Corps de l’article

Dans les suites d’une réflexion sur la place et le positionnement de la revue Nouvelles pratiques sociales, amorcée il y a quelque temps (Gaudreau, 2020), le travail du Comité scientifique a été relancé à l’automne 2022. Afin que les membres du comité puissent faire connaissance et échanger, dans le contexte de l’intégration de nouvelles personnes, nous avons attendu que la levée des mesures sanitaires liées à la pandémie de la COVID-19 permette une rencontre collective en présence. Celle-ci a été l’occasion de reconduire les grands principes définissant le rôle de cette instance dans la revue : orienter le travail de l’équipe de rédaction de NPS, qui soutient le processus éditorial, proposer des sujets de dossiers thématiques et contribuer au rayonnement de la revue.

Nous avons par ailleurs identifié de nouvelles perspectives pour développer la contribution du Comité scientifique aux activités de la revue, au-delà de ses rencontres statutaires. Entre autres pistes, il est prévu que les membres du comité soient sollicités plus régulièrement pour l’évaluation des articles, en particulier lorsqu’une troisième évaluation par les pairs est jugée nécessaire face à des évaluations très divergentes. Cela permettra, au fil du temps, de prendre appui sur des évaluatrices et évaluateurs expérimenté.e.s pour examiner les articles soumis à la revue – cette activité présentant un haut niveau de complexité. En effet, elle exige de poser un regard aussi impartial que possible sur des choix théoriques et méthodologiques pouvant différer de ceux qu’aurait faits la personne posant un jugement sur le texte. Elle implique également de formuler des commentaires susceptibles d’amener les auteur.e.s plus loin, dans leur cadrage de la démarche de recherche adoptée, dans leurs analyses ou dans l’identification de perspectives ouvertes par les observations réalisées.

Dans cette optique, la qualité du travail d’évaluation des articles est un enjeu clé, afin que des sauts qualitatifs importants s’opèrent dans les textes soumis. Ce regard posé par les pairs est un des lieux du dialogue scientifique qui, pour être porteur, demande un juste équilibre entre un examen sans complaisance du travail soumis et la reconnaissance des choix épistémologiques propres à la démarche présentée – vis-à-vis desquels des désaccords peuvent exister mais qui, pour autant, restent valables. Une plus grande implication du Comité scientifique dans ce travail évaluatif donnera l’occasion d’approfondir la réflexion sur cette activité fondamentale pour l’édition scientifique, faisant actuellement l’objet de débats (Bali, 2015 ; Holcombe, 2021). Dans ce contexte, nous explorons actuellement la possibilité de recourir à des évaluations ouvertes, du moins pour une partie des textes : un groupe de travail issu du Comité scientifique se penche actuellement sur cette question. Elle sera ensuite discutée plus largement afin d’orienter le travail de l’équipe de rédaction autour des enjeux liés à l’évaluation des articles. Nous expérimentons ainsi une nouvelle modalité de travail pour le Comité scientifique, qui souhaite accueillir des personnes intéressées à penser et à essayer de nouvelles pratiques pour l’édition scientifique en sciences humaines et sociales.

Après cette introduction donnant un aperçu du travail collectif au sein des instances de la revue NPS, qui sous-tend la publication des numéros, voici un coup d’oeil sur le contenu de ce nouveau numéro.

L’ENTREVUE

L’entrevue, réalisée par Béatrice Mercier, donne la parole à Geneviève Vaillancourt, une organisatrice communautaire qui observe les impacts de la crise du logement qui sévit actuellement au Québec. Cette dernière présente l’organisme de défense de droits pour lequel elle travaille et les revendications portées par les militant.e.s qui s’y impliquent. Situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, le Comité BAILS (Comité de base pour l’action et l’information sur le logement social) fait la promotion du logement social et vient en aide aux locataires dans le besoin. Ces dernières années, les demandes d’aide d’urgence ont explosé, ce qui a eu un impact sur le travail du Comité et sur la mise en place d’actions collectives. L’organisatrice communautaire constate un déracinement des personnes habitant le quartier et dénonce le manque de ressources du milieu communautaire pour lutter contre les effets néfastes de cette crise.

LE DOSSIER THÉMATIQUE

Le dossier de ce numéro, intitulé « Proximité et intervention sociale : Quel espace pour une perspective critique ? », est dirigé par André-Anne Parent, Carolyne Grimard, Edward Ou Jin Lee et Sophie Hamisultane. Il aborde différentes conceptions de la notion de proximité et met en lumière les contradictions et les paradoxes qui façonnent les pratiques et les relations de proximité en intervention sociale. D’une part, des articles se montrent favorables à ces dernières et abordent leurs bienfaits. D’autre part, plusieurs auteur.e.s posent un regard critique sur les manières dont la proximité est utilisée par certaines personnes et organisations pour améliorer leur image ou pour mettre en place des pratiques à risque de reproduire des rapports de pouvoir.

Les articles du dossier brossent un portrait diversifié et complémentaire du concept de proximité, en s’intéressant à ses enjeux dans des contextes variés : ce que la proximité peut apporter à la recherche participative, l’influence des fondations philanthropiques sur les relations des actrices et acteurs concerné.e.s, la place qu’elle peut avoir en CIUSSS ou CISSS, ou encore les nouvelles formes d’intervention de proximité induites par le contexte sociosanitaire des dernières années. Ces différents textes donnent l’occasion de réfléchir au sens et aux implications du fait d’être « proche ». Par ailleurs, quatre articles de ce dossier en analysent les enjeux pour des destinataires marginalisés ou en situation de précarité financière, montrant ainsi l’importance de réduire la distance et d’utiliser des interventions plus informelles avec ces populations.

LA RUBRIQUE ÉCHOS DE PRATIQUE

Trois articles de la rubrique Échos de pratique font écho au dossier, en abordant les enjeux vécus par des intervenantes et intervenants sociaux qui développent des pratiques de proximité. S’inscrivant dans une perspective critique, ces contributions traitent des limites de la pair-aidance en contexte de crise, des tensions entre le contrôle social et les pratiques de care et d’un projet citoyen mis en place par un réseau local pour lutter contre l’insécurité alimentaire.

L’article hors dossier de la rubrique Échos de pratique s’attarde à la cyberviolence genrée. Les trois autrices sont diplômées en sexologie et travaillent dans le programme d’éducation à la sexualité de l’organisme L’Anonyme. Dans un rapport qu’elles ont rédigé, elles remarquent qu’une majorité des jeunes vivent ou sont témoins de violence sexiste en ligne. Bien que cette réalité soit partagée par plusieurs, peu affirment avoir agi contre cette problématique. Ces constats sont à l’origine de la mise sur pied du projet Se connecter à l’égalité. Dans l’optique d’informer et de mobiliser les jeunes témoins de cyberviolence, les auteures entament des réflexions sur le partage égalitaire de l’espace public (tant réel que virtuel) et abordent les rapports de pouvoir sur lesquels la violence en ligne s’appuie. Le modèle d’intervention qu’elles préconisent veut outiller les témoins, afin de favoriser une prise de conscience de la responsabilité collective et d’agir face à ces enjeux. Leur pratique permet également d’accompagner les victimes dans leur recherche de mécanismes de protection.

LA RUBRIQUE PERSPECTIVES

Le premier article de la rubrique Perspectives, « Socialisation genrée et maternité : Regards de femmes ayant exercé de la violence », présente une analyse féministe intersectionnelle des trajectoires de vie de femmes reconnaissant avoir eu des comportements violents. Les auteures s’attardent à l’influence de la socialisation genrée et du rapport à la maternité sur l’expérience des femmes. Elles explorent comment ces aspects, imbriqués à plusieurs systèmes d’oppression, affectent le parcours et le rapport à la violence des participantes. Cette étude, menée auprès de 26 répondantes, permet de dégager les tensions entre les attentes de la société envers les femmes et les discriminations qu’elles subissent. L’analyse accorde également une place importante aux rapports de pouvoir présents au sein des institutions avec lesquelles les participantes interagissent. Cet article permet d’amorcer une réflexion sur l’importance d’adopter une posture critique dans l’analyse du vécu des femmes ayant des comportements violents et d’adapter nos pratiques d’intervention, afin de tenir compte de la complexité des expériences et de ne pas reproduire des rapports de pouvoir.

Le second article, de Yannick Gaudette, traite de l’intervention trans-affirmative en santé mentale et de l’importance de la reconnaissance dans les pratiques d’intervention auprès des personnes trans. L’auteur présente les résultats de neuf entrevues réalisées dans le cadre de sa maîtrise en travail social. Les personnes trans rencontrées témoignent de leurs expériences dans les ressources en santé mentale et font état de plusieurs barrières structurelles, qui restreignent leur accès à des services adaptés et non discriminatoires. Ces multiples défis affectent leur bien-être et Yannick Gaudette, dans ce texte, analyse les composantes nécessaires pour assurer la mise en place d’interventions transaffirmatives. Ainsi, en mobilisant l’éthique de la reconnaissance, il propose trois impératifs pour encadrer ce type d’intervention, soit « se décentrer de l’expérience hétérocissexiste, rendre les milieux de pratiques transinclusifs et appliquer une approche basée sur la pratique du consentement ».

Le troisième article, co-écrit par des chercheur.e.s brésilien.ne.s et québécois.es, présente le contexte dans lequel le programme Numape-Toledo a été mis en place dans la province du Paraná au Brésil. Cet organisme, né d’initiatives du mouvement féministe et du milieu universitaire, vient en aide aux femmes victimes de violence domestique et les accompagne dans les différentes démarches qu’elles souhaitent entreprendre. Le programme mise sur l’interdisciplinarité des professionnel.le.s en réunissant des personnes issues du travail social, du droit et des sciences sociales. Leur collaboration permet notamment de tenir compte de la complexité de la violence domestique et des enjeux qui en découlent, en plus de pouvoir répondre adéquatement aux différents besoins des femmes. L’axe socioéducatif préconisé dans les interventions du Numape, quant à lui, vise à faire prendre conscience aux femmes des rapports sociaux inégalitaires dans lesquels la violence domestique s’inscrit. En outre, les auteur.e.s démontrent comment l’organisme contribue à rendre les services plus accessibles aux femmes victimes de violence au Brésil, soulignant ainsi la pertinence de ce type de programme et la nécessité de poursuivre sa mise en oeuvre.

Le quatrième et dernier article de cette rubrique, « Une initiative communautaire pour favoriser la participation citoyenne des personnes malentendantes : Ateliers de partage d’expériences sur l’usage des technologies pour la communication », expose les résultats d’une recherche-action menée en partenariat avec l’Association des personnes avec une déficience de l’audition (APDA). Les auteur.e.s en présentent le déroulement et les retombées. Afin d’encourager la participation sociale des personnes malentendantes, l’équipe de recherche a mis sur pied une communauté de pratique au sein de laquelle 12 participant.e.s assistaient à une série d’ateliers. Lors des rencontres, iels ont été invité.e.s à partager leurs savoirs sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication d’usage courant (TIC-UC). L’article montre les apports et les limites de ce type de pratique, qui permet notamment aux personnes malentendantes de briser leur isolement et d’apprendre à utiliser différentes ressources pour faciliter leur communication au quotidien.