Corps de l’article

Le nombre de commentateurs politiques ayant perçu une renaissance de l’engagement politique chez les jeunes à l’ombre du « printemps érable » est presque aussi impressionnant que celui de ceux qui se désolent depuis toujours du manque d’intérêt de la jeunesse pour la politique. L’ouvrage Engagements citoyens et politiques de jeunes : Bilans et expériences au Canada et en Europe, sous la direction de Bernard Fournier et de Raymond Hudon, arrive à point nommé pour tracer les contours d’une question beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. L’introduction évite les conclusions hâtives. On affirme plutôt que la réalité de l’engagement politique des jeunes et de leur apparent désinvestissement est imbriquée dans des processus sociaux dépassant leur responsabilité générationnelle. Bref, les jeunes sont bien ancrés dans ce qui caractérise leur époque et se trouvent interconnectés à l’expérience démocratique des citoyens plus âgés. Le lecteur sera vite interpellé par ce propos qui constitue le point principal de ce collectif. En regard de la position qui y est défendue, la pluralité des sujets abordés est un avantage certain. Les auteurs peuvent ainsi illustrer l’éventail des sphères de la vie politique dans lesquelles les jeunes sont sollicités. Cependant, le lecteur se voit convié à une multitude de chapitres largement diversifiés et qui s’écartent du portrait général sur lequel Hudon et Fournier attirent notre attention.

L’ouvrage comporte implicitement deux sections principales. Les quatre premiers chapitres dressent un portrait global de la participation des jeunes dans plusieurs sphères de la vie politique. Ce sont ces chapitres qui exposent le plus clairement l’argument principal de l’ouvrage. Le premier chapitre, rédigé par François Gélineau, discute du sujet le plus fréquemment abordé lors des débats concernant les jeunes et la politique : leur participation aux élections. Loin de blâmer la jeunesse, Gélineau expose les taux de participation aux dernières élections au Québec en s’intéressant aux variables de la participation selon l’âge, la province et finalement le sexe. Il en résulte un exposé démontrant que la participation des jeunes peut accentuer des tendances déjà existantes dans les cohortes plus âgées. Le chapitre de Raymond Hudon s’appuie sur une approche radicalement différente, plus sociologique, et vise un objet tout aussi différent, c’est-à-dire le cynisme et les significations de la démocratie. Hudon y réitère ces observations : les jeunes ne sont pas indépendants de la société qui les a formés et des tendances lourdes observées chez la population générale. Le chapitre de Krzysztof Jasiewicz et celui de Claire Gavray, Michel Born et Charline Waxweiler corroborent aussi ce rapport où le contexte sociohistorique ainsi que les questions de genre affectent la participation des jeunes et dépassent leur appartenance générationnelle. Bref, la variable générationnelle ne semble pas la plus déterminante dans le comportement des jeunes en regard de leur participation politique.

Toutefois, le désintérêt des jeunes, perçu comme un problème indépendant, a servi de prétexte pour la création de programmes et de politiques publiques visant à stimuler leur participation. Les chapitres suivants présentent plutôt des bilans ou des évaluations d’initiatives prises par diverses institutions. Celles-ci sont nombreuses et vont d’une approche plus évolutive cherchant à travailler en profondeur sur les problèmes (Miriam Lapp et Neil Burron, Jean-François Guillaume et Michel Xhonneux, ainsi que Philippe Marchal et Nicolas Kurevic) à la création d’institutions (France Gagnon, Sophie Wintgens et Maëlle Dabée, Valérie Becquet, Élie Belley-Pelletier, Élise Demers et Samuel Doré, Corina Bastani). Chacune des initiatives présentées s’intéresse à des problèmes identifiés dans les chapitres précédents : faible taux de participation (Lapp et Burron), cynisme (Guillaume et Xhonneux) et éducation/information (Gagnon, Marchal et Kurevic). Certaines concernent des processus de participation exclusive aux jeunes (Belley-Pelletier, Demers et Doré, Wintgens et Dabée et Becquet). L’ouvrage présente donc un horizon diversifié des cibles et des méthodes employées par les institutions pour stimuler la participation des jeunes. Il est préférable pour le lecteur d’aborder le livre d’un couvert à l’autre pour bien en saisir sa cohérence, autrement, certaines parties pourraient paraître anecdotiques par leur objet.

À la lecture des chapitres évaluant les programmes, on ne peut que remarquer la timidité des résultats obtenus. Chaque programme semble se buter aux mêmes constats décevants, les résultats sont mitigés, anecdotiques, inexistants ou difficiles à attribuer au programme. Il est peut-être normal pour une approche évolutive, comme le décrivent Lapp et Burton, que les résultats se fassent attendre, mais pour des initiatives ponctuelles ou des institutions précises, les résultats, plus modestes, pourraient être perceptibles. Les premiers chapitres notent des tendances lourdes nécessairement difficiles à renverser auxquelles les causes profondes font écho. Ces programmes effleurent peu les causes identifiées. Peut-être trop ciblées, les initiatives semblent expérimentales.

Néanmoins, l’ouvrage conclut avec un texte bien avisé de Mathieu Ouimet et François Gélineau sur la difficulté d’évaluer l’efficacité des initiatives. Ces auteurs insistent sur une meilleure coopération entre les chercheurs et les intervenants. La collaboration doit se faire dès le stade de l’élaboration de programmes plutôt que viser seulement l’étape de l’évaluation, comme c’est souvent le cas. Les considérations théoriques et méthodologiques s’en trouveraient nécessairement plus ancrées dans les programmes, ce qui est primordial. D’ailleurs, au sein du collectif même, ce sont les textes de chercheurs qui rendent le tout cohérent dans cet amalgame de programmes disparates mis en place au Canada et en Europe. L’ouvrage tire sa pertinence du propos d’ensemble.

Si la participation des jeunes à la vie politique inquiète, elle existe néanmoins. Engagements citoyens et politiques de jeunes : Bilans et expériences au Canada et en Europe évite de tomber dans le piège du blâme et montre plutôt que leur participation est liée à des processus macrosociaux, ce qui agrandira la loupe des commentateurs politiques. Le lecteur sera gardé des conclusions hâtives et des jugements trop sévères à l’égard de la participation des jeunes. Il y est souligné que l’État de la démocratie dont héritent les jeunes est déjà problématique, et qu’il serait malhonnête de compter uniquement sur la jeunesse pour rétablir la noblesse de la politique. À la fin du livre, le lecteur pourrait tout de même se sentir découragé devant l’ampleur de la tâche à accomplir et risque de voir dans les initiatives analysées bien peu d’espoir. Toutefois, l’ouvrage a pour mérite de signifier que la question est débattue et que, bien qu’imparfaitement, le sujet est pris en charge par plusieurs initiatives partout au Canada et en Europe.