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De nombreuses organisations internationales (Organisation des nations unies [ONU], Organisation Mondiale de la Santé [OMS], Organisation de oopération et de développement économiques [OCDE]) promeuvent depuis des décennies le « bien-être » des populations. En ce qui concerne les enfants, l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) par l’Assemblée des Nations unies en 1989 a représenté une étape majeure pour la reconnaissance des enfants en tant qu’adultes en devenir, avec l’objectif de promouvoir leur bien-être. Cette notion de bien-être est complexe à définir et encore plus à mesurer. Les études sur le bien-être des populations et son évaluation ont évolué et mobilisent un nombre croissant d’experts et de disciplines à l’échelle internationale. Appliquée à l’enfance, cette notion nécessite de tenir compte des spécificités de ces groupes d’âge, et en particulier de s’intéresser au rôle des premiers agents de socialisation que sont les parents.

Dans le présent article, et dans le cadre des travaux de la Chaire « Enfance, bien-être, parentalité » (CNAF-EHESP-Arènes), nous proposons, dans un premier temps, de rendre compte de l’évolution des indicateurs considérés pour la mesure du bien-être de l’enfant en France, en synthétisant les apports et orientations de différentes disciplines scientifiques (psychologie du développement, psychologie cognitive, psychologie positive, neurosciences, sciences humaines, économie, sociologie et, en particulier, la relativement nouvelle branche de la sociologie consacrée à l’enfance[1]) mais aussi des savoirs professionnels (Protection maternelle et infantile, justice des mineurs, dispositifs de protection de l’enfance et de soutien à la parentalité). Cette approche interdisciplinaire permettra au passage de repérer les débats et controverses en présence.

Parmi les déterminants français du bien-être des enfants et des adolescents, hormis l’influence du contexte et des inégalités sociales, la littérature consultée s’accorde sur le rôle majeur joué par les relations des enfants et adolescents avec leurs proches, et surtout avec leurs parents. Nous aborderons donc, dans un deuxième temps, cette question du rôle des relations sociales et, notamment, des proches et de la famille. Pour documenter cette question, nous nous appuyons sur des résultats issus de l’étude internationale Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) à propos de la qualité de la communication de l’enfant et de l’adolescent avec son entourage, et nous centrons sur la situation en France. Les résultats disponibles mettent en effet en lumière un écart difficile à expliquer entre le niveau d’investissement social dans l’enfance en termes de politiques publiques d’éducation, de santé et de famille, et le niveau de bien-être subjectif exprimé par les adolescents enquêtés. La présente analyse avancera quelques hypothèses pour expliquer ce paradoxe. Nous conclurons sur les controverses que suscite actuellement le recours à ces notions de bien-être et de bonheur dans le débat public et universitaire.

Définitions et mesure du bien-être

La notion de bien-être prend philosophiquement racine dans la théorie utilitariste de Jeremy Bentham, au XVIIIe siècle, et a trouvé un prolongement dans le courant appelé welfarisme, qui s’attèle à mettre en lumière les actions garantissant le mieux le bien-être de tous, le « bien-être social » (Forsé et Parodi, 2014). Mais cette notion est surtout utilisée pour désigner un état individuel. Pour un auteur comme Layard (2005), un des « papes » des sciences du bonheur, le bien-être (ou bonheur) serait le fait de « se sentir bien — de profiter de la vie et vouloir que ce sentiment soit maintenu. » Pour Haybron (2008), il s’agit d’un « état émotionnel positif ». Les définitions proposées par les différents dictionnaires usuels distinguent trois composantes du bien-être, selon qu’on se réfère à sa dimension physique, psychique ou matérielle.

Les premières mesures empiriques du bien-être ont été prises en Angleterre à la veille de la Première Guerre mondiale et peu après celle-ci (Webb, 1915). Les recherches sur le bien-être ont ensuite pris leur essor, principalement dans le monde anglo-saxon. En France, le développement de ces recherches a été plus tardif. L’économie et la psychologie sont probablement les deux disciplines qui, au plan international, ont le plus explicitement revendiqué d’être les sciences du bien-être et même du bonheur, au point d’en faire peu à peu des secteurs spécifiques de spécialisation et de publication[2]. Les sociologues ont commencé à investiguer ce champ de recherche plus tardivement, tout d’abord dans les domaines de la sociologie du travail, de la culture ou encore des loisirs, et ont permis d’enrichir l’étude de cet objet de recherche qui est fondamentalement transdisciplinaire (Pawin, 2014). D’autres sciences, telles que les sciences du vivant et en particulier les neurosciences, contribuent également à l’étude du bien-être.

Ces recherches se sont déployées dans deux directions principales : sur le versant positif, identifier des déterminants du bien-être ; sur le versant négatif, repérer les obstacles et les freins à celui-ci (évitement de la souffrance, des pathologies, de la pauvreté) (Martin, 2018a). Mais dans les deux cas, il a été nécessaire de définir le bien-être pour parvenir à le mesurer. La mesure du bien-être est donc devenue un enjeu de plus en plus central au fil du temps. Deux pistes ont été suivies parallèlement : la première, dédiée à la mesure des conditions et déterminants objectivables du bien-être (avec, d’une part, les indicateurs de l’état de santé et de morbidité des individus et des populations et, de l’autre, les indicateurs de conditions de vie et de richesse) ; la seconde, dédiée à la mesure du bien-être subjectif, autrement dit des autoévaluations du sentiment de bien-être, de bonheur ou de satisfaction par rapport à sa propre vie[3]. Les recherches tentent aussi de mettre en regard les covariations de ces deux composantes (objective et subjective) du bonheur, non sans tenter de valider, au-delà des corrélations, des hypothèses causalistes.

Les économistes ont longtemps privilégié une de ces causalités : celle entre niveau de richesse et bien-être. En supposant que la croissance permette d’éradiquer la pauvreté, on postule qu’elle peut aussi améliorer l’état de santé des populations (la santé publique), et même réunir les conditions du bien-être, voire du bonheur. Cette hypothèse a conduit à faire longtemps de la croissance du revenu par habitant l’alpha et l’oméga de la mesure du bien-être ou du bonheur des populations. Pourtant, depuis le célèbre paradoxe d’Easterlin publié en 1974, ce lien entre croissance économique et bonheur a été ébranlé. En effet, en faisant porter initialement son analyse sur l’après-guerre de 1947 à 1970 — les fameuses « Trente glorieuses » —, Easterlin a mis en évidence que, alors que le revenu par habitant n’a cessé d’augmenter, la proportion d’individus s’estimant heureux est restée stable au cours de cette période. Les travaux qui ont porté sur la séquence suivante, soit de 1970 à 2000, ont confirmé ce paradoxe, remettant clairement en cause la course à la croissance comme garantie du bonheur (Easterlin, 1995). La critique des insuffisances du PIB comme mesure du bien-être collectif a depuis connu de nombreux autres développements[4].

Plusieurs organisations internationales ont contribué à ce travail de définition et de mesure. Les Nations unies ont développé l’Indice de développement humain (IDH), inspiré de la théorie d’Amartya Sen sur les capabilités (Sen, 1987), pour tenter d’affiner la mesure du bien-être en englobant le PNB, mais aussi des indicateurs de santé comme l’espérance de vie, ou encore des mesures du niveau d’éducation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a aussi joué un rôle important dans la promotion de cette notion dès 1946. Cette organisation propose ainsi, dans le préambule à sa Constitution, la définition suivante : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social [nous soulignons], et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Dans l’extrait suivant tiré du rapport sur la santé de 2012, l’OMS précise sa vision et reconnaît les limites d’une analyse centrée sur l’accroissement des richesses, reprenant certains des arguments du rapport Stiglitz, Sen et Fitoussi de 2009 sur la mesure de la performance économique et du progrès social :

Le principal message transmis par les données de tous les pays est que les richesses ne sont pas la seule chose qui rende les gens heureux, en termes de bien-être subjectif. En réalité, la liberté politique, des réseaux sociaux forts et l’absence de corruption sont ensemble des facteurs qui expliquent davantage que les revenus les différences de bien-être entre les pays les mieux et les plus mal classés. Les autres caractéristiques qui importent également sont aux niveaux individuel et familial, un bon état de santé mentale et physique, le fait d’avoir quelqu’un sur qui compter, la sécurité de l’emploi, la stabilité familiale et la confiance de son entourage, qui tous sont des facteurs cruciaux (OMS, 2012, p. 111).

Après avoir longtemps privilégié la dimension monétaire, une autre organisation internationale reconnaît aussi ces limites :

L’évaluation du bien-être doit s’appuyer sur le PIB ou d’autres indicateurs monétaires, mais doit être complétée par d’autres indicateurs concernant la situation sociale et environnementale. Il convient aussi de mesurer la qualité des administrations publiques, étant donné que le bien-être sera d’autant plus grand que les institutions permettront aux citoyens de gérer leur propre vie et d’avoir le sentiment que l’investissement de leur temps et de leurs ressources sera rentable (Boarini et al., 2006, p. 7).

Toutes ces définitions du concept de bien-être s’appliquent essentiellement aux populations adultes et il apparaît clairement que ses déterminants ne sont pas aisément transposables aux enfants et adolescents.

Le bien-être des enfants : quelles spécificités ?

Reconnaissance internationale des droits de l’enfant : de la protection à la prévention

En 1989, la signature de la Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE) a représenté une étape majeure pour la reconnaissance des enfants et de leur bien-être. Elle a également transformé la logique qui prévalait jusque-là dans de nombreux pays, à savoir celle de la protection de l’enfant (voir l’encadré sur le cas français de la PMI).

En France, la Protection maternelle et infantile (PMI), instaurée en 1945, a joué un rôle central en matière de lutte contre la mortalité infantile et de prévention pour les enfants de moins de six ans, mais aussi pour les femmes enceintes. Cette politique a pris notamment la forme de visites d’infirmières au domicile et de consultations de suivi de grossesse et de pédiatrie préventive. Les résultats de cette politique ont été remarquables dans les décennies qui ont suivi. La mortalité infantile a ainsi chuté nettement, avec une diminution de plus du tiers de la mortalité exogène (liée à des facteurs extérieurs) entre 1950 et 1960, et même de 10 % par an entre 1954 et 1960 (Bourgeois-Pichat, 1964). Toutes ces mesures, mises en place en France après la Seconde Guerre mondiale, ont cherché à protéger et aider les familles et les enfants en difficulté. Si, à travers ces politiques sociales, l’État cherchait à réduire les situations de danger et de mal-être des enfants, on était encore bien loin de la recherche du bien-être des enfants et des adolescents. Peu à peu, les missions des PMI ont évolué et se sont diversifiées (en lien avec la protection de l’enfance et les services d’Aide sociale à l’enfance[5]), parallèlement aux connaissances sur le développement des enfants. Les travaux de Spitz sur l’hospitalisme, mais aussi ceux de Bowlby sur l’attachement, ainsi que les avancées de la psychologie du développement de l’enfant (avec des auteurs comme Henri Wallon, Jean Piaget et Arnold Gesell) et de la psychanalyse, ont changé le regard porté sur le jeune enfant[6]. «On commence à parler du bébé comme d’une personne ayant une vie psychique » (Cadart, 2007, p. 54). Des pédiatres et psychanalystes, comme Françoise Dolto en France, ont joué de ce point de vue un rôle important et promu des lieux d’accueil en vue de faciliter et accompagner la relation parent-enfant (Bonnefoy et al., 2018).

La CIDE, adoptée initialement par vingt pays, s’appuie sur cinq grands principes : la non-discrimination ; l’intérêt supérieur de l’enfant ; le droit à la survie et au développement ; le respect de l’opinion de l’enfant ; le droit à l’éducation. À ce jour, 195 pays ont signé ce texte, à l’exception notable des États-Unis, qui ne s’engagent pas dans cette convention car plusieurs de leurs États refusent d’abolir la peine de mort pour des crimes commis par des mineurs, ce qui va à l’encontre des principes énoncés dans la CIDE. Les 54 articles de la CIDE énoncent les droits civils, économiques, sociaux et culturels de l’enfant, mais visent également à promouvoir son bien-être. Cette Convention a également mis en avant que le soutien à la fonction parentale est un des leviers d’action pour satisfaire l’intérêt de l’enfant. «Si la CIDE établit l’enfant comme détenteur de droits, elle stipule également que la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents, ces derniers devant avant tout être guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant (article 18)» (Boisson, 2010, p. 34). Les autorités publiques des différents pays concernés sont ainsi invitées à ne pas se limiter à la garantie des droits de l’enfant, mais à reconnaître la responsabilité des parents et à les soutenir pour leur permettre d’élever au mieux leur progéniture. C’est ainsi qu’en France, et dans de nombreux pays européens et non européens, sont apparus à la fin des années 1990 plusieurs dispositifs de « soutien à la parentalité » (Neyrand, 2011 ; Martin, 2014).

Si la CIDE a été l’un des premiers textes à aborder cette nécessité de soutenir la fonction parentale, cette notion de soutien à la parentalité découle également, d’une part, d’une « inquiétude politique » (Kertudo, 2005) générée par les mutations familiales (augmentation du nombre de divorces, de ménages monoparentaux et recomposés, de naissances hors mariage, de couples bi-actifs; diminution du nombre de mariages, baisse de la fécondité, évolution de la fonction paternelle, etc.), et d’autre part, d’un certain nombre de problèmes sociaux perçus comme en augmentation (absentéisme, insécurité, incivilité, délinquance, consommation de drogues, harcèlement à l’école et sur Internet, etc.). Dans le débat public et politique, ces deux phénomènes (mutations familiales et problèmes sociaux) sont souvent présentés comme la cause et l’effet.

Au début des années 2000, de nombreux rapports officiels ont évoqué « une crise de la parentalité » (Hermange, 2002 ; De Panafieu, 2002 ; Roussille et al., 2004). En France, c’est dans cette perspective et lors de la Conférence de la famille de 1998 qu’est apparu le projet politique de soutenir la parentalité pour s’opposer aux propositions d’un certain nombre d’acteurs politiques qui défendaient plutôt une perspective punitive (Martin, 2004 ; 2013). Ce soutien à la parentalité prend plusieurs formes[7] : l’approche sociale se distingue de l’approche répressive dans ses modalités d’intervention et dans le sens où les parents sont considérés en difficulté plutôt que « coupables » : on leur propose de l’aide et du soutien plutôt que des sanctions et un rappel à l’ordre. Ainsi, le rôle des parents dans le développement de l’enfant est considéré comme central, et il est rappelé que les parents doivent pouvoir répondre de façon adéquate aux besoins de l’enfant et l’accompagner à tous les stades de son évolution. Dans le même temps, la souffrance des parents qui se trouvent en difficulté dans leur relation commence à être reconnue (Lamboy, 2009). Ce n’est plus seulement l’enfant qui est en souffrance et qui doit être aidé, mais toute la famille qui est aux prises avec de nombreux problèmes socioéconomiques, familiaux et psychologiques.

Si le but premier de la CIDE était de reconnaître tous les droits auxquels les enfants peuvent prétendre, celle-ci était également destinée à consacrer le bien-être de l’enfant comme une valeur primordiale au sein de tous les États signataires. En effet, la convention reconnaît que la promotion du bien-être de l’enfant fait partie des droits dont il dispose. Si la CIDE a permis de réunir plusieurs pays autour de cette reconnaissance des droits de l’enfant, les premières interrogations et études quant à son bien-être sont apparues plus tôt.

La mesure du bien-être des enfants et des adolescents : les childhood social indicators

Les indicateurs de bien-être des enfants sont issus du mouvement de promotion d’indicateurs sociaux, lequel a émergé dans les années 1970. Au fil du temps, certains indicateurs ont été dédiés spécifiquement aux enfants dans différentes sphères de leur existence, afin qu’ils reflètent davantage les conditions de leur développement. C’est au milieu des années 1970 qu’Orville Brim (1975a, 1975 b) et Nick Zill (Zill et Brim, 1975) ont proposé un ensemble d’indicateurs sociaux sur les enfants dans tous les domaines et contextes écologiques de leur existence. Leurs recommandations, notamment celle d’interroger directement les enfants pour obtenir une mesure subjective de leur bien-être en supplément des enquêtes sur les influences économiques, culturelles, sociologiques ou encore légales, semblent aujourd’hui familières, mais étaient à l’époque tout à fait avant-gardistes. Ces deux auteurs ont introduit la notion d’« indicateurs sociaux de l’enfance » (childhood social indicators), qui fait « référence aux séries chronologiques statistiques qui mesurent les changements (ou les constances) dans la santé, le comportement et le bien-être des enfants états-uniens et dans leurs conditions de vie » (Zill et Brim, 1975, p. 1, traduction des auteurs).

Sur le plan international, l’UNICEF a commencé à publier ses rapports sur la situation des enfants dans le monde à partir de 1979. La même année, la Banque Mondiale a publié un atlas mondial de l’enfant et le Population Reference Bureau a édité l’ouvrage Children in the World (1979a et 1979b) ainsi qu’une base de données sur les enfants dans le monde. Au même moment, l’OCDE a commencé à produire des rapports sur la démographie familiale et l’éducation des enfants. Reconnaissant la nécessité d’améliorer les données sur les enfants, Watts et Hernandez, membres du groupe consultatif sur les indicateurs de l’enfance et de la famille du Conseil de recherche en sciences sociales, ont publié en 1982 des recommandations ayant pour objectif d’améliorer les indicateurs sociaux pour surveiller la situation des enfants et des familles aux États-Unis, parmi lesquelles :

Prendre en compte les données sur les enfants en tant qu’unité d’analyse, et non seulement les données sur les familles ;

Mesurer les variables contextuelles et environnementales ;

Élaborer des indicateurs permettant de représenter l’expérience cumulative et longitudinale des enfants, et pas uniquement leur expérience actuelle ;

Adopter des définitions cohérentes et des règles d’analyse entre les enquêtes pour permettre des comparaisons directes, notamment en termes de groupes d’âges ;

Permettre une diffusion plus rapide des données.

Ces auteurs recommandaient également de prendre en compte dans ces indicateurs du bien-être des enfants les domaines d’analyse suivants : la santé ; la vie socioémotionnelle et son fonctionnement ; les attitudes et comportements moraux et éthiques ; la dimension intellectuelle, ainsi que d’autres aptitudes telles que la maîtrise de la musique, de l’art, du sport… Selon eux, il était également important d’avoir un groupe d’indicateurs séparés sur les ressources à la fois au sein de la famille et à l’extérieur du foyer et de la famille élargie.

Ce courant de réflexion sur les indicateurs sociaux a reconnu que les mesures du bien-être des enfants devaient aller au-delà des mesures contextuelles (par exemple, le bien-être économique des familles), tout en admettant leur nécessité pour précisément comprendre les contextes dans lesquels les enfants vivent (au sein de leurs familles, groupes de pairs, écoles et communautés). Cette défense des Child social indicators a également débouché sur le fait de privilégier le bien-être des enfants pendant l’enfance elle-même et non plus seulement dans une perspective de bien-être futur (child well-becoming) (Qvortrup, 1999). On retrouve une fois encore la distinction entre composantes objectives et subjectives. Les mesures objectives du bien-être des enfants se rapportent essentiellement à la santé (taille, poids, alimentation, sommeil, activité physique, comportements à risque) et à l’environnement dans lequel ils évoluent, avec des indicateurs tels que le taux de privation matérielle, le taux de pauvreté, le taux de participation à l’éducation, les scores moyens en lecture, mathématiques, les informations sur les conditions de logement, l’exposition à des pollutions, etc. Si la prise en compte de ces mesures objectives fait consensus au sein des communautés d’experts, il n’en est pas de même pour les mesures du bien-être subjectif, qui font parfois l’objet de débats sur des questions telles que :

Comment peut-on appréhender, mesurer, évaluer le bien-être subjectif de l’enfant et à partir de quel âge ?

Les facteurs qui contribuent au bien-être subjectif varient-ils en fonction de l’âge, du sexe ?

Les différences observées varient-elles en fonction de la méthode utilisée (mesure du bonheur global ou évaluation de la satisfaction à l’égard de sa vie) ?

Dans quelle mesure les facteurs qui influencent le bien-être subjectif de l’enfant sont-ils similaires ou différents d’un pays à l’autre ?

Peut-on se limiter à une approche du bien-être de l’enfant en termes d’absence de problèmes ?

D’autres questions concernent l’évolution du bien-être subjectif au cours de l’enfance. Des études transversales soulignent en effet une diminution progressive des niveaux de bien-être pendant l’adolescence[8]. La puberté et la maturation biologique suffisent-elles à expliquer ce changement ? Quels sont les facteurs qui contribuent à un sentiment de mal-être (ou de moindres niveaux de bien-être) ? Ce constat fait l’objet de nombreuses interrogations chez les experts, mais a renforcé l’idée de distinguer les indicateurs de bien-être des enfants et adolescents de ceux des adultes.

C’est précisément ce sur quoi insistent plusieurs spécialistes de ces comparaisons du bien-être des enfants dans le monde. Pour Ben-Arieh (2005 ; 2010), posséder des connaissances sur la situation des adultes est tout à fait insuffisant pour comprendre ce qui se passe chez les enfants. Alors que les recherches sur le bien-être des adultes étaient déjà bien établies et reconnues, l’intérêt pour le bien-être des enfants a mis beaucoup de temps à émerger (Ben-Arieh, 2012). À partir des années 1980, la question du bien-être des enfants s’est progressivement imposée et de plus en plus d’enquêtes ont été menées, permettant de préciser les composantes de celui-ci. Kristin Moore, David Murphey et Tawana Bandy (2012) considèrent ainsi que le bien-être d’un enfant n’est pas unidimensionnel, basé par exemple uniquement sur la santé ou sur des résultats de tests, mais qu’il est important d’aborder toutes les dimensions du fonctionnement individuel. Ainsi, on envisagera quatre domaines d’analyse :

Le bien-être physique, qui comprend l’état de santé, la nutrition, les soins de santé préventifs, l’activité physique et la sécurité ;

Le bien-être psychologique, qui est mesuré à travers la façon dont les enfants se voient et imaginent leur avenir ;

Le bien-être social, qui fait référence à la capacité d’un enfant de nouer des relations sociales : il comprend les compétences sociales de base, l’utilisation du temps et la capacité à lier des relations affectives ;

Le bien-être éducatif ou cognitif, qui relève des compétences liées à la capacité d’un enfant à apprendre, à se souvenir et à raisonner de manière adéquate pour son âge.

Ces auteurs ont en outre remarqué que le niveau de bien-être des enfants dans un domaine était la plupart du temps corrélé au bien-être dans d’autres domaines (par exemple, les enfants ayant un niveau de bien-être social positif sont plus susceptibles d’avoir des résultats éducatifs et cognitifs positifs et une meilleure santé physique et psychologique).

Jonathan Bradshaw (Bradshaw et Richardson, 2009), une autre grande figure de l’étude du bien-être des enfants en lien avec les politiques sociales, va plus loin. Selon lui et ses co-auteurs, « les facteurs qui expliquent les variations internationales du bien-être subjectif chez les enfants sont assez différents de ceux qui en expliquent les variations chez les adultes » (Bradshaw et Rees, 2017, p. 10 traduction des auteurs). Et il ajoute : « Notre analyse suggère que de nombreux macro-indicateurs traditionnels comme le PIB sont peu pertinents pour comprendre pourquoi les enfants de certains pays font état d’un niveau de bien-être subjectif sensiblement supérieur à celui d’enfants d’autres pays, mais des mesures concernant les variations de perception de la qualité des relations sociales à l’intérieur d’un pays, qu’il s’agisse des enfants ou des adultes, pourraient se révéler éclairantes » (id., p. 11).

Si la manière de mesurer le bien-être ne fait pas l’unanimité de tous les experts, de grandes institutions et enquêtes internationales tentent néanmoins d’étudier les niveaux de bien-être ressentis par les populations, et notamment les enfants, au sein d’un même pays et entre divers pays. Face à la demande croissante d’informations de bonne qualité et comparables quant au bien-être des enfants, l’OCDE a ainsi mis en place en 2017 un « portail sur le bien-être des enfants », accessible en ligne[9]. Il s’agit d’une plateforme qui compile des données provenant de différentes sources, qu’il s’agisse d’enquêtes internationales (PISA[10], EU-SILC[11], HBSC[12]) ou de l’analyse des politiques portant sur le bien-être des enfants. Ce portail a pour but d’étudier la pauvreté des enfants, dont le taux, en constante augmentation dans les pays de l’OCDE, est plus élevé que celui de la population générale, et de développer des indicateurs à l’aide des données internationales disponibles afin d’orienter les politiques publiques.

L’importance des relations humaines et du contexte sur le bien-être des enfants

Si le sentiment de bien-être englobe tout un ensemble de facteurs et d’éléments parfois liés entre eux, certains domaines semblent avoir plus d’influence que d’autres sur les niveaux de bien-être ressentis par les enfants et les adolescents. Des différentes études réalisées à ce sujet, il ressort, d’une part, que la qualité des relations avec les proches, qu’il s’agisse de la famille, des amis et des groupes de pairs auxquels le jeune appartient, ont une incidence majeure sur le sentiment de qualité de vie et, d’autre part, que la prise en compte des contextes et tout particulièrement des inégalités socioéconomiques est cruciale.

Le rôle de la famille, des amis et des groupes de pairs

La famille est le premier contexte de socialisation de l’enfant et contribue à son bien-être. Les modèles culturels, les normes et les valeurs sont transmis par les proches dans la famille (parents, fratrie), mais également par les amis, l’école et les groupes de pairs. Le bilan Innocenti 2013 de l’UNICEF souligne cette importance de la qualité des relations que les enfants entretiennent avec leur entourage : « Dès les premières années, le sentiment de bien-être de l’enfant est intimement lié aux relations qu’il tisse, notamment avec ses parents et ses pairs. Une enquête récente de la Children’s Society du Royaume-Uni a par exemple mis en avant que les relations au sein de la famille sont les éléments qui contribuent le plus au bien-être subjectif de l’enfant[13]» (UNICEF, 2013, p. 40).

La famille joue un rôle particulier, au sens où elle prend soin et éduque le jeune enfant, tisse avec lui des liens affectifs, mais c’est aussi elle qui transmet le patrimoine économique et culturel. Si, traditionnellement, l’éducation était centrée sur la transmission morale, avec un rapport parents-enfant qui alliait autorité pour les uns et soumission pour l’autre, ce modèle a sensiblement évolué pour privilégier la qualité relationnelle. Il est admis désormais que les parents doivent aider leur enfant à « devenir lui-même », en contribuant à sa poursuite du bonheur et à son bien-être, en lui permettant d’acquérir son autonomie et en facilitant sa réussite scolaire et sociale (De Singly, 2006). L’influence de la famille est donc déterminante sur le développement et la construction identitaire des enfants, et ce, jusqu’à l’âge adulte (Andersson, 2016). La famille constitue dans nombre de ces recherches le premier socle de croissance et d’épanouissement de l’enfant, qui, en grandissant, va peu à peu s’ouvrir à d’autres modèles de référence. Si l’éducation des parents continue à l’influencer, le monde extérieur, et tout particulièrement l’école, les amis et les groupes de pairs, vont prendre de l’importance et contribuer au bien-être du jeune ; c’est ce que, depuis Émile Durkheim, on qualifie de « socialisation secondaire », prolongeant la socialisation primaire du cercle familial (Darmon, 2016).

L’appartenance à un groupe de pairs joue également un rôle important. Elle peut également générer des risques et des comportements à risque. Mais ces nouvelles interactions sociales sont aussi source d’enrichissement, d’apprentissage de compétences sociales et de partage d’informations. À partir des analyses effectuées grâce aux données de l’enquête Children’s World, Lawler et al. (2016) soulignent même que les variables relatives aux dimensions relationnelles et se rapportant à la qualité du voisinage étaient les plus prédictives du bien-être des enfants, et ce, dans tous les pays enquêtés.

Contextes, inégalités sociales et bien-être

Les relations sociales et la qualité des liens avec la famille, les amis et les groupes de pairs occupent certes une place primordiale parmi les facteurs de bien-être des enfants. Mais elles sont loin d’être le seul déterminant. Lee et Yoo (2013) soulignent ainsi que « le bien-être subjectif des enfants n’est pas entièrement déterminé par des facteurs personnels, mais est influencé par les politiques, l’environnement et la culture du pays» (p. 23). Les contextes dans lesquels vivent et grandissent les enfants ont beaucoup d’influence sur leur qualité de vie et leur bien-être quotidien. Les composantes des contextes sont variées. Il peut s’agir du contexte géographique (milieu urbain ou rural), du contexte politique (pays démocratique, en situation de conflit, etc.), du contexte environnemental et atmosphérique (pollution de l’air, de l’eau, etc.), ou encore du contexte socioéconomique. Ces contextes peuvent s’appliquer tant à l’échelle de pays qu’à l’échelle du foyer, de la famille ou de la localité, et lorsque ces éléments contextuels révèlent des inégalités sociales, ils peuvent avoir un effet sur la santé des enfants, et ce, dès leur plus jeune âge.

À partir des données de l’enquête HBSC, Elgar et al. (2017) ont constaté que les inégalités de revenu cumulées n’étaient pas liées aux symptômes psychosomatiques chez les adolescents. Les auteurs suggèrent que c’est l’exposition à des inégalités dès le plus jeune âge plutôt qu’à des inégalités ultérieures qui engendre des symptômes psychosomatiques (entre zéro et quatre ans) et une moindre satisfaction de sa propre vie (lorsque l’enfant y est exposé entre sa naissance et ses dix ans), et cela semble encore plus vrai chez les filles. Elgar et al. (2017) rapportent également que « selon Arsenio et Gold (2006), l’exposition à l’inégalité sociale peut influencer le développement moral des enfants pendant qu’ils développent les schèmes de justice distributive et d’équité, une capacité qui émerge normalement entre trois et huit ans (Fehr et al., 2008) » (p. 206).

D’autres chercheurs, spécialisés en neurosciences, défendent que la période entre zéro et quatre ans coïnciderait avec le moment, dans le processus de développement du cerveau, où celui-ci est le plus sensible aux privations et au stress (Bradley et Corwyn, 2002 ; Gillman, 2005 ; Kim et al., 2013 ; Shonkoff et al., 2009) ; raison pour laquelle les enfants exposés très tôt aux inégalités pourraient subir des conséquences importantes sur leur santé et, par la suite, sur leur bien-être. Ces hypothèses issues des neurosciences — dont on a fait certains usages politiques — ont même contribué à fabriquer une sorte de « mythe » de la fenêtre d’opportunité des « trois premières années », du fait de cette plasticité cérébrale des petits enfants (Bruer, 1999). Se pose aussi la question du stress maternel et des interactions parents-enfants comme facteurs possibles de santé et de bien-être. À ce jour, les connaissances sont encore lacunaires pour apprécier la façon dont les inégalités de revenu affectent le développement prénatal, l’attachement parents-enfant, le tempérament de l’enfant et les styles parentaux dans différents contextes.

Même si les différents facteurs de bien-être repérés peuvent différer d’un auteur à un autre, la prise en compte des contextes est constamment mise en avant et semble indispensable à l’étude du bien-être des enfants, notamment pour repérer comment les inégalités sociales affectent la santé et la qualité de vie des jeunes. De nombreux chercheurs ont également défendu le fait qu’il était important d’écouter ce que les enfants disent de leur propre vie. Ainsi, de plus en plus d’études, dont celles de l’UNICEF, utilisent des évaluations faites par les enfants eux-mêmes pour mesurer leur niveau de bien-être.

Le bien-être des adolescents en France dans l’enquête HBSC : un exemple des difficultés d’interprétation des données

Les études sur le bien-être des enfants se sont longtemps attardées sur la mesure du bien-être objectif, en prenant en compte des indicateurs quantitatifs et matériels (niveau de richesse des ménages, PIB du pays, possession de biens matériels dans les foyers, etc.). Depuis une dizaine d’années, de nouvelles études internationales ont pour ambition de s’intéresser au bien-être subjectif des enfants, en interrogeant directement ces derniers sur la perception qu’ils ont de leur propre vie, et ce, dans plusieurs domaines : à l’école, dans leur famille, dans leur voisinage, au quotidien… Ces enquêtes ont notamment révélé que ce qui rendait les enfants les plus heureux étaient les relations qu’ils entretenaient avec leurs proches, et principalement leurs parents et leurs amis (Lee, 2015). Parmi ces enquêtes, il nous a semblé intéressant de mobiliser les données de l’enquête Health Behaviour in School-aged Children (HBSC), une des principales sources permettant d’apprécier le niveau de bien-être des enfants entre onze et quinze ans dans un grand nombre de pays. En effet, cette enquête répétée tous les quatre ans offre un nombre important de données sur la santé et le bien-être des adolescents, et nous a permis de dresser un portrait de la France, en comparaison à de nombreux pays. Nous présenterons ici quelques-uns de ces résultats, afin de mettre en lumière certains défis pour la recherche et l’interprétation de ces résultats. Nous avons constaté que la France présentait un profil tout à fait singulier concernant les relations parents-enfants, par rapport aux autres pays de l’enquête. Plusieurs auteurs ont montré que l’investissement parental dans les activités ordinaires des enfants avait pour effet d’améliorer le bien-être de ces derniers (Martin, 2018 ; Panico et al., 2014 ; Schoon, 2006). Aussi nous a-t-il semblé intéressant de nous concentrer sur la communication des enfants avec leurs parents à l’âge charnière que représente l’adolescence.

L’enquête HBSC est une étude transnationale qui porte sur la santé et les comportements de santé des adolescents de onze, treize et quinze ans. Elle est reconduite tous les quatre ans depuis 1982 sous l’égide du Bureau régional Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et rassemblait, dans sa dernière vague, plus de quarante pays afin d’établir un profil précis de la santé et du bien-être des adolescents, et d’en mesurer les évolutions. Cette enquête a dès le début abordé des thématiques propres à l’adolescence, telles que le climat scolaire (harcèlement, soutien des autres élèves et des enseignants, etc.), les relations avec la famille et les pairs, la puberté, l’image de soi et de son corps, etc. La France est entrée dans ce dispositif en 1994. Conformément aux recommandations de l’OCDE, l’enquête HBSC aborde deux temporalités, présent et futur, pour mesurer le bien-être des enfants. Une échelle supplémentaire visant à évaluer la perception de l’avenir a été ajoutée dans le volet français en 2014. « Une perception positive de l’avenir est en effet considérée comme une dimension importante du bien-être et de la santé mentale des adolescents (Harter et Arora, 2008 ; Ravens-Sieberer et al., 2009). À l’inverse, une perception négative de l’avenir serait associée aux états anxieux et dépressifs (Jacobs et Joseph, 1997) » (Du Roscoät et al., 2016, p. 59).

Les thématiques abordées dans le questionnaire HBSC sont les suivantes : santé mentale et bien-être ; habitudes alimentaires, activité physique et sédentarité ; perception du corps, corpulence et puberté ; handicap et maladie chronique ; santé dentaire ; expérimentation de produits psychoactifs ; relations amoureuses et sexualité ; vécu scolaire ; brimades, harcèlement, violences scolaires, bagarres ; relations familiales et relations avec les pairs ; inégalités sociales de santé. Cette enquête de grande envergure offre de nombreuses pistes d’analyse au sein de chacun des pays, mais également d’un point de vue comparatif. À partir des données de cette enquête, plusieurs études ont notamment démontré que le bien-être subjectif des enfants variait grandement d’un pays à l’autre (Bradshaw et al., 2013 ; Casas et al., 2012 ; Casas, Tiliouine et Figuer, 2014 ; Currie et al., 2012 ; Inchley et al., 2016 ; Klocke, Clair et Bradshaw, 2014 ; UNICEF, 2007, 2010, 2016 ; OCDE, 2009).

Nous proposons à partir de cette enquête de nous arrêter sur la position de la France pour mettre en lumière les difficultés d’interprétation de ces résultats. Globalement, en 2014, en France, 88 % des collégiens se sentaient en bonne santé et 82 % avaient une perception positive de leur vie, ce qui situe la France dans la moyenne par rapport à tous les autres pays enquêtés. Les adolescents français ne se sentaient pas moins bien qu’ailleurs, et pourtant, la France présente quelques spécificités qui se concentrent en particulier autour de la relation entre les parents et leurs jeunes.

La relation parent-enfant

Une communication moins aisée entre les adolescents et leurs parents en France

En comparaison avec les autres pays retenus pour l’analyse qui va suivre (réalisée à partir des données 2010), la France occupe une position particulière sur divers aspects, notamment la communication parent-enfant. En effet, lorsqu’on demande aux adolescents français : « Est-il facile pour toi de parler avec ton père des choses qui te préoccupent vraiment ? », seuls 45 % d’entre eux disent qu’ils y arrivent facilement (contre par exemple 75 % en Islande), ce qui situe de loin la France en dernière position du classement de l’ensemble des pays étudiés. Le constat est le même pour la communication avec la mère : bien que la proportion de « facilité à communiquer » avec celle-ci soient plus importantes (67 % des adolescents français disent y arriver facilement), l’écart avec les autres pays reste considérable (voir les figures 1 et 2).

Figure  1 

La facilité de communication de l’enfant avec sa mère

La facilité de communication de l’enfant avec sa mère

Champ : enfants de quinze ans présents dans l’enquête HBSC

Source : Enquête HBSC, 2010

Lecture : En France, 67 % des enfants estiment qu’il est facile pour eux de parler à leur mère des choses qui les préoccupent vraiment.

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Figure  2 

La facilité de communication de l’enfant avec son père

La facilité de communication de l’enfant avec son père

Champ : enfants de quinze ans présents dans l’enquête HBSC

Source : Enquête HBSC, 2010

Lecture : En France, 45 % des enfants estiment qu’il est facile pour eux de parler à leur père des choses qui les préoccupent vraiment.

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Les données de l’enquête HBSC nous indiquent également que plus l’enfant avance en âge et dans sa scolarité, moins il lui est aisé de communiquer avec ses parents, et ce, quel que soit le parent considéré. Au début du collège, 62,5 % des jeunes estiment qu’il est « facile » ou « très facile » de parler à son père (78,4 % pour la mère), alors qu’à la fin du collège, ils ne sont plus que 45,5 % à faire ce constat (64,8 % lorsqu’il s’agit de la mère).

Une affaire de temps passé ensemble ?

En supposant que le manque de communication entre les parents et le jeune est peut-être attribuable à un manque de temps passé en famille, nous avons réalisé quelques analyses complémentaires en croisant cette donnée (le degré de facilité à parler au père ou à la mère) avec le nombre de fois où le jeune est parti en vacances avec sa famille au cours de l’année précédant l’enquête. Il est clair pour nous que cet indicateur recoupe nettement les différences de ressources des ménages, au sens où il n’est pas seulement question de temps disponible mais aussi de latitude financière pour partir en vacances plusieurs fois l’an.

Pour affiner ces résultats, nous avons décidé de ne garder que quatre pays à comparer avec la France. Il est apparu que l’Italie, les Pays-Bas, l’Angleterre et le Portugal avaient chacun un profil distinct et, en même temps, un nombre suffisant de données contextuelles comparables.

De ces analyses, il ressort que plus le jeune passe de temps en vacances avec sa famille, plus la communication avec ses parents semble facilitée. Les parents et le jeune étant à ces moments-là plus disponibles, leurs échanges pourraient être de meilleure qualité et le dialogue, plus ouvert. En ce qui concerne les échanges avec le père, le constat est le même dans les cinq pays, au sens où plus le jeune prend de vacances en famille, moins il aura de difficulté à parler à son père (voir les figures 3 et 4). Nous apporterons cependant quelques nuances : aux Pays-Bas, les jeunes enquêtés ont globalement peu de difficulté à communiquer avec leur père, par rapport aux jeunes des trois autres pays. Les profils du Portugal et de l’Angleterre sont similaires, avec de nettes améliorations chez les jeunes qui sont partis plus de deux fois l’an en vacances. En France et en Italie, il serait plus juste de dire que plus l’enfant part en vacances avec sa famille, moins il sera compliqué pour lui de communiquer avec son père.

En ce qui a trait à la communication avec la mère, les écarts sont beaucoup moins importants, comme si les bénéfices du temps passé en vacances familiales étaient plus favorables à la relation père-enfant. Mais les écarts restent considérables en termes de relation mère-enfant, avec une différence notable lorsque les jeunes partent en vacances familiales au moins une fois l’an, par rapport à ceux qui ne partent pas du tout. Pour l’Angleterre, la France, les Pays-Bas, et dans une bien moindre mesure pour l’Italie, plus on part en vacances avec sa famille, plus on aura de facilité à échanger avec sa mère. Au Portugal, partir en vacances une ou plusieurs fois l’an ne change pas grand-chose : la différence de communication est essentiellement marquée entre ceux qui ne partent pas du tout en vacances et ceux qui sont partis au moins une fois. On repère bien que plus les parents se montreront disponibles pour le jeune et prendront le temps de partir en vacances en famille, plus aisée sera la communication, tout au moins du point de vue du jeune. Or, malgré cela, la France reste toujours en dernière position, et lorsqu’il s’agit de la relation avec le père, les adolescents sont plus nombreux à estimer qu’il est « difficile » ou « très difficile » de lui parler de sujets préoccupants.

Figure  3 

La communication avec le père selon les vacances passées en famille

La communication avec le père selon les vacances passées en famille

Champ : enfants de quinze ans présents dans l’enquête HBSC

Source : Enquête HBSC, 2010

Lecture : En France, 60 % des enfants qui ne sont pas partis en vacances au cours des douze derniers mois estiment qu’il est difficile pour eux de parler à leur père des choses qui les préoccupent vraiment.

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Figure  4 

La communication avec la mère selon les vacances passées en famille

La communication avec la mère selon les vacances passées en famille

Champ : enfants de quinze ans présents dans l’enquête HBSC

Source : Enquête HBSC, 2010

Lecture : En France, 61 % des enfants qui sont partis une ou deux fois en vacances au cours des douze derniers mois estiment qu’il est facile pour eux de parler à leur mère des choses qui les préoccupent vraiment.

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Des différences marquées entre filles et garçons

Le rapport HBSC 2010 indique qu’en France, les filles ont plus de mal que les garçons à communiquer avec leur père, et que lorsqu’il s’agit de parler avec sa mère, les filles et les garçons se situent au même niveau (voir les figures 5 et 6). Les difficultés de communication seraient donc encore plus grandes chez les adolescentes. Mais ces différences entre filles et garçons ne se concentrent pas uniquement sur la relation que ces adolescents entretiennent avec leurs parents. En effet, d’autres résultats confèrent une dimension genrée à certains aspects propres au bien-être des enfants et des adolescents, et ce, dans l’ensemble des pays enquêtés.

Figure  5 

Facilité des filles à discuter avec leur père selon les pays de l’enquête HBSC

Facilité des filles à discuter avec leur père selon les pays de l’enquête HBSC

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Figure  6

Facilité des garçons à discuter avec leur père selon les pays de l’enquête HBSC

Facilité des garçons à discuter avec leur père selon les pays de l’enquête HBSC
Health Behaviour in School-aged Children. Rapport international 2009-2010.

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Au-delà de cette question de la communication avec les parents, plusieurs études ont en effet souligné en quoi les filles et les garçons différaient quant à leur ressenti en termes de bien-être. Lawler et al. soulignent ainsi que « les garçons expriment des niveaux plus élevés de bien-être (Moksnes et Espnes, 2013) et les filles rapportent généralement plus d’émotions négatives que les garçons (Bendayan et al., 2013 ; Bradley et Corwyn, 2004), suggérant des différences genrées entre les âges de dix ans et de douze ans (p. ex., Del Giudice, 2015 ; Moksnes et Espnes, 2013) » (2016, p. 15 traduction des auteurs). Les données françaises de l’enquête HBSC confirment ce résultat, puisque 86 % des garçons âgés de onze à quinze ans se disent en bonne santé, contre 78 % des filles du même âge. Ils sont aussi 90 % à avoir une perception positive de leur vie, contre 85 % des filles de leur âge (données de 2014).

Si l’on s’intéresse au cas français, Ehlinger et al. avancent que « nous partageons également avec les autres pays des constats moins positifs, voire plus alarmants. En particulier, le fait que partout les filles ont des indicateurs de santé mentale altérés : à quinze ans, 21 % d’entre elles en moyenne perçoivent leur santé comme assez mauvaise, voire mauvaise (contre 13 % des garçons) et 50 % se plaignent de plus de deux symptômes psychosomatiques plus d’une fois par semaine, soit presque deux fois plus que les garçons (27 %). Les différences entre les sexes augmentent avec l’âge » (2016, p. 19).

Selon Du Roscoät et al. (2016), les différences entre les filles et les garçons à l’adolescence relèveraient de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. D’une part, à l’adolescence, les filles seraient sujettes à des changements hormonaux plus importants que les garçons « qui affecteraient davantage leur image corporelle, leur estime de soi et leur satisfaction dans la vie. Elles seraient par ailleurs plus enclines à se soucier de leur santé et plus disposées à exprimer leurs sentiments et leurs émotions négatives (Patton et Viner, 2007) » (p. 63). D’autre part, «les filles sembleraient plus affectées par les conflits intrafamiliaux qui jalonnent l’adolescence et qui entrent davantage en tension avec les valeurs qui leur sont inculquées et l’importance accordée au maintien des liens affectifs avec la famille (Cheng et Chan, 2004). Les données relatives au soutien social montrent d’ailleurs qu’elles ont le sentiment d’être moins soutenues par le milieu familial que les garçons et que ce soutien est un facteur primordial de bien-être à l’adolescence.»

D’autres recherches ont tenté d’expliquer pourquoi les femmes étaient plus touchées que les hommes par les inégalités lors de la petite enfance, stipulant, à partir d’indices collectés dans des études psychologiques observationnelles de jeunes enfants, que les femmes avaient tendance à réagir plus émotionnellement que les hommes aux facteurs de stress sociaux (Luby et al., 2009). D’autres résultats issus du volet français de l’enquête HBSC de 2014 indiquent que globalement, les filles se perçoivent comme étant en moins bonne santé physique et mentale que les garçons, qu’elles entretiennent une vision moins positive de la vie, formulent plus fréquemment des plaintes somatiques ou psychologiques, et présentent plus fréquemment des signes de mal-être et de souffrance psychique. De plus, cet écart avec les garçons tend à augmenter avec l’avancée en âge, « la santé mentale des filles suivant une évolution négative entre la sixième et la troisième [année scolaire] (santé perçue et perception positive de sa vie à la baisse), alors que celle des garçons reste stable » (Robert, Du Roscoät et Godeau, 2016)

Hypothèses et questionnements

Si le constat semble clair, il en est autrement de l’interprétation de ces données. Le constat : la France est en bas du classement en termes de communication parents-enfants. Les adolescents semblent avoir de réelles difficultés à se confier, même à leur entourage amical le plus proche (puisque la France est classée 22e sur les 25 pays sélectionnés en 2010 en termes de facilité à communiquer avec son (sa) meilleur(e) ami(e), et ce classement est invariablement confirmé d’une enquête à l’autre, où l’écart se renforce même parfois). Cet état de choses soulève plusieurs questions, notamment celle de savoir pourquoi ces difficultés sont manifestes en France, sexes et âges confondus (ici onze, treize et quinze ans).

Cette faible communication entre les adolescents et leurs parents serait-elle liée à un manque de disponibilité des parents, voire à un investissement moindre auprès de leurs enfants ? À moins qu’il s’agisse d’une volonté de ces jeunes de ne pas inquiéter leurs parents en évitant d’aborder les sujets qui les préoccupent. Faut-il encore y voir l’expression d’une moindre disponibilité des adolescents, du fait de l’importance du temps consacré à l’école ? En effet, en France, les jeunes passent plus de temps à l’école (en moyenne 978 heures par an) que les jeunes des autres pays de l’Union européenne (en moyenne 872 heures par an). Et plus les adolescents grandissent, plus le nombre d’heures est important, ce qui laisse moins de temps aux loisirs, aux sorties entre amis et peut-être aux moments passés en famille, qui sont des éléments constitutifs de leur bien-être subjectif. Et si l’on suit cette piste de la question scolaire et que l’on rapproche les diagnostics issus de l’enquête PISA de l’OCDE, on pourrait aller jusqu’à avancer une autre hypothèse : n’y aurait-il pas un décalage plus grand qu’ailleurs entre les préoccupations des parents soucieux de la performance scolaire, et celles des ados, peut-être désireux d’aborder d’autres questions. Les relations avec les parents et les relations amicales ont souvent été étudiées de manière distincte, même s’il est probable que le bien-être des enfants et des adolescents dépende de l’équilibre et de la qualité de l’ensemble de ces relations.

Nous pouvons également nous interroger sur ce manque de communication entre les parents et leur jeune, en avançant deux hypothèses : d’une part, les parents ne sont peut-être pas assez disponibles aux yeux de leur enfant — ce qui pourrait expliquer les meilleurs résultats concernant cette relation, lorsque le jeune part au moins une fois par an en vacances avec sa famille —, et d’autre part, les échanges entre eux se concentrent essentiellement autour des questions scolaires, ce qui nuirait à la qualité des relations en créant des tensions et des inquiétudes liées à l’école et aux performances scolaires.

Ces hypothèses montrent que beaucoup d’incertitudes demeurent sur l’interprétation des données d’enquête. On ignore, par exemple, si les sujets qui préoccupent les adolescents varient d’un pays à l’autre, d’un milieu social à l’autre, d’un sexe à l’autre. On ne sait pas davantage si le fait qu’ils disent avoir plus de difficulté à aborder des sujets qui les préoccupent vraiment est perçu comme un problème par ces adolescents. On peut encore se demander si cette communication a en fait davantage lieu avec d’autres interlocuteurs, sur les réseaux sociaux par exemple, aux dépens de la communication avec l’entourage familial et amical. À moins, effectivement, que les adolescents sachent en France moins qu’ailleurs aborder certains sujets qui les préoccupent avec des tiers, quels qu’ils soient. Pourrait-on avoir affaire à des conceptions culturellement différentes de ce que doivent être les relations entre parents et adolescents ? À ce jour, il est encore difficile de désigner les véritables causes de cet écart de communication avec les parents. Une analyse plus précise des données des enquêtes HSBC de 2014 et de 2018, de même que la réalisation de travaux plus qualitatifs, pourraient certainement apporter des pistes de réponses.

Ouvertures sur les controverses en cours

La question du bien-être, et particulièrement du bien-être des enfants, est devenue progressivement un défi non seulement pour les experts, mais aussi pour les pouvoirs publics. La comparaison entre elles des données disponibles d’un pays à l’autre sur l’état de santé et de bien-être subjectif de la population met les décideurs publics en demeure de s’atteler à la délicate tâche de manier les bons leviers d’action pour améliorer ce bien-être, et en particulier celui des plus jeunes. Mais en devenant un enjeu politique, une cible à atteindre pour l’action publique, le bien-être des enfants peut générer une sorte de doxa, sommant chacun de l’atteindre et de le promouvoir.

Une première difficulté concerne la définition du concept. Une deuxième est celle de sa mesure ou de son évaluation. Manifestement, au regard de la littérature recensée, les définitions varient ainsi que les stratégies de mesure et d’évaluation. Les spécialistes n’occupent donc pas tous la même position et n’accordent pas une attention égale aux composantes objectives et subjectives du bien-être. Pour Michel Forsé et Simon Langlois, le bien-être est « une notion quelque peu polysémique qui doit se distinguer de notions connexes comme le bonheur, la satisfaction, le plaisir, l’utilité ou la qualité de vie. Mais les frontières entre ces notions ne sont pas totalement consensuelles» (Forsé et Langlois, 2014, p. 262). Pour sortir de ces écueils et comprendre la dimension subjective du concept de bien-être, ces deux auteurs ont proposé de l’aborder sous l’angle du « sentiment de justice », un des moyens selon eux de comprendre comment le bien-être prend racine dans la comparaison de sa propre situation dans un univers marqué par l’acceptabilité et la légitimité des différences de condition.

D’autres auteurs, en revanche, mobilisent en même temps et presque indistinctement les notions de bonheur et de qualité de vie dans les études sur le bien-être, sans toujours être précis sur les définitions. Pour Campbell, Converse et Rodgers, par exemple, «le degré de satisfaction peut être précisément défini comme l’écart perçu entre une aspiration et son atteinte, allant de la perception de l’accomplissement à celle de la privation » (Campbell et al., 1976, p. 8 traduction des auteurs). Ils estiment que le bonheur (happiness) est une notion d’ordre affectif, davantage sujet aux changements d’humeur, et que sa mesure constitue un indice peu fiable à long terme : c’est pourquoi les Anglo-Saxons utilisent de préférence le terme satisfaction et ses dérivés » (Pawin, 2014, p. 276). De son côté, David Bartram (2012) estime même que parce que chaque individu est le seul à être en mesure de dire s’il se sent heureux, il serait inapproprié de lui en imposer une définition a priori.

Si le terme bien-être soulève des questions de définition et d’usage, un autre débat persiste concernant la mesure du bien-être. Les dernières recherches portant sur le bien-être des enfants s’accordent pour considérer que l’évaluation subjective que font les enfants de leur propre vie est le meilleur indicateur pour comprendre les facteurs de leur bien-être (voir notamment Ben Arieh et al., 2014). L’enquête HBSC, dont les analyses ont été mobilisées dans ce papier, s’est attelée à saisir les aspects objectifs et subjectifs du bien-être des enfants : elle a, pour ce faire, interrogé ces derniers sur la perception qu’eux-mêmes avaient de leur vie et de la qualité de leurs relations avec leurs proches — essentiellement leurs parents et leurs amis. Ainsi avons-nous pu voir que les adolescents français éprouvent plus de difficulté que les ados d’ailleurs en Europe à communiquer avec leurs parents, et notamment leur père, mais aussi avec leur entourage amical proche. Certes, la littérature donne la qualité des relations avec les proches comme un déterminant important du bien-être des enfants ; et néanmoins, l’étude HBSC indique que le mal-être des adolescents français ne surpasse pas celui de la moyenne des adolescents des autres pays enquêtés à cette fin. On s’interrogera peut-être sur la fiabilité de ces liens entre facteurs — car en effet, ces mesures de bien-être autodéclarées font l’objet de controverses. Certains auteurs émettent de fortes réserves sur la fiabilité de ces données, notamment lorsqu’elles servent à établir des comparaisons internationales, craignant que lesdites mesures autodéclarées soient culturellement déterminées. Ils estiment donc que le « bonheur rapporté » ne serait indicateur que d’une partie du ressenti général. Wolfgang Aschauer (2014) souligne ainsi que dans de nombreuses études, la mesure du bien-être repose parfois sur un seul indicateur, ce qui suscite plusieurs doutes : comment un seul indicateur peut-il résumer et prendre en compte à lui seul toutes les dimensions que regroupe une notion aussi vaste et complexe que le bien-être des individus ? Comment ce seul indicateur peut-il permettre de comparer entre eux les individus, et a fortiori les pays ? Comment, en somme, s’assurer de la comparabilité dans de telles circonstances ?

Mais, au-delà de ces enjeux de définition et de méthode, une partie considérable du débat porte sur la finalité même et les effets de cette approche par le bien-être. À cet égard, deux perspectives principales s’affrontent : l’une qui tend à faire du bien-être une donnée individuelle fondée sur une conception de l’individu en tant que levier d’action (du fait de sa souveraineté intrinsèque) ; l’autre qui conçoit le bien-être comme largement déterminé par le contexte, par les conditions collectives d’existence, faisant du bien-être social, voire sociétal, le principal levier d’action. Bien sûr, cette opposition est schématique et peut-être caricaturale, mais elle nourrit une bonne part des controverses sur le sujet, surtout si l’on prend au sérieux la question de la définition d’une politique du bien-être. En cela, on ne peut manquer de faire le lien avec l’idéologie de la poursuite du bonheur et l’explosion du marché du conseil et des experts en coaching, qui proposent une multitude de formules d’accès au bien-être et à la réussite pour chacun – un marché si bien décrypté par le récent livre d’Eva Illouz et Edgar Cabanas, Happycracie (2018), de même que par les travaux du chercheur Grant Duncan (2014).