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Les structures des entreprises ont évolué dans le temps afin de répondre aux défis de leur environnement. Trois périodes stratégiques importantes dans l’histoire des entreprises peuvent être distinguées. La première période est caractérisée par une forte internalisation des ressources donnant aux entreprises une certaine autonomie. La période suivante est celle de la sous-traitance dont l’objectif est de rendre les entreprises plus efficaces grâce à l’externalisation de certaines activités. La troisième période est celle que nous vivons actuellement où de plus en plus d’entreprises s’engagent dans de différentes formes de coopération. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que dans l’environnement économique actuel devenu plus complexe, les petites et moyennes entreprises doivent nouer des liens solides et durables avec d’autres organisations. La coopération devient ainsi un élément important de stratégie et d’organisation pour ces entreprises. Cette coopération implique une réorganisation plus souple des structures organisationnelles, plus précisément le développement des structures en réseau (Miles et Snow, 1986).

Les structures en réseau sont considérées par plusieurs auteurs comme de véritables instruments de politique économique en raison de leurs impacts positifs sur la performance des entreprises, la compétitivité et la croissance économique nationale (Rocha, 2004). En effet, on leur attribue plusieurs vertus telles que la flexibilité et la réactivité. Elles constituent un excellent vecteur de communication (Giard, 2000) et permettent l’accès aux savoir-faire externes indispensables à la réussite des entreprises (Weiss, 1994). Par ailleurs, les structures en réseaux sont perçues comme efficaces pour défendre et créer des emplois nationaux grâce à l’innovation, facteur clé du maintien et du développement de l’avantage concurrentiel.

Le succès des entreprises qui ont adopté les structures en réseau a engendré plusieurs recherches sur cette forme d’organisation ces trois dernières décennies. Cependant, la plupart des travaux ont tendance à se focaliser sur les grandes entreprises globales ou à forte dimension innovatrice des pays développés. Très peu d’études ont été faites sur les pays en développement particulièrement ceux en émergence où la structure en réseau est encore une nouveauté. De plus, bien que l’évaluation de la performance soit un facteur essentiel de succès des réseaux, la littérature sur le sujet reste limitée. Très peu des travaux ont tenu compte des réseaux en tant que processus et le résultat de ce processus dans leur analyse de la performance. Cet article tente de contribuer à la compréhension de cet aspect du sujet très peu abordé dans la littérature en analysant la relation entre le fonctionnement d’un réseau et sa performance. Il s’agit d’examiner, à partir d’une étude comparée de deux réseaux au Brésil, la façon dont les membres d’un réseau s’organisent pour mener une stratégie réseau et son incidence sur la performance.

Le réseau étant un concept polysémique, dans ce qui suit, nous nous attachons dans un premier temps à préciser les caractéristiques des réseaux en tant que forme d’organisation avant de faire un état des lieux des travaux sur les alliances auxquelles participent les petites entreprises. Le but est de souligner la contribution de ces travaux et surtout l’importance de cette recherche. Nous expliciterons par la suite notre méthodologie de recherche, pour terminer avec une présentation et une discussion des principaux résultats auxquels nous avons abouti.

Le réseau en tant que forme d’organisation

Les formes organisationnelles suivent les changements de l’environnement pour répondre aux incertitudes des marchés (Castells, 1996). Les structures en réseau ont pris naissance dans les années 1980, marquées par la turbulence dans l’environnement compétitif qui a eu de graves conséquences pour les entreprises (Miles et Snow, 1992). De nos jours, la structure en réseau est devenue un sujet à la mode dans les recherches scientifiques (Jarillo, 1988; Nohria, 1992) et fait de plus en plus partie des structures mises en oeuvre par des entreprises. Cependant, la définition du concept de réseau ne fait pas l’unanimité (Rorive, 2005). En sciences de gestion, il se réfère généralement au réseau d’entreprises qui est à la fois une forme d’organisation hybride et évoluée, car il réunit plusieurs éléments des formes organisationnelles traditionnelles tout en plaçant l’élément « coopération » au coeur de sa dynamique. En effet, le réseau d’entreprises est basé sur des relations interentreprises pour réaliser des actions collaboratives qui permettront d’échanger des informations, des technologies, des ressources financières, etc. Le réseau est une structure beaucoup plus flexible que les autres formes d’organisation. Il peut aussi être complexe; tout en maximisant les compétences clés, il permet de développer les ressources d’une façon beaucoup plus efficace que si elles étaient maintenues par une seule organisation (Miles et Snow, 1986). Selon Voisin et coll. (2004), les réseaux possèdent deux dimensions : interne et externe. La dimension interne se réfère aux relations intraentreprises, alors que la dimension externe renvoie aux relations interentreprises. En faisant également référence aux dimensions des réseaux, Scouarnec et Yanat (2000) indiquent qu’au niveau interne, les équipes multidisciplinaires travaillent ensemble pour accomplir un projet au sein de l’entreprise. Dans ce cas, le type de gestion des ressources humaines utilisé est celui basé sur la gestion des compétences. Ils mentionnent les dimensions externes comme étant une structure formée par des organisations juridiquement indépendantes où chaque membre cherche à développer ses compétences clés pour accomplir une partie d’un processus dans la chaîne de valeur. Ainsi, dans les deux cas, les compétences sont au coeur de l’approche. Toutefois, dans le premier cas, elles se concentrent sur les atouts possédés et mobilisés au sein de l’entreprise. Dans le second cas, elles se concentrent sur les ressources et les compétences possédées par les parties prenantes et mobilisées au sein du réseau. Notre recherche s’intéresse davantage aux relations interentreprises, c’est-à-dire à la dimension externe du réseau.

D’autres auteurs (Thorelli, 1986; Butera, 1991; Poulin, Montreuil et Gauvin, 1994) expliquent qu’un réseau est composé de quatre principaux éléments : les noeuds (il peut s’agir d’une personne, des entreprises, des institutions, des collectivités locales, etc.), les liens (ce sont les interactions au sein des noeuds), les relations (qui définissent les règles de coopération) et les flux (qui représentent l’écoulement des éléments entre les noeuds tangibles ou intangibles). Il s’agit d’une relation interactive où l’ensemble des noeuds est sensible aux contraintes de chacun des noeuds (Håkansson et Ford, 2002). Assens (2003) souligne trois principes permanents des réseaux, soit l’autonomie des noeuds, l’interdépendance des noeuds et l’éloignement des noeuds (ils sont séparés par des distances matérielles ou des distances immatérielles). Le positionnement de l’entreprise dans le réseau devient une question stratégique comme le positionnement de leurs produits sur le marché (Thorelli, 1986). En pratique, la mise en place d’un réseau dépendra de l’articulation des membres et de la manière dont ils s’entendent (Miles et Snow, 1986). Le réseau peut être étroit ou large, selon le nombre, l’intensité et le type d’interactions entre les membres (Thorelli, 1986). Bocquet et Mothe (2009) ont souligné les deux éléments essentiels à la dynamique des réseaux : la coopération et la concurrence. La coopération s’inscrit dans une approche d’adéquation technique et de transfert de ressources, alors que la compétition révèle que les entreprises membres sont en concurrence compte tenu du fait qu’elles appartiennent au même secteur. Par ailleurs, Voisin et coll. (2004) indiquent que la taille du réseau a une influence déterminante dans la réussite de celui-ci. Ils mentionnent que plus un réseau est étendu en termes de participants, moins ils coopèrent. Dans cette logique, un réseau complexe[1] ne coopère pas, ou du moins, pas suffisamment. Toutefois, nous pensons que le nombre des parties prenantes d’un réseau n’explique pas forcément une faible coopération. La réussite du réseau dépendra en partie de la qualité des parties prenantes, mais aussi de la capacité des noeuds à collaborer (Geniaux et Mira-Bonnardel, 2003).

Revue de la littérature

Pour prospérer, les petites entreprises sont souvent amenées à développer des relations avec des organisations extérieures qui ont le potentiel d’aider à leur développement, leur croissance ou leur survie. Comme le mentionnent si bien Street et Cameron (2007), très peu de personnes ne seraient pas d’accord aujourd’hui sur le fait que la formation des alliances interentreprises est une stratégie importante pour le développement des petites entreprises. Avec les avantages reconnus de ces alliances, on note une abondance de recherches concernant ces formes d’organisation. En ce qui concerne les petites entreprises, plusieurs recherches se sont interessées aux raisons poussant ces entreprises à établir des réseaux (Street et Cameron, 2007). Il existe plusieurs types de réseaux et différentes motivations à en faire partie (Carrier, Julien, et Menvielle, 2006; Van Gils et Zwart, 2009). Le genre et l’ethnie de l’entrepreneur ou du gestionnaire peuvent avoir une influence sur le nombre et le type de réseaux auxquels l’entreprise voudrait appartenir. Blisson et Rana (2001) ont, par exemple, constaté que les entrepreneures asiatiques voient leur sexe, leur culture et leur manque de confiance en soi comme des obstacles à appartenir à des réseaux formels. Au-delà de ces facteurs, les caractéristiques personnelles comme l’inclination de l’entrepreneur à créer et à maintenir des contacts interpersonnels (BarNir et Smith, 2002), l’orientation entrepreneuriale et collectiviste ou individualiste des décideurs clés (Weaver, Dickson, et Gibson, 1997), ainsi que la volonté du gestionnaire d’apprendre (Beecham et Cordey-Hayes, 1998) peuvent avoir un impact sur la décision des petites entreprises à s’engager dans un réseau d’entreprises. D’autres recherches ont examiné la relation entre l’environnement des petites entreprises et leur disposition à former des alliances interentreprises. Ces facteurs ont été notamment mis en valeur dans les travaux de Masurel (1996) et de Weaver, Dickson, et Gibson (1997). Van Gils et Zwart (2009) notent cependant que la formation d’une alliance est le résultat de la combinaison de tous ces facteurs et qu’aucun d’eux ne devrait être étudié de façon isolée.

Selon Premaratne (2001) et Chen (1999), le système de réseau est pour les petites entreprises un moyen de compenser leur manque de ressources ou de trouver une nouvelle source de ressources. Il constitue également un moyen d’obtenir des informations (Brown et Butler 1993; Ostgaard et Birley, 1996). Par conséquent, il n’est pas surprenant que l’accès aux ressources soit discuté dans la littérature (Street et Cameron, 2007). Les travaux qui se sont intéressés à cet aspect du sujet ont montré que les petites entreprises sont plus enclines à participer à un réseau afin d’obtenir des ressources dont elles ont besoin, mais dont elles ne disposent pas (Ahuja, 2000; Buick, Halcro et Lynch, 1998; Atkins et Lowe, 1994; Shan, 1990). Cependant, cette possibilité est conditionnée par la disponibilité des ressources appropriées à échanger. En effet, l’attractivité d’une entreprise dépend de ce qu’elle peut fournir à ses partenaires (Ahuja, 2000). Les entreprises seront plus disposées à participer à une coopération si elle leur permet d’accéder à des ressources qu’elles ne peuvent pas obtenir aisément sur le marché. Dans le même sens, Kelley et Rice (2002), Venkataraman et coll. (1990), ainsi que Eisenhardt et Schoonhoven (1996) ont identifié les ressources spécifiques à l’entreprise comme un avantage pour les nouvelles entreprises en quête de relations extérieures. Ces ressources peuvent être, entre autres, du capital financier, des installations des recherches et de développement (Premaratne, 2001), des références, des contacts de même que du support social (Stuart, Hoang et Hybels, 1999; Coviello et Munro, 1995).

Un autre pan de recherches sur les pratiques des alliances dans les petites entreprises porte sur les conditions et les facteurs de succès du partenariat (Kelley et Rice, 2002; Holmlund et Kock, 1996; Jones, 1996; Dubost, 1996; Larue de Tournemine, 1994; Darréon et Faiçal, 1993; Larson, 1991; Lorenzoni et Ornati, 1988). Larson (1991), par exemple, a examiné les conditions de formation de réseaux de partenariat réussis. Il a constaté que le choix des partenaires est un facteur clé de succès. Une entreprise désirant participer à un réseau doit identifier les partenaires potentiels et les évaluer sur leur potentiel à lui fournir des ressources clés. Dans ce sens, Kelley et Rice (2002) ont noté que les entreprises qui ont un fort portefeuille technologique sont peu portées à s’engager dans les alliances parce que cela peut réduire leur contrôle sur la technologie qui leur donne un avantage compétitif. Ces entreprises pourraient choisir de créer et de renforcer leurs propres connaissances techniques en internalisant leurs activités plutôt que d’appartenir à une alliance. Toutefois, Larson (1991) a noté que les réseaux d’entreprises peuvent donner aux petites entreprises les avantages de l’internalisation tout en évitant l’inefficacité bureaucratique de cette pratique.

Les alliances ou les réseaux sont censés contribuer à la performance et la croissance des petites entreprises (Havnes et Senneseth, 2001; Larson, 1991). Plusieurs études ont tenté de vérifier cette hypothèse. Les résultats de certaines de ces études ont été concluants. C’est le cas, par exemple, des travaux de Brown et Butler (1995), de Bryson, Keeble et Wood (1997), de Premaratne (2001) et de Chen (1999) qui ont conclu un impact positif du système réseau sur la performance des petites entreprises. Chaston (2000) a aussi observé que les entreprises à forte croissance ont tendance à participer à un réseau. Dickson et Hadjimanolis (1998) ont par ailleurs conclu que le système de réseau accroît l’innovation et que celle-ci semble avoir une corrélation avec la performance des petites entreprises. Cependant, si Golden et Dollinger (1993) admettent que plusieurs entreprises utilisent des stratégies coopératives, ils indiquent qu’il n’existe pas une relation claire entre ces stratégies et la performance des entreprises. Les travaux de Havnes et Senneseth (2001) ont abouti à une conclusion similaire.

Il ressort de cette revue de la littérature qu’il existe un grand intérêt pour l’étude des alliances et des réseaux d’entreprises. Bien que les chercheurs et les praticiens considèrent les réseaux comme une pratique nécessaire pour les petites entreprises, son impact sur la performance de ces entreprises est diversement partagé. L’explication de ces conclusions contrastées peut se trouver non seulement dans la difficulté de définir la performance, mais aussi dans l’absence d’un outil commun de mesure de cette performance. En effet, certains auteurs ont mesuré la performance par les ventes, la part de marché, le nombre d’employés (Premaratne, 2001; Havnes et Senneseth, 2001; Brown et Butler, 1995; Kai ming Au et Enderwick, 1994; Dollinger et Golden, 1992), la marge bénéficiaire nette (Golden et Dollinger, 1993), la réduction des coûts (Chen, 1999; Ballantine, Ceveland et Koeller, 1992), le volume d’échanges entre les partenaires (Mohr et Spekman, 1994; Dumoulin, Meschi et Uhlig, 2000), ainsi que l’augmentation de l’innovation et de la valeur ajoutée (Chaston, 2000; Dickson et Hadjimanolis 1998; Monsted, 1994). D’autres ont utilisé des indicateurs subjectifs comme la satisfaction des partenaires (Mohr et Spekman, 1994; Dumoulin, Meschi et Uhlig, 2000). Par ailleurs, peu d’outils proposés dans la littérature prennent en compte la dynamique propre aux réseaux d’entreprises. Cet article propose un cadre théorique qui tient compte de cette caractéristique et examine la performance comme le résultat d’un processus. Dans cette perspective, le réseau d’entreprises est à la fois le résultat, donc la performance, et le processus qui mène à ce résultat.

Cadre théorique : le fonctionnement et la performance des réseaux d’entreprises

La mesure de la performance est nécessaire pour identifier et situer les membres d’un réseau d’entreprises par rapport aux résultats obtenus grâce à ce réseau. Si le fait de participer au réseau n’apporte rien aux entreprises, le réseau perd sa raison d’exister. Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente, dans la littérature, des outils objectifs (Chen, 1999; Kai ming Au et Enderwick, 1994; Ballantine, Ceveland et Koeller, 1992; Mohr et Spekman, 1994; Dumoulin, Meschi et Uhlig, 2000) et subjectifs (Bocquet et Motthe, 2009; Palakshappa et Gordon, 2006; Jiang, Li et Gao, 2008; Laitinen, 2002; Van Hoek, 2001; Cravens et coll. 2000; Chaston, 2000; Dickson et Hadjimanolis 1998) ont été utilisés pour mesurer la performance des réseaux d’entreprises. Les deux types de mesures sont importants. Cependant, Cravens et coll. (2000) notent que la mesure de la performance du réseau d’entreprises dépend du contexte et du niveau d’analyse de chaque étude. En tenant compte de notre objectif de recherche, nous avons proposé un cadre théorique (Figure 1) qui se repose sur la conceptualisation du fonctionnement des réseaux qui s’articule autour des attentes des acteurs qui veulent s’engager (Doz, 1996; Stuart et McCutcheon, 1996; Ariño & Doz, 2000; Bercovitz, Jap et Nickrson, 2006; Stuart, 1997; Gamal, 2002). Ces acteurs choisissent ensuite les partenaires avec lesquels ils commencent à échanger des connaissances (Medcof, 1997; Das et Teng, 1999; Dyer et Singh, 2001; Iyer, 2002; Emden, Calantone et Droge, 2006; Bierly et Gallagher, 2007; Li et Liao, 2007; Li, Eden, Hitt et Ireland, 2008; Contractor et Ra, 2002; Inkpen et Tsang, 2005; Heimeriks et Duysters, 2007), élément essentiel du fonctionnement de tout réseau. Une évaluation permanente se conduit par chaque acteur pour justifier son appartenance au réseau (Cravens, Piercy et Cravens, 2000; Sarkar, Echambadi et Harrison, 2001; Ariño, 2003; Palakshappa et Gordon, 2006). Dans cette dynamique d’ensemble des relations conduisant à la performance globale des réseaux, les institutions jouent un rôle potentiellement important (Suzigan, Garcia et Furtado, 2002; Villela, Fandino, Segre et Nascimento, 2004). Les exemples des clusters aux États-Unis ainsi que des pôles de développement en France démontrent très bien l’importance du rôle des institutions dans le fonctionnement des réseaux. Il faudrait également noter que les institutions ont fréquemment joué un rôle très important dans le développement économique des pays, surtout ceux en émergence.

Figure 1

Processus de fonctionnement des réseaux d’entreprises

Processus de fonctionnement des réseaux d’entreprises

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Comme on pourrait le constater, beaucoup d’auteurs se sont intéressés à un ou plusieurs des volets de notre cadre théorique. Cependant, aucun n’a proposé une approche intégrée qui prend en compte tous les stades de développement d’un réseau, de sa conception à l’évaluation de sa performance.

Le rôle des institutions

Malinowski (1945) définit une institution comme un groupe de personnes unies pour la poursuite d’une activité simple ou complexe. Dans cet article, une institution est considérée comme une organisation qui sert les intérêts publics, plutôt que des intérêts simplement privés, et cela de façon ordonnée et durable (Broom et Selznick, 1955). Au Brésil, les institutions jouent un rôle très important dans le développement de l’économie, et particulièrement dans les actions de formation. En apportant leur aide aux réseaux d’entreprises, elles légitiment leurs actions et leur existence (Villela, Fandino, Segre et Nascimento, 2004). Par ailleurs, les petites entreprises brésiliennes sont caractérisées par une absence de compétences managériales (Villela, Fandino, Segre et Nascimento, 2004). Dans ce contexte, les institutions jouent un rôle stratégique dans le développement des activités des réseaux d’entreprises, car ce sont elles qui réalisent l’articulation des acteurs ainsi que les formations, et s’assurent de la dissémination de la connaissance dans les réseaux. Selon Suzigan et coll. (2002) ainsi que Villela et coll. (2004), elles jouent un rôle de « catalyseur » du processus productif local à travers l’élévation de la compétitivité et la promotion du réseau. La non-participation des institutions peut freiner le développement des réseaux au Brésil.

Attentes des acteurs

Les attentes sont présentes dans les relations d’affaires, car il existe toujours un objectif à atteindre. Elles sont encore plus présentes lorsque les entreprises collaborent entre elles. Toutefois, ces entreprises ne peuvent pas contrôler la suite des comportements des partenaires qui peuvent affecter négativement l’alliance. Dans ce cas, les auteurs (Doz, 1996; Stuart et McCutcheon, 1996; Ariño et Doz, 2000; Bercovitz et coll, 2006) soulignent l’importance d’une cohérence entre les attentes des acteurs et les résultats intermédiaires ou finaux attendus par les membres du réseau. Si les attentes de départ n’ont pas été comblées, une nouvelle stratégie doit se mettre en place dans un processus continu d’apprentissage, de réévaluation et de réajustement. Stuart (1997) met l’accent sur la relation entre l’intensité des attentes et la réussite du réseau. Selon lui, plus les attentes sont faibles au départ, plus il existe de chances de les dépasser et ainsi, de faire évoluer l’alliance. D’autres auteurs soulignent la confiance comme une forme d’attente (Hutt et coll. 2000) tout en notant l’importance de la mise en place d’un instrument formel pour suivre son évolution au fil du temps (Gamal, 2002). Nous pouvons déduire de tout ce qui précède qu’un écart entre les attentes des acteurs et les résultats de l’activité en réseau a une influence directe sur la performance d’un réseau.

Sélection des partenaires

Lorsqu’il existe des attentes pour développer un réseau performant, une des conditions préalables est de choisir un bon partenaire. En effet, le choix d’un bon partenaire assure l’apport et la circulation des ressources tangibles et intangibles dans le réseau. Par ailleurs, la synergie n’aura lieu que s’il existe une harmonie entre les membres du réseau. Pour sélectionner les partenaires, les entreprises entreprennent une démarche importante avec des critères à considérer dans la réalisation des alliances (Beckman, Haunschild, et Phillips, 2004; Das et He; 2006; Sha et Che, 2006; Bierly et Gallagher, 2007). La littérature sur la sélection des partenaires montre l’existence d’un nombre important de critères. Medcof (1997) a identifié cinq critères traditionnels dans une démarche de sélection de partenaires : une stratégie ajustée, la capacité du partenaire, la compatibilité du partenaire, l’engagement du partenaire qui repose sur la coopération des membres ainsi que le régime de contrôle ou de pilotage. Il souligne que ces critères tendent à considérer un seul partenaire à la fois. Néanmoins, il propose de mettre l’accent sur les stratégies réseau à long terme (positionnement et apprentissage) et sur les questionnements, lorsqu’il y a plusieurs partenaires potentiels.

Das et Teng (1999) ainsi que Jiang et coll. (2008) ont mis un accent sur la complémentarité des ressources, la réputation et les liens antérieurs comme facteurs à considérer pour la sélection des partenaires. Selon Das et Teng (1999), les risques pour la sélection des partenaires consistent dans le fait de trouver une adéquation entre les ressources (la mesure à partir de laquelle les partenaires possèdent les ressources capables de créer de la valeur) et la stratégie (degré de compatibilité des objectifs de l’alliance) des entreprises partenaires. Toutefois, compte tenu du fait que les alliances évoluent et que les conditions initiales des partenaires et les motivations changent, il devient impératif de repenser l’apprentissage et de réajuster les priorités (Iyer, 2002).

Li et coll. (2008), de leur coté, ont indiqué que pour réaliser une alliance, une entreprise peut choisir trois types de partenaires potentiels en fonction de leurs expériences d’alliances précédentes, soit les amis, les connaissances et les inconnus. Les amis sont les partenaires potentiels pour une alliance à travers laquelle l’entreprise a mis au point la confiance par l’intermédiaire des multiples interactions précédentes. Les connaissances sont les partenaires potentiels des entreprises qui se connaissent par le biais des interactions précédentes, mais qui présentent de faibles liens de confiance. Le peu d’interaction menée auparavant laisse peu probable un rendement solide basé sur la confiance. Enfin, un inconnu est un partenaire potentiel qui est inconnu des autres entreprises. Par conséquent, la confiance entre les inconnus est faible. Dans ce cas, le choix des partenaires implique de choisir celui qui présente le plus haut degré de confiance. En réalité, le but est de réduire les asymétries d’informations et les risques d’opportunisme.

En somme, la majorité des auteurs soulignent la prise en compte des critères de sélection plutôt subjectifs comme le régime de contrôle (Medcof, 1997), les risques (Das et Teng, 1999; Li et Liao, 2007), les outils de sélection (Dyer et Singh, 2001), les liens précédents (Jiang, Li, et Gao, 2008), l’adéquation et la complémentarité des ressources (Das et Teng, 1999; Jiang, Li, et Gao, 2008), la réputation des acteurs (Iyer, 2002; Jiang, Li, et Gao, 2008), les motivations correspondantes (Das et He, 2006) et la confiance (Bierly et Gallagher, 2007; Li et coll., 2008).

Transfert de connaissances

Les alliances interentreprises se forment dans le but d’accéder à d’autres compétences techniques et capacités technologiques. Inkpen (1998) souligne que la structure formelle des alliances crée un laboratoire pour l’apprentissage. Les alliances possèdent un avantage par rapport aux contrats conventionnels, car les capacités technologiques sont souvent fondées sur la connaissance tacite, ce qui conduit à une certaine incertitude concernant leurs caractéristiques et leurs performances. Ces caractéristiques sont difficiles à rédiger dans un simple contrat. Selon Doz (1996), ce cycle d’apprentissage permet aux partenaires de modifier les conditions initiales et d’adapter leurs alliances afin de les rendre plus efficaces à l’avenir.

Contractor et Ra (2002) étudient la relation entre les attributs de la connaissance des entreprises et le mode de gouvernance des alliances. Selon ces auteurs, le choix du type d’alliance se fait en partie par les attributs ou les caractéristiques de la connaissance qui doit être partagée par les membres du réseau. Plus les entreprises ont besoin de partager des connaissances, plus elles doivent faire attentions au choix du type de partenariat afin de préserver leurs propriétés intellectuelles. Selon Contractor et Ra (2002), les quatre principaux attributs de la connaissance sont : la codification, la nouveauté, la complexité et la capacité d’être transmise. Inkpen et Tsang (2005) étudient les connaissances acquises par les membres d’un réseau grâce à leur participation à un réseau de partage de connaissances. Ils affirment que le capital social des parties prenantes d’un réseau joue un rôle crucial dans les échanges et dans le transfert de connaissances au sein du réseau. Pour faciliter le processus de transfert de connaissances, Heimeriks et Duysters (2007) suggèrent un processus itératif en cinq phases : l’expérience de l’alliance, les mécanismes d’apprentissage, les routines, les capacités organisationnelles et la performance. Selon eux, l’expérience des entreprises exerce un effet direct et positif sur la performance des réseaux. Heimeriks et Duysters (2007) soulignent que les capacités de l’alliance sont expliquées par l’expérience, qui exerce également une influence positive sur la performance globale. Ils démontrent ainsi l’existence d’une relation entre l’expérience des entreprises dans une alliance (les leçons et le savoir-faire acquis par l’intermédiaire d’alliances précédentes), leurs capacités (un ordre supérieur de ressources difficiles à obtenir ou à imiter qui possèdent un potentiel pour améliorer la performance des entreprises, parties prenantes) et la performance.

Inkpen et Tsang (2005) soulignent les différentes façons de réaliser le transfert de connaissances interentreprises, soit par des facteurs internes comme la capacité des entreprises (Heimeriks et Duysters, 2007; Contractor et Ra, 2002), soit par des facteurs externes issus du réseau social des dirigeants (Inkpen et Tsang, 2005). Tous les auteurs soulignent l’importance du transfert de connaissances comme étant un facteur essentiel pour la réussite du réseau. Toutefois, l’intensité du transfert variera selon le type d’alliance établie par les membres. Nous avons remarqué que dans la plupart des travaux, les auteurs ne soulignent pas assez l’importance d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Defélix et coll. (1997) définissent la GPEC comme la conception et la mise en oeuvre d’actions préventives permettant d’anticiper les problèmes d’ajustements quantitatifs et qualitatifs de l’emploi et des compétences, à la fois sur les plans individuel et collectif, et face à des contraintes internes et externes. La GPEC est une pratique utilisée plutôt au niveau interne de l’entreprise. Cependant, elle peut également être mise en oeuvre au sein des réseaux d’entreprises. Cette pratique nous semble pertinente à prendre en compte afin d’assurer le transfert de connaissances. Par ailleurs, la littérature est plutôt concentrée sur les échanges dans les réseaux de haute technologie (Mowery, Oxley et Silverman, 1996; Pyka, 2000; Emden, Calantone et Droge, 2006; Knudsen, 2007, etc.). Dans le contexte des réseaux d’entreprises utilisant peu de technologie, les recherches sont très limitées. Dans ces conditions, nous avons retenu cinq facteurs qui nous paraissent importants de considérer en ce qui concerne le transfert de connaissances : définition des tâches (Doz, 1996), routines des partenaires (Doz, 1996; Heimeriks et Duysters, 2007), design d’interfaces (Doz, 1996), type de connaissances échangées (Contractor et Ra, 2002), capital social (Inkpen et Tsang, 2005), ainsi que la gestion prévisionnelle d’emplois et de compétences (Defelix, Dubois et Retour, 1997). Compte tenu de l’émergence des réseaux étudiés, nous avons retenu trois éléments de caractère « pratique », mais aussi un élément plus intangible, le capital social des dirigeants.

Méthodologie de la recherche

Le choix méthodologique d’une recherche doit être réalisé en cohérence avec l’objectif de l’étude (Strauss et Corbin, 2004). À cet effet, nous avons utilisé la méthode qualitative basée sur l’étude de cas (Yin, 2003) multiples. Selon Schramm repris par Yin (2003), l’étude de cas est une tentative d’éclairer une décision ou un ensemble de décisions. Elle a pour objectif d’expliquer des situations réelles qui sont assez complexes pour être expliquées par d’autres méthodes. Nous avons choisi cette méthode de recherche à cause de la flexibilité qu’elle donne au chercheur, de partir d’un contexte descriptif pour s’engager dans une approche interprétative au fur et à mesure de l’avancement des investigations (Padua, 2004).

Notre objet d’étude est constitué de deux réseaux d’entreprises concurrentes présentes dans la même chaîne de valeur. Ces deux réseaux sont situés dans le nord-est (Nordeste) du Brésil. Plusieurs raisons ont motivé le choix de notre objet et le terrain d’étude. Bien que les réseaux d’entreprises deviennent de plus en populaires, ce phénomène de regroupement est encore en phase embryonnaire dans les pays émergents comme le Brésil, qui doit être compétitif dans le marché globalisé. Les petites entreprises y jouent un rôle très important dans le développement social et économique. Cependant, la majorité d’elles se déclarent en faillite au cours de la première année d’activités dû à l’inaccessibilité aux prêts financiers, au manque d’expérience pour exporter et aux problèmes de gestion. Par ailleurs, au Brésil, l’industrie du coton est un secteur économique et social très important, surtout pour les petites entreprises. Les deux réseaux choisis dans le cadre de cette recherche sont constitués de petites entreprises du secteur textile de vêtements, accessoires et d’articles de décoration à base de coton coloré. Ces réseaux se sont formés grâce à la création d’une niche de marché des produits écologiques de coton naturellement coloré. Au Brésil, ils sont les seuls à réaliser cette activité.

Cas 1 - Réseau 1 : le réseau de Campina Grande

Le réseau de Campina Grande s’est formé avec l’objectif, d’une part, d’aider les très petites entreprises (TPE) locales de confection de vêtements à devenir plus compétitives sur le marché en fabriquant des produits de qualité et, d’autre part, de permettre aux paysans ainsi qu’aux artisans de mieux vivre de leur travail. Il est formé par la coopérative de produits textiles (Coopenatural), le Sebrae[2], le Senai[3], la Fiep[4], l’Amde[5], la Cinep[6], Sindivest[7], l’Embrapa[8], l’Emater[9] et vingt-deux groupes ou associations d’artisans (broderies). La coopérative est constituée de trente associés, dont des entreprises, des producteurs de coton et des consultants, sous la forme juridique de coopérative de production de produits textiles de coton coloré. Ce réseau est composé également de quatre organismes à but non lucratif qui ont la responsabilité d’organiser les petits paysans et de les aider dans les négociations avec la coopérative Coopenatural. Deux entreprises de taille moyenne et une entreprise de petite taille, qui réalisent la filature et le tissage du coton, font également partie de ce réseau. Environ sept cents personnes y sont impliquées.

La stratégie du réseau est centrée sur la qualité des produits, la formation des employés, ainsi que l’acquisition de labels écologiques et sociaux pour accéder au marché international. En effet, depuis 2006, le réseau de Campina Grande s’est lancé dans une stratégie de produits biologiques et certifiés. L’idée de la coopérative est de développer une association d’agriculture biodynamique[10] avec les petits paysans. Pour cela les entreprises se sont mises aux normes afin de pouvoir exploiter le coton coloré naturel et biologique. Il s’agit d’une nouvelle expérience, la coopérative ayant commencé la culture de ce type de coton sur ses propres terrains avec l’aide de l’Embrapa, qui réalisait ses tests dans l’agriculture bio pour ce produit. De bons résultats ayant été obtenus, la coopérative a cherché des organismes à but non lucratif pour regrouper les paysans et les former, afin qu’ils développent aussi une agriculture bio. Cette stratégie a rapproché encore davantage les acteurs, parce qu’il s’agit d’un processus nouveau qui demande beaucoup de formation sur toute la chaîne de valeur. En 2008, la coopérative possédait seulement 30 % de la production à partir du coton coloré naturel et biologique. En contrepartie, 70 % de la production s’est faite avec le coton coloré naturel, mais non certifié, qui porte le label « Écosocial », car il est produit par de petits paysans. Le but sera d’avoir une production à 100 % biologique dans deux ans, et de concrétiser également le processus du franchisage Natural Fashion, qui est en phase de conclusion.

Cas 2 - Réseau 2 : le réseau de João Pessoa

En 2005, l’intérêt pour le coton coloré s’est présenté aux entreprises situées à João Pessoa. Les entreprises se sont lancées dans l’exploitation du coton coloré avec pour objectif de saisir une opportunité de marché. Le réseau de João Pessoa est un réseau émergent. Selon Pommier (2002), un réseau émergent est une organisation qui n’est pas encore structurée, mais dont les acteurs développent un comportement collaboratif. Le Sebrae a regroupé les entreprises de confection à travers un projet visant à augmenter la compétitivité et la qualité des produits du secteur textile et de l’habillement. Ce projet offre des formations managériales (ventes, finances, marketing, etc.) pour améliorer la gestion interne des petites entreprises lui appartenant. Le réseau reste encore informel et ne possède pas de statut juridique. Le seul contrat existant se fait avec le Sebrae, qui offre des formations financées par les entreprises, le Sebrae et d’autres institutions (comme la banque du Brésil). Il n’en reste pas moins que les 14 entreprises qui produisent le coton coloré et qui font partie du projet du Sebrae participent aux réunions et forment des groupes pour exposer les produits dans les foires régionales et nationales. Les entreprises du réseau planifient, pour la fin de l’année 2009, l’ouverture d’un centre logistique pour la production et la vente de produits du coton coloré avec de nouveaux produits, comme les vêtements, en plus de la gamme de sacs, chaussures et produits de décoration. L’objectif majeur est de former des personnes et d’acquérir un entrepôt avec l’aide de la municipalité. Les institutions mettent l’accent sur le manque de culture coopérative dans la région qui provoque un retard dans tout projet demandant un engagement global des parties prenantes. Le but est également de « formaliser » les entreprises qui n’appartiennent pas au projet du Sebrae, mais qui sont informellement sur le marché. Les tableaux 1 et 2 présentent les caractéristiques et la composition des deux réseaux étudiés.

Tableau 1

Caractéristiques des réseaux étudiés

Caractéristiques des réseaux étudiés

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Tableau 2

Composition des réseaux

Composition des réseaux

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Collecte de données et échantillonnage

Nous avons effectué deux séjours de recherche au Brésil, auprès des acteurs des réseaux du coton coloré dans l’État de Paraíba. Le premier séjour de recherche de deux mois avait un caractère exploratoire. Selon Colbert[11], le chercheur utilise cette méthode quand il ne possède pas ou très peu d’informations préalables sur le sujet. Dans notre cas, la finalité de cette méthode a été de nous aider à définir notre problématique de recherche. Le second séjour de recherche a été effectué sur une période de trois mois, et nous nous sommes présentés sur le terrain avec un questionnaire élaboré en accord avec nos objectifs de recherche. Ce questionnaire présentait 6 thématiques (les attentes des acteurs, le réseau et le processus partenarial, le transfert de connaissances, l’évaluation de la performance, les institutions et la performance) et contenait 39 questions fermées et 12 questions ouvertes. La collecte des données a été complétée par d’autres documents internes et propres aux réseaux, ainsi que par des informations de presse que nous avons pu collecter sur place. Pendant cette phase, nous nous sommes assurés de l’exhaustivité des informations recueillies.

Le choix des répondants est basé sur l’implication directe de chaque catégorie d’acteurs dans les réseaux. La liste des acteurs nous a été fournie par le Sebrae, l’organisme d’appui aux entreprises qui « gère » l’ensemble des acteurs impliqués dans chacun des réseaux étudiés (Tableau 3). Chaque entretien a duré environ une heure. Dans quelques cas, cela a pris plus de deux heures compte tenu de la disponibilité des répondants.

Tableau 3

Profil des répondants

Profil des répondants

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L’analyse des données a été faite à l’aide du logiciel NVIVO 8. Les entretiens enregistrés ont été transcrits et codés. Dans le processus d’analyse des recherches qualitatives, l’attribution de codes aux données recueillies est une étape fondamentale, parce que l’affectation de codes permet d’organiser et de guider les données qui vont être analysées (Miles et Huberman, 2003). Afin de réduire les biais dans l’analyse des données, le codage a été fait sous la forme de « double codage ». La fiabilité des résultats a été vérifiée selon la formule suivante proposée par (Miles et Huberman, 2003) : Fiabilité = nombre d’accords/(nombre d’accords + désaccords). En utilisant cette formule, le résultat global de notre codage est de 93 % de fiabilité. Selon Miles et Huberman (2003), cette démarche est considérée comme un résultat acceptable lorsqu’elle présente 70 % de fiabilité. Les arguments ont été codés en fonction du modèle conçu pour représenter le processus de fonctionnement des réseaux : les attentes des acteurs, le processus partenarial, le transfert de connaissances et les rôles des institutions. En ce qui concerne la performance, nous avons considéré les arguments qui portent sur la définition ou la perception de la performance, les outils d’évaluation de la performance et les apports du réseau sur la performance des entreprises.

Discussion générale des résultats

Afin de répondre à l’objectif de cette recherche, qui est d’examiner la relation entre le fonctionnement d’un réseau et sa performance, nous avons présenté la discussion générale des résultats sous forme d’analyse des différences entre les deux réseaux étudiés. Nous allons suivre le même ordre utilisé dans le cadre théorique pour mener cette comparaison des réseaux : le rôle des institutions, les attentes des acteurs, le processus partenarial, le transfert de connaissances et la performance.

Le rôle des institutions

La littérature souligne l’importance des institutions pour l’incitation des activités économiques (Hitt et coll., 2004; Aidis et coll., 2008). Les résultats de notre enquête confirment cette importance. En effet, le rôle des institutions a été constaté comme étant un facteur déterminant pour la création, le développement, le soutien et la gestion des deux réseaux. Dans les deux cas étudiés, les réseaux ont été créés à l’initiative des institutions. Cependant, le réseau de Campina Grande a profité davantage des ressources des institutions. L’une des explications de cette situation pourrait être le fait que ce réseau est formel et lié à un nombre plus important d’institutions que celui de João Pessoa. Aussi, l’échange des ressources se fait d’une façon structurée, basée sur des projets et une demande de financement auprès de différents partenaires liés aux institutions. Dans le cas du réseau de João Pessoa, il s’agit d’un ensemble d’entreprises qui n’ont pas de réseau formel, malgré l’incitation des institutions. Ainsi, ce réseau d’entreprises n’a pas de projets qui lui sont propres. Les entreprises s’insèrent dans des projets plus généraux du secteur textile au lieu d’avoir un projet spécifique pour les entreprises qui travaillent avec le coton coloré uniquement. Dans ce cas, les institutions ne peuvent pas répondre aux besoins propres aux entreprises de la branche textile écologique, le coton coloré.

L’ensemble de compétences mises à sa disposition du réseau de Campina Grande par les institutions lui permet d’exécuter les différentes tâches propres à ses activités. À ce propos, un répondant fait remarquer que « l’engagement des institutions a été l’agent déclencheur de la formation et de l’assistance du réseau de Campina Grande », « chaque institution est très engagée avec le projet ». Un autre répondant a affirmé : « Je trouve intéressant l’engagement des institutions au réseau, elles ont une structure formidable et nous permettent également de diffuser le coton coloré. C’est un grand avantage pour le secteur ». Certains répondants ont attribué les bons résultats du réseau aux bonnes relations existantes entre les institutions et les entreprises. Selon ceux-ci, les relations entre les membres du réseau sont globalement très bonnes grâce à l’interdépendance nécessaire au développement de l’activité. « Il existe un degré d’interdépendance très élevé entre les acteurs ». (…) « Il existe une relation de coopération, de croissance mutuelle où nous tous cherchons la croissance de la chaine de valeur d’une manière durable ». La bonne acceptation des produits écologiques sur le marché soutient l’interdépendance et la pérennité du réseau. « Je peux dire qu’aujourd’hui le réseau se trouve bien uni et avec la possibilité de devenir plus fort encore, si on considère aussi la demande du marché ».

La Coopérative, le Sebrae et l’Embrapa sont le plus souvent cités par les répondants comme jouant un rôle très important dans le réseau. Dans le cas de la coopérative, les répondants ont mis l’accent sur les compétences et l’influence de la directrice de la coopérative dans le milieu local. « La présence de la directrice est très forte ». Un autre répondant a souligné que le réseau a réussi parce qu’il s’agit d’une question de vision de la directrice de la coopérative. Il a affirmé qu’« une autre coopérative pourrait se former comme celle qui existe déjà, mais avec un autre objectif, car le coton biologique est un “entêtement” de la directrice de la coopérative. Elle a dû cultiver le coton coloré biologique dans sa propriété pour démontrer aux gens sa viabilité ». L’analyse du rôle des institutions révèle également que le capital social de la directrice de la coopérative facilite l’engagement des autres institutions. À ce propos un répondant explique : « Dans ma tête, la coopérative joue un rôle central. Je pense que la coopérative centralise les actions parce que pour contrôler une chaîne de valeur de produits biologiques, il faut le contrôle ». Les répondants ont également mis l’accent sur le rôle que la directrice de la coopérative joue dans la gestion du réseau avec le Sebrae. Ils considèrent que la liaison existante entre la coopérative et les différents acteurs est une des raisons pour le développement du réseau et l’acceptation des produits sur le marché. « La relation proche et amicale que la directrice de la coopérative possède avec différents secteurs, Sebrae, fédération des industries, pouvoir public, société civile, etc., accroit la notoriété de la coopérative sur le marché. Le marché est en train de très bien absorber les produits du coton coloré, il s’agit d’un moment favorable pour ce secteur. » a indiqué un répondant.

Le Sebrae, de son côté, joue un rôle plus direct avec les entreprises en assurant la gestion du réseau. Il propose également des formations managériales selon les besoins du réseau et des entreprises membres. Selon la responsable du projet « coton coloré », il s’agit d’une gestion différenciée par rapport à la gestion des autres projets menés par le Sebrae « Le réseau du coton coloré est un projet atypique chez nous, car nous travaillons à la fois sur la chaîne de valeur et sur la gestion de la coopérative (…). »

L’Embrapa, en coopération avec l’Emater, propose également de la formation, de l’assistance technique et de soutien de la culture du coton basé sur les principes du développement durable, et la commercialisation du coton. Cependant, elle intervient surtout à la phase de la culture du coton dans les champs. Cette institution est au coeur de cette phase, car elle mène des recherches sur le coton coloré, produit les graines de coton coloré et forme l’équipe de l’Emater pour offrir une assistance agricole aux paysans. L’objectif est d’inciter les paysans à cultiver et à divulguer le coton coloré dans la région. Les trois autres institutions qui fournissent la formation industrielle spécialisée dans le secteur textile aux entreprises et aux artisans sont la Fiep, le Cinep et l’Amde.

La formation de la la main-d’oeuvre opérationnelle et managériale est très importante pour le développement économique local dans les pays émergeants comme le Brésil où la main-d’oeuvre qualifiée reste encore difficile à trouver. L’analyse des résultats montre que dans le cas du réseau de João Pessoa, l’accent est surtout mis sur la formation qu’assure le Sebrae en partenariat avec la Cinep, l’Abit, l’Apex, l’Aivest et le Sedesp. Selon un repondant, « l’enjeu majeur est de prososer une formation prenant en compte la grande disparité des niveaux (la qualité des produits, la gestion de l’entreprise, la formation des dirigeants, etc.) des entreprises de João Pessoa. » Le Sebrae, la Cinep et le Sedesp jouent également un rôle d’agent motivateur des entreprises en incitant à la participation à des foires et en aidant à la formalisation des entreprises qui demeurent encore informelles.

Les attentes des acteurs

D’une façon générale, les entreprises ont des attentes positives vis-à-vis de la mise en place d’un réseau. Hutt et coll. (2000) ont souligné que la majorité des alliances négligent les relations interpersonnelles, et cela provoque un écart entre les attentes du départ et les résultats intermédiaires. Par ailleurs, plusieurs auteurs (Doz, 1996; Stuart et McCutcheon, 1996; Ariño et Doz, 2000; Hutt et coll., 2000; Bercovitz et coll., 2006) ont mis l’accent sur la confiance entre les entreprises et la cohérence des attentes des entreprises comme des facteurs de réussite d’une alliance. Dans le cas du réseau de Campina Grande, les relations interpersonnelles au niveau du réseau et au niveau interne de la coopérative sont très développées. Les relations entre les entreprises du réseau se sont renforcées grâce aux résultats positifs du réseau, autrement dit, à travers l’accomplissement des attentes des entreprises. Les entreprises démontrent le sentiment de satisfaction d’appartenir au réseau et elles sont conscientes que, seules, elles ne seraient pas capables de mener à bien leurs activités. La confiance mutuelle entre les membres est également renforcée grâce aux interactions constantes entre eux. Concernant le réseau de João Pessoa, malgré le fait que la majorité des entreprises présentent un sentiment positif vis-à-vis des résultats intermédiaires, les relations interentreprises n’ont pas été développées.

Les deux réseaux avaient les mêmes attentes au départ de l’activité : sortir de la crise. « L’objectif de départ était de sauver les entreprises immédiatement ! » Dans le cas du réseau de Campina Grande, les actions pour accomplir cet objectif étaient concentrées sur « le réseau » (réussir le réseau pour sortir de la crise), tandis que dans le cas du réseau de João Pessoa, les actions se sont focalisées sur un changement de la gamme de produits. Il s’agissait de cesser de fabriquer des produits textiles avec le coton conventionnel et de passer au coton coloré. Le réseau de Campina Grande avait beaucoup d’attentes et d’inquiétudes vis-à-vis de cette nouvelle activité qui n’avait pas de précédents au Brésil. De plus, il a fallu créer un réseau pour la mettre en place. Ce sont donc deux faits pour lesquels les entreprises n’avaient pas des connaissances préalables. Un propriétaire d’entreprise a expliqué à ce sujet : « Nous avons vu une opportunité de marché, une chose toute nouvelle dans nos mains, notre plus grande attente était d’augmenter énormément nos chiffres d’affaires. »

Le processus d’apprentissage (formation d’un consortium, formation de partenariat, etc.) et d’implantation de l’activité a été un peu long (environ un an). Dans le cas du réseau de João Pessoa (qui s’est formé cinq ans après celui de Campina Grande), les entreprises avaient également des attentes, mais l’acceptabilité du produit et l’augmentation de la production du coton coloré dans l’État donnaient des signaux plutôt positifs pour mener à bien cette activité.

Dans les deux cas, les entreprises exploitent un marché qui est « à la mode » et en pleine croissance pour différentes raisons (la nouveauté, les apports écologiques et sociaux, etc.), et le sentiment actuel de ces entreprises vis-à-vis des attentes du départ est très positif dans le réseau Campina Grande et plutôt positif dans celui de João Pessoa. Toutefois, les attentes pour l’avenir de chaque réseau sont bien différentes : le réseau de Campina Grande souhaite le renforcement des relations avec les acteurs actuels du réseau, associées à une croissance du nombre de participants par l’intermédiaire de la mise en place d’un système de franchises, tandis que le réseau de João Pessoa souhaite un avenir plutôt sans la formalisation du groupe d’entreprises.

La littérature souligne l’impact positif des attentes accomplies sur la performance, l’apprentissage ou la pérennité du réseau (Doz, 1996; Stuart et McCutcheon, 1996; Ariño et Doz, 2000; Hutt et coll., 2000; Bercovitz et coll., 2006). L’analyse des deux cas nous montre que certes, l’accomplissement des attentes du départ est un point très important lorsque les entreprises se trouvent dans une démarche de mise en place d’un réseau. Cependant, les entreprises peuvent avoir des attentes accomplies grâce à la collaboration, mais ne pas vouloir créer ou continuer un réseau.

La sélection des partenaires

Sélectionner un partenaire reste au coeur de toute activité demandant un ou plusieurs acteurs pour s’accomplir. Il s’agit de bien choisir les futurs collaborateurs. Les partenaires représentent une source de ressources, soit qu’on ne possède pas, soit qu’on possède en quantité limitée. Le choix d’un partenaire implique l’avenir du réseau, c’est-à-dire qu’on peut améliorer la performance grâce à une sélection réussie (Medcof, 1997; Todeva et Knoke, 2005), mais on peut aussi faire échouer l’alliance à cause d’une mauvaise sélection. Le processus partenarial des réseaux étudiés montre d’importantes différences. Malgré l’absence d’une méthode formelle et précise, le réseau de Campina Grande possède un ensemble de critères de choix des partenaires. Beckman et coll. (2004) ainsi que Jiang et coll. (2008) ont identifié les relations d’affinité ou les liens précédents comme un critère important de choix des partenaires d’un réseau. L’analyse du réseau de Campina Grande montre que les entreprises membres avaient décidé de mettre en place ce réseau en se fondant sur ce critère. En effet, le réseau de Campina Grande est né d’un consortium. De ce fait, les entreprises membres étaient déjà liées par des relations d’affinité ou de liens précédents qui ont créé une confiance mutuelle entre les membres. Cependant, la capacité des partenaires (Medcof, 1997) à accomplir leur rôle au sein du réseau a été aussi un critère de choix important. En effet, en plus des relations interpersonnelles, d’affinités et de confiance, la sélection est basée sur la réputation des partenaires potentiels ainsi que les ressources et les compétences qu’ils peuvent offrir au réseau. « Tout dépend des relations. C’est toujours comme ça, donc les partenariats se font en fonction des choses qu’ils peuvent ajouter à la coopérative » a affirmé un répondant. Concernant le réseau de João Pessoa, un autre répondant a ajouté que « (…) nous ne faisons pas de partenariat, nous sommes liés au Sebrae. Le Sebrae seulement. Nous, les entreprises, nous n’avons pas de partenaires, sauf celui avec les associations d’artisans qui ont été aussi identifiées par le Sebrae ». Dans ce réseau, dû au fait qu’il est encore informel, les rapports entre les entreprises demeurent aussi informels. Il n’y a pas de critère de sélection de partenaires précis dans ce réseau. Néanmoins, les entreprises « interagissent » avec celles avec lesquelles il existe des relations d’amitié pour réaliser certains échanges. Les entreprises ont également choisi le Sebrae comme partenaire pour avoir un soutien et des formations pour leurs activités. En effet, la sélection des partenaires institutionnels se fait par le Sebrae dans le but de réaliser les formations nécessaires aux entreprises.

À propos de comportement opportuniste, il est bien présent dans les deux réseaux. Dans le réseau de Campina Grande, il repose sur le comportement individualiste des entreprises membres de la coopérative, tandis que pour le réseau de João Pessoa, il repose sur la copie des modèles de pièces de coton coloré par les entreprises du groupe. Toutefois, le réseau de Campina Grande a mis en place certaines mesures pour lutter contre ce type de comportement. Le réseau de João Pessoa, au contraire, ne peut rien y faire, car les entreprises sont autonomes et il n’existe aucun statut qui les empêche de s’autocopier. 

Transfert de connaissances

Le transfert de connaissances est aussi un autre point qui apparaît bien différent d’un réseau à l’autre. Les réseaux révèlent leurs différences majeures surtout dans les niveaux d’échanges, dans le type de connaissances échangées et dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Le réseau de Campina Grande possède un plus grand nombre d’acteurs impliqués; il réalise des échanges de ressources du type tacite et il met en place des actions pour anticiper leurs possibles besoins en ce qui concerne les ressources, mais surtout de compétences, en raison, notamment, de la difficulté de trouver des employés qualifiés dans la région. Cela reflète le caractère formel du réseau de Campina Grande, ancré dans une stratégie à long terme. Le réseau de João Pessoa possède trois niveaux d’échanges dans sa structure. Néanmoins, lorsqu’il s’agit des types de connaissances échangées et des actions d’anticipations des ressources et des compétences, il reflète un caractère informel et plutôt ancré sur une stratégie à court terme. À ce propos, un répondant a expliqué : « Nous nous projetons seulement pour le lendemain, pas plus ! Nous tuons un lion par jour parce que nous ne pouvons pas faire de grandes projections. » Il n’existe pas d’échange de connaissances plus profond entre les entreprises, et le peu d’échanges qu’elles réalisent entre elles se concentre sur l’échange d’informations sur le marché, les ventes, les matières premières, etc.

Performance

La définition de la performance reste vague, autant dans la littérature que chez les praticiens. Dans le réseau de Campina Grande, les répondants ont souligné plutôt des critères non financiers au moment de la définition. Un propriétaire d’entreprise membre du réseau a indiqué que « La performance s’inscrit tout d’abord dans notre engagement envers la qualité de nos produits, ensuite envers la livraison de ces produits dans les délais établis en accord avec nos partenaires. » Dans le même sens, un autre a ajouté que « La performance, c’est produire avec qualité pour éviter le refus des produits. » Les critères financiers ont été très peu mentionnés. Concernant le réseau de João Pessoa, les répondants ont utilisé uniquement des critères non financiers pour définir la performance. Nous avons remarqué que la performance est perçue par les entreprises comme étant synonyme de qualité du produit.

En ce qui concerne les apports du réseau aux entreprises, cela a été perçu par les deux réseaux, surtout à travers l’augmentation de leur chiffre d’affaires. Le réseau de Campina Grande souligne encore des apports non financiers comme la notoriété, la professionnalisation des entreprises issue des formations réalisées par le réseau, la circulation de la connaissance, la qualité des produits, etc. Les réponses données par les entreprises révèlent par ailleurs que le réseau de Campina Grande met en évidence le réseau lui-même comme étant une action d’amélioration de la performance. En d’autres mots, la performance actuelle des entreprises s’effectue grâce à la coopération interentreprises. Dans ce contexte, nous pouvons conclure que la performance des entreprises est à la fois un résultat et un processus, car elle est « l’apport du réseau » et le réseau lui-même. Dans le cas du réseau de João Pessoa, les formations réalisées par le Sebrae ont été soulignées comme étant un apport non financier aux entreprises. En ce qui concerne la performance du réseau, les réponses données par les entreprises montrent que la performance actuelle des entreprises s’effectue grâce à l’acceptation du produit sur le marché. Selon un répondant, la performance « est la forme à travers laquelle le produit se présente et se complète socialement et écologiquement. » Un autre a affirmé comprendre la performance « dans le sens d’amélioration de la manière de travailler. »

Le réseau de João Pessoa se révèle être un réseau émergent ou de « commodité », c’est-à-dire qu’il se présente comme un réseau lorsque cela apporte quelque chose, comme participer à des foires, avoir des formations auprès du Sebrae, etc. Néanmoins, la rareté de la matière première et la faible qualité des produits associées à un manque de main-d’oeuvre qualifiée sont des indicateurs plutôt négatifs pour l’avenir de l’activité de ce réseau. Le tableau 4 présente une synthèse de l’analyse des deux réseaux étudiés.

Tableau 4

Tableau de synthèse des résultats de l’analyse des deux cas

Tableau de synthèse des résultats de l’analyse des deux cas

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Conclusion

Pour comprendre le fonctionnement des réseaux, nous avons soigneusement choisi quatre variables pour former une grille d’analyse qui nous a permis de comprendre la dynamique des réseaux : le rôle des institutions, les attentes des entreprises, la sélection des partenaires et le transfert de connaissances. L’analyse des réseaux et des résultats de notre enquête révèlent des différences significatives selon le mode de fonctionnement des réseaux étudiés. Nous avons constaté que le réseau de Campina Grande présente une dynamique de fonctionnement qui apporte des résultats positifs au groupe, tandis que dans le réseau de João Pessoa, aucun apport au réseau n’a été constaté.

Les résultats montrent que le processus de fonctionnement du réseau de Campina Grande peut être expliqué par les quatre variables de notre grille d’analyse. Toutes ces variables ont un impact sur la performance du réseau. Ainsi, le rôle des institutions, les attentes satisfaites d’une façon positive pour les entreprises, la sélection de partenaires basée sur les relations, le transfert de connaissances à plusieurs niveaux avec échange de connaissances tacites, et l’évaluation continue du réseau associé à une vision plutôt collective et de long terme dans un réseau juridiquement formalisé ont permis d’affirmer que le réseau de Campina Grande est le réseau le plus performant.

Le fonctionnement du réseau de João Pessoa repose sur trois variables de notre grille d’analyse : le rôle des institutions, les attentes satisfaites d’une façon positive pour les entreprises, le transfert de connaissances à plusieurs niveaux. Cependant, ce réseau nous semble moins performant, car, d’une part, il s’agit d’un réseau émergeant informel et, d’autre part, les échanges de connaissances sont plutôt du type explicite. De plus, la vision des dirigeants est individuelle et de court terme.

Les recherches sur le fonctionnement et la performance des réseaux de très petites entreprises (TPE) demeurent très limitées. Par ailleurs, dans la littérature, très peu d’études ont traité simultanément autant de variables dans une même grille d’analyse. Cette recherche étudie la performance des réseaux de TPE à partir de l’analyse de leur fonctionnement en adoptant une approche systémique. Ainsi, elle contribue aux efforts de compréhension du processus dynamique des réseaux, plus particulièrement les réseaux de TPE dans les pays émergents. Un autre apport est l’étude des réseaux brésiliens d’entreprises qui présentent une forme de réseau différente de celle des clusters ou des pôles de compétitivité. Au Brésil, cette forme d’organisation est jeune. Cette recherche contribue aux connaissances sur les réseaux d’entreprises du type territorialisé dans un contexte différent de ceux rencontrés dans les pays développés pour lesquels une bonne base de connaissances a été développée dans la littérature.

Les apports managériaux de cette recherche correspondent à son utilité pour les dirigeants politiques et pour les dirigeants des entreprises dans le développement économique et social de la région. L’incitation du gouvernement brésilien au développement des réseaux et le développement du coton naturellement coloré ont encouragé un rassemblement de différents partenaires pour mettre en place une nouvelle activité dans l’État de Paraíba, au nord-est du Brésil. Le caractère récent de l’approche réseau au Brésil souligne l’importance d’études sur le sujet afin d’identifier les enjeux et les opportunités en vue d’améliorer leur développement. Nombreux sont les avantages des réseaux. Dans le cas des très petites entreprises avec de faibles connaissances managériales, s’organiser en réseau représente une opportunité pour combler ce manque grâce à la participation des institutions. Les résultats montrent que la dynamique des partenaires d’un réseau est source d’avantages concurrentiels. Une des actions, qui pourrait assurer ce dynamisme et la progression des activités des réseaux étudiés, est la mise en place des critères quantitatifs et qualitatifs précis de sélection des partenaires ainsi qu’un système d’information intégré pour gérer l’activité réseau et évaluer les résultats individuels et collectifs des membres. Par ailleurs, les formations actuelles proposées aux entreprises du réseau de Campina Grande surtout dans le domaine de la production répondent à leur besoin. Néanmoins, ces entreprises nécéssitent également une amélioration de leur gestion interne afin de maintenir leur performance et celle du réseau. Une formation spécifique en entrepreneuriat pourrait également être proposée aux entreprises afin de les inciter à s’investir à long terme de manière à assurer la continuité de l’offre de la fibre de coton coloré sur le marché. Les membres du réseau pourraient aussi être plus informés sur les apports du réseau ainsi que les comportements opportunistes et ses conséquences pour l’ensemble du groupe. Dans le même sens, le Sebrae pourrait offrir aux entreprises membres du réseau de João Pessoa, avec la participation d’autres institutions intervenant dans la chaine de valeur, un plan de formation pour le développement de l’activité en coopérative. Cela permettrait de faire prendre conscience aux dirigeants de l’importance de l’approche réseau. Il pourrait exploiter davantage le fait que les membres du réseau ont eu leurs attentes satisfaites dans le cadre de leur activité textile et habillement avec le coton coloré. Si la réalisation individuelle de l’activité a donné de bons résultats, collectivement cela pourrait être encore meilleur. De plus, le réseau de João Pessoa pourrait devenir plus compétitif avec la mise en place d’un réseau formel et d’un partenariat plus étroit avec les entreprises. Les institutions comme le Sebrae seraient les agents catalyseurs des formations et de la gestion de la qualité d’une manière collective et homogène.

En dépit de ses contributions théoriques et managériales, cette recherche présente certaines limites qu’il serait important de souligner. La grande variété de réseaux existants révèle de nombreuses possibilités mises en pratique issues d’une adaptation de cette approche aux différents contextes dans le monde. Dans le cadre de cette recherche, l’analyse des réseaux très particuliers présente des limites théoriques, car nous avons eu très peu d’articles traitant du sujet. Dans ce cas, nous sommes conscients que le modèle d’analyse proposé est un modèle exploratoire et demande à être approfondie. Par ailleurs, cette recherche présente des limites méthodologiques qui reposent sur le fait que nous avons mené notre recherche en utilisant un questionnaire plutôt conçu pour un réseau qui présente des relations formelles et continues. Dans le cadre de cette recherche, notre étude de cas multiples inclut un réseau émergent qui n’est pas adapté à ce type de questionnaire. Enfin, les limites managériales de cette recherche se retrouvent dans les éléments utilisés dans l’analyse de la performance à cause de l’absence d’informations financières pertinentes sur les réseaux. Notre analyse est uniquement basée sur les critères non financiers d’évaluation de la performance.

Cette recherche ouvre la porte à de nombreuses voies de recherches. Notre grille d’analyse peut être utilisée dans d’autres réseaux d’entreprises au Brésil pour identifier les sources dynamiques créatrices de valeurs. Une comparaison avec d’autres réseaux brésiliens de différentes régions serait pertinente pour créer des politiques publiques de soutien aux réseaux, selon les enjeux identifiés grâce à l’utilisation de cette grille d’analyse. Cela serait également utile pour les gestionnaires qui veulent mettre en place une stratégie réseau dans une région ou un secteur spécifique.

Une recherche quantitative serait également appropriée pour prolonger cette étude. Dans une étude future, il serait pertinent de considérer des facteurs comme : la perception des risques et l’engagement des dirigeants dans un réseau, l’image du réseau et son influence sur les consommateurs, la relation entre la mise en place d’un réseau et la gestion des ressources humaines, etc. L’État pourrait encourager le développement durable des réseaux avec une centralisation des travaux et de recherches réalisés dans ce sens. Les dirigeants publics pourraient créer un laboratoire sur les réseaux et nommer un responsable de projet pour recenser les travaux sur le sujet et ainsi, assurer la continuité des recherches en cours. Les possibles subventions aux entreprises seraient échangées en contrepartie de la fourniture de renseignements plus précis d’ordre stratégique et financier.