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Introduction

En 2011, le gouvernement du Québec a mis en place une initiative visant à moderniser l’éducation par l’usage d’un outil numérique novateur : le tableau blanc interactif (Couture 2020). Les recherches portant sur son usage réel ont identifié qu’il n’avait pas donné lieu au renouvellement des pratiques pédagogiques et que, dans certains cas, il était allé jusqu’à renforcer certaines pratiques traditionnelles en enseignement (Plantard 2016). De plus, il semblerait que les technologies numériques génèrent des « résistances », peu importe les générations d’utilisateurs (Kouawo et  al. 2013) et qu’elles soient peu utilisées pour soutenir les apprentissages (Lefebvre et Fournier 2014), les enseignants[1] se sentant comme des novices dans l’utilisation qu’ils en font (Stockless, Villeneuve et Beaupré 2018). Ainsi, il faut attendre le contexte d’urgence de la pandémie de covid-19 pour que leur usage s’impose au personnel enseignant des différents milieux éducatifs (Couture 2020) dans un phénomène d’« Emergency Remote Teaching » (Hodges et al. 2020). Dans cette nouvelle réalité, certains enseignants perçoivent également comme menaçantes les technopédagogies qui pourraient déraciner des pratiques existantes éprouvées et voir les salles de classe se vider (Couture 2020), forçant ainsi un transfert vers l’enseignement à distance.

La formation à distance à l’aide des technologies numériques ayant été étudiée depuis plusieurs décennies, il est surprenant de constater à quel point les milieux éducatifs ont été pris au dépourvu alors que l’enseignement en ligne a été imposé à cause de la pandémie. De nombreuses données probantes sont pourtant disponibles, depuis quelques décennies, concernant les principales dimensions reliées à l’enseignement en ligne : les modalités, le rythme de l’enseignement, le ratio enseignant-élèves, l’approche pédagogique, le rôle de l’enseignant, le rôle de l’apprenant, la communication synchrone, le rôle de l’évaluation en ligne et les sources de rétroaction (Hodges et al. 2020). L’utilisation des technologies de l’information et de la communication est d’ailleurs partie intégrante des programmes de formation en enseignement. Le nouveau Référentiel de compétences professionnelles pour la profession enseignante du ministère de l’Éducation du Québec (2020) la nomme maintenant « Mobiliser le numérique. Utiliser le numérique afin d’en faire bénéficier les élèves ainsi que l’ensemble des actrices et acteurs éducatifs » (p. 78). L’usage du numérique dans l’enseignement des arts s’est également grandement accéléré pendant la pandémie et ceci a nécessité une adaptation des pratiques pédagogiques. Ce grand bouleversement est de mieux en mieux documenté dans divers contextes et parties du monde comme l’Angleterre (Daubney et Fautley 2020), l’Italie (Schiavio, Biasutti et Antonini Philippe 2021), la Turquie (Akyürek 2020) et les États-Unis (Thornton 2020).

Par ailleurs, de nombreux organismes professionnels ont publié des lignes directrices pour l’adaptation de l’enseignement de la musique en présence et à distance. Parmi ceux-ci, deux associations américaines, la National Federation of State High School Associations (nfhs) et la National Association for Music Education (nafme) ont publié un guide pour la rentrée 2020. Le Fall 2020 Guidance for Music Education propose ainsi différentes informations et solutions pratiques concernant les mesures sanitaires à respecter pour l’enseignement de la musique en présence, mais aussi des pistes pédagogiques tant pour l’enseignement de la musique en présence qu’à distance.

Au Canada, la British Columbia Music Educators’ Association (2020), l’Association of Music Administrators of Manitoba (2020) et la Newfoundland and Labrador Music Educators’ Association (Beresford et al. 2020) ont aussi proposé des guides pour la rentrée scolaire 2020 avec à la fois des solutions pour l’enseignement en classe et des suggestions pour l’enseignement en ligne, s’appuyant sur la littérature scientifique. La Fédération des harmonies et des orchestres symphoniques du Québec (fhosq) en association avec la Fédération des associations des musiciens éducateurs (fameq) ont publié le Guide sanitaire pour les ensembles musicaux (2020) qui offre des informations sur la désinfection des instruments sans toutefois offrir de solutions pédagogiques aux enseignants. Finalement, des chercheurs de l’Université Laval ont publié un Rapport préliminaire des solutions pour enseigner la musique en milieu scolaire à la suite de l’impact de la covid-19 au Québec (Lemay et Peters 2020), lequel inclut une revue de littérature de différentes ressources à l’intention des enseignants québécois.

L’ensemble des publications citées plus haut offre des informations sur la transmission du virus et propose des balises pour l’utilisation des instruments de manière sécuritaire en s’appuyant sur les recommandations sanitaires de diverses instances. Cependant, le Guidance for Music Classes in Newfoundland and Labrador during covid-19 (Beresford et al. 2020) est la seule publication dans laquelle figure une liste alphabétique de 19 ressources numériques, qui vont du logiciel gratuit pour la notation musicale (MuseScore) au système complet, et payant, pour mettre en place un programme d’enseignement en ligne (SmartMusic).

Le passage de l’enseignement de la musique en mode distanciel pendant la pandémie, malgré des enjeux importants, a permis d’accélérer l’utilisation des ressources numériques qui peinaient à se faire une place dans les milieux éducatifs. Cette transformation a également affecté les relations des apprenants et des enseignants avec les outils technologiques, forçant la mise à jour des compétences de ces derniers. Pour étudier ces changements, il importe de s’appuyer sur des outils d’analyse pertinents reposants sur des assises théoriques congruentes. La recherche que nous présentons ici a pour but d’élaborer des outils permettant d’analyser l’utilisation des ressources en fonction de leur nature et de la posture prise par les utilisateurs pendant la première vague de covid-19 au Québec. Les objectifs de cet article sont de présenter 1) l’élaboration d’une typologie qui identifie la nature des ressources numériques pour l’enseignement de la musique et 2) le développement d’un modèle conceptuel opératoire de l’utilisation des ressources numériques en contexte scolaire québécois.

Dans la section suivante, nous présenterons les classifications existantes et leurs caractéristiques, puis nous décrirons de quelle façon leur complémentarité nous permet de proposer une typologie actualisée regroupant l’ensemble des ressources numériques disponibles pour l’enseignement-apprentissage. Par la suite, nous expliciterons les assises théoriques de notre outil d’analyse de l’utilisation des ressources, sa représentation graphique et son fonctionnement.

Recension des classifications des ressources numériques

Dans un premier temps, il nous semble important de clarifier les concepts de taxonomie et typologie qui sont parfois utilisés dans la littérature de manière indistincte. Une taxonomie réfère à « un système de classification systématique et hiérarchique » (Legendre 2005, p. 1416), est exhaustive et vise une classification, le tout discriminant chacune des caractéristiques des éléments qui y figurent. Quant à la typologie, elle est plutôt intégratrice, car elle vise « à réduire la diversité des éléments d’un ensemble en quelques types plus signifiants et, ainsi, à réduire la complexité d’un phénomène » (Basque et Lundgren-Cayrol 2003, p. 2). La première étape de notre travail a donc été constituée d’une recherche documentaire des travaux existants, en utilisant les mots clés « taxonomie » et « typologie ».

Dans un premier temps, un corpus a été constitué grâce aux références suggérées par des chercheurs québécois experts du domaine numérique. Dans un deuxième temps, nous avons effectué une recherche documentaire avec les mots clés « taxonomie ou typologie » et « numérique ou technologique » dans les bases de données Érudit et eric, qui a généré 409 articles révisés par les pairs. Par la suite, une autre recherche systématique a été effectuée grâce à ebsco avec les mots clés « digital or technology » and « taxonomy or classification » and « education or school or learning or teaching or classroom or education system ». Nous avons limité les résultats aux articles révisés par les pairs avec « classification » comme sujet, pour 872 documents, et avons effectué une première sélection à l’aide du titre. Dans un troisième temps, nous avons lu les résumés afin de nous assurer de la correspondance aux critères suivants : 1) l’article présente une classification (taxonomie ou typologie) des ressources numériques, 2) il s’inscrit dans un contexte d’enseignement-apprentissage et 3) est écrit en français ou en anglais. Cette recherche nous a permis d’identifier deux recensions exhaustives (Basque et Lundgren-Cayrol 2003 ; Bower 2016) dans lesquelles étaient présentées des typologies et taxonomies publiées entre 1980 et 2016.

Finalement, nous avons conservé 10 articles répondant à nos critères d’inclusion (Baron et Harrari 2006 ; Benoit et Feuilladieu 2017 ; Bibeau 2005 ; Buisson et al. 2004 ; Cavanagh et al. 2020 ; Charlier, Deschryver et Peraya 2006 ; Ekren et Özdamar Keskin 2017 ; Hersh 2017 ; Loisier 2011 ; Passey 2019 ; Pechenkina 2017). Dans la section suivante, nous présentons d’abord les méta-analyses recensées, en portant un regard critique sur l’évolution des classifications existantes. Par la suite, nous analysons de façon plus détaillée les classifications qui ont retenu notre attention et la façon dont elles ont influencé notre réflexion.

Dans leur analyse critique des classifications, Josianne Basque et Karin Lundgren-Cayrol (2003) recensent 29 typologies des ressources numériques qu’elles organisent en trois catégories selon leurs usages : 1) centrées sur l’acte d’enseignement-apprentissage (n=15), 2) centrées sur l’école (n=9) et 3) centrées sur l’apprenant (n=5). Ces catégories sont subdivisées à leur tour en sous-catégories (tableau 1).

Tableau 1

Catégorisation de typologies des ressources numériques (Basque et Lundgren-Cayrol 2003, p. 7).

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Matt Bower (2016), pour sa part, compare cinq typologies existantes publiées entre 2007 et 2010 et mentionne une incohérence concernant la définition des concepts et un manque de rigueur méthodologique. Pour pallier cette lacune, il propose une analyse qui recense plus de 200 ressources éducatives numériques, en ligne et gratuites, organisées en 37 catégories et 14 sous-catégories selon une approche méthodologique reposant sur quatre critères qu’il définit avec précision : 1) outils disponibles gratuitement, 2) exploités via un navigateur Web, 3) permettant une certaine forme de création, de modification ou de partage et 4) ayant une applicabilité évidente sur le plan éducatif.

L’évolution de la technologie et des contextes peut expliquer la pluralité des classifications existantes. En effet, on retrouve maintenant des typologies au service de l’analyse des situations pédagogiques (Baron et Harrari 2006 ; Benoit et Feuilladieu 2017 ; Cavanagh et al. 2020 ; Hersh 2017 ; Passey 2019) et des caractéristiques des ressources (Bower 2016). En outre, ces nouvelles typologies s’ancrent dans une utilisation contextualisée : en classe ou hors classe de façon autonome (Baron et Harrari 2006 ; Benoit et Feuilladieu 2017 ; Bibeau 2005), à distance (Loisier 2011) et en mode hybride pour la formation continue des professionnels (Charlier et al. 2006). On remarque également des classifications spécifiques à une clientèle utilisatrice définie, nommément pour les étudiants postsecondaires (Cavanagh et al. 2020 ; Pechenkina 2017) ainsi que pour les élèves à besoins particuliers ou présentant des handicaps (Benoit et Feuilladieu 2017 ; Cavanagh et al. 2020 ; Hersh 2017). On voit même certaines classifications qui se limitent à des outils technologiques spécifiques, comme les applications mobiles (Ekren et Özdamar Keskin 2017 ; Pechenkina 2017) ou les sites pédagogiques (Buisson et al. 2004).

Parmi les travaux recensés, deux en particulier retiennent notre attention. Les recherches de Robert Bibeau (2005), qui permettent le classement des ressources numérique selon différentes caractéristiques, et celles de Jean Loisier (2011), qui ont été menées en contexte d’enseignement à distance et permettent de comprendre la fonction communicationnelle des ressources numériques. Ces deux chercheurs proposent des outils complémentaires pour étudier les ressources numériques en contexte éducatif.

Bibeau (2005) propose une classification en six catégories qui reflètent la nature technologique des ressources : 1) les portails, moteurs de recherches et répertoires, 2) les logiciels outils, éditeurs, services de communication et d’échanges, 3) les documents généraux de référence, 4) les banques de données et d’oeuvres protégées, 5) les applications de formation et 6) les applications scolaires et éducatives. De plus, il regroupe ces ressources numériques générales selon qu’elles soient disponibles en ligne ou hors-ligne et propose une catégorisation imbriquée spécifique aux ressources numériques en ligne : 1) les banques de données et de documents de références, 2) les répertoires, moteurs de recherche et catalogues, 3) les sites d’activités, d’animation pédagogique et de formations en ligne et 4) les portails, plateformes et portfolios personnalisés. Dans cette catégorisation imbriquée, la première catégorie est incluse dans la seconde, qui est incluse dans la suivante et ainsi de suite. Notons que Bibeau qualifie sa classification de taxonomie alors qu’elle s’apparente davantage à une typologie de par sa dimension intégratrice plutôt qu’exhaustive.

Loisier (2011), quant à lui, conçoit la fonction des ressources numériques selon trois axes de la communication en contexte de formation à distance : la téléprésence, la télémémoire et, à la jonction de ces deux axes, la téléparticipation ou la télécollaboration. La téléprésence permet d’être présent même à distance et décline principalement les modes associés à l’enseignement à distance plutôt que les ressources numériques auxquelles se référer. On y retrouve l’audioconférence, la vidéoconférence, la messagerie instantanée et la télémanipulation (simulateurs), toutes des ressources largement utilisées dans le contexte de la pandémie. L’auteur y inclut également le concept de l’apprentissage et de la communication nomade qui fait référence à la possibilité d’échanger virtuellement à l’aide de la technologie, indépendamment du lieu physique des utilisateurs. Quant à la télémémoire, elle correspond aux ressources entreposées en ligne. Elle comprend les manuels numériques, les documents en lignes, les bibliothèques, les producteurs d’informations (articles, organismes, médias), les livres numériques, les répertoires en ligne (dictionnaires, cartographies, encyclopédies) et les outils de recherche (métadonnées et moteurs de recherche). Finalement, Loisier organise les outils de téléparticipation, ou télécollaboration, en 6 catégories : les plateformes d’apprentissage, les agendas numériques, les outils de collaboration textuels (forum, salons de clavardage, blogues, wikis), les jeux d’apprentissage en ligne et les télévoteurs, les portfolios numériques (d’évaluation ou d’apprentissage) et les réseaux sociaux ou outils de socialisation.

Appréhender l’analyse de la fonction d’une ressource selon trois axes communicationnels pour l’enseignement-apprentissage à distance apparaît pertinent à notre situation, avec quelques aménagements. Par exemple, l’apprentissage nomade est désormais une pratique courante avec le développement de l’accès internet en itinérance. Notons aussi que le stockage infonuagique (par exemple, OneDrive), qui s’est développé récemment, n’est pas considéré explicitement par Loisier. De plus, si sa proposition permet d’analyser la fonction communicationnelle d’une ressource numérique, elle ne constitue pas un cadre de classification des ressources selon leurs caractéristiques intrinsèques, ce à quoi s’attarde Bibeau. Les classifications recensées ci-haut doivent être révisées à la lumière des multiples contextes éducatifs actuels pour inclure les formes bimodale[2], synchrone, asynchrone et hybride et prendre en compte l’évolution rapide et constante des technologies numériques. Par ailleurs, aucune des classifications existantes n’a été conçue sous l’axe de l’enseignement- apprentissage en musique.

Typologie des ressources numériques pour l’enseignement-apprentissage en musique

Une typologie peut être élaborée de manière inductive, en observant la réalité, pour identifier les caractéristiques qui émergent et permettre de définir les types ; ou de manière déductive, grâce à des catégories déjà définies dans un cadre validé (Legendre 2005, p. 1416). Pour l’élaboration de notre typologie des ressources numériques, nous avons utilisé une approche mixte. D’abord, d’un point de vue déductif, notre typologie pourrait être considérée comme une mise à jour de la classification proposée par Bibeau (2005), actualisée à la lumière de l’évolution technologique. Puis, de manière inductive, nous avons fait l’analyse des ressources numériques utilisées pendant la première vague de la pandémie par les musiciens éducateurs de façon à en identifier leurs spécificités. Nous utilisons le terme typologie, plutôt que taxonomie qui réfère à une classification hiérarchique et exhaustive, car ce type de structure vise à organiser un ensemble selon des caractéristiques plus générales. Notre typologie a une fonction interprétative et explicative, car elle révèle les principes organisateurs d’un phénomène pour en permettre la compréhension (Legendre 2005). Ainsi, notre souhait est de simplifier et de limiter le nombre de catégories.

Pour constituer le corpus des ressources numérique à analyser et afin de développer notre typologie, nous avons procédé en deux temps. Premièrement, nous avons répertorié les ressources numériques pour l’enseignement de la musique proposées par les sites internet d’associations professionnelles (fameq, Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, fhosq), d’organismes culturels (Orchestre symphonique de Montréal, Orchestre Métropolitain, Centre national des arts, Société de musique contemporaine du Québec), des Centres de services scolaires et d’organismes pédagogiques du Québec (Service national du récit domaine des arts, École en réseau), francophones et anglophones, puis du reste de la francophonie. Plusieurs  d’entre eux ont, à même leur site internet, une liste de ressources numériques pour l’enseignement. On y retrouve sommairement de la documentation (pédagogique ou sanitaire), des liens vers des sites internet et des applications, des offres de formations et des plateformes d’échanges ou forums de discussion. Dans un deuxième temps, nous avons consulté les murs virtuels d’enseignants et de conseillers pédagogiques qui proposent des ressources numériques (Padlet, FlipGrid et Wakelet). Ceci nous a permis d’enrichir notre corpus et de confirmer l’utilisation de celles déjà recensées.

Dès la première analyse, nous avons constaté que les ressources présentent des caractéristiques liées à leur modalité d’utilisation (accès, temporalité et lieu d’utilisation), à leur contenu et à la langue d’utilisation. Certaines ressources sont accessibles sans frais, alors que d’autres sont payantes ; dans les deux cas, une forme d’inscription ou d’abonnement peut être, ou non, requise. Concernant la temporalité, certaines ressources peuvent être utilisées seulement en simultané par les utilisateurs, selon un mode synchrone, comme les applications de conversation (Skype). D’autres permettent une utilisation à différents moments, selon un mode asynchrone (YouTube) ou une temporalité hybride (Teams). Pour terminer, plusieurs ressources peuvent être utilisées en présence, à distance ou de manière bimodale et toutes sont en ligne ou téléchargeables. Quant à leur contenu, les ressources sont parfois destinées à la transmission et à l’acquisition de savoirs disciplinaires (banques de partitions), ou à un usage général sans être rattachées à une discipline, comme les plateformes de visioconférence. De plus, certaines ressources sont disponibles dans une seule langue ou plusieurs.

Afin de classer les ressources numériques, nous proposons une typologie à catégories imbriquées fortement inspirée de celle de Bibeau et qui prend en compte les travaux de Loisier quant à la fonction des ressources. Cependant, compte tenu de la réalité actuelle, l’utilisation de la double catégorisation en ligne/hors-ligne de Bibeau nous paraît désuète. Ainsi, dans notre typologie, nous considérons l’aspect en ligne ou hors ligne comme étant une caractéristique de la ressource, plutôt qu’une catégorie distincte. La classification proposée se décline en quatre catégories : a) les documents de référence, b) les répertoires, moteurs de recherche, catalogues et banques de données, c) les sites et applications simples ou complexes et d) les portails, plateformes et portfolio personnalisés (voir figure 1). Ainsi, des ressources appartenant à différentes catégories, et pouvant être utilisées simultanément, sont prises en compte grâce aux catégories imbriquées. À titre d’exemple, lors d’une rencontre en visioconférence, les participants peuvent utiliser la fonction de partage d’écran pour consulter un document pdf. Notons que chaque catégorie peut regrouper des ressources avec des caractéristiques différentes quant aux modalités d’utilisation (accès, temporalité et lieu d’utilisation), au contenu, et à la langue d’utilisation.

Figure 1

Typologie des ressources numériques en contexte d’enseignement-apprentissage en musique.

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Les documents de référence

La première catégorie regroupe des données brutes telles des enregistrements audio et vidéo (fichiers mp3, mp4, etc.), des banques d’images (par exemple, Pixabay) et divers documents numériques (par exemple, des fichiers pdf).

Les répertoires, moteurs de recherche, catalogues et banques de données

La seconde catégorie regroupe les ressources servant à l’indexation et au repérage, comme les répertoires (par exemple, la boîte à outils de la fameq), moteurs de recherche (par exemple, Google), catalogues et banques de données (par exemple, la Phonothèque québécoise).

Les deux premières catégories sont présentes dans les travaux de Bibeau et correspondent aux outils recensés dans l’axe télémémoire de l’enseignement à distance par Loisier. On pourrait les définir respectivement comme des données de première et de seconde main. À noter que, contrairement à Bibeau, nous concevons les banques de données comme des outils d’indexation et les avons donc classées dans cette seconde catégorie.

Les sites et applications simples ou complexes

La troisième catégorie regroupe les sites internet ainsi que les applications simples et complexes. Ces ressources peuvent être utilisées de manière autonome ou, au contraire, en concomitance avec une ou plusieurs autres. Ainsi, nous faisons une distinction entre les sites et applications simples, étant utilisés de manière autonome (comme un métronome en ligne) et les sites et applications complexes. Ainsi, EdPuzzle, qui permet d’ajouter du contenu interactif à une ressource documentaire vidéo préexistante, est un bon exemple d’application complexe, car son utilisation nécessite obligatoirement le recours à une seconde ressource numérique : des enregistrements vidéo privés ou publics accessibles, par exemple, sur YouTube, ted ou Viméo.

De plus, notons que les applications simples ou complexes peuvent constituer une des fonctionnalités d’une plateforme ou d’un portail, comme pourrait l’être le tableau blanc sur Zoom. Ainsi, certaines applications peuvent aussi être utilisées de façon indépendante ou autonome, par exemple celles de la suite Google (Gmail, Drive, Agenda, etc.). En revanche, d’autres sont obligatoirement liées à l’utilisation de la plateforme dont elles sont tributaires (comme les fonctions clavardage et tableau blanc de Zoom). Pour terminer, notons que cette catégorie englobe la majorité des outils de téléparticipation identifiés par Loisier.

Chez Bibeau, la troisième catégorie s’intitule « Sites d’activités, d’animation pédagogique et de formations en ligne ». Cette dénomination amène une description de l’utilisation faite d’une ressource davantage que de sa nature. Il nous semble plus cohérent de nommer la nôtre « Sites et application simples et complexes », et de cette façon s’assurer que chacune des catégories reflète la nature des ressources qui y sont associées.

Portail, plateforme et portfolio personnalisé

La dernière catégorie de notre typologie est constituée des ressources numériques permettant l’organisation des contenus et favorisant l’accessibilité à plusieurs autres ressources. Il s’agit donc de lieux d’hébergement personnalisés pouvant regrouper un ensemble de ressources, indépendamment du niveau de celles-ci dans notre typologie, afin d’en favoriser l’accès. Ils sont utilisés dans le but de compiler des travaux, des documents de références ou de rediriger les utilisateurs vers d’autres ressources. Ils peuvent être utilisés de façon individuelle ou collective, notamment dans un objectif de collaboration (par exemple, Padlet, Moodle, Mozaik Portail, stockage infonuagique).

Les applications Teams et Google Classroom sont des exemples de plateformes utilisées dans différents milieux scolaires. Ces ressources numériques sont non disciplinaires et incluent plusieurs fonctionnalités (applications simples et complexes) dont la visioconférence, les forums de discussions, le calendrier collaboratif et le tableau blanc. La fonctionnalité « partage d’écran » permet d’ailleurs aux utilisateurs de consulter conjointement des documents de référence et des banques de données. Cette catégorie regroupe également les ressources permettant l’hébergement et le partage infonuagique de documents (comme Dropbox) qui, comme nous l’avons mentionné, étaient absentes des travaux de Loisier.

Modèle conceptuel opératoire de l’utilisation des ressources numériques

Jusqu’à maintenant, dans les milieux scolaires, les enseignants ont eu tendance à adopter une posture « technocentrée » (Couture 2020, p. 4) donnant la priorité à l’objet technologique (Albero 2011). Les études scientifiques démontrent cependant que la pédagogie et la didactique devraient être priorisées lorsque vient le temps d’utiliser le numérique en classe (Conseil supérieur de l’éducation 2020 ; Lefebvre 2014 ; Stockless, Villeneuve et Beaupré 2018 ; Suárez-Rodríguez et al. 2018). De plus, procéder à une simple classification des ressources ne rend pas compte de l’utilisation qui en est faite, car les raisons pour lesquelles une ressource a été développée par le concepteur ne correspondent pas nécessairement à son usage réel. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré un modèle conceptuel opératoire qui permet de réfléchir à l’utilisation des ressources numériques catégorisées selon notre nouvelle typologie. Il permet de mettre en évidence les différentes relations qui en découlent lors de l’enseignement-apprentissage.

Pour ce faire, nous nous inspirons du modèle triangulaire de Jean Houssaye (1992) pour l’analyse des approches pédagogiques. Celui-ci est constitué de trois pôles (l’enseignant, l’élève et le savoir) et de trois processus (enseigner, former et apprendre). Ainsi, la relation entre enseignant et savoir constitue le processus « enseigner ». Celui-ci s’inscrit principalement dans une pédagogie dite traditionnelle, mettant de l’avant le lien savoir-professeur et étant axé sur les contenus, programmes et cours magistraux. De l’autre côté du triangle, entre l’élève et le savoir, se situe le processus « apprendre ». Il met de l’avant un contact direct entre les élèves et le savoir, l’enseignant n’est alors plus l’intermédiaire direct du savoir, mais plutôt un planificateur de situations d’apprentissage. À la base du triangle, on retrouve l’enseignant et l’élève dans le processus « former ». Ce dernier met la relation formateur-formés au centre des préoccupations. Le professeur « endossant une attitude non- directive » offre des structures laissant les élèves « s’organiser pour trouver un mode de fonctionnement qui leur permette d’acquérir des connaissances s’ils le désirent » (Houssaye 1992, p. 42). François Lombard (2007) revisite ce modèle afin d’analyser des scénarios pédagogiques dans lesquels est intégrée une ressource numérique, appelée ici « dispositif technologique ou cyber-prof ». Les relations entre ressources, apprenants, savoir et maître se matérialisent dans une représentation graphique en quatre points (tétraèdre). Ce modèle demande à être utilisé selon un point de vue particulier, une face à la fois comme trois triangles distincts, occultant de ce fait au moins un des quatre pôles.

Ces modèles, bien qu’ayant pour objectif l’analyse des scénarios pédagogiques, ne permettent pas de décrire l’utilisation des ressources numériques qui est au coeur des activités d’enseignement. Le recours à un modèle explicatif d’utilisation est donc un outil complémentaire à la nouvelle typologie visant à rendre compte de l’utilisation réelle de la ressource numérique, et ce, par chacun des utilisateurs. Le modèle pour l’analyse des ressources que nous présentons à la figure 2, bien qu’inspiré du triangle de Houssaye et du tétraèdre de Lombard, a été conçu dans une tout autre perspective. Il vise à décrire l’utilisation des ressources numériques pour l’enseignement-apprentissage grâce aux relations entre les pôles : 1) la ressource numérique, 2) l’enseignant et 3) l’apprenant. Le pôle supérieur correspond à la nature de la ressource numérique définie grâce à la typologie, sa fonction et ses caractéristiques présentées dans la première partie de cet article. Les pôles enseignant et apprenant, quant à eux, correspondent aux postures pouvant être prises par l’utilisateur.

Figure 2

Modèle conceptuel opératoire pour l’analyse des ressources numériques.

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Le modèle permet également de visualiser les multiples relations qui unissent ses composantes, soit les relations entre 1) l’enseignant et la ressource numérique, 2) l’apprenant et la ressource numérique qui sont toutes deux tributaires de 3) la posture adoptée par l’utilisateur, soit enseignante ou apprenante. Cette dernière face du triangle ne représente donc pas la relation enseignant-apprenant, mais bien celle de l’usager face à la ressource ; le passage fluide qu’il peut effectuer d’une posture à l’autre selon le contexte. Chacune de ces relations s’inscrit sur un continuum indicateur de l’activité d’enseignement et de l’activité d’apprentissage, le tout selon la posture de l’utilisateur. C’est la considération globale de l’ensemble de ces relations, incluant la fonction et les caractéristiques de la ressource déployée, qui permet ultimement de décrire l’utilisation qui s’en fait dans un contexte d’enseignement- apprentissage. Nous présentons tout d’abord les parties constituantes du modèle, puis les relations qui le caractérisent.

Parties constituantes du modèle

1. Utilisation

L’utilisation des ressources, au coeur de notre conceptualisation, est tributaire d’influences multiples. D’une part, l’utilisation est délimitée par la nature, la fonction communicationnelle et les caractéristiques de la ressource. Rappelons que les ressources présentent différentes modalités quant à l’accès, la temporalité et le lieu d’utilisation, ainsi qu’au contenu et à la langue d’utilisation. D’autre part, elle est influencée par l’usage qu’en font les utilisateurs et donc par l’objectif poursuivi. De ce fait, notre modèle renvoie à l’utilisation réelle ou constatée dans la pratique et non à celle projetée par les concepteurs de la ressource. En effet, l’usage d’une ressource peut varier en fonction de l’appropriation qu’en fera l’utilisateur, celui-ci pouvant adapter « l’outil à ses besoins et le détourne[r] de son usage prévu initialement, voire modifie[r] l’outil lui-même, révélant des possibilités d’évolution » (Tricot et Chesné 2020, p. 19).

Dans le système scolaire québécois, l’utilisation des ressources numériques dans un contexte d’activité pédagogique est définie par deux guides référentiels publiés par le ministère de l’Éducation du Québec : le Cadre de référence de la compétence numérique (2019, ci-après Cadre) et le Référentiel de compétences professionnelles. Profession enseignante (2020, ci-après Référentiel). D’une part, l’utilisation des ressources numériques par les élèves vise l’acquisition de compétences numériques spécifiques. En effet, l’utilisation « liée au traitement de l’information, à la communication, à la création de contenu, à la sécurité ou à la résolution de problèmes » (Cadre, p. 32) doit soutenir le développement des douze dimensions constituantes de la compétence numérique. D’autre part, le Référentiel détermine les éléments que doivent maîtriser les enseignants dans le cadre de leur fonction. Il est ainsi attendu de l’enseignant qu’il soit en mesure d’« utiliser le numérique afin d’en faire bénéficier les élèves ainsi que l’ensemble des actrices et acteurs éducatifs » (Référentiel, p. 78). De ce fait, l’enseignant peut avoir recours aux ressources numériques non seulement comme outil d’enseignement, mais également comme outil à des fins de formation professionnelle.

2. Ressource numérique : fonction et caractéristiques

Une ressource numérique utilisée dans un contexte scolaire « correspon[d] à l’ensemble des services en ligne, des logiciels de gestion, d’édition et de communication » (Bibeau 2005, p. 2) mobilisés au service de l’apprentissage, préalablement conçus ou non à cet effet. Selon sa fonction et ses caractéristiques, la ressource numérique permet notamment d’échanger, de transmettre ou d’appréhender des concepts dans le but d’enseigner ou de s’approprier des savoirs (ibid. ; Puimatto 2004). En ce qui concerne la nature de la ressource, la typologie présentée dans la première partie de cet article permet de distinguer quatre catégories, soit : 1) document de référence, 2) répertoire, moteur de recherche, catalogue et banque de données, 3) site et application simple ou complexe ou 4) portail, plateforme et portfolio personnalisé.

Georges-Louis Baron et Michelle Harrari (2006) proposent une distinction des ressources liée à leur fonction. Reprenant cette idée, nous classons les ressources selon les trois fonctions identifiées dans l’analyse de notre corpus que nous avons nommées générale, disciplinaire ou pédagogique. Ainsi, une ressource peut être au service de la transmission des connaissances sans contenir des savoirs disciplinaires à maîtriser, comme le logiciel Word. A contrario, une ressource peut être associée à un domaine précis, comme le logiciel GarageBand, qui a une fonction disciplinaire. Finalement, une ressource peut constituer un environnement d’enseignement-apprentissage disciplinaire complet comportant des scénarios liés à un programme de formation. La collection Tutti !, avec sa plateforme en ligne et ses cahiers numériques pour l’enseignant et l’apprenant, dans lesquels sont offerts toutes les ressources nécessaires à l’enseignement-apprentissage de la musique au 1er cycle du secondaire selon le programme de formation de l’école québécoise, a une fonction pédagogique. Les caractéristiques d’une ressource numérique, quant à elles, correspondent aux fonctions et aux particularités de la ressource, peu importe sa nature. Elles comprennent les modalités d’utilisation (accès, temporalité et lieu), la langue d’utilisation et le contenu, c’est-à-dire l’appartenance à un champ disciplinaire ou non.

3. L’utilisateur : enseignant et apprenant

Nous utilisons ici le terme enseignant pour désigner toute personne qui transmet un savoir, indistinctement de son statut d’emploi. Ainsi, un formateur qui présente l’utilisation d’un logiciel, soit à des enseignants de profession ou à des élèves, est considéré comme un utilisateur enseignant. De ce fait, un élève peut adopter la posture d’enseignant lorsqu’il transmet ses connaissances à un camarade de classe. Par conséquent, nous désignons « enseignant » toute personne qui utilise une ressource numérique pour transmettre des connaissances. Le terme « maître » sera utilisé pour indiquer l’emploi en éducation. Au même titre, la posture d’« apprenant » est définie en fonction du processus dans lequel s’inscrit la personne utilisatrice, soit « une personne engagée dans un processus d’apprentissage » (Ketele et al. 2007, p. 216). Ainsi, tant l’élève que le maître en formation continue peuvent occuper la posture d’apprenant. Par conséquent, nous désignons comme « apprenant » toute personne qui utilise une ressource numérique pour apprendre.

Relations et usages

1. La relation enseignant-ressource : l’enseignement

Nous définissons ici l’utilisation que fera l’enseignant de la ressource numérique dans la transmission des connaissances et le développement des compétences comme le processus « enseignement » selon deux pôles investis dans la relation. Ainsi, « l’enseignement » fluctue selon la nature et la place qu’occupe la ressource dans l’activité. Cette relation enseignant-ressource permet d’identifier si l’utilisation de la ressource numérique est l’objet de l’enseignement ou si elle est au service de ce dernier, dit autrement, si la posture de l’enseignant est technocentrée (Couture 2020) ou non. Par exemple, dans le cadre d’une activité de création, un enseignant pourrait offrir une initiation au logiciel GarageBand afin que les apprenants puissent réaliser une création musicale. Le logiciel GarageBand serait donc le centre de l’activité d’enseignement. Par contre, la même ressource pourrait être utilisée par le maître pour réaliser une trame sonore qui servira à accompagner des élèves qui jouent une mélodie à la flûte, devenant alors au service de l’enseignement.

2. La relation apprenant-ressource : l’apprentissage

Selon la tâche qui lui est assignée, l’apprenant concentrera son expérience d’apprentissage entre le développement des compétences relatives à la maîtrise des outils technologiques et le développement des compétences et savoirs disciplinaires. D’une part, l’activité peut être plus ou moins centrée sur le développement de la compétence numérique de l’apprenant tel que présentée précédemment (appropriation des nouvelles technologies, exploration du fonctionnement informatique, développement de la pensée informatique) (Cadre). Ainsi, à l’image de la relation enseignant-ressource, cet axe nous permet d’identifier si l’utilisation de la ressource est technocentrée ou supporte un apprentissage disciplinaire. Reprenons l’exemple du logiciel GarageBand, celui-ci peut d’une part être simplement utilisé comme une nouvelle technologie à s’approprier. D’autre part, les ressources numériques peuvent constituer un support facilitant l’acquisition des savoirs et des compétences disciplinaires (Benoit et Feuilladieu 2017). Ce serait le cas lors de l’utilisation de cette même ressource (GarageBand) pour réaliser un projet de création musicale par les élèves.

3. Posture enseignant-apprenant : l’utilisateur

Contrairement aux propositions de Houssaye (1992) et de Lombard (2007), notre modèle ne porte pas sur la relation entre les personnes, mais plutôt sur l’adoption de la posture enseignante ou apprenante par les utilisateurs. Cette face du triangle constitue un continuum qui permet le passage fluide d’une posture à l’autre selon le contexte d’utilisation. Selon la récente mise à jour du Référentiel ministériel précédemment nommé, le maître devrait pouvoir utiliser les outils numériques afin de « développer et mobiliser ses habiletés technologiques » notamment, dans une « perspective de développement personnel et professionnel » (Référentiel, p. 79). Ainsi, ce modèle permet de prendre en compte cette réalité. Dans un contexte de formation continue, ou en autoformation, le maître adopte alors la posture de l’apprenant. De plus, l’élève peut aussi emprunter la posture de l’enseignant, par exemple lorsqu’il veut partager son savoir avec ses camarades ou avec le maître. De même, il peut lui aussi apprendre de manière pleinement autonome grâce aux ressources numériques.

Forces et limites des outils développés

Les outils présentés dans cet article permettent d’analyser l’utilisation des ressources numériques en enseignement de la musique en fonction de leur nature et de la posture prise par les utilisateurs. Cette proposition constituée de deux composantes, soit la typologie des ressources numériques et le modèle conceptuel opératoire triangulaire, comporte des avantages et des limites.

La typologie nous permet d’établir une catégorisation générale des ressources numériques en vue d’expliquer leur utilisation dans l’enseignement-apprentissage de la musique dans les écoles du Québec pendant la pandémie. Bien qu’elle n’offre pas un classement exhaustif ni systématique de toutes les ressources numériques existantes et selon toutes les caractéristiques, elle répond aux exigences de simplicité et de pertinence d’une typologie, grâce à quatre catégories imbriquées constituant une mise à jour du modèle mis en place par Bibeau en 2005. De plus, elle est établie à la suite d’une analyse de l’usage rapporté des ressources numériques par les enseignants de musique du Québec lors de la première vague de la pandémie de 2020. Il nous faut aussi reconnaître qu’à la lumière de l’évolution des ressources numériques, cette typologie devra être mise à jour régulièrement, voire remise en question périodiquement.

La typologie s’intègre au pôle supérieur du modèle conceptuel opératoire (figure 2 plus haut) en permettant de décrire la nature de la ressource analysée, selon sa fonction et ses caractéristiques. Le modèle s’adapte ainsi aux utilisations variées d’une même ressource dans différents contextes. Notamment, il permet une identification nuancée des utilisateurs sur le continuum enseignant-apprenant selon les circonstances qui reflète la réalité, par exemple pour la formation continue des maîtres. L’usage de la ressource, qu’il soit technocentré ou disciplinaire, peut également être modulé sur les axes Enseignement et Apprentissage. Ainsi, le modèle permet une fluidité dans l’analyse de l’utilisation d’une ressource et de ses utilisateurs. Cette fluidité offre une différence importante avec le triangle de Houssaye (1992) et le tétraèdre de Lombard (2007), dans lesquels l’utilisation des ressources par l’enseignant en absence de l’élève se limite à la planification des scénarios pédagogiques. De plus, notre modèle permet de mettre l’apprenant directement en relation avec la ressource numérique sans considérer une tierce partie intermédiaire. Le binôme « enseigner et apprendre » passe maintenant par la ressource sans égard au rôle joué par la personne. D’ailleurs, notre modèle triangulaire s’adapte avec souplesse aux différentes formules pédagogiques actuelles : enseignement à distance, en présence et bimodale, de même que synchrone, asynchrone et hybride. Lorsque les ressources numériques sont choisies pour supporter l’enseignement-apprentissage, les mêmes composantes du modèle se transposent aisément d’une formule pédagogique à l’autre. Par ailleurs, la considération de l’usage réel de la ressource permet de décrire l’utilisation concrète indépendamment de ce qui avait été envisagé par son concepteur. Ceci permet encore une fois d’observer la fluidité de notre modèle qui laisse la possibilité à l’utilisateur de s’approprier la ressource selon ses besoins spécifiques.

Les limites du modèle opératoire témoignent des choix que nous avons faits en fonction de la recherche documentaire effectuée. Le modèle ne prend donc pas en compte les objectifs pédagogiques spécifiques poursuivis lors de situations d’enseignement-apprentissage. Il ne permet pas non plus de décrire la relation enseignant-élève. Bien que nous reconnaissions l’importance majeure de ces deux éléments, nous avons fait le choix d’établir un modèle qui mette en lumière un aspect moins étudié, soit la relation à la ressource numérique en fonction des différentes postures des utilisateurs, dans une multitude de contextes possibles. Il ne s’agit donc pas ici d’un modèle global cherchant à expliquer tous les aspects de l’enseignement-apprentissage, mais davantage d’un modèle axé sur l’utilisation du numérique dans ce contexte. Pour terminer, notre analyse nous permet de penser que les outils que nous proposons, la typologie et le modèle conceptuel triangulaire, pourront contribuer à une meilleure compréhension de l’utilisation des ressources numériques en contexte scolaire québécois et à leur relation avec l’enseignement-apprentissage de la musique.

Conclusion

Si le gouvernement québécois souhaitait développer les compétences numériques de la population depuis plusieurs années, la situation sanitaire a accéléré le processus obligeant les écoles à migrer vers l’enseignement en ligne. Étant donné les défis auxquels font face les enseignants de musique des écoles primaires et secondaires au Québec, il nous est apparu important d’étudier les ressources qu’ils ont utilisées pendant la pandémie. Pour ce faire, nous avons effectué une recherche documentaire afin d’élaborer des outils conceptuels permettant l’analyse des ressources numériques et leur utilisation. Nous nous sommes appuyées sur les travaux d’autres chercheurs et les ressources utilisées par les enseignants de musique afin de développer une typologie qui rend compte de l’évolution de la technologie numérique.

Cependant, puisqu’une classification des ressources ne rend pas compte de l’utilisation réelle de celles-ci, nous avons développé un modèle conceptuel opératoire. En effet, les raisons pour lesquelles une ressource a été développée et sa fonction telle que projetée par le concepteur ne correspondent pas nécessairement à l’usage réel des différents acteurs. Nous avons donc développé un modèle triangulaire permettant de cibler les relations entre les utilisateurs et la ressource dans des processus d’enseignement-apprentissages. Bien que ces outils conceptuels aient été conçus pour étudier les ressources utilisées dans le cadre de l’enseignement-apprentissage de la musique dans le système scolaire québécois, ceux-ci nous apparaissent également pertinents à d’autres disciplines et d’autres pays. Il nous apparaît qu’une généralisation à d’autres domaines pédagogiques, de même qu’à des contextes distincts du système scolaire québécois, soit possible et souhaitable.