Corps de l’article

La métropole bordelaise fournit le cadre urbain de l’étude[1]. La création ex nihilo du campus de Bordeaux sur les communes de Talence-Pessac-Gradignan, situé à 5 kilomètres au sud-ouest du centre-ville, correspond au phénomène d’exurbanisation des sites universitaires amorcé dans plusieurs villes françaises à la même période. On a souvent rendu responsable le poids excessif du pouvoir central et de l’administration d’État pour expliquer les importantes lacunes relatives à l’accompagnement de la vie étudiante et de l’animation sociale et culturelle sur ces nouveaux campus excentrés. Or dans le contexte bordelais, le ministère, l’administration locale, les autorités universitaires, les architectes ont agi de concert. La situation observable à Bordeaux nous ramène plutôt au commentaire de Frédéric Seitz sur ces campus : « le résultat d’une entreprise collective est le produit d’une société à un moment donné de son développement » (Seitz dans Compain-Gajac, 2014, p. 35-43). Le constat de l’auteur peut être complété par les actes du colloque organisé en mai 1975 par Lucien Sfez (1977) sur l’objet local. Celui-ci considère que la notion de « projet », à l’époque et à cette échelle, n’est convoquée que rarement. S’agissant du cas bordelais, nous pensons pourtant que les agents investis dès l’origine dans la modernisation de l’université et l’animation culturelle du campus ont en tête un projet cohérent, en lien avec le vécu et le ressenti des « usagers » du campus (étudiants, personnels enseignant, administratif, technique et de service). Certains d’entre eux sont de véritables « acteurs » qui agissent dans le présent immédiat sans perdre de vue un horizon plus favorable, en considérant que l’action du moment est aussi un investissement d’avenir.

Deux plans d’observation ont guidé notre démarche.

1) Le rôle décisif joué par quelques bâtisseurs d’une « Université de l’avenir » et par des pionniers de l’action culturelle et artistique sur le campus de Bordeaux est la traduction d’une inspiration puisée à l’étranger. Soit l’expérience vécue des campus du « Nouveau continent » nord-américain...

2) La mise en place d’une filière des arts plastiques à l’université s’est appuyée sur la contribution des professeurs de l’École municipale des beaux-arts de Bordeaux, elle aussi en pleine phase de modernisation institutionnelle. Soit, de façon imagée, le « Vieux Continent » en héritage...

Pour autant, si les deux plans d’observation se confirment être pertinents, ne faudra-t-il pas éclairer les constats établis et analysés dans l’étude qui suit en apportant des éléments de réponse à l’interrogation suivante :

3) En définitive, l’animation artistique sur le campus de Bordeaux (1968-1995) ne révèle-t-elle pas, en premier lieu, les effets pervers d’un dualisme ministériel propre à la France : la Culture vs l’Éducation nationale, soit la pratique vs la théorie, le geste créatif vs la parole académique ?

Bordeaux, son université et son école municipale des beaux-arts : un « modèle européen » en voie de modernisation

La situation locale permet de suivre simultanément deux formes de modernisation relatives aux enseignements artistiques : sur le campus universitaire de Bordeaux et à l’école municipale des beaux-arts et des arts décoratifs de Bordeaux.

L’université bordelaise s’installe à la périphérie : brusque changement d’échelle spatiale

L’ensemble sur lequel porte l’étude se situe au sud-ouest de l’agglomération. Ce nouveau campus édifié par tranches successives inclut le prolongement des composantes de la faculté des sciences (troisième tranche : zoologie, botanique, géologie), qui complète une première tranche de bâtiments (mathématique, physique, chimie, mécanique) livrés à Talence au début des années 1950. Ce périmètre initial est entouré d’une haute grille avec une entrée principale dotée d’un portail monumental signé par le ferronnier d’art Raymond Subes. Un élégant pont, qui enjambe une voie de grande circulation, relie (depuis 1971) ces premiers bâtiments d’enseignement et de recherche à la bibliothèque des sciences et techniques ouverte en 1963, au restaurant universitaire (le R1) et aux résidences étudiantes (Village 1).

L’extension du campus, qui est actée en 1963, s’étire sur près de 250 ha, soit au total un campus de 300 ha. « Le campus de Talence, Pessac et Gradignan est désormais un des plus grands d’Europe » (Coustet et Saboya, 2005, p. 234). En France, c’est le plus important en superficie (voir la carte, p. 56). Les auteurs indiquent également que l’emprise au sol de tous les bâtiments ne représente que 10 % du terrain disponible. Outre la voirie ancienne et sinueuse ou récente et rectiligne, l’essentiel de l’espace libre est occupé par des arpents de forêts (pins maritimes ou chênes), des « prairies », d’anciens domaines viticoles abandonnés ou de fermes expropriées. Le stadium universitaire de Pessac (indiqué stade sur la carte) est situé en bordure de la longue avenue du docteur Albert Schweizer. Elle marque la limite nord du campus qui commence à accueillir plusieurs écoles d’ingénieurs. Les principales unités d’enseignement supérieur se répartissent sur un axe est-ouest avec un déroulé de 3,5 km qui assure, par l’intérieur, la desserte routière de l’ensemble. Le tracé est occupé aujourd’hui par la ligne B du tramway (ouverte le 1er juillet 2004) reliant Pessac, Talence et Bordeaux. Plusieurs ensembles se détachent le long de cet axe : l’extension de la faculté des sciences déjà mentionnée, la Faculté de droit et des sciences économiques construite de 1965 à 1967, et dans son prolongement le bâtiment autonome de l’IEP ouvert en 1967. La faculté des lettres sort de terre entre 1966 et 1970. La bibliothèque de droit et sciences humaines ouvre en 1967. Des résidences étudiantes (V2 et V3) et un restaurant universitaire (R2), bientôt des instituts spécialisés dont le CEGET (géographie tropicale) dès 1967 et la MSHA en 1974 vont compléter ce pôle. Cet axe est-ouest se dédouble par une avenue, l’esplanade des Antilles, à la hauteur de la Faculté des lettres et se prolonge jusqu’au V4.

-> Voir la liste des figures

Situé sur la commune de Gradignan, l’IUT B est l’une des trois composantes de ces Instituts d’université nouvellement créés en France. Les deux autres, sous l’appellation IUT A, se partagent entre des formations juridiques et économiques, avec un rattachement à la faculté de droit et des sciences économiques, et des départements de formation aux sciences et techniques appliquées, rattachés à la faculté des sciences. La continuité territoriale du campus est assurée par le bâtiment de la Faculté des sciences du sport et de l’éducation physique (UFR STAPS), depuis 1991, et le « nouveau stadium » de Rocquencourt, le club-house du Bordeaux-Étudiants-Club (BEC, 1974), la proximité d’un autre restaurant universitaire (RU 3) et de deux résidences étudiantes (V5 depuis 1969 et V6 depuis 1975). Bordée d’un côté par l’enceinte des IUT, la vaste emprise de l’École nationale des ingénieurs et techniciens agricoles (ENITA, 1962), aujourd’hui nommée Bordeaux Sciences Agro, rattachée au ministère de l’Agriculture, et les ateliers de l’IUT A (sciences et techniques appliquées) qui bordent l’avenue menant au centre-ville de Gradignan sont proches de plusieurs structures de formation situées côté Talence : l’École supérieure de commerce (depuis 1968), le nouveau site de l’École régionale d’architecture (1973) ou encore l’immeuble de l’Institut régional du travail social (IRTS, 1972-1974) et le lycée hôtelier.

En 1970, un acte administratif restructure les appellations universitaires : Bordeaux 1 (sciences, droit et sciences économiques), Bx 2 (médecine et sciences médicales, sciences sociales), Bx 3 (lettres et sciences humaines).

Une impression de « vide social » est souvent exprimée par les étudiantes et étudiants, un sentiment relayé par le journal Sud-Ouest. Le malaise s’explique par les longues déambulations pédestres indispensables aux étudiants pour rejoindre les lieux d’activité (bâtiments d’enseignement, bibliothèques, restaurants, cités de résidence, sports), dont la dispersion saute aux yeux sur les photographies prises à l’époque. La piscine universitaire couverte (1971) elle-même paraît à l’écart. De nuit, s’ajoute une appréhension suscitée par un éclairage public sommaire réparti sur ces itinéraires de liaison. L’impression de vide social tient aussi à la faible animation culturelle et artistique du campus qui se vide de la majorité de ses étudiants après les cours, la fin de semaine ou pendant les congés scolaires.

La réalité locale d’une réforme nationale des écoles des beaux-arts jugée indispensable

À Bordeaux, l’école municipale des beaux-arts et des arts décoratifs s’est installée en 1896 dans les locaux qu’elle occupe actuellement, l’ancienne abbaye des Bénédictins accolée à l’église Sainte-Croix. L’école a passé sans encombre les décennies, son rayonnement étant assuré avec les lauriers reçus par ses anciens élèves, des Prix de Rome aux médailles obtenues dans les Salons parisiens ou les Expositions internationales. Cependant, des réformes décisives se précisent avec la création de deux diplômes majeurs : le certificat d’aptitude à une formation artistique supérieure (CAFAS), obtenu après trois ans d’études, et le diplôme national des beaux-arts (DNBA) qui nécessite deux années d’études supplémentaires et spécialisées. Le CAFAS est considéré comme un « baccalauréat artistique ». Instauré en 1954 et remanié à deux reprises, il couronne un premier cycle d’études pour des élèves accueillis dès l’âge de 16 ans. Le DNBA, instauré en 1956, sera modifié en 1971. Ces nouvelles réformes sont détaillées au niveau national dans les Rapports du IVe Plan (1962-1965) et du Ve Plan (1966-1970), alors que le ministre d’État en charge des Affaires culturelles n’est autre qu’André Malraux.

Une circulaire du 20 juillet 1970 définit le cadre des nouvelles formations d’arts plastiques, avec les modalités de leur mise en oeuvre. Le décret du 30 septembre 1971 fixe les conditions d’inscription et d’obtention de la version récente du diplôme national des beaux-arts (DNBA) ouvert aux élèves de 5e année. Sans doute faut-il y voir une attention portée au malaise qui s’est exprimé en mai 1968, mais d’abord la réponse à une jeunesse qui souhaite s’engager dans des études longues. Il s’agit aussi de donner la possibilité aux élèves des beaux-arts de poursuivre des études universitaires et aux écoles d’art d’accueillir dans l’établissement certains étudiants engagés dans la filière arts plastiques nouvellement créée à l’université. Cependant, l’artiste peintre et enseignant Marc Verat (né en 1951) note qu’il n’est pas possible d’indiquer le niveau officiel du DNBA « étant donné qu’à l’origine le baccalauréat et même le niveau de terminale n’étaient pas exigés pour commencer les études y menant ». En outre, souligne l’auteur, à l’époque, ni le CAFAS ni le DNBA « n’ont fait l’objet d’une homologation ».

Retenons cette préoccupation très tardive du ministère de la Culture pour définir deux diplômes majeurs sanctionnant des niveaux d’études et de compétences artistiques avérés, mais sans correspondance précise avec les titres et diplômes remis par l’université sous couvert du ministère de l’Éducation nationale.

Un contexte peu propice à l’institutionnalisation des arts à l’Université ?

Cette perspective prend en considération la décennie 1970. Elle vise à dégager quelques aspects importants au regard d’une institutionnalisation et d’une pluralisation de l’action culturelle.

La décoration artistique des unités architecturales du campus

La présence des arts sur le campus est associée à la livraison des bâtiments d’enseignement qui occupent ce vaste territoire. Elle correspond à une spécificité française garantie par le législateur : le « 1 % ». Ce pourcentage réservé pour la décoration artistique, extérieure et intérieure, est calculé en fonction du coût de l’édification d’un ensemble immobilier public relevant de l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur (Hottin, 2017). Avec André Malraux, à la tête du ministère des Affaires culturelles, et par l’action volontariste de ses collaborateurs, l’accent est mis sur l’art contemporain, en rupture avec l’art moderne figuratif, auquel élèves, lycéens et étudiants doivent être désormais sensibilisés. Un arrêté du 8 février 1963 donne la priorité à un « art contemporain » suscitant l’intérêt du public, en priorité la jeunesse.

Plusieurs oeuvres y seront créées et installées. Leur réception, à Bordeaux comme ailleurs, a donné matière à des analyses autorisées qui ne sont ni similaires ni complémentaires, aujourd’hui autant qu’hier. Le portail monumental de l’Université Bordeaux 1 a été mentionné plus avant. Les historiens de l’art Robert Coustet et Marc Saboya évoquent certaines de ces oeuvres, et en ignorent d’autres. L’entrée de l’École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM) « est signalée par une haute sculpture d’Alicia Penalba Photo, p. 59), sculpteur argentin élève de Zadkine » (Coustet et Saboya, 2005, p. 235). L’ensemble droit-lettres, qui a fait l’objet d’« un véritable projet urbain et architectural », est orné, côté cour d’honneur de la Faculté des lettres, « d’une composition de Marc-Antoine Louttre » (photo, p. 60), située face à l’Amphi 700, qui répond au vaste parvis de la Faculté de droit et sciences économiques et de l’Amphi Aula Magna (1000 places) « marqué par la fontaine pétrifiée de Yasuo Mitzui » (Coustet et Saboya, 2005, p. 236). Peut-être est-ce pour cet agencement décoratif que la voie de circulation des automobiles qui sépare les deux composantes universitaires se nommait à l’époque avenue des Arts. Pour sa part, le politologue Yves Aguilar est plus exhaustif dans la présentation des oeuvres décoratives du campus. Certaines, toujours payées fort cher aux artistes, lui semblent d’une facture médiocre. Dans le patio de l’Institut d’études politiques « traité en havre de réflexion dans le caractère d’un jardin japonais » est installée une sculpture d’Hugues Maurin en feuilles de cuivre rouge de 2 m de hauteur posée sur un socle, « signifiant l’Infini ». L’auteur n’hésite pas à mettre en relation ce type de décoration avec les cheminements clientélistes qu’ont pu prendre ces projets au sein de l’administration centrale de la Culture (Aguilar, 1998). Retenons, pour notre part, la difficile lisibilité immédiate de ces oeuvres par les étudiants. Pourtant, bientôt, les médiateurs potentiels ne vont pas manquer sur le campus avec l’affirmation de deux ou trois structures de formation qui intègrent les arts plastiques.

Sculpture d’Alicia Penalba à l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers

-> Voir la liste des figures

Composition de Marc-Antoine Louttre, dit « mur Bissière », à proximité de la cour d’honneur de l’université des lettres

-> Voir la liste des figures

La presse locale souligne le fait que le domaine universitaire est réputé somnolent. Cependant, quelques initiatives se précisent. « Non ! Le campus n’est pas mort ! », titre Sud-Ouest le 5 novembre 1973. L’article annonce une première Semaine d’activités d’animation culturelle qui va se dérouler sur le campus universitaire du 7 au 14 novembre. Le souhait d’améliorer la décoration sur le campus est également exprimé avec détermination. « Avec le printemps nous envisagerons aussi de décorer le campus. Plusieurs artistes sont déjà d’accord pour placer des structures géantes et des sculptures dans les espaces vides. » L’expérience sera sans lendemain. Une dizaine d’années plus tard, la même impression est encore relayée par des médias : le campus est « un désert culturel, un ghetto ». Pour Jean Marieu, professeur d’urbanisme à l’Université Bordeaux-Montaigne et fondateur, en 1981, du premier diplôme supérieur spécialisé (DESS) d’urbanisme opérationnel, « malgré d’incontestables atouts le campus va longtemps souffrir d’une mono fonctionnalité, d’un certain enclavement et d’une faible ouverture sur l’espace de la ville »[2].

Une occasion manquée avec l’enrichissement de l’offre des formations artistiques ?

Pour la période retenue, et dans les deux contextes institutionnels d’apprentissage des arts plastiques, d’un côté l’École des beaux-arts, de l’autre l’université, il est évident qu’une implication dans la vie sociale et un service artistique rendu à la collectivité font cruellement défaut. Cette spécificité française, où le manque de moyens et d’opportunités le partage avec une certaine inertie, se vérifie à Bordeaux.

Cependant, des initiatives voient le jour. Le professeur de lettres Henri Lagrave est vice-président de l’Université Bordeaux 3 (de 1971 à 1975) lorsqu’il impulse en 1972-1973 la mise en place d’une section arts plastiques. Elle doit utiliser des locaux réaménagés de façon provisoire. Plusieurs enseignants de l’École des beaux-arts sont sollicités pour donner les cours d’apprentissage et de perfectionnement dans les disciplines pratiques : dessin, peinture, céramique, gravure. Sous le mandat de Robert Escarpit, président de l’université de 1975 à 1978, l’offre va s’étoffer avec de nouvelles formations, courtes ou longues, dont l’objectif est la professionnalisation des étudiants. Son rôle est déjà déterminant. À Bordeaux, il a fondé l’IUT B. Cet institut fonctionne dans un vaste bâtiment spécifique situé à Gradignan édifié en 1967 et 1968. Il est doté d’un recrutement spécifique et d’une administration autonome, tout en étant rattaché à l’Université Bordeaux 3. À ses débuts, il a pour objectif de former en deux ans des techniciens : des journalistes dans le Département « carrières de l’information » et des animateurs socioculturels au sein du Département « carrières sociales ». Dans la filière des métiers de l’animation, les étudiants bénéficient d’une initiation au théâtre, aux arts plastiques et à l’image en mouvement donnée par des enseignants et artistes aquitains, dont les peintres réputés Claude Dindinaud et Jacques Saraben qui possèdent une solide formation universitaire.

La présence de ces forces vives sur le campus, dont la récente filière arts plastiques avec le soutien efficace des enseignants de l’École des beaux-arts, l’enseignement proposé dans le cadre de l’IUT B et les liens unissant tous ces pédagogues n’ont pas d’impact véritable sur l’animation du campus et la découverte des oeuvres d’art contemporain qui décorent le campus. Une recherche livrée en 1992 répertorie les huit sculptures monumentales disséminées en extérieur sur le campus. L’auteure ne manque pas d’insister sur ce rendez-vous manqué (par les enseignants !), qui aurait permis de « mettre en contact les étudiants avec des réalisations artistiques originales contemporaines » (Saves, 1992). Ajoutons que la section d’histoire de l’art et archéologie est la dernière à quitter le bâtiment de l’ancienne Faculté des lettres du centre-ville, en 1973, pour s’installer sur le campus. Inutile, dans l’immédiat, de voir ces enseignants louer des architectures (et leurs décorations) qui semblent les avoir chassés de la ville.

Les impressions mitigées des étudiants nord-américains : un effet de miroirs inversés

Un ouvrage collectif déjà cité est utile pour planter le décor comparatif. Aux États-Unis, prenant le relais d’universités connues selon un « style urbain et concentré », on assiste, au cours des années 1950 et 1960, à une inversion de tendance.

À cette époque, le schéma général des campus (master-plan) est devenu plus important que l’architecture des bâtiments. Typique de l’idéalisme des années soixante, les campus devaient favoriser l’épanouissement personnel des étudiants et l’exercice d’une vie communautaire

Compain-Gajac, 2014, p. 31

La contribution de Frédéric Seitz, qui traite de la situation en France, propose une périodisation pertinente qu’on retrouve à Bordeaux : années 1960, l’université hors la ville ; années 1970, le temps des critiques ; le tournant des années 1980 et la demande de constructions (Seitz, 2014, p. 35-43).

Lorsque la filière arts plastiques se met en place sur le campus de Bordeaux, les étudiants se partagent entre la formation donnée dans chaque promotion annuelle et des travaux de recherche personnelle ou en petits groupes. Au début des années 1970, les étudiants américains qui séjournent pendant une année universitaire à Bordeaux, dans le cadre des échanges opérés par le Centre d’études californiennes (créé en 1962), celui du Colorado (1964) et de l’Université de Dallas (Texas) sont surpris par le contraste entre la situation bordelaise et la vie sociale observable sur les campus outre-Atlantique. Cependant, le témoignage rapporté par la fille aînée de Jean Jacob, sculpteur de formation, professeur titulaire aux beaux-arts de Bordeaux, est éclairant. Pendant plusieurs années, il enseigne l’art de la céramique et l’histoire de cet art aux étudiants américains. Le contexte est révélateur de l’opposition entre le modèle français d’une école des beaux-arts et le modèle universitaire qui se met en place. Jean Jacob fait venir ces étudiants américains, par petits groupes, pour leur faire visiter l’école installée dans un cadre patrimonial exceptionnel, et ils se familiarisent dans son propre atelier avec les techniques de l’art de la céramique. « Pour chaque groupe d’étudiants américains, le contact avec l’École des beaux-arts était une expérience fabuleuse », note Françoise Jacob en se souvenant des propos de son père. Le modèle académique du « Vieux Continent » n’est pas sans séduire ces groupes d’étudiants.

S’agissant du campus, l’impression des étudiants américains est moins enthousiaste. L’auteure d’un article signé D. D. dans la revue Contact (« Trois Américaines à Bordeaux 3 », n° 78, décembre 1978, p. 4) s’en explique et note : « Les campus américains n’ont rien de semblable aux nôtres. Si l’éloignement urbain est parfois comparable, la vie intérieure les distingue considérablement. » D’après Nancy, « les domaines universitaires forment un “tout” parfaitement intégré ». Sur place, l’étudiant dispose de lieux et de repères qui contrecarrent les risques de l’isolement que l’on constate à Bordeaux.

Complétons cet aspect par le témoignage d’Anne-Marie Laulan, professeure de sociologie en mission en Californie et directrice adjointe du laboratoire des sciences de l’information et de la communication (LASIC) fondé par Robert Escarpit. L’universitaire bordelaise est venue maintenir de précieuses relations avec les laboratoires universitaires spécialisés dans les sciences de l’information et de la communication. Par la suite, un extrait de son rapport de mission est repris dans Contact (n° 86, février 1985) sous le titre : « Semaine de rentrée dans les universités californiennes ». Tout universitaire français y est confronté à « une autre université » :

tous les services, les restaurants, librairies, salles de sport, de musique [sont] offerts sur place à des jeunes gens qui, une fois payés les droits d’inscription, s’installent pour quatre ans dans une société d’abondance.

Évidemment, le campus de Bordeaux est loin de pouvoir supporter la comparaison.

Une inégale percée de l’animation par les arts et la culture à l’Université

Décrivons l’évolution progressive de l’animation par les arts et la culture sur le campus, accompagnée de quelques rares ouvertures sur la cité.

Quelques avancées décisives : ciné-clubs, musique, théâtre et conférences

Quels sont les différents domaines d’expression culturelle les plus en vue sur le campus ? Le cinéma associatif s’est imposé immédiatement, dès 1968-1970, avec la formule ciné-club, car ce type d’activité était déjà présent dans le centre-ville de Bordeaux avec le Jean-Vigo utilisant le grand amphithéâtre Durkheim de l’ancienne Faculté des lettres. Son directeur et animateur, Alain Marty, rappelle volontiers les débuts du « Jean-Vigo », « issu des espérances de mai 68 et de la passion de quelques fanatiques des salles obscures » (Contact, n° 49, janvier-février 1979, p. 7). L’animateur a établi une convention avec l’université de Bordeaux. Selon la programmation, les séances brassent un public nombreux composé par l’essentiel d’étudiants et d’enseignants. Sur le campus, trois amphithéâtres sont utilisés régulièrement pour une programmation type cinéma d’art et d’essai, dont l’amphi 700 en lettres. L’amphi Duguit (400 places), à la Faculté de droit, est fréquemment saturé lors de la projection de films mobilisateurs, tout comme l’amphi Montesquieu (300 places) de l’IEP. Le petit amphi de l’Institut d’Études Ibériques et Ibéro-américaines (bâtiment H, amphi Cirot, 300 places) accueille un public hispanisant. Cette animation par le film est à mettre en relation avec l’activité de l’association d’étudiants « Estudiantina » qui propose des spectacles (chants, théâtre, musique instrumentale). Si l’équipe du Jean-Vigo sait utiliser la presse quotidienne et la radio locale pour informer le public, le Ciné-Club Ibérique, qui projette des films en espagnol, se contente d’un affichage dans les restaurants universitaires et d’une distribution de tracts à proximité de l’UER (Unité d’enseignement et de recherche) d’Espagnol.

L’Orchestre universitaire de Bordeaux (OUB), sous la direction musicale de Jean-Louis Laugier, qui enseigne les lettres latines, va connaître une réussite immédiate.

Depuis le début des années 1970, l’orchestre ouvert à tous, sans sélection mais « avec une exigence de motivation et de travail », selon son directeur musical, travaille et anime la vie du campus, notamment par ses « concerts de midi » dans l’amphi 700 – au moins une fois par mois – et par ses concerts de fin d’année

Contact, n° 48, décembre 1978

L’orchestre se propose de « lutter contre la commercialisation, la passivité culturelle, la banalisation, l’ignorance de la musique ». Cet objectif visé par l’OUB est régulièrement rappelé. À partir de l’année 1979, l’orchestre va multiplier les lieux où il se produit, loin du campus, dans son ensemble au complet ou dans des formules simples (ensemble de cordes, etc.).

Le GRAM (Groupe de recherches et d’animation musicale) est une association type loi 1901 créée en 1973. Sa vocation est d’« offrir la musique à tous et partout ». « Parti du campus, implanté au campus, le GRAM y reçoit, mais en sort volontiers. » Les grands concerts du soir ne sont qu’une partie des manifestations de l’année : le GRAM existe dans l’espace aquitain avec une centaine de manifestations annuelles à travers le Sud-Ouest. L’OUB et le GRAM sont liés à l’UER pluridisciplinaire lettres et arts au sein de laquelle vient d’être créé un DEUG d’études musicales. Une coopération s’est nouée entre l’OUB et le GRAM : « les professionnels de classe invités par le GRAM acceptent de travailler avec ces amateurs dont le mode de recrutement pourrait se définir : talent et université » (Contact, n° 67, janvier 1982).

Un autre domaine, le théâtre, va s’imposer à l’université avec l’intention de contribuer activement à l’animation du campus. On le trouve comme discipline d’enseignement théorique et pratique à l’IUT carrières de l’animation, sous la houlette de Jean-Pierre Nercam et Monique Surel. Créé en 1974, le Centre d’études et de recherches théâtrales (CERT) s’efforce de faire le lien entre recherche, enseignement et mise en représentations théâtrales. Au printemps 1979, à l’occasion de trois journées consacrées au théâtre et au psychodrame, cinq spectacles sont joués en public. Cette date marque l’affirmation de la visibilité du théâtre universitaire à Bordeaux. Philippe Rouyer présente la situation dans un article intitulé « Université et Théâtre » (Contact, n° 60, novembre 1980, p. 1, 4 et 5). Ce pionnier bordelais de l’action culturelle à l’université précise ce que doit y être le théâtre.

Il est temps, me semble-t-il, de mettre en place, comme on le fait peu à peu dans le domaine musical, un enseignement commun au Conservatoire et à l’université. Ce qui ne doit pas empêcher l’université d’offrir aux étudiants la possibilité de pratiquer le théâtre en amateur.

Dans un long article publié dans Contact (n° 95, juin 1986, p. 1 et 3), Philippe Rouyer revient sur l’activité théâtrale à l’Université de Bordeaux 3. Le lieu de rencontre de tous ceux qui s’intéressent au théâtre est le CERT qui a été créé à l’initiative du professeur Henri Lagrave, dixhuitiémiste distingué, spécialisé dans le domaine du théâtre.

En réalité, le CERT est plus une structure de recherche qu’une structure d’enseignement : il n’existe pas en France (sauf à Paris III), de véritable département des arts du spectacle dans les universités et on reste rêveur quand on visite les universités nord-américaines notamment canadiennes.

La présence de l’IEP de Bordeaux sur le campus, à partir de 1967, ouvre une autre opportunité d’animation. L’institut y accueille des séances du ciné-club Jean-Vigo. Les « Rencontres Sciences Po/Sud-Ouest » sont amorcées en juillet 1984, autour de Jean-Pierre Lecourt, économiste, « avec la volonté de créer sur le campus un espace d’échange et de débat entre le monde universitaire et la société dans son ensemble[3] ». Les tables rondes du début vont progressivement le céder à la formule du « grand oral » de personnalités appartenant au monde de la politique, de la culture, de l’économie, etc. L’extension du bâtiment, en 1989, permettra de programmer les Rencontres musicales de l’IEP, avec le concours de l’OUB, dans le petit amphi Jacques Ellul.

Des semaines d’exception sur le campus : d’un festival annuel à l’autre

N’oublions pas les semaines d’animation qui ont pu se succéder de façon assez régulière, bon an mal an, en fédérant les forces actives du campus avec, en première ligne, des initiatives de groupes d’étudiants soutenus par l’université, le Centre régional des oeuvres universitaires et sociales (CROUS) et un peu plus tard la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC Aquitaine).

La semaine d’animation « Campus pas mort » (du 7 au 14 novembre 1973), déjà évoquée, est le premier festival culturel qui mobilise un nombre important d’étudiants. « Les étudiants ne veulent plus de l’isolement dans lequel on les a plongés, dans ce campus si éloigné du centre et de la vie », peut-on lire dans un article du journal Sud-Ouest du 14 novembre 1973. Fondée fin novembre 1973 à la suite du festival, l’association qui le supporte prend l’appellation Collectif d’animation culturelle (CAC) en 1977. La formule connaît un réel succès. En s’appuyant sur le dynamisme du foyer coopératif de l’IUT B (la « coopé »), l’association organise « Campus en fête » en 1977 et 1978, deux éditions des plus réussies. En octobre 1980, elle prend l’appellation « Campus vivant » pour préparer le prochain événement.

Le succès du festival organisé sur le campus ne s’est jamais démenti depuis, sous des appellations diverses. Notons que les années qui ont été marquées dans le pays par un mouvement de contestation étudiante avec manifestations et grèves, et mise à part l’année 1973 (contre la réforme du 1er cycle), n’ont pas connu de festival sur le campus de Bordeaux. Soit les années 1976[4], 1980 et 1986.

L’action des services universitaires pour animer le campus

Sur le campus, les services universitaires occupent le terrain de l’animation culturelle sous deux formes d’activités. Le CROUS soutient une action socio-éducative diversifiée en s’appuyant sur la fréquentation de la MAC, dont le rayonnement est examiné plus loin. L’autre volet se rapporte à l’activité d’animation culturelle proposée par les bibliothèques universitaires (BU) ou par des enseignants qui développent diverses initiatives. La bibliothèque des sciences et des techniques s’y emploie. L’autre bibliothèque du campus, dite interuniversitaire (droit-lettres), accueille des expositions à un rythme assez soutenu. Ces manifestations sont annoncées dans le magazine Contact. Une enquête réalisée au cours de l’année 1980-81 confirme que le hall de cette bibliothèque est très fréquenté : « 2.000 entrées par jour sont dénombrées ». Cet espace et le grand hall de la Faculté des sciences proposent des expositions thématiques souvent ouvertes aux populations scolaires de Pessac et de Talence. La bibliothèque interuniversitaire abrite également une « bibliothèque de loisir » qui s’adresse à l’ensemble des personnes fréquentant le campus. Son succès (plus de 10 000 emprunts : livres, romans policiers, bandes dessinées, biographies, etc., dès l’année 1978) est contrarié par un manque de moyens budgétaires et de personnel affecté à ce service culturel. Une dizaine d’années plus tard, la bibliothèque de loisir fonctionne chaque soir, tenue par des étudiants bénévoles qui résident habituellement au V3.

Essai de caractérisation d’ensemble (années 1968-1995)

Outre les obstacles que constituent l’excentration et l’enclavement du campus universitaire, rendus sensibles par un service réduit des transports en commun le dimanche, d’autres aspects sont à examiner. Certains tiennent à l’agencement spatial du campus, d’autres renvoient au contexte national.

Des obstacles majeurs progressivement surmontés

Une série de trois articles publiés dans le journal Sud-Ouest au début de l’année 1978 sous l’intitulé général : « Peut-on animer le campus ? », propose un état des lieux précis. Les porteurs de l’animation culturelle du campus y sont interrogés. L’animateur de la Maison d’Activités Culturelles (MAC), Bernard Lasserre, souligne que les moyens dont dispose sa structure sont plutôt modestes. Inaugurés en février 1972, les locaux étaient initialement prévus d’une surface de 900 m2 et ils ont été ramenés à 500 m2 par le renoncement à une salle polyvalente de 400 m2. Un inventaire succinct des animations lancées sur le campus montre que les initiatives sont nombreuses mais souvent ponctuelles (Sud-Ouest, 1er mars 1978). La dispersion des énergies finit par opérer comme un obstacle.

Peu après la rentrée universitaire de 1978, le président de Bordeaux 3, Joseph Pérez, confie à Paul Kalinine (1940-1989), maître-assistant en littérature comparée à l’UER lettres et arts, une mission culturelle synthétisée dans un entretien : « Action culturelle sur le campus. Inventaire et projets », publié dans Contact (n° 48, décembre 1978). « Il a toujours existé des formes diverses et contradictoires d’animation culturelle, mais jamais une volonté déterminée de politique culturelle et c’est regrettable », souligne le chargé de mission. Or sur le campus, « on trouve une population homogène de 35.000 personnes qui ont des problèmes communs d’insertion dans la collectivité. Il n’y a pas de campus plus important en France. » Questionné à propos d’un « lieu central d’animation sur le campus », l’auteur propose une autre solution.

J’avoue une réticence pour les cathédrales de la culture. En revanche, je suis pour les petites unités qui permettent d’équilibrer les activités. À partir des clubs de langues, des points de rencontre, il faut susciter l’échange et la création.

Enfin, interrogé sur le rôle que l’université peut avoir « à l’extérieur du campus », la perspective est claire. « L’université doit être au service de la collectivité. Il ne s’agit plus d’assurer exclusivement une formation théorique plus ou moins longue. » Ces appréciations sont reprises dans le rapport de mission et d’enquête rédigé par l’universitaire (Kalinine, 1981).

Un ouvrage publié en 1982 insiste sur un point important : « il n’existe pas sur le campus d’autre centre d’animation que la Maison d’Activités Culturelles (MAC) proche du Village 4, dépourvue de grande salle » (Chesnel, 1982, p. 43). Son fonctionnement est assuré par une dotation globale attribuée par le CROUS. La MAC abrite plusieurs ateliers socioculturels ouverts à partir de 19 h ou 19 h 30, puis de 20 h 30 à 23 h. À l’origine, l’équipement est doté d’une cafétéria qui sera supprimée. Les activités gratuites sont diversifiées : de la gymnastique d’entretien à diverses techniques de danse (danses folkloriques, danse classique, jazz dance) et d’autres ateliers : chorale, théâtre, tissage, initiation à la guitare, au jeu d’échecs, scrabble, labo-photo, etc. Chaque atelier est pris en charge par un animateur bénévole. Un pointage précis opéré au cours de l’année 1978-1979 sur les ateliers montre que près de 500 étudiants y participent de façon régulière. Ils sont encore une centaine en juillet. Des soirées à thème et des concerts jalonnent l’année universitaire. Au total, chaque année, la MAC est fréquentée par 4000 étudiants, pour l’essentiel des « résidents » étudiants (villages du campus et immeubles collectifs alentours).

S’inspirer des activités artistiques développées sur les campus nord-américains

Revenons sur l’article signé par Philippe Rouyer dans le magazine de l’université (Contact, n° 95, juin 1986) à propos de l’animation théâtrale sur le campus. L’auteur est de ceux qui s’efforcent de dépasser les routines et l’inertie de l’université française en s’inspirant de ce qui existe sur les campus nord-américains.

Pour tenter de rapprocher les tenants du théâtre-littérature et les praticiens pour qui la scène est le lieu du théâtre, pour tenter de promouvoir aussi l’image du théâtre dans la cité artificielle qu’est le campus, le CERT a proposé des animations et invité des spectacles ; il a reçu des metteurs en scène et des auteurs, des acteurs et des directeurs de troupe...

Ce décloisonnement opère sur deux fronts. Avec le soutien de l’ACTA (l’Association théâtrale et culturelle d’Aquitaine, subventionnée par les collectivités territoriales, qui rassemble une dizaine de troupes) et l’implication d’une troupe de théâtre connue, « le CERT offre aux étudiants qui le désirent les moyens de s’initier à la pratique théâtrale ». Sur l’autre front, il s’agit de s’ouvrir aux expériences qui, à l’étranger, associent formation universitaire, théâtre et moyens d’information.

Le CERT entretient des liens étroits, autour de l’activité théâtrale au Canada, par l’intermédiaire des professeurs Don Rubin (York à Toronto), Howard Fink John Jackson et Gregg Nielsen (Montréal) qui ont enseigné et animé des séminaires à Bordeaux. [...] Une convention d’échange d’enseignants-chercheurs et d’étudiants de 3ème cycle a été signée en 1986 dans le domaine du théâtre radiophonique en France et au Canada.

Ces relations suivies avec le Canada s’expliquent par tout un ensemble de relations universitaires (« Le Canada à Bordeaux », numéro spécial des universités d’Aquitaine, Contact, n°94, mai-juin 1986).

Une lacune majeure opère comme un obstacle au développement de l’animation sur le campus : l’absence d’une radio universitaire. « L’origine de cette radio remonte au début des années 1980 : au moment où le gouvernement s’apprête à faire voter une loi autorisant les radios privées » (Cadilhon, Lachaise et Lebigre, 1999, p. 136). L’idée chemine et Contact (n° 70, avril 1982, p. 1 et 4) se fait l’écho de cette réflexion. L’IUT B, avec son département carrières de l’information, option journalisme, relativement bien équipé, est doté d’une radio école dès l’origine (1967). Il pourrait accueillir la station de radio : une « radio de service, de formation et de distraction » pour les étudiants et permettant de « relancer le rôle de l’université dans la vie intellectuelle, sociale, économique de la région bordelaise ». La commission Holleaux, du ministère de la Communication, va émettre un avis favorable pour l’attribution d’une fréquence FM à Radio-Campus-Aquitaine (Callède, Felonneau, Chazel, 1982, « Le rôle de l’Université », p. 32-38). Pourtant, faute de moyens, ce n’est qu’en 1992, depuis le 7 septembre au matin, que « Radio Campus 88.1 » émet sur la bande FM bordelaise (Contact, n° 120, novembre 1992).

La nécessité d’établir un pôle d’animation structurant au sein du campus

Un nouveau souffle culturel et artistique se précise lorsque CREA 3 voit le jour en 1990. La cellule a pour mission de coordonner et d’encourager toutes les initiatives d’animation culturelle à Bordeaux 3. Sous la responsabilité de Philippe Rouyer, CREA 3 confirme son efficacité et s’impose progressivement comme un service culturel dynamique. À l’université Bordeaux 3, l’effectif passe de 9500 étudiants en 1970 à 17 500 en 1995. Le bond décisif a eu lieu en 1990. À la Faculté de droit et des sciences économiques, l’augmentation est également spectaculaire. Désormais, les contrats quadriennaux d’établissement entre l’université et le ministère de l’Éducation nationale vont favoriser, entre autres aspects, la construction de nouveaux centres de recherche et d’enseignement.

Autre obstacle majeur à surmonter, l’absence d’un bâtiment uniquement dévolu aux arts et conçu selon une polyvalence de qualité. La question revient régulièrement dans l’actualité, avec diverses solutions possibles plus ou moins argumentées. La proposition qui fait l’unanimité se précise au cours de l’année 1992. Le schéma national « Université 2000 », en cette année 1992, va permettre à Régis Ritz, président de l’Université Michel de Montaigne (qui a abandonné l’appellation Bordeaux 3 depuis janvier 1991), d’annoncer que les travaux de la future Maison des arts débuteront en 1993 : « « un très beau projet mené avec un financement de la Région Aquitaine dans le cadre du Schéma université 2000 » (Contact, n° 120, novembre 1992, p. 3). Et en 1995 l’université s’apprête à fêter ses 25 ans qui coïncident avec l’inauguration de la Maison des arts (photo). Celle-ci se présente comme un parallélépipède de 80 m de long, de couleur verte. D’une superficie de 3460 m2 distribués sur plusieurs niveaux, les enseignements pratiques bénéficient d’un cadre de qualité dans le domaine des arts plastiques, de la musique, du cinéma, du théâtre et de la communication sociale (audiovisuel). Un plancher de danse (100 m2), une salle de cinéma (75 places), une salle d’exposition (180 m2) et une salle de spectacles (350 places assises) favorisent l’ouverture et les relations vers l’extérieur. Radio Campus Bordeaux 88.1 FM est installé tout en haut du bâtiment, sur un niveau supplémentaire qui culmine à 15 m de hauteur (Contact, « Une rentrée en vert », n° 131, novembre 1995). La silhouette de la Maison des arts conçue par l’architecte Massimiliano Fuksas ne laisse pas indifférent. « Long et immense monolithe de cuivre vert posé à même le sol, la Maison des arts est un signal au sein du campus » (Saboya, 2011, p. 20).

Une spécificité de l’université française ?

Au-delà de l’étude de cas relative au campus de Bordeaux, qui se limite à la période 1968-1995, faut-il voir une spécificité de l’université française avec la relative discrétion de l’action artistique et des déséquilibres évidents entre domaines d’expression.

Des domaines d’activités inégalement présents ou développés sur le campus

Selon une conception étroitement utilitariste de l’université, point n’est besoin aux étudiants de s’investir résolument dans l’animation du campus ou pire dans l’engagement « politique » (syndicalisme étudiant, mobilisations autour de causes diverses). Par-delà les images et les idées reçues, y a-t-il pour l’époque considérée une spécificité française dissociant conduite personnelle d’un cursus scolaire et engagement dans la vie collective du campus ? Les auteurs de l’ouvrage consacré à l’histoire de l’Université Michel de Montaigne décrivent ainsi la situation de l’époque.

L’enseignement des arts a fait preuve d’un très grand dynamisme à Bordeaux 3 au cours du dernier quart de siècle. À l’histoire de l’art se sont ajoutées des formations plus techniques, les arts plastiques, la musique, les arts du spectacle (théâtre, cinéma, audiovisuel)...

Cadilhon, Lachaise, Lebigre, 1999, p. 155

La Maison des arts, « un signal au sein du campus » de l’Université Bordeaux-Montaigne

-> Voir la liste des figures

Pour autant, ces formations, déjà bien installées dans leurs murs, ne semblent pas disposées toutes à s’ouvrir directement sur l’animation du campus et de la cité.

De ce point de vue, pour les années 1970 et 1980, l’implication des formations artistiques ne semble pas identique d’un domaine à l’autre. La musique et le théâtre sont largement présents, à la fois sous l’angle des filières de formation en lettres (les langues, littératures et civilisations) et à l’IUT B carrières de l’animation (option théâtre) sous la forme d’expressions culturelles et artistiques contribuant à l’animation du campus et des communes. Cependant, s’agissant du théâtre, à travers ses articles, Philippe Rouyer ne manque pas d’insister sur la pesanteur des vieilles routines universitaires qui désarticulent la signification sociale du théâtre.

Sans un aller-retour entre pratique, théorie et histoire, la recherche s’enferme en une tour vite abolie, alors que partout les spectateurs et animateurs de compagnies appellent la participation active de spécialistes du théâtre. Ainsi compris le théâtre à l’université sert l’institution et la cité

Contact, n° 60, 1980, « Université et théâtre », conclusion, p. 5

Les arts plastiques se trouvent dans une situation différente. La dynamique d’échange observée pour le théâtre ou la musique y est inexistante. Lorsque se met en place la filière arts plastiques, en 1972, les enseignants souhaitent le rapprochement entre l’école des beaux-arts et l’université. Cependant, les deux parcours de formation sont peu conciliables, en particulier pour les jeunes non titulaires d’un baccalauréat. C’est le cas des élèves des beaux-arts, admis dès l’âge de 16 ans, qui enchaînent le CAFAS (3 ans) et le DNBA (2 ans supplémenaires) délivrés par le ministère de la Culture. Ce diplôme de 5e année, qui prendra bientôt l’appellation de diplôme national supérieur d’expression artistique (DNSEP), leur donne la possibilité de préparer le concours pour enseigner dans les établissements secondaires. Pour les étudiants bacheliers inscrits à l’université, la création du CAPES d’arts plastiques (1972), ouvert aux titulaires de la licence (en 3 ans), puis celle de l’agrégation d’arts plastiques (1975), pour les titulaires d’une 4e année (maîtrise) comportant la soutenance d’un mémoire, sont de sérieuses garanties d’un débouché professionnel dans l’enseignement. D’ailleurs rares sont les étudiants qui se destinent à exercer une profession artistique. Les élèves des beaux-arts, non bacheliers pour beaucoup, et bien formés dans les techniques artistiques sont peu motivés à l’idée de préparer le concours du CAPES. Cette situation va rapidement apporter la preuve d’un « système hybride » creusant le fossé entre deux institutions dont les modernisations respectives, au début des années 1970, visaient une diversification de l’action artistique ouverte sur la société et l’environnement local.

Dans le magazine de l’université, il faut attendre la livraison d’un article de Guy Péhourcq (1930-2019) : « Les arts plastiques » dans un numéro consacré à « La vie artistique à l’Université » (Contact, décembre 1983, p. 1, 5-10) pour disposer d’informations précises. « La section Arts Plastiques est devenue malgré un recrutement artificiellement réduit, une section importante quant aux effectifs (350 étudiants) et quant aux résultats (« 50 % de reçus au Capes en 1982 et 1983 »). La section ne comprend que deux enseignants permanents maîtres-assistants. « L’enseignement pratique est exclusivement à la charge de l’école des Beaux-Arts, par convention entre l’université et la ville de Bordeaux. » Les matières théoriques (histoire de l’art, esthétique, critique d’art, etc.) sont assurées par des enseignants de l’université. Guy Pehourcq insiste ensuite sur l’objectif jugé prioritaire qui est de proposer aux étudiants une filière de formation permettant de préparer efficacement les concours de recrutement d’enseignants du second degré en arts plastiques. Cette coopération est sans doute gratifiante pour les deux profils d’enseignants : intervenir aux « Beaux-Arts » pour les universitaires, intervenir à « l’Université » pour ceux de l’école des beaux-arts. Elle est inégale pour les jeunes, car la volonté d’unifier les niveaux d’études entre les beaux-arts et l’université, avec deux ministères de tutelle différents, résiste mal à l’épreuve des faits. L’imposition tardive de la possession d’un baccalauréat pour intégrer les écoles publiques des beaux-arts, voulue en 1992 par le ministère de la Culture, a maintenu pendant deux décennies une asymétrie réelle et peu de passerelles entre les deux voies de formation.

Le magazine Contact (n° 82, mai 1984) annonce une exposition d’art installée « pour la première fois sur le campus » et pendant une semaine, dans le hall d’entrée de l’amphi Cirot. Elle rassemble les oeuvres réalisées par des étudiants en arts plastiques, de l’École des beaux-arts et d’histoire de l’art. C’est l’unique mention d’une contribution des deux filières de formation universitaire à l’animation du campus relevée dans le magazine de l’université avant 1997.

À Bordeaux, un rendez-vous a été manqué entre l’université et l’École des beaux-arts. L’université aurait dû s’ouvrir aux titulaires du DNAB formés aux beaux-arts dans l’une des trois spécialités définies par le ministère de la Culture : Art, Environnement ou Communication visuelle et audiovisuelle. Ces jeunes passionnés de création et d’ouverture artistique sur la cité, qui découvrent l’université, en attendent des opportunités prometteuses et un prolongement enrichissant : pouvoir s’investir dans un diplôme de recherche expérimentale et appliquée (aux publics des arts, à l’environnement urbain, voire à l’animation de l’espace du campus, etc.), du type DESS par exemple, et non simplement se voir offrir la possibilité de préparer un concours de l’enseignement. À titre d’illustration, donnons le témoignage d’un ancien élève des beaux-arts, diplômé du DNAB en 1977.

Ce que l’école [des beaux-arts] seule, ce que l’université seule n’ont pu m’apporter, je l’ai heureusement trouvé en établissant des conventions annuelles d’objectifs avec quelques municipalités qui m’ont fait confiance.

Sur le campus, l’autre lieu institutionnel de formation aux arts se situe à l’époque au sein de la composante des métiers de l’animation socioculturelle du Département carrières sociales de l’IUT B. Les étudiants y font l’apprentissage de la photographie, des arts plastiques, de l’image animée complété par des cours théoriques : compréhension des messages visuels, histoire de l’art, etc. Si l’on s’en tient aux informations du magazine Contact, cette composante n’y est mentionnée que pour son action de formation des étudiants. Le constat est d’autant plus étonnant que ces étudiants et étudiantes se destinent à exercer un métier dans l’animation.

Le « noyau historique » des pionniers de l’animation artistique du campus

Ce « noyau historique » d’acteurs engagés est la principale clé explicative permettant de comprendre comment, dans un campus que d’aucuns considéraient dans les années 1970 comme un « désert culturel », a pu naître et prospérer peu à peu une vie culturelle collective. Dans cette modernisation de la vie universitaire à Bordeaux, des noms sont apparus et des propositions innovantes ont été examinées. Ce « noyau historique » de personnalités a contribué à étoffer l’animation culturelle et artistique du campus.

Notre intention est d’insister sur quelques « propriétés » récurrentes liant des hommes d’action, des structures et des initiatives. Robert Escarpit (1918-2000) est à l’origine de l’IUT B qui a donné naissance aux Départements du journalisme et de l’animation socioculturelle. Par ailleurs, il est le fondateur d’un laboratoire à la renommée internationale, le LASIC (Laulan, 2007), qui a permis au CERT de se développer à l’instigation du professeur Henri Lagrave (1916-1996) puis du professeur Philippe Rouyer (1938-2022). Ce dernier, devenu professeur émérite en études théâtrales et arts de la scène, et fidèle animateur de Radio Campus, est une personnalité incontournable. Lors du premier congrès mondial du théâtre à l’université (Liège en Belgique, les 13 et 14 octobre 1994), il est rapporteur d’une des trois tables rondes (« La diversité des expériences du théâtre universitaire »), de même que son collègue canadien Jean-Marc Larrue, du Collège de Valleyfield, au Québec (« Création, formation, recherche ») (Coulisses, 1996). Il lui empruntera ces trois mots clés dans une publication ultérieure (Rouyer, 2002). Henri Lagrave, pour sa part, est profondément animé par l’esprit militant de l’Éducation populaire en faveur de la jeunesse (« Hommage », Contact, n° 135, février 1997). Il fut le premier directeur de l’IUT carrières sociales. Soutenu par Robert Escarpit, président de l’Université Bordeaux 3, il put aussi pérenniser la filière universitaire des arts plastiques dont il sera le premier directeur avant de prendre sa retraite.

Ces universitaires engagés sortent de l’ordinaire par une ouverture d’esprit et une implication de tous les instants qui leur ont permis de porter des innovations décisives à l’université, décloisonnant et articulant formation et animation, recherche et création, enseignement et expérimentation, et pour leur ouverture citoyenne sur la cité (Laulan, 2007). Ils ont contribué à l’avènement d’une « Université de l’avenir » qui devait séduire nombre d’étudiants, en intégrant de nouveaux domaines d’enseignement et de recherche, de nouveaux champs d’expression à ambition créatrice. Leur pratique des universités nord-américaines, créées dans ces sociétés cosmopolites du nouveau continent, forme un autre point de repère à prendre en considération. Notons que la section des Études ibériques (Espagne et Portugal) ouverte sur l’Amérique latine, autre domaine majeur des langues vivantes, fut également très investie dans l’animation du campus où elle apporta sa note originale.

Les actions culturelles nées sur le campus ont pratiqué l’ouverture sur la cité. L’investissement des historiens et des philosophes a été plus tardif mais désormais constant avec la création en 1990 du Festival international du film d’histoire, voulu par le maire de Pessac Alain Rousset, futur président de la Région Aquitaine, qui se tient chaque année au complexe de cinéma Jean-Eustache (Pessac). Avec les politologues de l’université et de l’IEP, ils se partagent entre l’animation de divers débats thématiques et la participation aux tables rondes à l’occasion desquelles s’expriment de nombreuses personnalités.

Retour sur la vie étudiante et l’expérience vécue du campus

Il ne faut pas négliger l’engagement de groupes d’étudiants qui ont accompli toute ou partie de leurs études supérieures à Bordeaux. Sans cesse renouvelées, leurs « générations » successives ont joué un rôle dans l’animation festive, culturelle et artistique du campus mais, faute de sources de première main et d’archives exploitables, ils restent anonymes aujourd’hui.

Ce constat ne doit pas ignorer les remarques développées dans quelques publications, dont l’ouvrage Campus Blues paru en 1992, une enquête débutée en février 1987 auprès de trois groupes d’étudiants (Universités de Paris, Bordeaux, Villetaneuse). « Les étudiants de Bordeaux travaillent dans de meilleures conditions. Pourtant, ils critiquent eux aussi l’insuffisance des locaux, le manque de place dans les amphithéâtres, l’isolement du campus » (Lapeyronie, Marie, 1992, p. 20). Les deux sociologues relèvent également l’impossibilité de « pouvoir s’impliquer », que regrettent bien des étudiants, même sur le campus de Bordeaux. « Il n’y a pas de place pour l’art. Il n’y a rien pour l’art, or c’est une forme d’expression, d’implication. » (p. 53). « L’université c’est le vide », souligne cet autre, inscrit lui aussi à Bordeaux. Les auteurs rapportent cette attitude à la figure de l’étudiant « marginal », ni « héritier » ni « engagé » et situé « dans un espace de repli et un temps de non choix » (p. 123). Ils proposent une explication à partir de la tension qui s’exercerait chez l’étudiant ou l’étudiante entre « personnalité » et « statut » (« La personnalité contre le statut », p. 171-208). Leur conceptualisation permet d’avancer l’idée suivante : faute, par exemple, d’enrichir leur statut par un investissement culturel et artistique lié aux ressources du campus, bien des étudiants éprouvent une « passivité statutaire » qui se double d’une « personnalité » en mal d’épanouissement. François Dubet (1994) recoupe ce constat dans une recherche collective approfondie. Ce mécanisme psychologique est, implicitement au moins, ce que les agents du développement de l’animation musicale et théâtrale sur le campus entendent combattre à leur manière. L’art y est considéré comme un facteur de socialisation, d’adaptation et d’émancipation. Pour autant, ne perdons pas de vue que les styles d’appropriation de l’espace de vie des étudiants diffèrent sensiblement en fonction de leurs caractéristiques sociales (Felonneau, 1994).

Conclusion

La détermination de plusieurs enseignants autant que les aspirations d’une jeunesse qui accède aux études supérieures, au cours des années couvertes par l’étude, n’ont pas été illusoires, tout en revêtant une variété d’expressions culturelles et artistiques.

À Bordeaux, le cinéma a joué un rôle important dans l’occupation de la vie étudiante par son offre dynamique et participative, au point de faire oublier parfois à ses fidèles abonnés le dénuement culturel du campus à ses débuts. En revanche, le rayonnement des ciné-clubs sur le campus, qu’on peut rattacher en partie à une forme moderne de l’Éducation populaire, n’a pas pu franchir le cap des années 1984-1985, condamné par l’ouverture en ville de plusieurs complexes de cinéma multi-salles.

Sur le campus de Bordeaux, des agents qui sont d’authentiques « bâtisseurs », au propre et au figuré, et des « pionniers de l’animation culturelle et artistique » vont concrétiser un « projet » ambitieux, avec le soutien de plusieurs « générations » d’étudiants, et ce, pendant plus de vingt-cinq ans. Les analyses permettent aujourd’hui d’aborder ce processus de mobilisation culturelle et artistique autour de la musique et du théâtre comme « une transformation des pratiques et des savoirs » (Chopplet, 2004, p. 159-171). Ces agents du changement ont agi comme des novateurs selon des formes largement inspirées par ce qui se fait sur les campus du « Nouveau Continent » nord-américain.

L’essor des arts plastiques à l’université et la volonté d’une ouverture vers l’École des beaux-arts de Bordeaux nous ramènent à des solutions de modernisation de l’offre pédagogique qui portent l’empreinte d’une certaine tradition française et même celle du « Vieux Continent », autant du côté des « beaux-arts » que du côté de l’université. Cela a conduit à une double asymétrie, mal anticipée peut-être par les autorités de tutelle respectives. Reste que les enseignants et étudiants en arts plastiques se sont montrés fort peu enclins à animer l’espace public du campus. Ils paraissent s’être cantonnés autour des projets individuels de formation et de réussite aux examens. Le constat vaut aussi pour les historiens de l’art et de l’architecture. Heureusement, aujourd’hui leur mobilisation est majeure. En témoignent leurs publications[5].

L’interrogation formulée dans l’introduction permet d’apporter quelques réponses qui fournissent un éclairage décisif : l’animation artistique sur le campus de Bordeaux (1968-1995), avec ses avancées, ses limites, les résistances et obstacles rencontrés, révèle surtout un mécanisme d’inertie, les effets pervers d’un dualisme ministériel propre à la France : Éducation nationale (et Enseignement supérieur) versus Culture, la théorie vs la pratique, la parole académique vs le geste créatif.

Or face à une disposition centralisatrice de l’État, avec une autonomie des universités bien comprise et le soutien efficace des collectivités territoriales, ce lieu de vie exceptionnel qu’est un campus universitaire est probablement le territoire local privilégié sur lequel, dans le cas de Bordeaux, l’action culturelle a pu s’expérimenter et échapper à l’arbitraire avant de trouver sa pleine expression au début du XXIe siècle.