Recensions

Frédérique Ildefonse, Le multiple dans l’âme. Sur l’intériorité comme problème. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Textes et traditions »), 2022, 888 p.

  • Manon Gibot

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  • Manon Gibot
    École Pratique des Hautes Études - Université PSL

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Couverture de Volume 79, numéro 2, 2023, p. 139-323, Laval théologique et philosophique

Le dernier ouvrage de Frédérique Ildefonse, Le multiple dans l’âme. Sur l’intériorité comme problème, constitue un événement pour tout connaisseur de philosophie antique et tout spécialiste d’histoire de la philosophie, tant son analyse, aussi exigeante que documentée, renouvelle un débat devenu classique : celui de l’intériorité antique, laquelle ne se confond pas avec la subjectivité. Car en effet, si la question de la psychologie de l’intérieur antique (peut-on parler de sujet, de moi, et de personne antique ?) fait l’objet d’une abondante littérature secondaire — tant du côté des défenseurs que des adversaires —, F. Ildefonse insiste sur la nécessité de partir d’une notion négligée : le multiple. Que cette multiplicité intérieure ait été passée sous silence n’est pas anodin : comment tenir ensemble et sans contradiction l’unité apparente d’un être, vivant une vie particulière et possédant une âme inscrite dans un corps, avec l’idée d’une complexité interne ? Comment parler d’un intérieur multiple sans que ce multiple ne fasse éclater l’unité de l’âme à laquelle nous sommes accoutumés ? Si nous sommes multiples, est-ce à dire que nous ne sommes plus « un » ? Ce questionnement renvoie explicitement à un problème métaphysique ancien, développé par Aristote sur les rapports de l’un et du multiple (comme par exemple le lien entre la substance et la multiplicité des accidents). En repartant de la notion d’intériorité, F. Ildefonse montre les limites d’un travail collectif qu’elle avait dirigé avec Gwenaëlle Aubry, Le moi et l’intériorité. Se concentrant sur les textes littéraires et philosophiques classiques de l’antiquité grecque (Homère, Platon, Aristote, Plutarque, Marc Aurèle, Épictète et quelque peu Plotin), l’A. défend ainsi la thèse selon laquelle l’intériorité n’est qu’une manière de problématiser l’intérieur, et qu’accéder à cet intérieur, si on se refuse à le réduire « au brouillon ou aux balbutiements de la conceptualité d’un moi unique et intérieur à lui-même » (p. 18), nécessite de tenir compte des « degrés d’intérieur » (p. 15). Refuser un postulat d’unité, c’est ainsi admettre une dynamique et une prolifération intérieures que l’on ne peut nier. D’où une attention particulière accordée aux images dans les textes étudiés, qui rendent compte des diverses expériences de la multiplicité, telles que le ventriloque du Sophiste, l’enfant en nous qui a peur, ou encore les descriptions d’une amitié envers soi-même, d’une injustice envers soi ou d’une « hospitalité » envers le démon intérieur. Loin d’être de simples ornements à reléguer au rang d’artifices ou de métaphores, ces images explicitent comment les anciens vivaient et conceptualisaient leur âme, et ne doivent pas être jugées « conceptuellement ridicules » (p. 561). Il est temps d’abandonner ce patrimoine « chrétien » de l’âme, qui cherche à tout prix à la protéger comme une, simple, et qui ne saurait recevoir en elle un quelconque « démon ». Cette thèse implique de nombreux choix méthodologiques et philosophiques forts, à commencer par le refus d’user de concepts modernes tels que le moi, le soi, le sujet, la personne ou l’individu. Cette projection trop systématique, loin de rendre justice aux textes, occulte au contraire « l’événement » que constitue l’apparition de certaines problématisations, qui s’inscrivent elles-mêmes dans une trame conceptuelle. De cela découle un retour au « détail » des textes dans leur langue originale, ainsi qu’aux traductions — ce qui permet à Ildefonse de rendre hommage aux travaux des historiens de la philosophie qui l’ont précédée. S’ajoute à ce dense corpus philosophique, une littérature secondaire d’ordre anthropologique d’habitude écartée d’une telle recherche scientifique, et qui enrichit considérablement les questionnements philosophiques sur l’intérieur. L’A. rappelle par là le lien étroit de la lecture …

Parties annexes