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Les scandales récents d’Enron, Ahold ou encore de Parmalat, qui ont fait perdre beaucoup d’argent à de nombreux actionnaires, ont mis l’accent sur la question de la confiance dans la relation actionnaires/dirigeants. Mais la question de la confiance s’étend bien au-delà et la relation entre salariés et employeurs n’est pas aujourd’hui à l’abri de cette crise de confiance. Selon Albert et al. (2003), la mise en cause à la fois du « modèle social de croissance » — issu de la période fordienne qui articule bon salaire et emploi stable — et du modèle « communautaire » de gestion des ressources humaines, qui s’appuie sur un management participatif, a conduit à une période de crise de confiance entre le salarié et l’employeur. En effet, comment avoir confiance dans une entreprise et développer des actifs spécifiques (Williamson, 1965 ; Becker, 1975), c’est-à-dire non réutilisables par ailleurs, si on risque de se faire licencier à moyen terme ? Selon Lewicki, McAllister et Bies (1998), « les défis de la flexibilité, de la qualité et de la gestion globale, qui nécessitent un climat de confiance, ont également engendré de la méfiance du fait des restructurations, des réductions d’effectifs et de la violation du contrat psychologique entre les individus et l’organisation ». Cette crise de confiance n’épargne pas non plus, au sein de l’entreprise, les relations entre les partenaires sociaux, c’est-à-dire entre les représentants syndicaux et les représentants de la direction. La perte actuelle de confiance est alors d’autant plus préjudiciable que celle-ci est le ciment de la négociation et conditionne la durabilité et la stabilité des accords signés au sein de l’entreprise. Cette situation est alors source de conflits et conduit à des situations de blocage dans lesquelles le climat social est très tendu et conflictuel. Ceci peut indirectement être préjudiciable à l’entreprise et à ses capacités d’adaptation. Notamment, Argyris (1995) considère que face au changement, les individus éprouvent de l’embarras ou perçoivent une menace. Il en résulte des comportements défensifs (esquive, dissimulation). L’autojustification, la méfiance, les rivalités, conduisent alors à l’inefficacité et à l’impossibilité de faire face au changement. Lorsqu’il s’agit de résoudre un problème qui nécessite de dépasser le statu quo, les individus doivent remettre en cause les façons de faire et adopter de nouveaux schémas de pensée et d’action. Ceci suppose un apprentissage « en double boucle » qui se caractérise par la levée des comportements défensifs et qui n’est possible qu’en présence de relations de coopération. Or, Deutsch (1958) montre que la confiance est une condition nécessaire à la mise en place de comportements coopératifs. La question de la confiance prend alors une importance centrale dans le contexte actuel de mondialisation de l’économie et de mouvance accrue de l’environnement ; elle devient une condition nécessaire au changement et aux capacités d’adaptation de la firme et joue donc indirectement un rôle sur sa performance à moyen ou long terme.

Si la confiance est essentielle dans l’entreprise, comment la favoriser, voire la rétablir ? Comment réagir dans des situations de forte conflictualité et d’impasse entre les partenaires sociaux ? Diverses approches peuvent être envisagées pour ce faire. Mais notre objet n’est pas d’étudier les différents outils susceptibles de favoriser un sentiment de confiance au sein de l’entreprise. Notre ambition se limite à étudier un outil, parmi d’autres, et à analyser son impact sur la relation de confiance entre les partenaires sociaux ; il s’agit du recours à la médiation. La médiation correspond à « une négociation entre parties adverses en présence d’une tierce partie, neutre, dont le rôle est de faciliter la recherche d’une solution au conflit » (Touzard, 1977). Dit autrement, le médiateur est un facilitateur, qui cherche à restaurer le dialogue entre les parties et à les conduire à un accord, tout en n’ayant pas le pouvoir de trancher sur le fond. Nous nous intéressons alors à des situations dans lesquelles la relation entre les partenaires sociaux est marquée par de la méfiance, le climat social est conflictuel et nous nous interrogeons sur l’impact de la médiation sur la relation de confiance au sein de l’entreprise.

Après avoir défini et resitué les notions de confiance et de médiation dans la littérature, nous analysons les mécanismes par lesquels la médiation peut favoriser le rétablissement de la confiance entre les partenaires sociaux, en illustrant notre propos à travers les résultats d’une étude qualitative réalisée auprès de dix entreprises ayant fait appel au processus « d’appui au dialogue social » mis en place par la Direction régionale du travail (DRT) et l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). Celle-ci s’appuie sur la réalisation de 64 entretiens approfondis auprès des acteurs sur le terrain.

Les notions de confiance et de médiation : une revue de littérature 

La confiance

Ainsi que le rappellent Lewicki et Bunker (1995b), la confiance est un concept qui a été étudié à travers différentes disciplines. On peut distinguer trois approches conceptuelles, selon l’angle théorique adopté, dans la lignée de Worchel (1979) : la confiance liée à « la personne », la confiance « institutionnelle » et la confiance « interpersonnelle ».

Ainsi, « Worchel (1979) propose d’agréger les différentes approches de la confiance à travers trois catégories distinctes (voir aussi Lewicki et Bunker, 1995a, pour plus de détails sur chacune de ces catégories) :

  • L’approche des théoriciens de la personnalité, qui centrent l’attention sur l’individualité de la personnalité pour expliquer les tendances individuelles des individus à faire confiance […].

  • L’approche des sociologues et des économistes qui considèrent la confiance comme un phénomène institutionnel […].

  • L’approche des psychologues sociaux qui s’intéressent à la création ou la détérioration de la confiance dans des situations de relations interpersonnelles entre des individus, au sein de groupes » (Lewicki et Bunker, 1995b).

Nous nous situons ici dans cette troisième approche et étudions ce qui est qualifié de « confiance interpersonnelle ». La confiance correspond alors à un sentiment de sécurité ou de fiabilité par rapport au comportement à venir d’une tierce personne, dans une relation d’interaction au sein de groupes. La question de la confiance est donc liée à celle d’incertitude vis-à-vis du comportement de ce tiers. Dans la relation entre partenaires sociaux, il s’agira de l’interaction entre représentants syndicaux et représentants de la direction.

Lewicki, McAllister et Bies (1998) définissent la confiance comme une « attente positive d’un individu quant au fait que le résultat de l’action ou de la décision d’une autre personne lui soit positive ». Pour Deutsch (1960), la question de la confiance intervient lorsque « a) il y a incertitude sur la nature des actions à venir dans le futur ; b) le résultat de ces actions dépend du comportement d’autres personnes ; c) l’intensité des conséquences négatives est supérieure à celle des conséquences positives de cette action ».

À partir de ces définitions générales de la confiance, on devine un certain nombre de dimensions sous-jacentes à ce concept. Il existe, en effet, différentes typologies de la confiance. Tout en comprenant des nuances, celles-ci comportent aussi des points communs. En ce qui nous concerne, nous retiendrons dans la suite de notre réflexion les deux typologies qui nous semblent les plus adaptées à notre propos, à savoir, d’une part, celle de McAllister (1995) et, d’autre part, celle de Lewicki et Bunker (1995b).

McAllister (1995) différencie la confiance cognitive et la confiance affective. La confiance cognitive s’appuie sur des croyances individuelles concernant la fiabilité et le sérieux de l’autre partie. La confiance affective s’appuie sur des relations plus émotionnelles et affectives entre les individus. Ainsi, « la confiance interpersonnelle a une dimension cognitive et une dimension affective. La confiance cognitive correspond au fait que nous choisissons ceux en qui nous allons avoir confiance — et de quelle manière et dans quelles circonstances nous attribuerons cette confiance — en basant notre choix sur ce que nous considérons être de bonnes raisons, qui nous conduisent à une « évidence » de situation de confiance. […] Il existe également des fondements affectifs à la confiance, qui consistent en des sentiments émotionnels entre individus » (McAllister, 1995).

La typologie de Lewicki et Bunker (1995b) se situe dans le prolongement des travaux de Shapiro, Sheppard et Cheraskin (1992). Ces derniers différencient la confiance fondée sur la dissuasion (deterrence based trust), la confiance basée sur la connaissance (knowledge based trust) et la confiance identitaire (identification based trust). La première est liée à la peur de la sanction. On a un sentiment de confiance parce qu’on estime que la perte (ou sanction) encourue par l’autre partie en cas de violation de la confiance excède les gains potentiels qu’elle pourrait en retirer. La confiance liée à la connaissance consiste à estimer la probabilité quant au fait que l’autre partie tiendra, ou non, ses engagements, à partir d’un certain nombre d’informations disponibles. Enfin, la confiance identitaire repose sur des valeurs partagées.

Lewicki et Bunker (1995b) distinguent, quant à eux, la confiance basée sur le calcul (calculus based trust), la confiance basée sur la connaissance (knowledge based trust) et la confiance identitaire (identification based trust). La confiance basée sur le calcul correspond à un processus calculatoire, qui se construit dans le temps, et qui permet d’estimer le fait qu’un individu est digne, ou non, de confiance. Les auteurs mettent l’accent sur la notion de calcul, plutôt que de dissuasion (retenu par Shapiro, Sheppard et Cheraskin, 1992) parce qu’ils considèrent que la confiance n’est pas seulement motivée par la crainte de sanction en cas de violation de la relation de confiance, mais aussi par les espérances de récompense qui peuvent en découler. Elle est alors comprise comme « un calcul économique dont la valeur est déterminée en calculant le rapport entre les gains espérés et les pertes potentielles issues de la réalisation du comportement attendu pour maintenir la relation de confiance » (Lewicki et Bunker, 1995b). Les deux autres dimensions retenues sont proches de celles de Shapiro, Sheppard et Cheraskin (1992). La confiance liée à la connaissance s’appuie sur la communication et la recherche d’informations qui permet à un individu de porter un jugement sur le comportement à venir d’une autre personne. Enfin, la confiance identitaire s’appuie sur une identification avec l’autre partie et des valeurs partagées.

La médiation

La médiation fait référence à l’intervention d’un tiers facilitateur pour aider à la résolution d’un conflit. Elle se distingue de notions voisines telles que celles d’arbitrage et de conciliation. Ainsi, l’arbitrage se différencie de la médiation en ce que le médiateur — à l’opposé de l’arbitre — n’a pas de pouvoir de décision. La distinction entre médiation et conciliation est plus controversée. Ainsi, selon Touzard (1977 : 154), « conciliation et médiation définissent deux situations proches mais distinctes en théorie. La conciliation définit un rôle moins actif de la part du tiers : il consiste à réunir ensemble les parties dans des circonstances et une ambiance plus propices à une discussion sereine pour la recherche d’un accord. […] Le médiateur définit un rôle qui englobe le précédent mais ajoute une part plus active prise par le médiateur : il peut intervenir dans la discussion, faire des suggestions et propositions ou même formuler des recommandations en vue d’un accord. Mais dans la pratique, la différence est faible. Un conciliateur peut être amené à faire des propositions et un médiateur peut se limiter à un rôle de simple catalyseur. La seule distinction valable existe entre médiation et arbitrage. L’arbitre a autorité et la responsabilité de prendre une décision pour résoudre le conflit et sa décision lie les parties. Le médiateur n’a pas ce pouvoir ».

Touzard (1977) introduit également une distinction entre des médiateurs axés sur le contenu (ou les tâches) et d’autres axés sur les relations interpersonnelles. Il montre que « lorsque le médiateur est centré sur les relations, l’accord passe par le canal de bonnes relations entre négociateurs et par un rapprochement des attitudes vis-à-vis des positions en présence ; lorsque le médiateur est centré sur la tâche, l’accord passe par la volonté d’accord des négociateurs stimulés en ce sens par le comportement du médiateur » (Touzard, 1977 : 355).

Par ailleurs, la matrice de Sheppard (1984) suggère quatre formes possibles de contrôle par un tiers : le contrôle du processus (comment les parties interagissent pendant la résolution du conflit), le contrôle du contenu (la résolution du conflit en lui-même), le contrôle de la motivation (les sources du pouvoir que le tiers utilise pour influencer les parties, par exemple la persuasion, l’autorité légitime, les menaces et les promesses) et le contrôle utilisé seulement à la demande d’une partie. Également, il s’est intéressé à la question du temps relatif à l’intervention d’un tiers. Le choix du moment de l’intervention est décrit grâce à un modèle de conflits ou de négociation par étape. Selon Sheppard, le tiers peut intervenir dans les étapes de la définition, la discussion, le choix des solutions de rechange et la réconciliation. Les quatre formes de contrôle et les quatre étapes de choix du moment de l’intervention sont combinées dans une matrice de 16 cellules, les entrées représentant les comportements observés, permettent de distinguer les styles des tiers intervenants. Les observations des médiateurs, par exemple, suggèrent qu’ils emploient les quatre formes de contrôle dans toutes les étapes excepté pour la réconciliation.

De manière synthétique, le tableau 1 présente la formalisation de Pinto (2000), selon lequel les modèles de médiation s’échelonnent sur un continuum qui va d’une orientation résultat, à une orientation relations.

La médiation comme vecteur de confiance

Le recours à la médiation dans les relations du travail est peu étendu en France, contrairement aux pays nord-américains tels les États-Unis ou le Canada. Rojot, Le Flanchec et Landrieux-Kartochian (2005) proposent différentes explications à la faible utilisation de ce mode alternatif de règlement des conflits en France, notamment des explications liées au système juridique français, mais aussi à la culture française ainsi qu’aux spécificités du système de relations professionnelles français. Mais bien qu’elle soit globalement peu utilisée en France, la médiation se développe depuis quelque temps dans la gestion des conflits du travail. Et ce, notamment à travers un processus expérimental intitulé « appui au dialogue social » (Voynnet Fourboul et al., 2004; Voynnet Fourboul et Rojot, 2005) sur lequel s’appuie notre étude. La DRT (direction régionale du travail), l’INTEFP (Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle) et les services déconcentrés du Travail, en partenariat avec l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et son réseau se sont engagés à partir de 1996 dans une démarche de conception de formes nouvelles d’aide aux acteurs sociaux de nature à développer le dialogue social interne dans l’entreprise. L’objectif du dispositif consiste à conduire des interventions qui visent à améliorer, voire à restaurer le dialogue entre les acteurs lorsque, par exception, et hors situations de crise avérée, se sont instaurées des relations difficiles ou basées sur la méfiance. Trois régions se sont engagées dans le dispositif : la région Rhône-Alpes en 1996, la Lorraine en 2001 et la Haute-Normandie en 2002. Jusqu’à aujourd’hui, plus d’une quarantaine d’interventions ont été conduites, dont une quinzaine jusqu’à la phase de suivi. Ce dispositif s’adresse à des entreprises volontaires, dotées d’organisations syndicales (ce qui est relativement rare dans les petites et moyennes entreprises en France) ; il requiert l’accord des différentes parties, direction et représentants syndicaux, qui s’engagent, par leur intérêt réciproque, dans une démarche visant à améliorer les relations du travail dans l’entreprise. Chaque intervention se déroule en binôme, chacun des intervenants ayant une origine professionnelle différente. Ce binôme est constitué à partir d’un vivier d’intervenants dont les origines sont : le réseau ANACT, les inspecteurs du travail et des consultants. Bien que le nom ne leur ait pas été donné sur le terrain, nous qualifions ces intervenants de « médiateurs » dans la mesure où ils agissent comme tiers et tentent de restaurer le dialogue sans aucun pouvoir de décision. On peut également préciser que leur rôle consiste essentiellement en une médiation orientée relation et non résultat selon la typologie précédemment citée. Les médiateurs procèdent à la mise en place d’une méthodologie définie à l’avance. Deux types de méthodologies peuvent être déployées, elles sont nommées « séminaire en relations du travail » et « médiation préventive ». En dehors des entretiens préliminaires et de suivi, le séminaire en relations du travail dure trois jours. Chaque journée se déroule de la manière suivante : la direction et les salariés travaillent d’abord en ateliers séparés. Puis ils présentent en réunion plénière les résultats de leurs travaux ; puis, un deuxième travail en atelier permet d’analyser la version de l’autre ; enfin, les travaux se terminent en assemblée plénière, par un échange afin de dégager des terrains communs. La médiation préventive est, quant à elle, un processus de fond qui a une durée beaucoup plus longue dans le temps et s’appuie sur un travail de maturation.

Tableau 1

Deux modèles de médiation (Pinto, 2000) augmentés

 

Médiation orientée résultat

Médiation orientée relations

Objectif

Atteindre un accord sur les problèmes

Privilégier la relation entre les parties ; peut ne pas résoudre le conflit

Présupposés

Les exigences des parties sont déraisonnables et proviennent d’un manque d’expérience des parties

Les personnes directement concernées par un problème sont les plus aptes à l’identifier, le résoudre, et à concevoir les solutions les mieux appropriées et appliquées conformément à leur entente

Rôle du médiateur

Cherche à aider les parties à régler leur problème

Se concentre sur la reconnaissance et l’autonomisation des parties

Rôle des parties

Parvenir avec l’aide du médiateur à un accord mutuellement acceptable

Se concentrer avec l’aide du médiateur sur le rétablissement des relations en étant conscient que cet objectif ne mènera pas nécessairement au règlement du conflit

Processus

Rencontre entre le médiateur et les parties (possibilité d’inclure des avocats représentant les parties)

Rencontre entre le médiateur et les parties directement concernées

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La question de recherche

La littérature classique sur la médiation a surtout abordé le sujet de la confiance sous l’angle de la confiance des parties envers le médiateur (Ury, Brett et Goldberg, 1988; Stimec, 2004). Notre objectif de recherche est ici différent. Il consiste à étudier les mécanismes par lesquels le recours à la médiation peut rétablir la confiance entre des parties qui s’opposent dans le cadre d’un conflit du travail et qui se trouvent un contexte d’impasse relationnelle.

Nous nous demanderons également si la médiation va agir de manière similaire sur les différentes dimensions de la confiance. Un certain nombre de travaux nous conduisent en effet à penser qu’il est plus facile d’agir sur certaines dimensions de la confiance que sur d’autres, dans les relations entre partenaires sociaux. Ainsi, en reprenant la typologie issue des travaux de Lewicki et Bunker (1995b), Harrisson (2003) parvient au résultat suivant : « À la question y a-t-il une relation de confiance entre les représentants syndicaux et les gestionnaires ? Notre étude montre que la relation de confiance est positive si elle repose sur le calcul, elle connaît une amélioration lorsqu’elle repose sur un échange constant et structuré d’informations, mais elle est rarement fondée sur une identité commune ». Il semble possible d’agir sur la confiance basée sur le calcul et la confiance liée à la connaissance, mais la confiance identitaire, c’est-à-dire fondée sur les valeurs communes, paraît plus difficile à rétablir dans les relations entre représentants de syndicats et employeurs. Il nous semble alors utile d’étudier si le recours à la médiation va agir sur toutes les dimensions de la confiance, ou si dans la lignée des travaux de Harrisson (2003), elle pourrait avoir une efficacité moindre sur la confiance identitaire. Dans une approche similaire, nous nous interrogerons également sur l’impact de la médiation sur les dimensions cognitive et affective de la confiance, selon la typologie de McAllister. Par analogie, nous anticipons que la médiation aurait un impact plus fort sur la dimension cognitive que sur la dimension affective de la confiance.

Enfin, si effectivement, il est plus délicat d’agir sur les dimensions identitaire (au sens de Lewicki et Bunker) et affective (au sens de McAllister) de la confiance, alors qu’elles en sont les conséquences ? La médiation ne peut-elle jamais agir sur ces dimensions ? Ou bien peut-on envisager des règles et procédures telles que les systèmes de médiation puissent néanmoins avoir un rôle sur ces dimensions de la confiance ?

Notons que pour certains (Sitkin et Roth, 1993), confiance et méfiance sont considérés comme deux concepts distincts, alors que pour d’autres (Lewicki, McAllister et Bies, 1998), confiance et méfiance sont indissociables et se situent aux extrémités d’un même continuum. En ce qui nous concerne, nous nous situons dans la lignée de ces derniers et considérons que « la confiance et la méfiance sont des concepts différents mais liés » (Lewicki, McAllister et Bies, 1998). En d’autres termes, la médiation est un outil, parmi d’autres, permettant d’aider les parties à revenir à des relations basées sur la confiance, ou au moins de rétablissement de la « non méfiance », ce qui favorise un meilleur climat social au sein de l’entreprise, mais il est bien entendu que cela ne signifie pas que les conflits n’existent plus, ni que les relations au sein de l’entreprise sont pleinement coopératives (Rojot, 1994). Bien que le conflit soit présent, les relations sociales peuvent se développer dans un climat de confiance plus ou moins fort. La médiation n’est pas là pour supprimer les conflits mais simplement pour rétablir la relation de confiance, dans une conception qui peut être rapprochée de celle développée par Schelling (1970). Ainsi, selon ce dernier, « Il existe toujours un mélange entre conflit et intérêts communs. Nous pouvons aussi bien appeler cela la théorie du partenariat incertain ou de l’antagonisme incomplet » (Schelling, 1970 : 15).

La méthodologie

La méthodologie de notre étude est qualitative. L’ANACT a sélectionné dix cas d’entreprises[1], dont les secteurs d’activité sont diversifiés. Nous n’avons pas eu la maîtrise du choix de ces dossiers, mais des éléments justificatifs nous ont été apportés. Notamment, ont été retenues des entreprises toujours existantes à l’époque de l’évaluation, qui ont participé à l’appui au dialogue social mené jusqu’à son terme et dont les acteurs sont encore présents. Celles-ci constituent un échantillon quasi exhaustif de dix cas, ceux qui ont été retenus.

Notre méthodologie qualitative est, en tout état de cause, indépendante de la détermination de l’échantillon. En effet, notre objectif de recherche n’est pas de constituer un échantillon représentatif pour valider des résultats de façon externe. Il est de nous assurer d’avoir des cas et des situations suffisamment variées pour saisir dans l’analyse d’un dispositif expérimental que nous étudions, le maximum d’éléments, afin de produire la plus grande compréhension possible des phénomènes qui s’y rattachent. Notre critère de validation est la saturation des données au moment de l’analyse, cette saturation s’est produite dès lors que le codage des entretiens ne nous apportait plus d’éléments nouveaux pour expliquer les résultats.

Le recueil des données a été effectué par une équipe de quatre chercheurs à travers des entretiens semi-directifs auprès des acteurs dans les entreprises sélectionnées. Au total, 64 entretiens ont été réalisés sur le terrain au cours de l’année 2004. Ceux-ci se décomposent de la manière suivante : 12 entretiens avec des médiateurs et 52 entretiens avec des acteurs de l’entreprise (salariés ou représentants de la direction) selon la répartition présentée dans le tableau 2.

Tableau 2

Caractéristiques de l’échantillon des acteurs interviewés dans les entreprises

Entreprise

Effectifs globaux

Dirigeants interviewés

Salariés interviewés

Total

Fonderie

500

4

6

10

Casino / Hôtel

190

2

3

5

Association logement

80

2

2

4

Fabriquant de cuisine

1000

3

3

6

Activité de dockers

 

3

4

7

Chimie

50

1

0

1

Fabrique meuble

 

0

0

0

Traitement déchets

90

1

2

3

Papeterie

300

2

7

9

Association d’aide aux personnes

950

4

3

7

Total

 

22

30

52

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On peut également préciser la décomposition de notre échantillon salarié. Ainsi, celui-ci comprend sept représentants de la CGT, huit de la CFDT, cinq représentants de FO, un de la CFTC, un représentant de Sud, six autres représentants au comité d’entreprise et enfin deux autres salariés.

Un guide d’entretien commun à l’ensemble des chercheurs a été utilisé. Celui-ci comporte quatre parties qui permettent de « reconstruire » de manière chronologique l’historique de l’intervention. En première partie, l’interviewé est invité à décrire la situation de l’entreprise avant l’intervention des médiateurs (les forces en présence, la nature des conflits, le climat social…). En seconde partie, il est conduit à expliquer les raisons de l’intervention et les craintes et attentes qu’elle a suscitée. En troisième partie, l’acteur décrit le déroulement de l’appui au dialogue social (nombre de réunions, contenu, relations avec les parties en présence, confiance…). Enfin, en quatrième partie, la personne interrogée s’exprime sur la situation présente, après la médiation et évoque son impact (plan d’intervention, changements dans les comportements ou les relations de confiance…). La question de la confiance est donc abordée à plusieurs moments du déroulement de l’entretien. Notamment, les questions ci-après sont posées :

  • Quel était le rapport avec les médiateurs (confiance, écoute) ?

  • Y a-t-il eu un développement de la confiance au cours de l’intervention ?

  • L’intervention a-t-elle eu des aspects positifs (changement de comportement, rétablissement des relations, compréhension mutuelle, confiance) ?

  • Pensez-vous que l’intervention a eu un impact positif sur la confiance dans l’entreprise ?

Pour autant, le guide d’entretien ne constitue qu’un cadre directeur et laisse une certaine marge de liberté au chercheur dans la mesure où bien que nous considérons que celui-ci n’arrive pas « vierge » de toute théorie sur le terrain, il l’aborde avec peu d’à priori et tente de faire émerger des explications du discours des acteurs. Cette démarche s’inscrit dans une approche abductive[2] et peut être rapprochée de la théorie enracinée (grounded theory) au sens de Strauss et Corbin (1990). Celle-ci consiste à développer une théorie fondée empiriquement qui se développe par interaction avec les données collectées durant le projet de recherche. Une analyse des données qualitatives a été effectuée à l’aide du logiciel NUD*IST N6 QSR.

Par ailleurs, une triangulation (Denzin, 1998; Yin, 1984) des sources de données a été effectuée. Nous avons donc complété les entretiens par une analyse documentaire approfondie (compte rendus de réunions, etc.) pour chacun des cas étudiés. Une triangulation des personnes, des lieux et des temps a également été réalisée. Ainsi l’échantillon comprend à la fois des intervenants, des acteurs de l’entreprise et des observateurs. Les acteurs appartiennent à des entreprises différentes, pour lesquelles l’intervention a eu lieu à des périodes diverses et selon des modalités variables, et les personnes évoluent dans des environnements sensiblement différents (régions, entreprises). Enfin, nous avons procédé à une triangulation théorique à travers une réflexion en amont de la recherche qui portait sur des anticipations, tant sur des facteurs de contingence, que sur des processus de structuration dont il était tenu compte dans les différents guides d’entretien, tout en laissant une large place à l’émergence potentielle d’explications nouvelles.

Les résultats

La médiation est source de confiance entre les partenaires sociaux

Un premier constat est celui du succès de la mission des médiateurs. Ainsi, pour trois entreprises, l’objet de l’intervention était d’améliorer le climat social, pour quatre, d’améliorer les relations avec les instances représentatives du personnel, pour deux entreprises, l’intervention devait conduire à préparer de futures négociations qui n’auraient jamais pu se dérouler sans la médiation. Or, l’ensemble des répondants reconnaît que ces objectifs ont été satisfaits[3]. Par conséquent, les médiateurs sont parvenus, dans tous les cas étudiés, à restaurer le dialogue entre les parties et donc à développer, à des degrés différents, des relations de confiance dans les cas étudiés. Si on regarde plus précisément le sentiment exprimé vis-à-vis de la confiance elle-même, il apparaît que celle-ci est explicitement reconnue comme rétablie pour le quart des acteurs, mais la durabilité au-delà de deux ans n’a été constaté que pour une seule entreprise. Une autre manière de mesurer l’effet de la médiation sur la confiance consiste à observer que le comportement des parties a changé. Elles adoptent systématiquement, dans tous les cas de médiation étudiés, un ton moins agressif et des attitudes respectueuses, même si ces améliorations ne perdurent pas non plus. Pour autant, la mesure de la confiance en elle-même passe par des mécanismes différents d’une situation à une autre. Notre objet est de faire émerger les différents mécanismes qui interviennent dans le rétablissement de la confiance issue d’un processus de médiation.

La complexité de ces mécanismes a pu être abordée grâce à un codage sélectif du discours relatif à la confiance. Douze catégories principales permettent de regrouper une cinquantaine de catégories liées au phénomène de confiance dans l’appui au dialogue social : l’échange, la protection, les tests, l’équilibrage, le respect, le cadre structurant, la catharsis, l’approfondissement, l’ouverture, la volonté, l’action et la réserve (figure 1).

Nous analysons plus en détail ci-après, en illustrant nos propos pas des citations des personnes interrogées, les différentes sous-dimensions émergentes de la confiance, tout en effectuant un rapprochement avec les typologies de la confiance de Lewicki et Bunker et McAllister. Notre objet n’est pas d’affirmer que les différents mécanismes décrits ici interviennent dans l’ensemble des cas étudiés mais de mettre en lumière la diversité et la complexité des phénomènes qui peuvent intervenir dans un processus de rétablissement de la confiance par le biais de la médiation au sein de l’entreprise.

La confiance « médiée » liée à la connaissance

Avec le concept de « confiance médiée », il s’agit pour nous d’insister sur les particularités de la confiance lorsqu’elle est introduite par l’intermédiaire de la médiation.

Notre étude fait alors apparaître le rôle positif du médiateur sur la confiance liée à la connaissance (Lewicki et Bunker), ainsi que sur la dimension cognitive décrite par McAllister. En effet, dans une situation que l’on peut qualifier « d’impasse relationnelle », le médiateur peut parvenir à relancer la circulation des informations entre les parties et ainsi favoriser le retour à cette forme de confiance. Nous avons représenté les catégories jouant un rôle dans la construction de la confiance liée à la connaissance dans la figure 2.

Nous illustrons, à travers les verbatims des acteurs, quelques catégories participant à la confiance liée à la connaissance, par exemple le cadre structuré proposé par les médiateurs :

Ils avaient des arguments comparés. Ce qui leur permettaient de dire dans la discussion : il me semble que sur ce point, vous n’avez pas les mêmes points de vue ; ils ne disaient pas : « est-ce que je pourrais savoir pourquoi ? », mais : pour pouvoir faire avancer les discussions, il faudrait peut être que vous, vous expliquiez votre point de vue, que vous, vous répondiez au point de vue qui vous est exposé, puis ensuite on arrête, vous expliquez votre point de vue, et vous, vous répondez. De là on tirera une synthèse. Chaque fois avec du recul ; ce n’est jamais eux qui ont pris l’initiative directe de la chose. Ce qui a instauré un climat de confiance car les parties dialoguaient l’une avec l’autre.

Ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est que c’était des gens d’une courtoisie parfaite mais en même temps, extrêmement rigoureux, on n’arrêtait pas d’avoir auparavant des digressions qui se terminaient en bataille, en joute oratoire, eux ne laissaient jamais un sujet dévier de l’ordre du jour, attendez on est pas là pour cela, nous on voit ceci, cela, etc., le débat c’est ceci et donc ils recadraient, recentraient, ils dirigeaient les débats, ils étaient pour cela tout à fait remarquables, c’était des pro de ce genre de chose. Eux [les médiateurs] nous ont appris à régler point par point, et à finaliser avant d’en attaquer un autre ; alors qu’on avait tendance à se disperser sans arrêt, autant nous que les patrons.

Figure 1

Les catégories liées à la confiance par la médiation

Les catégories liées à la confiance par la médiation

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Figure 2

La confiance médiée liée à la connaissance

La confiance médiée liée à la connaissance

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Également, l’ouverture est une dimension importante de cette forme de confiance qui se manifeste par la transparence, et le fait de pouvoir dialoguer franchement. Un représentant met l’accent sur l’importance de la transparence au sein de l’entreprise :

La confiance ne pouvait être induite que par la transparence que l’on pouvait avoir les uns les autres ; mettre en confiance l’autre par la transparence, ce qui n’est pas toujours facile, pour diverses raisons ; c’était l’un des enjeux majeurs du dialogue ; est-ce que tout peut être transparent ? Comme nous faisons partie d’un groupe, est-ce que la stratégie du groupe était claire aux yeux de tous ? Les objectifs des syndicats étaient-ils clairs ? Cela faisait partie des interrogations, cela a été travaillé, puisqu’il y a eu de la part de la hiérarchie, une volonté de transparence, des efforts de participation. Pour ce qui concerne la stratégie des objectifs : une communication sous la forme d’un flash info a été mise en place ; flash information est distribué tous les mois avec la feuille de paye, et touche l’ensemble du personnel, pour donner des informations au personnel, des messages de la direction, de la qualité de la sécurité, de l’environnement, moi-même je fournis des articles à propos de la qualité, la sécurité, l’environnement. Cela n’a jamais été abandonné. D’autres personnes contribuent.

L’action participe à cette forme de confiance et se manifeste dans l’exemple suivant par la rupture des cloisonnements :

Avant le dialogue social chacun était dans son coin, ce qu’il faisait était le plus important. Après, comme on a pu dire nos différends, il y a eu une plus grande compréhension ; on se rendait compte qu’il y avait des problèmes partout ; on s’est rapproché. Avant le dialogue social, il y avait le casino et l’hôtel avec beaucoup d’hostilité et de méfiance, cela ne s’est pas rangé du jour au lendemain mais ensuite avec le temps.

L’écoute active qui se développe montre que ce niveau de confiance est atteint, en effet :

Ils ont eu un gros mérite, de faire en sorte qu’on écoute les patrons et que les patrons nous écoutent. On ne parlait pas la même langue. Par moment je me forçais à être l’observateur, à me mettre à leur place ; je réalisais que nous étions en train de dire les mêmes choses. On disait la même chose mais l’origine fait que l’on n’accorde pas la même valeur. Ils nous ont appris à nous écouter.

C’était assez ahurissant parce que l’on parlait de la même chose, on avait à la limite quasiment les mêmes objectifs, mais on leur disait des trucs qu’ils n’écoutaient pas et eux nous disaient des trucs que nous n’écoutions pas non plus. À la limite, c’est parce que cela venait d’eux que nous ne voulions pas les écouter. Il n’y avait pas de confiance réciproquement.

L’approfondissement joue un rôle également dans la confiance liée à la connaissance car les médiateurs aident les parties à réfléchir, à prendre du recul et donc à appréhender un univers cognitif moins étroit. Des prises de conscience sont alors possibles, ceci sur des registres factuels et argumentés.

J’ai un PDG qui, effectivement, dit les choses, alors cela fait plaisir, où cela ne fait pas plaisir, mais en général, quand il y a des problèmes dans l’entreprise, quand la situation est difficile, il le dit. Et parfois, à l’époque, les gens disaient, bon, il nous raconte n’importe quoi, c’était le leitmotiv, et je pense que les gens ont pris conscience qu’avec ses défauts et ses qualités, il avait au moins le mérite de dire les choses […]. Les gens ont pu exprimer des choses avec bon sens, ce qui démontre une certaine prise de conscience, cela les faisait réfléchir.

Les employés nous ont découverts différents, nous voyaient autrement, ont compris nos motivations, ont accepté certaines motivations, pas tout ; on s’est rendu compte qu’on avait de bons employés ; ils subissaient sans comprendre ; pour l’encadrement cela a permis de nous dire ce qu’ils n’osaient pas dire dans les réunions d’encadrement normales, c’était très volontariste, ils se sont sentis repositionnés car ils ont pu dire les choses, cela a été positif pour certains, pas pour d’autres, certains sont des girouettes […] ; très positif, cela nettoie les malentendus, on s’est retrouvé devant des gens biens, on a redécouvert notre entreprise.

La confiance « médiée » basée sur le calcul

L’univers cognitif n’est pas séparé des éléments plus émotionnels, plus affectifs qui eux aussi jouent un rôle. Certains entretiens réalisés font également apparaître le rôle du médiateur sur la confiance basée sur le calcul, qui elle est plus proche des notions d’espérance de récompense, d’anticipation possible et d’affect (figure 3). Cette forme de confiance est d’ailleurs inscrite préalablement puisque les parties s’engageant dans le processus de médiation sont volontaires.

Figure 3

La confiance médiée calculée

La confiance médiée calculée

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Dans l’échange, c’est la convivialité qui peut exprimer cette dimension affective de la confiance. Les médiateurs contribuent à assurer une forme de protection des parties. Ils empêchent les règlements de compte, développent la mise en confiance, l’intimité entre eux et les parties ce qui facilite par imitation le dévoilement des personnes entre elles. L’équilibrage relationnel se produit par l’apaisement :

Les intervenants ont fait en sorte de neutraliser les débats ; on répondait à un groupe pas à une personne ; cela a dégonflé la baudruche et les émotions.

Les gens se sont sentis peu à peu plus en confiance, ils s’exprimaient plus.

L’apaisement est fortement lié à la notion de respect, règle de l’intervention :

C’est un rôle d’éveil. Ils [les médiateurs] sont intervenus dans le débat afin que l’on se respecte. Cela nous a permis de discuter franchement et paisiblement.

Dans les aspects positifs, nous pensons qu’ils ont confiance en nos engagements, qu’ils savent que ce que nous disons est fait, même si ce n’est pas fait assez vite.

C’est ce respect mutuel, les règles du jeu qui seront reprises par les parties une fois seules, qui peut conduire au sentiment que l’autre partie tiendra ses engagements et donc à un sentiment de confiance sur son action à venir.

La fermeté ici est à prendre dans le sens où les médiateurs tiennent leur engagement, en l’occurrence de respect des règles de dialogue qu’ils ont instituées et incitent les parties à faire de même. Également le trop plein émotionnel peut s’avérer bloquant et les médiateurs aident les parties à surmonter les blocages personnels, à se focaliser sur l’intérêt général qui prime sur les histoires personnelles ; à ne pas s’arrêter à la personne en face de soi et cela, en prenant du recul.

Les effets cathartiques sont marquants et douloureux pour certaines personnes, mais le but est de prendre conscience d’un comportement inapproprié afin de le modifier et d’introduire une prévisibilité positive.

Le déballage a été dur à entendre pour tout le monde, la perception de chacun de ses qualités et surtout de ses défauts, de ce qu’il sait faire ou pas faire, est difficile à entendre. C’était pris pour une critique au premier niveau, cela a été dur pour tout le monde. Je compte que cela a été salutaire, et qu’il faut le faire, […], et lister tout ce que l’on reproche aux autres, mettre toutes les rancoeurs sur la table, toutes les critiques que l’on peut avoir à l’égard de l’autre, c’est une bonne chose à condition de pouvoir être aidé ensuite pour mieux comprendre, pour s’expliquer, et de modifier un comportement ; pour éviter de retomber dans ce que l’on décrit et qui est difficile.

La médiation et la confiance identitaire

La médiation se heurte à des limites concernant la confiance identitaire (c’est-à-dire liée aux valeurs et à l’identification aux désirs et intention de l’autre partie). Nous avons tenté de répertorier les variables qui jouent un rôle dans ce domaine. Nous remarquons que certains éléments jouent positivement mais que d’autres illustrent la frontière des identités en jeu.

Le travail des médiateurs va consister à introduire le respect des identités de chacun ; chaque partie possède sa propre légitimité et l’approfondissement vécu par les parties permet la prise de conscience, la reconnaissance de l’autre, l’acceptation de points de vue différents. Cela débouche sur une ouverture qui permet aux parties d’admettre que chaque partie puisse être porteuse de logiques différentes et légitimes.

Figure 4

La confiance identitaire par la médiation

La confiance identitaire par la médiation

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On a senti d’une part qu’ils acceptaient que l’on ait des arguments différents des leurs ; ils acceptaient d’en discuter, ils acceptaient de les intégrer dans leur réflexion ; nous, de notre coté, en tous cas, en ce qui me concerne, j’ai commencé à accepter, qu’ils aient des avantages, qu’ils aient envie de les défendre et continuent à les défendre même si je continue à penser que ces avantages sont excessifs.

Et cela est quelque chose qui a beaucoup évolué dans ma façon de raisonner, de réagir, on ne peut pas dire que cela m’amuse outre mesure, parce que ce n’est pas ma tasse de thé, pas mon métier, mais maintenant j’ai compris que c’était important et nécessaire et j’y vais sans trop de contrainte, sans trop d’état d’âme, oui c’est important de parler d’état d’âme, parce que à un moment je me disais : « à quoi cela sert ? On perd son temps, c’est négatif, de toutes façons c’est nous qui avons raison, puisque c’est nous qui sommes les apporteurs de boulot, et voilà ».

Mais une réserve apparaît, en particulier une fois les médiateurs partis, entraînant un déclin de la confiance qui prend sa source dans la salience des intérêts contradictoires, dans le fait que les parties se tiennent sur leur garde, sont vigilantes.

Le fait d’avoir des intérêts contradictoires, cela ne peut pas changer.

Ils sont revenus sur un accord, […] dégradation, agressivité contre la direction ; le conflit rapporte plus, justifie ; les légitime, les valorise, aller trop loin dans les compromis peut les dévaloriser ; et ils croient que le compromis est une forme de défaite.

Par conséquent, la réduction des effets dans le temps de la médiation sur la confiance pourrait être liée en particulier à cet impact plus difficile sur la confiance identitaire que sur les autres dimensions de la confiance, dans le cadre des relations entre partenaires sociaux. Ainsi, si on retient la typologie de Lewicki et Bunker (1995b), la médiation agirait sur la confiance calculée et sur la confiance liée l’information mais seulement de façon provisoire et partielle sur la confiance identitaire ; celle-ci est fragile et serait la première à décliner une fois les médiateurs partis. De plus, si on retient la typologie de McAllister (1995), la médiation agirait sur la confiance cognitive, mais une détérioration de la confiance se porterait davantage sur la confiance affective, c’est-à-dire la confiance liée aux aspects relationnels et affectifs.

La médiation et la mise en place d’un « contrat psychologique »

Se pose le problème du suivi du processus de médiation. En effet, à partir du moment où la présence de médiateur est source, en elle-même, de confiance, via sa dimension identitaire ou affective, cela implique un certain suivi du processus dans le temps. Ce rôle du médiateur peut également être illustré à travers les propos d’un « médiateur » interviewé, qui indique :

Ce n’est pas un engagement à deux, c’est un engagement à trois : direction, salariés et intervenants [médiateurs]. Nous [les médiateurs] on s’est engagé. On a toujours respecté nos engagements, les réunions, les horaires […] Cette notion d’engagement à trois je me rends compte qu’elle est vraiment très importante.

Une approche en termes de « contrat psychologique »[4], qui soit tripartite, entre les représentants d’employeurs, les représentants de la direction et les médiateurs, d’engagements réciproques et tacites, pourrait agir sur les dimensions affective et identitaire de la confiance, même si ces dernières sont nettement plus difficiles à appréhender et à réduire et que dans un certain nombre de cas, des limites idéologiques seront source de blocages irréductibles. Cependant, cela ne signifie pas que les différends entre personnes n’existeront plus, ni que les relations au sein de l’entreprise seront pleinement coopératives (Rojot, 1994). La médiation n’est pas là pour supprimer les conflits, mais simplement pour rétablir la relation de confiance, nécessaire à des relations d’échange et de négociation « saines » au sein de l’entreprise. Il convient toutefois de noter aussi qu’une contrainte temporelle forte se fait sentir. Une fois rétablie, la confiance s’érode. La plupart des entretiens révèlent l’importance de cette donnée. Il est souvent mis en évidence qu’une continuité de l’intervention des médiateurs dans le temps serait souhaitable pour éviter cette dégradation. Les dimensions identitaires et affectives de la confiance sont sans doute les premières à être affectées, sous l’impact du substrat idéologique facilement transposé au vécu du quotidien des relations du travail et des pressions des contraintes internes de chacun (mandants, production, urgences, etc.). Un effet de contagion peut ensuite se faire sentir sur les autres dimensions.

Conclusion

Pour conclure, la question de la confiance est aujourd’hui primordiale dans l’entreprise, elle est une condition de ses capacités d’adaptation au changement dans un contexte d’internationalisation, de concurrence accrue et de forte variabilité de l’environnement. La médiation peut alors être perçue comme un de ces outils précieux visant à agir dans des contextes où on perçoit une « impasse relationnelle » entre les partenaires sociaux afin de rétablir la confiance et d’améliorer le climat social dans l’entreprise. Finalement, à l’issue de notre réflexion, une question essentielle émerge, celle de savoir à partir de quel seuil, la notion générale de confiance bascule du côté négatif au côté positif. Dans quelles proportions chacune des sous-dimensions de la confiance doit-elle être satisfaite pour que l’on passe d’une situation de méfiance à une situation de confiance ? C’est de cette interrogation que naît la complexité à analyser et à mesurer ce phénomène.

Notre étude nécessiterait d’être prolongée par des enquêtes complémentaires afin de conduire à des enseignements ayant une portée plus générale. En effet, la validité externe de celle-ci est limitée dans la mesure où elle ne s’appuie que sur une dizaine de cas d’entreprise et reste donc nécessairement contextuelle. Mais, elle permet de mettre en lumière des mécanismes complexes à travers une étude détaillée des différentes dimensions de la confiance issue d’un processus de médiation et contribue « à désambiguïser un événement communicatif isolé » (Eco, 1990).