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À la fin des années 1970, ce que nous appellerons avec précaution la « communauté LGBT[1] », qui avait fonctionné jusqu’alors soit de manière semi-cachée (le mouvement Arcadie[2]), soit à travers la revendication militante gauchiste post-1968, commence à se doter de premières institutions de presse et d’édition qui lui permettent à la fois de manifester une autonomie relative, d’affirmer son identité dans l’espace public et de réclamer la suppression des dispositions législatives discriminatoires à son encontre. Le cas le plus connu, grâce à son impact médiatique et à sa longévité (1979-1992), est celui du mensuel, puis hebdomadaire Gai Pied, qui se veut un journal « d’informations et de réflexions sur le monde d’aujourd’hui » rédigé par des homosexuels (quelques femmes, lesbiennes ou non, dont Françoise d’Eaubonne, y collaborent également) et qui réussit, malgré de nombreuses réticences de la part des NMPP[3], à se faire distribuer très vite dans la plupart des kiosques de presse et à acquérir ainsi une grande visibilité[4].

Ce succès ne saurait toutefois faire ignorer que Gai Pied n’est pas le seul élément constituant de ce nouveau champ médiatique qui repose dans un premier temps essentiellement sur l’écrit. Créée exactement au même moment, soit au printemps 1979, par d’anciens membres de la Ligue communiste révolutionnaire, la revue Masques (1979-1986), longtemps trimestrielle puis durant cinq mois mensuelle, se présente pour sa part comme la « revue des homosexualités » au pluriel. Pensée comme mixte à l’origine, elle entend à son tour se faire le lieu d’une « prise de parole » et d’un questionnement à travers un « rapport au monde différent[5] ». Si la « militance » et les modes de vie homosexuels n’y sont jamais oubliés, par l’intermédiaire de grands dossiers, la revue se donne d’emblée une coloration culturelle qui ira grandissant au fil des numéros en accordant une place prépondérante aux arts et aux lettres[6]. Elle participe ainsi à la construction d’une culture gaie et lesbienne en plein essor, en même temps qu’à « l’affirmation de soi » de la communauté LGBT, tout autant qu’à l’élaboration d’une mémoire culturelle et sociale, dans laquelle la littérature occupe (pour un temps encore) une position prédominante, bien que la place du cinéma ne cesse de croître.

L’activité et l’ambition de la revue se prolongent dès 1981 au moyen d’une entreprise d’édition de livres, véritablement pionnière puisqu’il s’agit de la première maison d’édition gaie et lesbienne à être créée en France : Persona. Celle-ci publie 29 titres jusqu’à sa disparition, en juin 1986, avec un souci tant d’exigence que de diversité, grâce à des contenus qui renvoient aux différentes facettes de la construction identitaire LGBT, à travers littérature, cinéma, mais aussi sociologie et témoignages mémoriels.

L’itinéraire de Masques et de Persona peut attirer l’attention de l’historien et du sociologue à plusieurs titres. D’abord, il met en question le passage d’une frange d’intellectuels français, à la fin des années 1970 et à la suite du groupe fondateur de Libération, d’un militantisme activiste d’extrême-gauche à d’autres formes d’intervention médiatique, journalistiques et éditoriales, moins strictement partisanes. Par les contenus proposés, les deux entreprises permettent également de brosser un portrait culturel de la communauté LGBT en France (et, surtout, il faut le reconnaître d’emblée, gaie), de ses constructions identitaires et de ses miroirs, au moment où elle va (enfin) accéder à la reconnaissance publique.

La mixité problématique de Masques constitue aussi un indicateur parlant des difficultés à concilier, au sein des revendications de genre, combat féminin et masculin, comme d’ailleurs féminisme et lesbianisme radical se réclamant de Monique Wittig. Enfin, l’équilibre économique bien incertain auquel se heurtent de telles entreprises met en évidence la complexité de la transition d’un projet initialement motivé par un engagement politique et social à un professionnalisme structuré, et appelle tout autant à une réflexion sur la dénomination et les contours mêmes d’une communauté LGBT ou gaie, une fois la dépénalisation de l’homosexualité acquise.

Du militantisme à l’aventure éditoriale

La revue Masques est créée au printemps 1979 par un collectif d’ami(e)s, largement issu(e)s de la « Commission homosexuelle » de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), dont émergent trois principaux acteurs – deux enseignants et un employé – qui viennent tout juste de quitter avec fracas l’organisation dans laquelle ils militaient jusqu’alors[7] : Jean-Pierre Joecker, Alain Lecoultre (qui signe Alain Sanzio[8] dans la revue), et Jean-Pierre Combettes. Ce sont eux qui déposeront en préfecture les statuts de l’association Masques, éditrice de la revue du même nom, et qui créeront plus tard la structure d’édition Persona. Ils ont, durant de longues années (11 ans pour deux d’entre eux), voulu croire en l’idéologie révolutionnaire trotskiste et se sont engagés pleinement dans leur organisation, sans d’abord mettre en avant leur homosexualité, mal vue généralement par des mouvements d’extrême-gauche qui consacrent leur énergie à la lutte des classes et au « travail ouvrier », quand ils ne considèrent pas l’homosexualité comme un « travers bourgeois ». Sensibles toutefois au discours du coming-out tenu par le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), ils finissent, au mitan des années 1970, par refuser de se cacher et de scinder leur vécu, entraînés sur cette voie par un dirigeant de la IVe Internationale, Jean Nicolas, qui publie fin 1976, dans la revue théorique de la LCR, Critique communiste, un article d’envergure sur « la question homosexuelle[9] ». Ce dernier est aussi à l’origine de la première réunion des homosexuel(le)s de la LCR, en février 1976, inspiré peut-être par les positions du Socialist Worker’s Party américain. Au cours de cette rencontre, il encourage ses camarades à participer aux activités du GLH-PQ, l’un des groupes – le plus politisé – qui ont pris la succession du FHAR[10]. Une dizaine d’entre eux s’y investissent et décident parallèlement de mettre en place, dans les marges de leur organisation, une Commission homosexuelle qui sera timidement reconnue, malgré de multiples réticences, par le IIe congrès de la LCR, en janvier 1977.

Cette double appartenance ne va toutefois pas sans mal-être pour des militants tiraillés entre la revendication homosexuelle et le combat révolutionnaire internationaliste. Durant trois ans, ils s’efforcent de l’articuler et de la vivre et se battent pour tenter de faire prendre en considération la dimension homosexuelle dans la lutte des classes, ainsi que pour convaincre leur organisation de s’impliquer à travers une ligne officielle. Leur démarche est d’abord encouragée par le passage à une parution quotidienne de Rouge (1976-1979), le périodique principal de la LCR, qui se tourne dès lors vers « la prise en compte de toutes les révoltes[11] » et se présente, durant la période, comme une sorte de sous-Libération. L’équipe initiale de Masques y fait ses premières armes journalistiques en relayant l’actualité militante homosexuelle, mais aussi en publiant des enquêtes sur le vécu homosexuel qui ne dépareraient pas dans le futur Gai Pied. Les articles culturels y sont également nombreux sur des livres et des films devenus depuis emblématiques – comme L’étoile rose, de Dominique Fernandez, ou Word is out (Parlons-en, 1977), du groupe filmique Mariposa, ou encore, du côté des femmes, à travers un entretien avec Kate Millett – et préfigurent déjà l’orientation rédactionnelle de Masques.

Pour autant, le débat n’avance guère au sein de la LCR qui craint de heurter sa frange la plus ouvriériste. Le IIIe congrès de cette organisation, en janvier 1979, va consacrer une rupture. Les militants de la commission homosexuelle en attendent une reconnaissance de leur existence et de leurs travaux, mais la majorité des délégués refuse de leur accorder ne serait-ce qu’une heure de débat. C’en est trop pour plusieurs d’entre eux qui décident de démissionner et annoncent à la tribune leur départ par la lecture d’un texte virulent.

Il est vrai que, depuis un certain temps, comme l’écrira a posteriori Jean-Pierre Joecker, ces derniers « se vivent davantage comme des militants homosexuels au sein d’une organisation hétérosexuelle que comme des révolutionnaires trotskistes allant porter la bonne parole au sein du mouvement gai[12] ». Il est vrai aussi qu’au même moment, prenant acte d’une situation bloquée, ils travaillent déjà, à l’initiative de celui-ci, à la création d’une revue dédiée « aux homosexualités » et qui se déprendra de toute attache partisane.

Le premier numéro sort trois mois plus tard, le 1er mai 1979. Il s’agit d’un ouvrage broché de 144 pages, au format in-8 de 23,5x15 cm, à la couverture rose ornée d’un dessin représentant un visage stylisé accompagné de son double masqué. Sa facture et son maquettage sont encore bien artisanaux, son sommaire non hiérarchisé et non structuré en rubriques, comme si le chemin de fer de la revue restait encore aléatoire. S’il accueille déjà des articles culturels essentiellement consacrés à la littérature, il se donne d’abord pour objectif d’expliquer la raison d’être de la revue à travers les cheminements personnels des membres de la rédaction et consacre, de manière assez évidente, un dossier central aux « rapports entre homosexualité, champ politique et militance gaie[13] ». Il est imprimé par Reprographie, l’imprimerie… de la LCR, preuve que les ponts ne sont pas encore complètement coupés, et sa vente s’engage de manière symbolique lors du défilé syndical de la fête du Travail.

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Couverture du premier numéro de Masques.

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Une dernière passe d’armes, cependant, va accentuer la prise de distance vis-à-vis de l’extrême gauche. Elle se déroule lors d’un meeting commun de la LCR et de sa rivale trotskyste Lutte ouvrière (LO) qui se tient à la Maison de la Mutualité, haut lieu parisien des revendications de gauche, le 25 mai 1979. L’équipe de Masques installe dans le hall un stand pour vendre la revue, ce qui déplaît fortement au service d’ordre de la seconde organisation; ses gros bras se précipitent pour expulser manu militari les exposants sans que, malgré l’interposition de quelques-uns de ses militants, la direction de la LCR ne se décide à réagir en tant que telle, scellant véritablement le divorce avec l’équipe de Masques.

Quelle ligne éditoriale?

Le premier numéro présente avant tout le projet éditorial d’une revue qui se veut trimestrielle, loin donc de l’urgence de l’actualité comme l’est Gai Pied à la parution alors mensuelle. Celui-ci est proposé sous la forme d’une « plate-forme » intitulée « Sous les masques[14] » et qui comporte trois objectifs principaux : il s’agit d’abord de susciter et de relayer une « prise de parole » plurielle, homosexuelle et lesbienne « qui existe à peine »; de porter un questionnement différent sur le monde qui réconcilie le privé et le politique; enfin, de participer à la construction d’un mouvement homosexuel qui puisse se faire entendre et reconnaître pleinement dans l’espace public. Ce qui, écrit de manière poétique en page d’ouverture de la revue, donne : « […] Nous dirons nos masques, ceux qu’on nous colle, ceux qui nous cachent et tout doucement nos visages se dévoileront et nos paroles chuchoteront[15] ». En fin de compte, il s’agit de porter « un regard gai sur le monde[16] ». Les références à la lutte des classes, à la nécessité de combattre « la société capitaliste et phallocratique » ne sont certes pas absentes, mais un décentrement fondamental s’opère, qui entend mettre en cause tout autant « la morale bourgeoise véhiculée par le mouvement ouvrier » que l’attitude des organisations gauchistes envers « les luttes dites marginales ». De manière évidente, ici comme ailleurs, se closent les années 1970 et s’ouvrent les années 1980 qui ne voudront plus sacrifier l’épanouissement de soi (faut-il dire l’individualisme?) aux contraintes de l’action militante de moines-soldats[17].

Le chemin de fer de la revue, tel qu’il s’élabore initialement, mais qui connaîtra différentes modifications, entend répondre à un tel programme. Chacun des premiers numéros s’ouvre sur des pages d’« Écriture » censées permettre l’expression de plumes en herbe mais qui, de fait, publieront bientôt surtout des textes d’auteurs déjà confirmés. Au demeurant, à partir du cinquième numéro, ces pages seront renvoyées plus loin dans le sommaire puis leur parution deviendra irrégulière.

Une grande rubrique, dénommée « Quotidien » à partir du numéro 6, est destinée à se faire l’écho de l’actualité de la « mouvance » gaie et lesbienne – terme préféré à celui de « communauté » pour souligner la diversité des identités, des regroupements et des actions –, avec une dimension internationale marquée. Elle se donne également pour fonction de mettre l’accent sur les nouvelles formes de « militance », un militantisme transformé qui entend se construire sur « l’anéantissement de cette séparation vie publique – vie privée qui semble apparaître progressivement avec la progression de la bourgeoisie », de sorte que, « dans la foulée du mouvement des femmes, la militance gaie remet en question l’ordre social capitaliste fondé sur cette séparation[18] ». La rubrique a aussi pour objet de prendre position, de proposer des éléments de réflexion et d’interroger le passé de l’histoire homosexuelle. Parfois, sa parution trimestrielle la met en décalage avec l’actualité, en particulier par rapport à Gai Pied dont la parution devient hebdomadaire à partir de la fin de 1982; parfois aussi, ses articles ne font que doublon avec ce dernier dans le seul commentaire de l’événement, même si d’autres contributions manifestent une portée plus théorique. Lors de la campagne présidentielle de 1981, la revue s’abstient de prendre position en son nom propre et choisit de consacrer son éditorial à un fait divers à caractère politique, connu sous l’appellation de « l’affaire de la pelleteuse de Vitry[19] ». Elle se limite à proposer quelques pages où les principaux collaborateurs expriment leurs interrogations et à réaliser un entretien avec Jean Le Bitoux, le directeur du Gai Pied, périodique qui, pour sa part, se prononcera assez clairement en faveur de François Mitterrand, à la suite du retrait de la candidature de Coluche[20]. Dans le numéro suivant, Masques ne commente pas l’élection mais reproduit le texte de l’allocution, censurée par la Commission nationale de contrôle de la campagne, que l’écrivain et militant homosexuel Dominique Fernandez aurait dû prononcer sur les ondes de la radio nationale, grâce aux quatre minutes que la candidate du Parti socialiste unifiée (PSU), Huguette Bouchardeau, avait décidé de lui céder. La revue, en collaboration avec Gai Pied, publie aussi un appel signé par de nombreux intellectuels pour que la nouvelle majorité PS et MRG tienne ses engagements et abroge la législation anti-homosexuelle[21]. C’est, de fait, ce qui sera réalisé après le vote de la loi du 4 août 1982.

À partir du numéro 17 du printemps 1983, la rubrique « Quotidien » change toutefois d’appellation pour être dénommée significativement « Modes de vie » et se consacrer davantage à une dimension culturelle. Adieu la « militance », après la suppression des mesures discriminatoires? Quoi qu’il en soit, cette évolution rejoint, avec néanmoins mesure et caution intellectuelle, celle du Gai Pied dont la formule hebdomadaire va désormais se vouer à refléter la vie gaie dans son divertissement et son consumérisme[22].

La rubrique « Dossier » suit une évolution globalement similaire. Certes, les cinq premiers de ces dossiers sont consacrés à l’identité homosexuelle et à ses travestissements, ou encore aux revendications gaies et lesbiennes dans l’espace public, politique et social, en France comme à l’étranger. Pourtant, dès le numéro 6 (automne 1980), les « rêves brisés » étatsuniens ne se trouvent plus guère interrogés qu’à travers la production littéraire – celle de la beat generation, de Gore Vidal ou d’Andrew Holleran –, le théâtre et le cinéma. Malgré quelques rares autres dossiers, sur l’Argentine aux prises avec la dictature[23] ou sur le questionnement des modes de vie[24], la tendance s’accentue à partir du numéro 7 qui se voit dédié aux rapports entre « homosexualité et création littéraire ». Désormais, les dossiers présentent de façon quasi exclusive des auteurs, écrivains et cinéastes, et des plasticiens d’un passé plus ou moins proche. Les deux seules exceptions concernent celui qui prend pour thème « la Méditerranée » et celui qui prend pour ambition de faire un bilan sur « les années 80, mythe ou libération », dans le dernier numéro trimestriel (n° 25-26, printemps-été 1985).

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Couverture du n° 12 de Masques.

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De même encore, la rubrique « Rencontre » propose essentiellement – mis à part peut-être ceux avec Guy Hocquenghem, Michel Foucault et Jean-Paul Aron – des entretiens avec des écrivain(e)s, parfois avec un(e) cinéaste, une actrice ou un plasticien. Après quelques numéros, de fait, Masques se donne une coloration fortement culturelle où les écrivains tiennent d’abord le haut du pavé, avant d’accorder une place plus importante à leur côté aux autres acteurs culturels, parmi lesquels photographes, musiciens et metteurs en scène. Une des raisons premières en est sans doute que beaucoup d’homosexuel(le)s de cette génération, face au silence ou au mépris médiatique, n’ont pu d’abord reconnaître leur identité qu’à travers la littérature et que les écrivains, de Jean-Louis Bory à Dominique Fernandez, Yves Navarre ou Monique Wittig, se sont fait dès les années 1970 les « porte-parole de l’homosexualité[25] », comme l’a écrit Frédéric Martel, et s’activent au même moment à faire avancer la revendication homosexuelle. Au demeurant, plusieurs d’entre eux/elles sont des collaborateurs permanents de Masques, et Jocelyne François, prix Femina 1980, y tient une chronique régulière.

La présence, plurielle et si prégnante de la littérature, et plus globalement de la culture, dans Masques, renvoie également à d’autres fonctions. Elle permet de contribuer avec force, loin de toute culpabilité, à l’affirmation des identités gaies et lesbiennes et aux modes de vie afférents, à travers les écrits d’une large palette d’écrivain(e)s contemporain(e)s – plusieurs dizaines. Elle permet aussi de participer, aux côtés de la nouvelle vague d’historiens de la Culture, à la construction d’une mémoire indispensable pour la reconnaissance homosexuelle. Elle sert enfin, en faisant appel à la culture « amie », à répercuter les luttes connexes (celles du mouvement des femmes, par exemple) et à afficher un supposé regard de « sensibilité homosexuelle » sur le monde de personnalités extérieures à la communauté dont le parangon, au même moment, avec la chanteuse Barbara, pourrait être une Marguerite Duras à son apogée médiatique[26].

Le catalogue de Persona

En avril 1981, tout juste deux ans après le lancement de Masques, ses trois principaux fondateurs décident de créer une maison d’édition, Persona. À la différence de la revue, qui s’est constituée autour d’une association rassemblant une quinzaine de personnes, hommes et femmes, la structure éditoriale prend la forme juridique d’une SARL, signe sans doute d’une professionnalisation désormais assumée, tandis que sa direction est assurée par Jean-Pierre Joecker qui se construit dès lors une stature éditoriale saluée par ses pairs, du Monde à Livres Hebdo, lors de son décès survenu le 31 décembre 1991.

Le premier titre publié entend réparer un « oubli de la mémoire » particulièrement frappant par la manière dont la réalité des faits a été longtemps occultée en France : la déportation des homosexuels par l’Allemagne nazie. Il s’agit des Hommes au triangle rose, journal d’un déporté homosexuel, de Heinz Heger, l’un des rares témoignages de première main sur cette facette de la persécution des homosexuels par le régime nazi et des camps de concentration (ici, Sachsenhausen), publié dès 1972 outre-Rhin mais ignoré jusqu’alors en France[27]. Sa parution, avec une préface de Guy Hocquenghem, fait un certain bruit, réveille les souvenirs – notamment ceux de l’Alsacien Pierre Seel, lui-même déporté homosexuel[28], que la ville de Toulouse finira par honorer en 2008 du nom d’une (petite) rue – et installe d’emblée Persona comme éditeur.

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Couverture des Hommes au triangle rose.

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Durant cinq ans, la programmation annuelle compte de cinq à six titres – minimum requis pour accéder à une distribution professionnelle, en l’occurrence celle de Distique, principal distributeur des petits éditeurs français durant les années 1980 –, avec un pic à sept titres en 1983. Au-delà des différentes collections mises en place, le catalogue se construit d’abord autour des deux dominantes de Masques, la littérature et le cinéma. Du côté de la première, des titres oubliés ou méconnus, de Georges Eekhoud et Natalie Clifford Barney à Gore Vidal et James Purdy, côtoient des nouveautés – des textes de Copi, par exemple, ou des nouvelles d’Hugo Marsan[29], alors responsable des pages culturelles de Gai Pied – ou des rééditions contemporaines, comme Tricks, de Renaud Camus, publié initialement chez Mazarine en 1978.

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Couverture de l’ouvrage de Gore Vidal, Un garçon près de la rivière.

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La production d’ouvrages ayant trait au cinéma se focalise autour de trois réalisateurs emblématiques des décennies 1960-1970 : Fassbinder, qui vient de tourner avec Querelle son dernier film, Pasolini et Visconti. Ils cumulent six titres à eux trois dans le catalogue de Persona. L’ouvrage Luchino Visconti cinéaste, écrit par Alain Sanzio et Paul-Louis Thirard, se voit au demeurant récompensé du Prix du meilleur livre de cinéma 1984 et semble constituer la meilleure vente de la maison, avec Les Hommes au triangle rose : plus de 5 500 exemplaires en auront été vendus au terme d’un an de parution. Cet ouvrage fait partie de la collection « Les Albums Persona », qui permet de publier des livres richement illustrés – comme, par exemple, celui[30] proposant un ensemble de photographies de Patrick Sarfati, l’un des principaux artisans de la photographie artistique gaie des années 1980 – et qui manifeste les liens étroits reliant maison d’édition et revue, puisqu’il existe aussi des « Albums Masques », lancés en 1984. Les deux premiers parus de ceux-ci, consacrés à Cocteau et à Colette, seront des succès, puisque l’un se vend à plus de 5 000 exemplaires, et l’autre à plus de 3 300. Un troisième, consacré à Tennessee Williams, est publié en mai 1986, mais ne sera pratiquement pas distribué du fait de la cessation d’activité de l’association[31].

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Couverture du livre Luchino Visconti cinéaste.

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Persona compte aussi dans son catalogue un autre témoignage, signé Marie-Josée Enard et intitulé Vouloir être… transsexuelle, mère et femme, que préface Catherine Rihoit, ainsi que la première et précieuse grande enquête sociologique sur les modes de vie homosexuels en France, Le Rapport gai, conduite par les universitaires et chercheurs Jean Cavailhes, Pierre Dutey et Gérard Bach-Ignasse, qui fait date.

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Couverture du livre Le rapport gai.

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Une mixité problématique

À un moment où les relations entre militants gais et lesbiennes sont plutôt tendues au sein du mouvement de revendication, Masques, à l’inverse du Gai Pied, fait le pari, volontaire et courageux, de la mixité, bien que les trois principaux initiateurs de la revue soient des hommes. Peut-être, du coup, la situation est-elle biaisée dès le départ car ces trois mêmes personnes tiennent les rênes de l’association qui préside à la publication de la revue[32]. Le secrétariat de rédaction, qui dirige au quotidien la publication, est lui aussi déséquilibré : durant les cinq premiers numéros, il est composé de quatre hommes et d’une seule femme, Suzette Triton – Robichon, de son nom d’état-civil[33] –, elle-même ancienne militante de la LCR et de sa commission « homosexualité ». Cette proportion subsiste jusqu’au numéro 13, avec d’ailleurs des collaboratrices féminines différentes face à une équipe masculine stable, avant qu’une tentative de rééquilibrage ne s’opère timidement avec six hommes contre trois femmes, puis quatre jusqu’au numéro 25, dernier numéro trimestriel. Les cinq numéros mensuels qui lui succèdent brièvement, de janvier à mai 1986, voient quant à eux une direction uniquement masculine, d’où émerge dans les faits un « seul et vrai patron[34] » en la personne de Jean-Pierre Joecker. Ils abandonnent au demeurant toute référence à l’homosexualité et à ses préoccupations militantes. L’on peut comprendre que, dans ces conditions, les lesbiennes aient mal vécu leur position minoritaire, voire se soient bientôt perçues comme une simple caution.

Par ailleurs, les débats âpres qui agitent le mouvement lesbien de l’époque semblent avoir eu des répercussions dans la revue. Certaines des rédactrices de Masques, à un moment où ce mouvement cherche à se structurer, souhaitent se centrer principalement sur les « lesbiennes radicales » en excluant de fait, au sein de la rédaction comme des contenus traités, les femmes qui auraient également eu des relations hétérosexuelles et ne se détermineraient pas comme lesbiennes. Les débats sont ainsi tout particulièrement houleux autour de la publication d’articles et de dossiers dédiés à Violette Leduc ou à Colette. Il est vrai d’autre part qu’il peut apparaître surprenant, a posteriori du moins, que Masques n’ait pas consacré très vite un dossier à Monique Wittig, figure centrale de la revendication lesbienne s’il en est.

Le malaise est aussi profond à propos de la participation en tant que collaborateur de Tony Duvert. Il s’accentue lorsque ce dernier publie dans le numéro 3 une chronique, « Idées sur Narcisse », dans laquelle il s’en prend avec virulence, et de manière caricaturale pour les lesbiennes, aux sociétés matriarcales. La publication de L’enfant et le pédéraste[35], de Benoît Lapouge et Jean-Luc Pinard-Legry, eux aussi collaborateurs de Masques, et de Le Pédophile et la Maman[36], de Leïla Sebbar, qui attaquent frontalement Duvert puis, en réponse de ce dernier, la parution de l’ouvrage au vitriol qu’est L’enfant au masculin[37], enveniment encore le débat. Celui-ci se trouve ensuite prolongé et exacerbé par le dossier que la revue lui consacre et qui semble faire pencher la balance en faveur de Duvert, si bien que Benoît Lapouge et Jean-Luc Pinard-Legry démissionnent de Masques[38].

L’acmé de la polémique est atteinte au printemps 1982 avec l’envoi d’une lettre de démission signée de « 8 fondatrices et collaboratrices », qui sera publiée in extenso à l’été dans le numéro 14, accompagnée d’une réponse de la direction[39]. Il semble qu’en fait plusieurs de ces collaboratrices s’étaient déjà éloignées depuis plusieurs numéros et que les départs effectifs en ce printemps n’aient été qu’au nombre de trois. Quoi qu’il en soit, les critiques portent sur deux points principaux : d’abord, cela va de soi, la « prédominance du masculin », indéniable sans doute tant en termes de contenus que d’iconographie mais certainement explicable en partie; ensuite, les orientations d’une revue qui, initialement, devait se partager entre le quotidien, le politique et le militantisme d’un côté, les expressions culturelles de l’autre. Or, elle est devenue essentiellement culturelle et les démissionnaires prennent soin de le signaler en termes quantitatifs : « n° 3, culture 25 %, quotidien 52 %; n° 5, 38 % pour les deux, mais au n° 6 renversement de tendance, 55 % pour la culture et 27 % pour le quotidien[40] ». Pour les démissionnaires, ce primat du culturel représente une manière de ne pas prendre parti en se réfugiant derrière « l’objectivité » et de ne pas « interroger ses propres comportements ».

De fait, le groupe de « lesbiennes radicales » qui démissionne ne se retrouve plus dans la mixité, et encore moins dans celle pratiquée dans Masques. Ces militantes prennent acte de leurs préoccupations distinctes[41] et entendent désormais se consacrer à une aventure éditoriale spécifique, dégagée tant du mouvement homosexuel masculin que du mouvement des femmes[42], ainsi qu’elles l’annoncent en fin de courrier : la revue Vlasta, qui connaît quatre numéros et publie deux ouvrages[43] entre 1983 et 1985, paraît à peine quelques mois plus tard.

Pour autant, la mixité, déséquilibrée certes, ne cesse pas à Masques jusqu’à la fin de la période trimestrielle; d’autres collaboratrices, moins marquées sans doute, la rejoignent et Jocelyne François continue de tenir la chronique régulière qu’elle a initiée à partir du numéro 11.

Un équilibre économique incertain

Le dernier titre des éditions Persona, Illusions, album de photographies de Patrick Sarfati, paraît en décembre 1985, au moment où sort le dernier numéro trimestriel de Masques. Malgré une tentative de relance de la revue à travers une parution mensuelle, un nouveau et grand format (33,5x24) et un contenu exclusivement culturel qui fait la part belle aux illustrations, la SARL Persona puis l’association Masques cessent officiellement leurs activités, à deux jours de distance, en juin 1986. Comment en est-on arrivé là?

La première explication, globale, tient au manque régulier de trésorerie et, singulièrement, à des fonds de roulement insuffisants, d’une entreprise qui est née d’une volonté militante et qui n’a ni voulu ni pu s’ouvrir à un actionnariat extérieur, alors que son activité, par sa nature culturelle, se voyait nécessairement soumise à des fluctuations importantes d’une année à l’autre et que le capital de la SARL était au minimum (20 000 F, soit juste le seuil à l’époque juridiquement requis). Les premiers numéros, d’ailleurs, ne peuvent paraître que grâce au crédit accordé par Reprographie, l’imprimerie de Rouge.

D’autre part, le choix d’une distribution dans le réseau des librairies, pour une revue à dominante culturelle, était sans doute judicieux mais risqué. Sa diffusion et sa distribution sont en effet assurées par de petites structures – Alternative[44] d’abord, puis Script Diffusion (coopérative de neuf éditeurs, dont La Pensée sauvage ou L’Atelier du Gué[45]), enfin Distique – qui ont la charge de nombreux petits éditeurs et ne peuvent être en relations suivies qu’avec un ensemble réduit de librairies. En outre, nombre de libraires se montrent encore réticents, voire hostiles, au début des années 1980, et tout particulièrement en province, à accepter de mettre en avant une « revue des homosexualités », si bien que le maillage territorial reste bien imparfait, tandis que les rentrées financières se font obligatoirement avec un retard plus ou moins prolongé. Dans cette configuration, la diffusion directe (essentiellement à Paris) et les abonnements deviennent vitaux, d’autant plus que la revue est vendue à un prix relativement faible (et que la marge, une fois payées imprimerie et commercialisation, est infime) : de 20 F initialement, il atteindra 60 F à l’automne 1984, alors qu’un roman de même pagination (144 pages d’abord, puis 192) coûte couramment de 40 à 70 ou 80 F entre 1981 et 1985. Quant à lui, le recours à la publicité, introduite dès le numéro 3, se révèle décevant à l’extrême, les annonceurs étant, à cette même période, eux aussi réticents devant la thématique homosexuelle, en dehors, bien sûr, des commerces spécialisés.

Produits à 3 000 exemplaires, les numéros de Masques se vendent toutefois bien les premières années puisque le tirage semble en avoir été pratiquement épuisé, et encore à 2 667 exemplaires pour le numéro 15 (automne 1982, dossier Fassbinder) ou à 2 272 pour le numéro 17 (printemps 1983, dossier Crevel), assurant à la revue un certain équilibre financier. Mais cette réussite reste provisoire et les numéros suivants vont manifester une tendance au repli qui ne cesse de s’accentuer pour atteindre seulement 952 exemplaires pour le numéro 24 (hiver 1984-85) dont le dossier est consacré à Mauriac, malgré de l’ordre de 300 abonnés, preuve que la revue peine désormais à attirer un lectorat[46]. Quelles sont les raisons de cette désaffection? Manque de renouvellement du concept éditorial? Contenu trop « sérieux »? Changement d’époque dû à la fois au sentiment que certains acquis ont été obtenus et que l’épidémie de sida doit mobiliser toutes les énergies? Désir de se brûler dans le consumérisme, les sorties et le spectaculaire superficiel? Fiction d’une véritable communauté LGBT hors des moments festifs ou de revendication? Quoi qu’il en soit, un dernier numéro trimestriel[47], recentré sur les questions politiques et significativement intitulé « Les années 1980 : mythe ou libération? », ne change pas la donne et ne permet pas de redresser une situation devenue critique.

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Couverture du n° 25-26 de Masques.

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L’équipe de Masques tente toutefois de réagir avec le passage à une parution mensuelle et à une ligne éditoriale infléchie, fruit de nombreux débats passionnés et de la volonté, affichée déjà dans le dernier numéro trimestriel[48], de « dépasser le ghetto communautaire[49] ». Le mensuel, résolument culturel, se tourne alors largement vers l’illustration, la photo, le cinéma et la chanson et ne craint pas à présent de consacrer ses couvertures à Catherine Deneuve ou à Barbara, ni de proposer un article sur Sheila. Une SARL de presse est créée et la distribution se voit confiée aux NMPP pour une large présence en kiosque. Les ventes, assez étonnamment, sont en partie au rendez-vous : le premier numéro, malgré un prix TTC de 35 F, s’écoule à 11 500 exemplaires, le cinquième et dernier, encore à plus de 8 000[50]. Mais le tirage est de 21 000 à 21 500 exemplaires pour les numéros 1 à 4, et de 23 500 pour le numéro 5, la mise en place en kiosque de 18 000, de sorte que les frais sur invendus (11 375 exemplaires pour le numéro 5[51]), joints à la commission des NMPP, ne permettent aucunement de trouver un équilibre financier, alors que la publicité reste rare, malgré quelques gestes amicaux, en provenance de la maison Yves Saint-Laurent – dirigée par Pierre Bergé – par exemple[52], et les abonnements insuffisants. Le déficit ne cesse dès lors de s’accroître au moment-même où la banque refuse tout nouveau découvert; la recherche de subventions, de mécènes ou même désormais, dans une tentative désespérée, d’actionnaires extérieurs, ne donne rien. C’est la fin, il faut se résoudre à tirer le rideau.

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Couverture du n° 3 (mars 1986) de Masques mensuel.

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Les éditions Persona, de leur côté, ne parviennent pas plus à assurer leur pérennité, malgré une première année flamboyante qui voit les quatre premiers titres, tirés à 3 000 exemplaires, être rapidement épuisés : outre Les Hommes au triangle rose, la réédition illustrée du Livre blanc de Jean Cocteau, la traduction de Bent, pièce de Martin Sherman alors jouée au théâtre de Paris, et celle du roman « maudit » de Gore Vidal, Un garçon près de la rivière. Les titres suivants, cependant, à l’exception notable du Luchino Visconti cinéaste et du Rapport gai, connaissent moins de succès, comme le montrent, en l’absence des archives comptables, disparues, les notes d’un cahier de compte-rendu en date de février 1985[53] : les ventes s’échelonnent généralement entre 1 500 et moins de 500 exemplaires. C’est nettement insuffisant avec un catalogue réduit, et d’autant plus que les frais de structure paraissent élevés : les fondateurs n’ont en effet pas hésité, à partir de 1983, outre à louer des locaux[54], à embaucher deux des trois actionnaires, Jean-Pierre Joecker à la direction éditoriale, et Jean-Marie Combettes à la gestion. Persona ne saura pas résister à l’absence de titre porteur en 1985.

Conclusion

Malgré cet échec relatif, la revue Masques et les éditions Persona, au même titre que Gai Pied, auront fortement marqué l’histoire de la presse et de l’édition LGBT en France, dont elles auront été des pionnières; elles ont contribué largement à la reconnaissance des sexualités « différentes » dans l’espace public, de même qu’à l’acceptation des structures commerciales issues de la communauté LGBT comme partenaires par les structures professionnelles : libraires, kiosquiers, distributeurs. Persona participe d’ailleurs au salon du Livre de Paris, qui se tient alors au Grand Palais, de 1983 à 1985. Cette banalisation a peut-être, moins paradoxalement qu’il n’y paraît, contribué à la disparition de ces structures, comme si le besoin d’organes de presse spécifiques d’origine militante se faisait moins sentir désormais, au profit de publications à caractère plus purement commercial dont les lignes directrices, à dominante « marketing », renverront essentiellement aux « modes de vie ». Au demeurant, Gai Pied, devenu Gai Pied Hebdo, a opéré ce tournant dès la crise interne que connaît le journal à l’été 1983, alors que les activités proprement communautaires et associatives vont se tourner de plus en plus vers des manifestations festives et la lutte contre le sida. De manière plus générale – on le sait bien –, les « années Mitterrand » sont marquées par une remise en question du militantisme politique et des idéologies qui se manifeste notamment, dans le domaine de la presse, par l’évolution du grand aîné, Libération : celui-ci ne s’ouvre-t-il pas à la publicité dès 1982, sa nouvelle ligne rédactionnelle précipitant le retrait de nombre de ses collaborateurs de la première heure?

D’autres revues LGBT, d’autres collections ou maisons d’édition ont certes suivi, d’autres formes d’expression que l’écrit ont pris le relai, de sorte qu’une nébuleuse s’est créée et que la culture LGBT s’est diffusée au-delà de ses contours communautaires et qu’elle se voit aujourd’hui reconnue et acceptée dans le monde démocratique jusqu’à – pour prendre un exemple très grand public – l’Eurovision[55], même si demeurent toujours comme menaces l’intolérance de certains (que l’on pense au mouvement « Sens commun » en France) et le fanatisme religieux, de quelque bord qu’il soit. Quoi qu’il en soit, les années 1980 tournent bel et bien une page dans l’histoire de l’homosexualité et de ses imprimés. Le rôle de ces derniers décroît désormais au profit d’autres formes de communication communautaire, au premier chef desquelles celles liées à l’essor d’Internet et des réseaux sociaux; leur lectorat s’amenuise, comme le montrent les mésaventures du magazine Têtu – pourtant soutenu financièrement durant des années par Pierre Bergé – et le militantisme se donne désormais de nouvelles modalités d’action.