effet que ces choix ont pu avoir sur chacune des six régions. Les données analysées dans ce texte proviennent des statistiques recueillies par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) pour l’année chevauchant 2018-2019[3] avec quelques références à 2019-2020, année particulière marquée, à partir de 2020, par la pandémie de COVID-19.

Une question de recherche sous-tendra en filigrane l’analyse de ces données: est-ce que, dans un contexte où les moyens de communication physiques et virtuels sont devenus plus performants (Castells, 1998), les migrations interrégionales des jeunes doivent continuer d’être un sujet d’inquiétude quant à leur poids sur le bilan démographique des régions éloignées, et quelles études à venir cette question pourrait-elle suggérer ? Le « handicap de la distance », qu’observait le géographe Dugas (1983), existe-t-il toujours avec les moyens actuels de communication qui, invariablement, contribuent à créer de la proximité ? En l’absence d’une enquête sur les motivations des jeunes eux-mêmes, l’analyse des données recueillies par l’ISQ pourra suggérer d’autres hypothèses à ce propos.

Une attention particulière sera accordée aux directions que prennent les jeunes des régions éloignées, de la sortie d’une région à l’entrée dans une autre, ainsi qu’à l’âge où ils le font, en vue d’en déceler le poids et les indices de changement. La discussion portera sur la question de la distance et de l’état des liens entre ces régions, avec une interrogation sur l’utopie d’une « société en réseaux » pour elles. La conclusion suggérera des recherches à poursuivre.

L’exercice a ses limites : il ne comporte pas d’étude des motifs de choix des jeunes quant à leurs parcours migratoires. Les données en ce sens pourront être complétées, à titre de comparaison ou d’hypothèses, par des études issues d’autres travaux, dont ceux du Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ)[4] effectuées au tournant du siècle (de 1995 à 2005).

Problématique

Remontant dans le temps jusqu’au début du XIXe siècle, l’historien Perron a repéré les traces de migration des jeunes à toutes les époques, qu’elles concernent le développement du territoire ou les mouvements pour en échapper. Il a en tiré que l’ancienneté du phénomène « laisse croire en sa constance, même si les raisons qui incitent à migrer ou à émigrer et les préférences dans les destinations ont pu évoluer au fil du temps » (1997 : 23). Ainsi, la migration interrégionale demeure-t-elle principalement le fait de la jeunesse. Elle est un phénomène pérenne au Québec (idem : 23-48) et se produit dans toutes les régions[5], mais n’a pas les mêmes conséquences sur chacune, au plan démographique. Il est possible d’en repérer la trace et les préférences dans les destinations par les études de population de l’ISQ, qui serviront de données d’analyse dans cet article.

Le bilan migratoire étudié ici concerne principalement les six régions dites éloignées (tableau 1) à cause de leur distance des grandes agglomérations et qui se situent au nord et à l’est de la province. Des études passées rappellent que les jeunes auraient eu tendance à quitter ces régions pour diverses raisons, mais qui produisaient toutes un déficit démographique les rendant vulnérables (Conseil des affaires sociales, 1989). Une enquête plus récente s’est distancée du discours alarmiste pour remettre en question les motifs qui entraînaient les jeunes à quitter leur région d’origine (LeBlanc et Molgat, 2004). Au plus jeune âge et jusqu’au début de la vingtaine, les études prédominaient comme motif de départ, mais aussi la volonté de partir « pour vivre des expériences nouvelles à un âge où cela est possible... » (Gauthier et al., 2003 : 133). De négative qu’elle était, la notion d’exode se voyait ainsi remplacée, entre autres expressions, par celle de « construction identitaire à travers l’espace » (Girard et al., 2004). Elle laissait aussi place aux notions de réversibilité et même d’attraction. La migration interrégionale s’étend aujourd’hui dans le temps à la mesure de ce que les sociologues appellent « l’allongement de la jeunesse », caractérisé par une durée plus longue des études[6] et un report de la stabilisation professionnelle et résidentielle. Le bilan migratoire étudié dans ce texte concerne ces six régions éloignées des grands centres et qui, à l’exception du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sont les moins populeuses du Québec. Ces régions se ressentent-elles encore aujourd’hui d’un mouvement migratoire des jeunes que les retours, l’accroissement naturel de la population ou l’immigration[7] ne parviendraient pas à combler ?

Cadre théorique

Pour comprendre la migration plus importante chez les jeunes, Perron rappelait qu’il faut l’observer dans le contexte sociétal où elle se construit. Ce contexte lui faisait dire que s’il y a discontinuité dans les raisons de migrer, c’est que « les migrations remettent en cause le fonctionnement d’une société » (1997 : 46). C’est ainsi que les jeunes, à certaines époques, répondaient à « l’appel du nord » du Québec qu’il fallait développer et, qu’à d’autres époques, c’était la rareté des terres agricoles qui les faisait fuir du sud du Saint-Laurent vers les régions en cours d’industrialisation.

Ne serait-il pas pertinent de réviser ces notions qui, à des époques encore récentes, étaient porteuses de charges émotives fortes, le départ des jeunes étant susceptible de participer de manière importante au déclin des régions, et plus particulièrement du milieu rural (Vachon, 1991) ? Ce milieu se transforme aujourd’hui par un développement agricole ou d’extraction des ressources qui n’implique pas nécessairement un accroissement de la population, mais peut laisser place à d’autres manières d’entrevoir son développement (Proulx, 2020).

La notion de retour et, plus encore, celle de rétention, sous-jacentes à de multiples tentatives mises en place pour établir ou ramener les jeunes dans les régions éloignées, sont-elles encore pertinentes ? Les jeunes partent à l’âge des études ou de l’insertion professionnelle. Les migrations se faisant depuis peu à un âge plus avancé, les cégeps et les universités régionales jouent sans doute aujourd’hui un rôle de rétention, à tout le moins pour les plus jeunes. Mais cette rétention ne se maintiendrait pas ou ne jouerait pas en faveur d’un retour, que les études postsecondaires soient faites à l’extérieur ou à l’intérieur de la région. Caractérisées comme régions ressources, ces régions éloignées pourraient ne pas être en mesure de maintenir ou de ramener sur le territoire des jeunes hautement scolarisés. Polèse et Shearmur faisaient ainsi remarquer que « [l]’attraction exercée par des villes dynamiques sera d’autant plus forte que la production locale est déficiente (une relation d’offre et de demande) » (2005 : 29). Les institutions régionales d’éducation contribueraient ainsi à hausser le niveau de scolarité de la population québécoise, mais sans en retirer tous les bénéfices.

D’autres thèses ou d’autres approches seraient-elles plus adéquates pour analyser le phénomène ? Devant le développement actuel de tous les moyens de communication, la thèse de Castells (1998) sur la société en réseaux le permettrait-elle ? Serait-elle mieux en mesure d’expliquer le phénomène et d’y voir une source d’inspiration, peut-être même d’espoir, pour les régions éloignées ? Le lien social est-il encore aujourd’hui déterminé par la proximité du lieu ? D’autres possibilités de communiquer avec autrui ne pourraient-elles se substituer au partage d’un même territoire, cela s’appliquant dans les deux directions ? L’expérience du télétravail pendant la période de confinement en raison de la COVID-19 a démontré la pertinence de cette question. Aux notions d’occupation du territoire et de distance pourrait-on substituer celles de moyens de communication et de mobilité ?

Ainsi, serait-il pertinent de suggérer que les jeunes contemporains ne quittent pas une région, mais se situent dans une société en réseaux (moyens de transport, autoroutes, Internet, télétravail, etc.) qui ne s’inscrit pas nécessairement dans les limites d’un site ou d’une région administrative ? Castells disait de ce type de société que « [l]’espace des flux domine désormais l’espace des lieux » (1998 : 413). Il affirmait ainsi : « À l’ère de l’information, la transformation des relations interpersonnelles la plus fondamentale est celle-ci : l’individu cesse de suivre des modèles de comportement pour fonder sa relation avec autrui sur l’expérience directe qu’il en a (ibid.) ».

Les mots pour parler du phénomène migratoire chez les jeunes pourraient avoir changé, la perception n’étant plus la même. À la fin du siècle dernier, l’expression « exode des jeunes des régions » se retrouvait tant dans des documents officiels (Conseil des affaires sociales, 1989 : Avant-propos) et l’opinion publique (médias nationaux et régionaux) que sous la plume des chercheurs (Villeneuve, 1996). Diverses études ont par la suite contribué à en diminuer l’usage, lui substituant plutôt l’appellation plus neutre de « migration interrégionale », une expression qui n’inclut pas seulement l’idée de départ, et même de départ définitif, mais aussi la possibilité d’un retour ou même d’un gain par le va-et-vient des jeunes entre les régions (Côté et Potvin, 2004 : 59-62). La notion de réseau pourrait-elle se substituer aujourd’hui à celle de migration interrégionale ?

Méthodologie

Les matériaux pour illustrer le phénomène de la migration interrégionale des jeunes proviennent principalement des données mises à jour chaque année par l’ISQ (ISQ, 2019a, 2019c, 2020a et 2020c ; Bézy et Saint-Amour, 2020). Ces données ne sont pas tirées d’un échantillon, mais de la population dans son entier. Elles concernent la mobilité sur le territoire et sont extraites du Fichier d’inscription des personnes assurées de la Régie de l’assurance maladie du Québec, abrégé en FIPA-RAMQ. Pour la RAMQ, le changement de lieu d’habitation nécessitant un changement d’adresse permet d’observer les mouvements de population pour chaque région administrative et ses subdivisions: municipalités régionales de comté (MRC)[8] et municipalités. Un bilan est effectué chaque année par l’ISQ et porte donc sur toute la population. Avec ce mode de cueillette d’information, un problème peut se poser lorsqu’il s’agit d’une possible circulation entre deux villes réunies par un pont : vivre dans l’une et étudier ou travailler dans l’autre, le cas de la Montérégie et Montréal, de Chaudière-Appalaches et de la Capitale-Nationale, par exemple. Mais c’est le lieu de résidence, comme partout ailleurs, qui prévaut.

L’essentiel du texte portera, dans la première partie, sur des données recueillies de 2002 à 2020, mais principalement sur celles de l’année 2018-2019 considérée comme une « année normale ». Suivra une brève incursion dans la première année de la pandémie. Pour comparaison, l’échelle d’observation retenue est celle des 17 régions administratives du Québec, avec quelques allusions à certaines MRC et à quelques municipalités, la documentation dans le site Web de l’ISQ étant abondante et publique pour tous ces paliers de subdivision du territoire.

Les données recueillies par l’ISQ ont permis la confection du tableau 1 qui présente une vue d’ensemble du solde migratoire de chacune des 17 régions administratives pour chaque groupe d’âge quinquennal, soit de 15-19 à 30-34 ans pour l’année chevauchant 2018 et 2019 (ISQ, 2020a). C’est dans ces groupes d’âge qu’on peut observer les principales phases de départs de la région d’origine jusqu’aux phases de stabilisation résidentielle (LeBlanc, 2004). Le classement des régions met d’abord en évidence celles dont il sera plus particulièrement question dans le texte.

Une sixième colonne a été ajoutée au tableau 1 pour illustrer le taux de croissance ou de décroissance de la population de chaque région pour l’année 2019 (ISQ, 2020b). Cette donnée permettra de constater l’importance relative – bien que ce ne soit pas le seul facteur – de la migration interrégionale au regard du bilan démographique de chacune. L’immigration ainsi que les taux de natalité et de mortalité ont aussi un effet sur ce bilan, mais l’étude porte principalement sur la migration.

Trois figures, créées à partir des données de l’ISQ, illustreront le taux de migration interrégionale. La figure 1 présentera le taux selon l’âge : ne sont retenues comme éléments de comparaison que les données de 2002-2003 et celles de 2018-2019 (ISQ, 2020c). Les figures 2 et 3 serviront d’illustration des lieux de sorties et d’entrées, mais pour une seule région à titre d’exemple, soit le Saguenay–Lac-Saint-Jean dans ce cas. Les données, qui ont servi à créer ces figures seront aussi utilisées pour décrire le phénomène dans les autres régions. Elles sont tirées de quatre tableaux produits par l’ISQ (2020c), et compilées pour chaque groupe d’âge et pour chaque année.

Il importe toutefois de rappeler que le fait de se concentrer sur le comportement migratoire de certains groupes d’âge ne peut constituer une étude démographique au sens strict. Pour ce faire, une telle étude devrait intégrer les migrations à d’autres âges, mais aussi l’immigration nationale (autres provinces du Canada) et internationale, de même que les phénomènes naturels liés aux naissances et aux décès.

Les travaux du GRMJ entre 1995 et 2005 pourront être utilisés comme éléments de comparaison et d’interrogation par rapport aux motifs actuels de déplacement sur le territoire ainsi qu’aux profils des migrants et de leurs choix (Gauthier, 1997 ; LeBlanc et Molgat, 2004). Les données de l’ISQ étant d’ordre démographique, il n’y est question ni de motifs ni d’affects qui pourraient caractériser le comportement migratoire des jeunes, lequel se modifie, selon une hypothèse sous-jacente à ce texte, en fonction des circonstances et des époques.

Analyse des données

Cette section constitue le coeur du sujet par la présentation de l’ensemble des données illustrant, d’abord, la tendance à la baisse de la migration des jeunes au cours de la dernière décennie, puis les caractéristiques du phénomène en 2018-2019. Il sera ensuite question des indices de changement dans le temps, des destinations et de la proximité, plus spécifiquement concernant les six régions éloignées.

Tendance à la baisse de la migration interrégionale des jeunes : illustration selon l’âge

Le découpage par regroupements quinquennaux permet de visualiser ce qui se passe pour chaque groupe d’âge, parce qu’il se rapproche de l’âge moyen aux études, en partie entre 15 et 19 ans (fin secondaire et cégep) et jusqu’à 20-24 ans (fin cégep et université). Par la suite, on assiste à l’entrée stable sur le marché du travail et à l’installation résidentielle, plus probables entre 25 et 29 ans et de 30 à 34 ans comme le suggère la figure 1 (St-Amour, 2019 : 2). Si cette figure illustre des taux, elle montre aussi on ne peut mieux la catégorie d’âge où se produisent les migrations internes, très largement attribuables aux jeunes.

FIGURE 1

Taux de migration interrégionale selon l’âge, Québec

Taux de migration interrégionale selon l’âge, Québec
Source: ISQ, 2020c

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La figure 1 indique que les taux de migration ont diminué au cours des deux décennies. Elle montre aussi que les taux les plus élevés ne se produisent pas aux mêmes âges : sommet atteint à 20-24 ans (7,36 %) en 2002-2003 et à 25-29 ans (5,69 %) en 2018-2019. À son sommet, la migration touche 6 % de la population des 20-24 et des 25-29 ans en 2017-2018, alors que le phénomène pour l’ensemble des âges est de 2,4 % (ISQ, 2019c : 33). Comme il n’existe pas d’études récentes sur les motifs de migration, on ne peut que formuler des hypothèses quant à cette variation dans le temps, la durée de la scolarisation, par exemple. Les données recueillies par le GRMJ auparavant pourraient justifier cette deuxième hypothèse, la recherche d’emploi n’ayant pas été le premier motif de départ au moment de l’enquête, mais la poursuite des études (LeBlanc et al., 2003 : 44).

D’autres explications sont plausibles, comme la fluctuation de la population des 1 5-24 ans marquée par deux épisodes de diminution[9] (ISQ, 2019b). De plus, une poursuite plus longue des études et la combinaison études-emploi ont pu aussi favoriser l’allongement du maintien sur place[10]. Comme on le verra au tableau 1, la perte d’attraction de la région de Montréal ayant été considérable[11], ce phénomène a pu jouer aussi sur le mouvement de migration, cette fois à la fin des études, donc à un âge plus avancé.

Ces facteurs combinés pourraient avoir eu une incidence à la fois sur la baisse de mobilité et sur le fait que la courbe migratoire soit plus élevée à 25-29 ans qu’à 20-24 ans en 2018-2019 par rapport à 2002-2003. En nombre absolu, le Québec a connu 8 139 migrations interrégionales chez les 15-19 ans, 22 473 chez les 20-24 ans, 29 080 chez les 25-29 ans et 21 184 chez les 30-34 ans en 2018-2019 (ISQ, 2020a).

Caractéristiques de la migration interrégionale selon l’âge et la région en 2018-2019

Le solde migratoire interrégional a globalement varié et présente des caractéristiques très différentes d’une région administrative à l’autre. Le tableau 1 illustre ce solde pour l’année 2018-2019 en termes de gains ou de pertes[12] pour chacun des quatre groupes d’âge quinquennaux et pour chacune des dix-sept régions administratives. Il apparaissait important de souligner également le taux de croissance global de la population de chacune des régions afin d’avoir une vision plus précise de l’effet de la migration sur leur profil démographique. Ces données apparaissent dans la dernière colonne du tableau. Les régions sont regroupées selon la géographie du Québec et en tenant compte de celles qui servent de pivot à l’armature démographique de la province, à savoir Montréal et la Capitale-Nationale. Les données qui apparaissent dans ce tableau sont des soldes migratoires : des pertes ou des gains en valeurs absolues. La croissance totale de la population est présentée par un taux.

TABLEAU 1

Soldes migratoires interrégionaux 2018-2019 et croissance de la population 2019 - Régions administratives du Québec

Soldes migratoires interrégionaux 2018-2019 et croissance de la population 2019 - Régions administratives du Québec

* Pour la croissance de la population: Direction des statistiques sociodémographiques, 2020 : 3

Source: ISQ, 2020a

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En premier lieu, un constat ressort : le comportement migratoire est différent d’un âge à l’autre, d’une région à l’autre et, même, d’un type de région à l’autre. Et il n’agit pas de même manière sur la croissance de la population. Ainsi, trois des régions éloignées avec un bilan migratoire négatif maintiennent une croissance, bien que faible, de leur population: le Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec. La croissance importante des deux dernières, en particulier de la dernière, est toutefois due à un taux élevé de natalité.

Sans surprise, les 15-19 ans de ces régions sont les moins susceptibles de mobilité (8 139 sortants). La présence d’écoles secondaires et de cégeps partout sur le territoire explique possiblement ce fait. Toutefois, divers motifs peuvent exiger ou susciter un départ de la région dès cet âge : la distance des institutions, le choix d’un métier qui ne s’y enseigne pas, la recherche d’un emploi ou autres. À propos des nombreuses possibilités de choix du lieu d’études, des analystes de l’enquête du GRMJ en arrivaient à la conclusion que « le modèle québécois d’éducation renforce la mobilité déjà grande des jeunes sur l’ensemble du territoire » (LeBlanc et al., 2003 : 51).

De plus nombreux départs (22 473) s’effectuent entre 20 et 24 ans. Ils se font principalement en direction de quatre régions comptant des universités qui disposent de plusieurs choix de programmes et qui sont situées dans des milieux de plus forte densité : Montréal, la Capitale-Nationale, la Mauricie et l’Estrie. Même les villes universitaires des régions éloignées comme le Bas-Saint-Laurent, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et l’Abitibi-Témiscamingue sont en perte de jeunes de cet âge, qui est aussi celui de l’entrée sur le marché du travail. Il est permis de supposer que les migrations seraient encore plus nombreuses s’il n’y avait pas de centres universitaires dans ces régions. Les difficultés de rétention ou d’attraction des « hautement qualifiés » pourraient trouver réponse dans les gains que font la Capitale-Nationale et la région de Montréal pour cet âge. C’est toutefois aux âges qui suivent qu’il sera davantage possible d’observer la direction géographique que prend l’insertion professionnelle (figure 1).

À 25-29 ans, le nombre de migrations (29 080) présage d’une diminution rapide. Pour les régions éloignées, s’agit-il de retour ? Un bilan positif se trouve déjà dans deux régions : Côte-Nord et Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. S’agirait-il de retours des études en provenance de la métropole en perte de ses diplômés (Polèse et Shearmur, 2005) ? La Capitale-Nationale retiendrait-elle davantage ses migrants ? Ces gains sont toutefois moindres qu’aux âges précédents.

La figure 1 rappelle que la mobilité des jeunes se trouve sur son déclin à 30-34 ans (21 184) et il est justifié d’affirmer que cette tendance va se terminer très rapidement. Le solde migratoire est devenu positif pour cette strate d’âges dans quatre des six régions éloignées (tableau 1), les deux exceptions étant l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec, qui conservent un bilan migratoire négatif comme aux autres âges sans que la croissance de la population n’en soit toutefois affectée.

La dernière colonne du tableau 1 indique clairement que, en 2018-2019, toutes les régions éloignées sont déficitaires en ce qui concerne la population des 15-34 ans. Les plus grands déficits se voient sur la Côte-Nord pour les 15-19 ans et dans le Bas-Saint-Laurent et le Saguenay–Lac-Saint-Jean chez les 20-24 ans. Il faut souligner le fait que ces deux dernières régions sont situées aux limites de la Capitale-Nationale.

Ces constats pourraient clore la démarche de compréhension du phénomène sur une note négative. Ce serait ne pas tenir compte des changements qui s’opèrent dans les deux derniers groupes d’âge. Une fois passé le temps des études, le bilan migratoire devient positif pour au moins trois des régions éloignées entre 25 et 29 ans, et pour quatre d’entre elles, entre 30 et 34 ans (tableau 1). Ces gains ne comblent pas toutes les pertes, mais une analyse plus approfondie montrera que tout n’est pas perdu !

Des indices de changement dans le temps: le cas des 30-34 ans

Y a-t-il eu des changements importants depuis la fin du siècle dernier dans les migrations des jeunes au Québec ? Cette question revêt une importance certaine pour qui veut vérifier le postulat proposé par Perron, à savoir que « [s]i, là aussi où il y a discontinuité, c’est dans la manière dont les migrations remettent en cause le fonctionnement d’une société » (1997 : 46). Cette remise en cause est-elle perceptible à quelques décennies de distance ? Saute à l’évidence le cas de Montréal qui, comme ville d’attraction à la fin du XXe siècle, est devenue ville de départ en 2018-2019 chez les 25-34 ans.

Une comparaison avec la période 1981-1991 illustre bien ces transformations. Les données sont empruntées aux analyses d’Isabelle Tremblay[13] et concernent principalement les 25-29 ans, soit l’âge de l’insertion résidentielle stable, à l’époque (1997 : 49-61). Le bilan migratoire des six régions à l’étude y était négatif (idem : 52), ce qui n’empêchait pas d’être positif le taux de croissance de la population de deux d’entre elles, soit le Saguenay–Lac-Saint-Jean et l’Abitibi-Témiscamingue (idem : 54). S’ajoute aujourd’hui le Nord-du-Québec. À la différence de la période étudiée par Tremblay, le groupe des 30-34 ans marque aujourd’hui une deuxième période d’âge importante dans le parcours migratoire (figure 1 et tableau 1).

En comparant deux périodes distantes d’un peu plus de deux décennies, il est permis d’affirmer que, si les migrations de départ sont toujours plus importantes que les entrées chez les 15-24 ans, dans le passé comme aujourd’hui, les entrées sont davantage nombreuses actuellement dans les groupes d’âges qui suivent, particulièrement dans le groupe des 30-34 ans dont il n’est même pas question dans l’enquête citée par Tremblay. À l’époque pas si lointaine de cette enquête (1981-1991), les migrations se terminaient avec le groupe des 25-29 ans. Cette comparaison valide la thèse de Perron, à savoir que les migrations des jeunes sont révélatrices des transformations en cours dans les sociétés. Elles se traduisent, dans le cas étudié ici, par les effets d’une scolarisation plus élevée, se terminant donc à un âge plus avancé qui reporte à plus tard, jusqu’à 30-34 ans, l’insertion résidentielle stable. Plus encore, la hausse du niveau de scolarité pourrait bien contribuer à l’amplification du phénomène d’urbanisation à l’intérieur même des régions éloignées.

Faut-il rappeler que les facteurs de migration ou de rétention ne tiennent pas qu’à l’attrait du marché du travail et du territoire, mais aussi à la qualité de vie et à la culture : activités culturelles, installations sportives et récréatives, politiques familiales, etc. (Beaudry et al., 2014 : 378). Outre l’allusion aux moyens du milieu de l’éducation pour maintenir ou attirer les jeunes, ne sont pas pris en compte ici certains moyens d’attraction ou de rétention. À titre d’exemple, il ne faudrait pas négliger le rôle joué par l’organisme Place aux jeunes en région (PAJR) créé en 1989 dans le but « de faciliter le retour et l’installation des jeunes qualifiés ».

De plus, à la différence de la métropole où l’immigration compense amplement les départs des jeunes, ces régions ne peuvent pas compter sur un tel facteur. Cinq d’entre elles comptabilisent même des pertes d’immigrants au cours de la période étudiée (-6,1 % au total) (St-Amour et Haemmerli, 2020 : 5).

Lieux de destination et la question de la proximité

Il est possible aujourd’hui de connaître avec une grande précision les lieux de destination au départ et ceux au retour ou à l’arrivée, à l’aide des données publiées par l’ISQ (2019a). Les principaux choix de direction se déclinent comme suit. La Capitale-Nationale est la première région d’attraction pour quatre des six régions éloignées (ISQ, 2019a). L’ISQ attire même l’attention sur ce fait dans une autre publication (Coup d’oeil sociodémographique, no 68 : 6). La question de la proximité entre donc ici en ligne de compte et c’est le cas à tous les âges pour le Bas-Saint-Laurent, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord. Pour la Gaspésie–îles-de-la-Madeleine, les 15-19 ans et les 25-29 ans se rendent aussi au plus près, soit au Bas-Saint-Laurent, mais dans la Capitale-Nationale aux deux autres âges (20-24 et 30-34 ans). En Abitibi-Témiscamingue, la préférence va aux Laurentides et à Montréal. Encore là, il est question de proximité.

Quant au Nord-du-Québec et aux caractéristiques de sa population, le petit nombre de migrants se dirige tantôt vers Montréal, tantôt vers les régions limitrophes : le Saguenay–Lac-Saint-Jean et l’Abitibi-Témiscamingue (ISQ, 2020c). À souligner ici que le Nord-du-Québec maintient des liens étroits avec le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), mais aussi avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). D’autres régions profitent de ces migrations, mais deux d’entre elles attirent particulièrement l’attention : Montérégie et Chaudière-Appalaches. La question d’ordre méthodologique soulevée plus haut en rapport avec la proximité de Montréal et de Québec est en cause ici. Ce biais sera pris en compte dans les figures 2 et 3.

La figure 2 illustre les orientations que prennent les sortants de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean dans le groupe d’âge où ils sont les plus nombreux, soit 20-24 ans, et la figure 3, celle des entrants dans l’échange interrégional de cette région, aussi à l’âge où ils sont les plus nombreux, soit 25-29 ans. Cette région a été choisie à titre d’illustration pour son volume de migrations, les sorties à 20-24 ans et les entrées à 25-29 ans. Dans ce dernier cas, il pourrait s’agir de retours ou de nouveaux arrivants.

Ces deux figures montrent que les échanges migratoires les plus nombreux ont tendance à se faire entre les mêmes régions tout en étant plus nombreux dans un sens que dans l’autre, davantage pour les sorties à 20-24 ans (691) et pour les entrées à 25-29 ans (491), ces deux groupes d’âge étant ceux où le bilan migratoire interrégional est le plus positif. Cette région du Saguenay–Lac-Saint-Jean compte une proportion importante de migrants qui s’orientent vers la Capitale-Nationale et encore plus si on joint les deux rives (avec Chaudière-Appalaches) comme il en a été question plus haut. Ils sont moins nombreux à migrer ou à revenir au lieu d’origine, bien que le bilan migratoire vers cette région soit plus positif chez les 30-34 ans (tableau 1). À noter aussi que les migrations ont tendance à s’orienter vers le territoire le plus proche (Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches) ou vers les régions les plus populeuses (Montréal et Montérégie).

FIGURE 2

Régions de destination des sortants du Saguenay–Lac-Saint-Jean chez les 20-24 ans[14], 2019

Régions de destination des sortants du Saguenay–Lac-Saint-Jean chez les 20-24 ans14, 2019
Source : ISQ, 2020c

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FIGURE 3

Régions d’origine des entrants au Saguenay–Lac-Saint-Jean chez les 25-29 ans[15], 2019

Régions d’origine des entrants au Saguenay–Lac-Saint-Jean chez les 25-29 ans15, 2019
Source : ISQ, 2020c

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Les deux illustrations parlent d’elles-mêmes : les échanges se font significativement entre les mêmes régions, mais en moins grand nombre à l’âge des entrants, qui peut être aussi celui des retours. Il ne faut toutefois pas négliger le fait que le Saguenay–Lac-Saint-Jean présente un bilan positif seulement pour l’âge d’insertion stable, 30-34 ans, ce qui ne comble pas le bilan des pertes démographiques subies aux âges précédents (tableau 1).

En ce qui concerne la croissance totale de population dans trois de ces régions éloignées et la décroissance dans les trois autres, les données peuvent dissimuler d’autres réalités. Cela ne signifie pas que la population ne peut s’accroître dans certaines MRC et dans les villes pivots qui s’y trouvent. C’est le cas de Saguenay, de Rimouski, de Rouyn-Noranda, de Val-d’Or, de Sept-Îles et de Gaspé (ISQ, 2019d : 162-164). Ces gains se répercutent par ailleurs sur d’autres MRC. L’ISQ faisait ainsi remarquer que « [l]es 11 MRC qui ont vu leur population décliner le plus fortement entre 2016 et 2019 sont toutes situées dans les régions les plus éloignées des grands centres » (Direction des statistiques sociodémographiques, 2020 : 4). Le milieu rural est particulièrement affecté par ces départs. Mais, exprimée de façon plus positive, cette réalité illustrerait le phénomène d’urbanisation de ces régions, c’est-à-dire d’une concentration de population favorisée entre autres par l’implantation d’universités dans trois de ces villes avec ce que cela peut entraîner comme développement culturel, de services et même d’entreprises.

Bien que les données sur la migration interrégionale des jeunes pour 2019-2020, année complète de pandémie et donc de confinement, soient parues après une première mouture de ce texte, elles ne peuvent échapper à l’observation de ce qui s’est passé dans les six régions à l’étude (ISQ, 2021). Ainsi, le solde migratoire a été positif pour les quatre groupes d’âge : Bas-Saint-Laurent (+58), Saguenay–Lac-Saint-Jean (+11), Côte-Nord (+14) et Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (+117). Si le bilan migratoire a continué d’être négatif, il a toutefois diminué dans le cas de l’Abitibi-Témiscamingue (-130 par rapport à -139) et pour le Nord-du-Québec (-20 par rapport à -90). Le phénomène est-il lié à un facteur négatif, comme la perte d’emplois, ou à des facteurs positifs, comme les études à distance et le télétravail ? Il faudra attendre l’après-pandémie et le retour à la vie normale pour voir si ces régions conserveront les avantages de ce retour précipité. Qui peut prédire que ne se maintiendront pas la pratique du télétravail, de la télésanté et des études à distance ? À la condition peut-être qu’une des expressions de la société en réseaux, le réseau Internet, couvre bien tous ces territoires, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Discussion

L’objectif de cet article était de vérifier l’état et l’effet des migrations interrégionales des jeunes sur les régions éloignées. Les données de 2018-2019 de l’ISQ constituaient au départ une base rigoureuse d’information sans toutefois répondre au besoin de connaître la multiplicité des facteurs pouvant motiver une migration. Cette base d’information constitue néanmoins un point de départ essentiel à la compréhension du phénomène et à la suggestion de pistes à poursuivre.

Qu’en est-il du « syndrome » de la distance comme facteur de non-retour des jeunes dans les régions éloignées et qui, historiquement, aurait constitué un frein au développement démographique de ces régions ? La collecte et l’étude des données annuelles des migrations interrégionales confirment encore aujourd’hui la tendance à la mobilité des 15 à 34 ans, mais subdivisée cette fois en deux sous-groupes d’âge : sorties importantes entre 20 et 24 ans mais bilan migratoire positif chez les 30-34 ans, bien que moins important que pour les sorties, pour 4 des 6 régions. Ce bilan positif ne pourrait-il pas être interprété comme une avancée dans la minimisation des représentations de la distance ? Les moyens actuels de communication contribueraient-ils à réduire la perception d’éloignement ? Mais il y a plus encore. Comme on l’a vu, la Capitale-Nationale exerce un pouvoir d’attraction auprès des jeunes, à tout le moins dans les quatre régions du nord et de l’est du fleuve. Ses institutions d’enseignement supérieur en font un lieu de choix. La volonté de développer un réseau de circulation toujours plus performant entre les deux rives[16] donne le signal au besoin de réduire encore plus les distances avec les régions du sud. Un avenir plus positif pour le « Québec des régions » se construirait ainsi progressivement autour de la Capitale-Nationale.

Autre indice d’un développement positif pour ces régions « éloignées » où, cette fois, la question de la distance se modifie de l’intérieur. Même si elles montrent un solde migratoire négatif global en 2018-2019, ce solde négatif peut cacher un certain dynamisme pour une partie de la région, soit une MRC ou une ville. Au moins deux cas de la sorte ont été décrits par l’ISQ pour l’année de référence : le bilan migratoire positif dans la MRC des Îles-de-la-Madeleine (Bas-Saint-Laurent–Îles-de-la-Madeleine) et dans celle de Rimouski-Neigette (Gaspésie–Bas-Saint-Laurent) (St-Amour, 2018 : 1 et 5)[17]. Ce bilan positif peut toutefois signifier une décroissance de population dans les milieux ruraux. Le phénomène, pas nouveau[18], est observable dans les six régions. Il a été de 6,8 % entre 1981 et 2016 (Coop Carbonne, 2018 : 9). La tendance à l’urbanisation constituerait-elle un attrait pour des jeunes migrants hautement scolarisés ? Cette tendance n’est pas appelée à se modifier, bien que les territoires désertés ne manquent pas d’exprimer le désir de demeurer en lien, ne serait-ce que par les moyens virtuels de communication.

Le bilan démographique positif toujours en croissance de plusieurs villes-centres dans les régions encore dites éloignées et la tendance à l’urbanisation tendraient à confirmer une reconfiguration du territoire du Québec. Il s’y développe de nouveaux moyens de communication qui contribuent à mettre les régions en réseau. Devant ces quelques indicateurs de changement, l’approche théorique de la société en réseaux n’est peut-être pas utopique. La région de la Capitale-Nationale est en pleine croissance et, sur l’autre rive, celle de Chaudière-Appalaches réclame de nouveaux moyens de communication avec la première pour poursuivre son développement. Derrière ces projets, l’allusion au lien qui pourrait s’établir plus directement entre la Capitale-Nationale, le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est bien présente. S’ajoute à ce quatuor le Saguenay–Lac-Saint-Jean, déjà rapproché de Québec par le réaménagement de la route 175 en route nationale. À souligner que cette région en est aussi une d’accueil pour des migrants de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec, la première étant la plus à risque de perte de population.

Par leurs réclamations et leur présence régulière dans les médias, ces régions ne manquent pas de s’affirmer lorsqu’il s’agit de la perspective de développement d’un réseau de relations, tant matériel que virtuel. Un tel développement comprendrait entre autres : a) l’amélioration d’un transport aérien local et régional et même la création d’une entreprise de ce type de transport leur appartenant ; b) l’accès universel à Internet haute vitesse, encore absent dans certaines localités ; c) l’amélioration des réseaux routiers ; et d) signe évident de circulation, le va-et-vient des jeunes adultes sur ces territoires.

S’ajoutent, comme expériences de rapprochement, celles provoquées par la pandémie et susceptibles de devenir récurrentes. Les migrations nombreuses pendant cette période ont donné le signal que les distances ne sont pas un obstacle pour un retour ou un aller en région. L’expérience du télétravail, de la télémédecine et des cours à distance pourrait suggérer la possibilité de minimiser l’obstacle de la distance par les moyens virtuels de communication. La question de la migration interrégionale des jeunes pourrait-elle alors perdre son aura négative au profit du développement d’une autre dynamique de population ? Plus encore, ces moyens pourraient-ils contribuer à retenir l’immigration qui a tendance à se diriger vers les grands centres ? L’idée, pour les quatre régions à proximité de la Capitale-Nationale de constituer, avec celle-ci, une société en réseaux est-elle utopique ?

Conclusion

L’observation des faits dans les sections précédentes, ne serait-ce que pour l’année 2018-2019, montre que le va-et-vient des jeunes dans les régions éloignées du Québec semble s’être modifié au point où l’on peut se demander si la question de la distance demeure toujours aussi prégnante, négative et incontournable qu’elle l’était. Dans ces régions, plus spécifiquement les quatre les plus près de la Capitale-Nationale, et à partir de 25 ou 30 ans, un solde migratoire positif est apparu. Il serait susceptible de mettre en question la notion de distance comme obstacle à la migration de retour ou d’insertion. Les deux autres régions éloignées, au nord et à l’ouest, ont jusqu’à maintenant laissé la marque d’un développement endogène qui serait aussi à examiner, la sortie des jeunes du territoire n’étant pas compensée par la migration.

Devant ce fait, des défis se posent au milieu de la recherche. Il y aurait d’abord lieu d’interroger les migrants, en particulier les plus scolarisés, sur leurs motifs d’entrée ou d’installation résidentielle dans les régions encore dites éloignées. Cet attrait existait en 2018-2019 en période « normale », soit avant l’apparition de la COVID-19. De nouveaux comportements migratoires en direction des régions éloignées sont apparus pendant la pandémie, liés au travail, aux études et à la vie à distance, qui pourraient avoir accentué cet attrait récent. Il faudrait observer ce qui est appelé à se maintenir et voir quel effet cela peut avoir sur ce qui s’appelle « la vie en région ». Pourquoi ne pas faire l’inventaire de ces moyens et de ces expériences qui contribuent à créer de la proximité ?

Sans faire d’études de motivation sur tout le territoire, il serait pertinent d’analyser les facteurs d’attraction des MRC gagnantes[19] dont il a été question, de façon à mieux comprendre ce qui sous-tend l’intérêt et le comportement des jeunes qui choisissent d’y vivre. Les résultats de recherche permettraient de sensibiliser les décideurs publics aux multiples moyens de vaincre les distances déjà suggérés par les réclamations que font les régions éloignées et dont il a été question dans la discussion. À cela il faut joindre l’analyse des politiques d’immigration, lesquelles sont loin du seuil qui devrait être atteint.

La pandémie de COVID-19 a mis en relief le fait qu’il fait bon vivre en région. Pourquoi cette expression ne pourrait-elle pas devenir un leitmotiv et être source d’inspiration de façon à faire des régions de plus faible densité démographique de nouveaux lieux d’attraction ? Cela peut-il se faire pour que l’expression « deux Québec dans un », qui se maintient depuis la fin du siècle dernier, se transforme en « un Québec dynamique dans sa totalité » ?

Au moment des transitions qui tissent la trame de leur vie et qui, pour certains, s’expriment dans des migrations, les jeunes sont de leur temps. Il faut savoir y lire la signification des choix qu’ils font. Comment décoder ce langage ? Savoir combien de jeunes quittent et combien reviennent ne suffit pas. Il faut à la fois savoir pourquoi ils le font et ce qu’ils mettent ou remettent en question quand ils le font ! Au sujet des rapports des jeunes avec le ou les territoires qui pourraient constituer pour eux une vision d’avenir, une équipe de chercheurs mentionnait : « Pour bien appréhender le phénomène de la migration des jeunes et son effet sur les parcours, il ne suffit pas de penser ce phénomène comme une mobilité entre différents territoires. Il faut plutôt repenser les territoires comme des lieux interconnectés » (Alberio et al., 2019 : 12). Bref, est-il utopique de penser qu’avec les moyens matériels et virtuels de communiquer aujourd’hui, il ne serait pas possible de transformer au moins quatre des régions éloignées en « sociétés en réseaux » autour de la Capitale-Nationale ? Entre 25 et 34 ans, un bilan positif de migrations dans ces régions le suggère.