Corps de l’article

1. Introduction

L’inclusion scolaire souligne le droit de tou·te·s à l’éducation et retient l’école comme lieu privilégié de scolarisation de tou·te·s les enfants (Vienneau, 2006). Les expériences d’inclusion scolaire dans le monde sont récentes et, de surcroit, non généralisées à toutes les écoles d’un même pays. Dans certains pays, les écarts entre la situation souhaitée et celle existante ne sont point négligeables malgré l’adoption du principe de l’inclusion sur le plan national et malgré les législations mises à jour afin de mieux accompagner l’évolution des expériences et de permettre leur démultiplication.

Au Liban, dès les années 1990, plusieurs établissements scolaires privés accueillent des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers. Les premières expériences d’intégration ont été initiées par des organisations non gouvernementales ou des parents soucieux de scolariser leur enfant à l’école ordinaire. Dix ans plus tard, les instances publiques commencent à s’intéresser à l’intégration scolaire (National Inclusion Program, 2005). En l’an 2000, la Loi 220/2000 relative aux droits de la personne handicapée reconnait à cette dernière des droits, notamment celui à l’éducation dans l’école ordinaire lorsque cela est possible. Hélas, cette loi attend toujours la mise en place de décrets opérationnels pour la rendre active.

En dépit de l’inexistence, à l’échelle nationale, d’orientations explicites au sujet de l’inclusion scolaire ou d’un modèle de référence clair et précis pour l’éducation inclusive au Liban (National Inclusion Program, 2005) la scolarisation croissante d’élèves ayant des besoins éducatifs particuliers reste un fait saillant.

Toutefois, la nature et le devenir de l’inclusion scolaire dans les écoles sont très disparates. Certaines expériences continuent à se développer jusqu’à présent, mais d’autres ont été limitées dans leur envergure, voire arrêtées.

Par ailleurs, ces expériences, sont peu ou ne sont pas décrites ou recensées vu l’inexistence d’études statistiques officielles (Najarian, 2008) et vu la pauvreté des études scientifiques menées dans ce domaine au niveau des instances étatiques ou privées (National Inclusion Program, 2005).

L’inclusion scolaire, un projet de développement de l’école

Dans l’intention de l’inclusion, l’école devra croire aux capacités d’évolution et d’apprentissage de chaque enfant et lui assurer un environnement propice à l’apprentissage (Ducharme, 2008 ; Pijl et Frissen, 2009). L’inclusion scolaire se présente donc comme une entreprise de développement de l’école tant sur le plan de son projet éducatif que de ses structures, ses pratiques et les rôles des différent·e·s acteur·rice·s (Ainscow, 2005).

Pour s’inscrire dans la durée, un changement en ce qui concerne la culture, les attitudes et les comportements devrait survenir (Gather Thurler, 2000 ; Reeves, 2002). Les modifications visibles et radicales ne témoigneraient point d’un réel changement en profondeur, car, dans ce cas-là, les individus auraient changé en apparence sans changer leur façon de penser (Ainscow, 2005).

Par ailleurs, la transformation de l’école exige l’implication de tou·te·s les acteur·rice·s de la communauté scolaire (directeur·rice·s, enseignant·e·s, professionnel·le·s, parents, apprenant·e·s…) dans un processus de collaboration pour la planification et l’implantation de l’inclusion. Cependant, ces acteur·rice·s ne pourraient s’activer sans avoir des buts communs et des modalités de collaboration précisés collectivement ou sans la présence d’un leadeurship solide de la part de la direction d’école (Parent, 2004 ; Rousseau et Bélanger, 2004).

Rôle déterminant du·de la directeur·rice pour la transformation de l’école en école inclusive

À l’école, le·la directeur·rice est le premier responsable de toute innovation. À lui·elle revient la charge de piloter le changement (Gather Thurler, 2000). Actuellement, le rôle du·de la chef d’établissement s’oriente de plus en plus dans le sens d’un leadeurship promouvant l’innovation (Gather Thurler, 2000). Le leadeurship est l’action d’exercer une influence sur les autres afin de les orienter dans une direction précise vers un but commun (Bouvier, 1994 ; Gather Thurler, 2000 ; Reeves, 2002). Ainsi leadeurship, changement et innovation sont bien liés.

Pour s’impliquer et s’investir, le·la directeur·rice devrait avoir la conviction que le changement est nécessaire et qu’il représente une valeur ajoutée pour l’amélioration et le développement de son école (Lombardi et Woodrum, 1999). Cette conviction serait étroitement liée à ses croyances, à ses valeurs et à son degré de connaissance du concept sous-tendant le changement en question et de ses implications sur l’organisation et la vie de l’école.

Ces changements nécessitent l’implication active du·de la chef d’établissement qui saura par son exemple motiver les autres acteur·rice·s à s’investir afin de rendre l’école un lieu d’apprentissage pour tou·te·s les enfants. Étant le·la leadeur·se du changement, le·la directeur·rice devra cibler le changement des comportements qui à leur tour changeront les attitudes et la culture (Reeves, 2002 ; Rousseau et Bélanger, 2004). Toutefois, l’influence prioritaire d’un·e leadeur·se est celle qu’·il· elle exerce sur son propre comportement, l’influence du comportement des collaborateur·rice·s ne viendrait qu’en deuxième étape (Reeves, 2002).

En conséquence, un changement sur le plan du comportement du·de la directeur·rice serait le premier signe d’un changement profond dans l’établissement, d’où l’importance d’étudier le rôle du·de la directeurrice de l’école dans la mise en place et la continuation de l’inclusion scolaire dans la réalité libanaise.

Garde-t-il·elle une fonction de management traditionnel, c’est-à-dire une direction administrative visant le maintien du statuquo de l’organisation (Gather Thurler, 2000) ? Ou adopte-t-il·elle plutôt un style de leadeurship lui permettant en même temps de s’impliquer et d’impliquer son équipe dans le processus de changement tout en préservant la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage ?

1.1 Question de recherche

Vu l’importance de l’inclusion scolaire pour l’amélioration de l’école et l’assurance du droit de tous les enfants à l’éducation, vu l’influence capitale du rôle du·de la directeur·rice dans ce processus, il importe de déceler quel est le rôle du·de la directeur·rice de l’école privée libanaise dans l’implantation de l’inclusion scolaire.

1.2 Justification de la pertinence sociale et scientifique

Le fait d’aborder l’implantation de l’inclusion scolaire à travers le rôle du·de la directeur·rice nous semble particulièrement intéressant. Les éléments dégagés à travers cette étude pourraient permettre de préciser le profil professionnel du·de la directeur·rice de l’école libanaise inclusive, décrire son rôle, ses fonctions et ses tâches. Par conséquent, ces données pourraient être investies dans la formation des directeur·rice·s d’écoles ainsi que dans l’évaluation de leurs performances.

Conséquemment, le·la directeur·rice serait mieux habilité à connaitre les exigences et les conditions pour l’implantation de l’inclusion scolaire dans son école et réussirait mieux à inscrire ce changement dans une perspective de développement de l’école.

Par ailleurs, cette approche du problème à travers l’étude du rôle de la direction d’école nous permettrait une compréhension globale de la question puisque le concept de rôle engage en même temps les dimensions législatives, sociales et individuelles ainsi que de l’influence de l’interaction entre les différents systèmes sur la mise en place de l’école inclusive.

2. Contexte théorique

2.1 Définition des concepts

Le concept d’inclusion scolaire réfère à l’accueil d’une grande diversité d’apprenants dont ceux qui ont des besoins éducatifs particuliers à l’école ordinaire (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2005) et dans la classe correspondant à leur âge (Bélanger, 2006). L’inclusion scolaire ne peut s’astreindre à une action limitée dans l’envergure et ponctuelle dans le temps. Elle est un processus sans fin dont seul le démarrage est connu et repéré. Elle concerne TOUS les apprenant·e·s quels que soient leurs caractéristiques ou besoins et privilégie leur participation à l’apprentissage et à la vie communautaire (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2005).

L’inclusion remplace l’intégration scolaire qui se restreint à une scolarisation conditionnée par la capacité de l’enfant à répondre aux exigences de l’école au risque d’en être exclu (Beauregard et Trépanier, 2010 ; Bélanger, 2006 ; Ducharme, 2008 ; Thomazet, 2006). L’accueil à l’école ordinaire des apprenant·e·s ayant une déficience, un trouble ou une difficulté nécessite des changements multidimensionnels touchant à la fois le milieu, les personnes, la pédagogie et l’organisation scolaire.

Le·la directeur·rice est considéré·e comme lela premier·ère responsable de l’implantation du changement dans son école. Le terme de directeur·rice ou de chef d’établissement désigne la personne qui occupe dans l’école le poste le plus élevé (Pont, Nusche et Moorman, 2008). Le·la directeur·rice détient une autorité légitime qui lui confère le pouvoir et le devoir d’intervenir sur plusieurs aspects vitaux favorisant l’évolution et la pérennité de l’école. Il·elle oeuvre pour améliorer les pratiques pédagogiques, les politiques des établissements et les liens entre l’établissement et le monde extérieur (Pont, Nusche et Moorman, 2008). Pour s’acquitter de ses responsabilités, il·elle exerce à la fois des fonctions de management administratif et de leadeurship transformationnel et pédagogique.

Le leadeurship transformationnel (Devos et Bouckenooghe, 2009) lui permet d’instituer le changement en s’engageant avec les acteur·rice·s de la communauté scolaire dans une culture d’apprentissage continu et de coopération. Le leadeurship pédagogique (DiPaola et Hoy, 2007 ; Nettles et Herrington, 2007) garantit l’intervention dude la directeur·rice dans le processus d’enseignement-apprentissage afin d’assurer son efficacité et son développement et favoriser ainsi la réussite scolaire de tous les apprenant·e·s et le développement professionnel des enseignant·e·s.

Notre intérêt à dégager le rôle du·de la directeur·rice dans l’implantation de l’inclusion scolaire nous amène à retenir l’aspect social du rôle. Ce dernier met l’accent sur la relation existant entre la position occupée par une personne donnée, son comportement et les attentes de la société relativement à cette fonction particulière (De Landsheere, 1979). Par ailleurs, il laisse entrevoir trois types de rôles intéressant particulièrement notre étude : le rôle prescrit, le rôle subjectif et le rôle réel.

Le rôle prescrit est défini en termes du comportement attendu d’une personne occupant un statut particulier (Chappuis et Thomas, 1995). Les attentes formulées à l’endroit du rôle se situent aux différents niveaux du système (l’État, l’école, les attentes des acteur·rice·s de la communauté scolaire).

Le rôle subjectif est celui qui reflète la conception personnelle que se fait l’acteur·rice de son rôle prescrit ou attendu (Chappuis et Thomas, 1995).

Le rôle réel ou joué réfère au comportement de l’individu dans l’exercice de ses fonctions. Bien que guidé par la prescription, ce rôle ne peut être dissocié des caractéristiques personnelles de l’individu dont ses valeurs, ses préférences et ses compétences (Chappuis et Thomas, 1995).

Ainsi, l’étude du rôle du·de la directeur·rice au triple niveau individuel, social et institutionnel a l’intérêt de permettre un examen multidimensionnel d’une réalité complexe qu’est l’école inclusive et de repérer à la fois les facteurs internes et externes susceptibles d’orienter et d’influencer les choix et l’action de cette acteur·rice dans la mise en place des conditions de réussite de l’inclusion scolaire.

À partir de l’étude des trois niveaux de rôle du·de la directeur·rice, une compréhension, quoique partielle, de l’évolution de l’inclusion dans les établissements scolaires libanais serait possible. En effet, le rôle prescrit et le rôle subjectif influencent le rôle joué (Chappuis et Thomas, 1995 ; Newcomb, Turner et Converse, 1970) et le rôle joué déclenche la démarche du changement puisque c’est l’évolution des rôles réels qui engendre celle des rôles prescrits (Rochblave-Spenlé, 1969).

Cette recherche tente d’expliciter les différents facteurs influençant le rôle dude la directeur·rice dans l’implantation de l’inclusion scolaire dans le contexte particulier du Liban où l’orientation vers l’inclusion est facultative en l’absence d’injonctions officielles. Il sera également pris en compte que ces facteurs sont liés à la personne du·de la directeur·rice (ses valeurs, ses croyances, ses connaissances, ses préférences et ses compétences) ; au système éducatif (les lois, les orientations du système éducatif libanais, le type de gouvernance de l’école, les prescriptions de rôle) ; à l’école (les caractéristiques de l’école, sa culture et le style de direction adopté, les prescriptions de rôle propres à l’école) et à la société (positionnement par rapport à l’inclusion scolaire, attentes quant au rôle du·de la directeur·rice).

2.2 Recension des écrits

Dans sa revue du corpus de littérature au sujet de la pratique de l’administration éducative pour la mise en place d’écoles pouvant mieux servir la diversité des élèves, Riehl (2000) a relevé un manque de données ciblant particulièrement le rôle du·de la directeur·rice. Ses propos stipulent que plusieurs aspects inhérents à la transformation de l’école en l’école pour tous sont étudiés : la politique de l’éducation, l’organisation sociale et pédagogique des écoles et des classes, la formation et le développement des enseignant·e·s, etc. Cependant, malgré le fait que le·a directeur·rice a un rôle à jouer dans chacun de ces domaines, ce rôle est présenté d’une manière implicite et peu développée. De plus, les écrits présentant spécifiquement le rôle du·de la directeur·rice dans la mise en place de l’inclusion scolaire sont peu nombreux (Riehl, 2000).

Devos et Bouckenooghe (2009) ont exploré comment la conception des directeur·rice·s de leur rôle en tant que leadeur·se·s contribue à une meilleure compréhension de l’impact de leur comportement sur le climat scolaire. Ils relèvent le fait que la majorité des écrits sur l’administration en éducation depuis 1980 ont souhaité inventorier les caractéristiques des directeur·rice·s d’école qui réussissent bien leur travail. Les comportements des directeur·rice·s sont alors décrits à travers une approche béhaviorale. Selon eux, bien que la majorité des études ait noté que la vision dude la directeur·rice a un impact sur son comportement, il reste que le fait d’étudier exclusivement leur action à travers l’approche béhavioriste empêche l’éclairage des raisons qui poussent ces dernier·ère·s à entreprendre leurs actions d’une manière particulière (Devos et Bouckenooghe, 2009).

Kose (2009) mentionne que parmi les auteur·e·s ayant étudié le leadeurship pour l’inclusion, l’équité ou la diversité, personne n’a insisté sur l’importance du rôle du·de la directeur·rice pour soutenir les enseignant·e·s dans leur formation et le développement de leurs compétences (Capper, Frattura et Keyes, 2000 ; Henze, Katz, Norte et Sather, 2002 ; Lindsey, Roberts et Terrell, 2003 ; Singleton et Linton, 2006 ; cité·e·s dans Kose, 2009).

D’un autre côté, la recension des écrits montre que les directeur·rice·s d’école adoptent plusieurs types de leadeurship afin de s’acquitter de leurs responsabilités de dirigeant·e de l’établissement scolaire. Nous en avons repéré trois pouvant être en lien avec l’école inclusive : le leadeurship pédagogique (DiPaola et Hoy, 2007 ; Nettles et Herrington, 2007 ; Robinson, Lloyd et Rowe, 2008), le leadeurship transformationnel (Devos et Bouckenooghe, 2009 ; Gather Thurler, 2000 ; Reeves, 2002 ; Voulalas et Sharpe, 2005) et le leadeurship pour l’équité et la justice sociale (Kose, 2009 ; McKenzie, Christman, Hernandez, Fierro, Capper, Dantley et Scheurich, 2008 ; Riehl, 2000 ; Theoharis et Causton-Theoharis, 2008). Chacun de ces trois types de leadeurship renvoie à l’un des aspects de l’école inclusive soucieuse de l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage, de développer sa capacité à soutenir le changement et tenant à assurer l’égalité des chances en éducation. Toutefois, aucun des écrits n’abordait le leadeurship pour l’inclusion scolaire regroupant les trois aspects. Nous avons élaboré aux fins de cette étude une synthèse présentant les différents types de rôles que devra jouer le·la directeur·rice de l’école inclusive en mentionnant pour chaque rôle les tâches qui en découlent (annexe 1 : Synthèse du rôle du·de la directeur·rice en tant que leadeur·se de l’inclusion scolaire).

Cette recension d’écrits relève le peu de recherches empiriques sur le sujet. En effet, les recherches mettant en lien le leadeurship de la direction d’école et l’inclusion scolaire sont assez récentes (Prud’homme, Duschesne, Bonvin et Vienneau, 2016).

Ce qui justifie l’importance d’étudier la question selon une nouvelle approche afin de pouvoir :

  • établir des liens entre les différents facteurs individuels, organisationnels et sociaux qui influenceraient l’action des directeur·rice·s d’école,

  • produire un descriptif du rôle du·de la directeur·rice pour l’inclusion scolaire présentant les différents types de rôles et les tâches relatives à chacun.

2.3 Objectifs de la recherche

L’étude menée a donc tenté de répondre aux cinq objectifs suivants :

  • Expliciter le rôle prescrit du·de la directeur·rice d’école inclusive tel qu’il se présente dans la réalité libanaise tant au niveau du système éducatif national qu’au sein du secteur privé.

  • Identifier les perceptions qu’ont le·a directeur·rice et les acteur·rices de la communauté scolaire : de l’inclusion scolaire, des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers et du rôle joué par le·la directeur·rice dans l’implantation de l’inclusion scolaire.

  • Dégager, auprès du·de la directeur·rice et des acteur·rices de la communauté scolaire, le rôle attendu et le rôle souhaité du·de la directeur·rice dans l’implantation de l’inclusion scolaire.

  • Repérer les motivations du·de la directeur·rice à s’orienter vers l’inclusion scolaire et identifier leur retombée sur son rôle.

  • Élaborer un descriptif du rôle du·de la directeur·rice d’école dans l’implantation de l’inclusion scolaire au Liban.

3. Méthode

L’intérêt particulier porté à la découverte du rôle du·de la directeur·rice et des facteurs qui l’influencent inscrit l’étude dans une approche exploratoire du phénomène. Une étude exploratoire selon une approche qualitative a été conduite dans cinq écoles privées inclusives au Liban dont les projets d’intégration scolaire respectifs ont duré et évolué dans le temps et qui représentent la diversité de l’école privée libanaise.

Les écoles choisies représentent les caractéristiques suivantes :

  • une école laïque et quatre écoles à affiliation religieuse : chrétienne catholique, chrétienne orthodoxe, musulmane sunnite et musulmane chiite ;

  • deux écoles francophones, deux écoles proposant un cursus francophone et un cursus anglophone et une école anglophone.

La perspective qualitative-phénoménologique a été adoptée à cause notamment du nombre réduit de recherches portant sur le sujet, du niveau actuel des connaissances sur le rôle du·de la directeur·rice dans l’implantation de l’inclusion scolaire et de l’intérêt à dégager le cadre de référence propre à chacun·e des acteur·rice·s, lequel justifie et explique ses pensées et ses comportements.

La pluralité des données à recueillir, la multitude de sources à consulter et le caractère qualitatif retenu ont amené le choix de la méthode de l’étude multicas. Cette dernière augmente le potentiel de généralisation (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004), renforce la validité des résultats de la recherche et permet au chercheur de repérer un plus grand nombre d’éléments contextuels influençant un processus ou ses conséquences (Karsenti et Savoie-Zajc, 2004). Il existe différentes méthodes pour étudier le rôle (Nadel, 1957, cité par Rochblave-Spenlé, 1969). Notre souci d’assurer un maximum d’exhaustivité en présentant le rôle du·de la directeur·rice d’une manière détaillée et la plus complète possible ainsi que notre but d’établir une étude multidimensionnelle de ce rôle nous ont poussés à choisir plusieurs méthodes de recherche soit l’entretien semi-dirigé, le groupe de discussion (focus group) et l’étude de documents. Ainsi, ce choix nous a permis de procéder à une triangulation des données en variant les personnes auprès desquelles les informations seront récoltées et les sources consultées en analysant différents documents.

3.1 Sujets

Nous avons mené 13 entretiens individuels semi-dirigés avec cinq directeur·rice·s et huit responsables de l’intégration scolaire. Nous avons animé au total 19 groupes de discussion avec des groupes de parents (29 mamans et un papa), d’enseignant·e·s (51 personnes), de spécialistes (orthopédagogues, orthophonistes, psychomotricien·ne·s, psychologues) (32 personnes) et de responsables de cycles et coordinateur·rice·s de matière (43 personnes). Au total 169 personnes ont participé à la recherche.

3.2 Instrumentation

Afin de répondre aux objectifs, nous avons mis au point plusieurs moyens de collecte de données.

3.2.1 Le guide de l’entretien avec le·la directeur·rice

Il débute par une série de questions ayant une double fonction : briser la glace et recueillir des informations sur la formation antérieure en éducation et en gestion scolaire ainsi que les expériences antérieures avec des personnes ayant des besoins spéciaux. Il comprend ensuite une série de questions relatives à la conception de l’inclusion scolaire (bénéficiaires, définition, conditions), le projet d’inclusion scolaire mené dans son école (démarrage, son implication en tant que directeur·rice, obstacles, évaluation), son rôle dans l’inclusion scolaire (descriptif du rôle, actions entreprises, évaluation personnelle et rôle souhaité).

3.2.2 Le guide de l’entretien avec le·la responsable de l’intégration scolaire

De structure similaire au précédent, il comprend une série de questions relatives à la conception de l’inclusion scolaire (bénéficiaires, définition, conditions), au projet d’inclusion scolaire mené à l’école (démarrage, implication du·de la directeur·rice, obstacles, évaluation), au rôle du·de la directeur·rice dans l’inclusion scolaire (descriptif du rôle, actions entreprises et rôle attendu).

3.2.3 Le guide du modérateur du groupe de discussion

Il prévoit une première phase comprenant l’accueil, la présentation de la recherche, l’annonce des règles du jeu et l’engagement à la confidentialité. Ensuite, cinq questions ouvertes sont posées ciblant les éléments clés de notre problématique (responsabilité et lieu d’éducation et d’instruction des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers, définition de l’inclusion scolaire et des ressources indispensables pour la réaliser, la conception du rôle du·de la directeur·rice dans une école inclusive, le rôle attendu du·de la directeurrice pour optimiser les conditions de l’inclusion scolaire dans l’établissement et la perception de l’avenir de l’inclusion scolaire dans l’établissement).

3.2.4 La grille d’analyse de documents

Elle comporte des informations générales (la date de la création du document étudié et celle de sa dernière mise à jour, les auteurs…). Elle vise à dégager, moyennant la méthode d’analyse de contenu, les indicateurs susceptibles de renseigner sur la conception relative aux enfants ayant des besoins éducatifs particuliers, l’inclusion scolaire, les valeurs et les principes de référence, le rôle du·de la directeur·rice figurant dans les documents écrits de l’école.

3.3 Démarche

L’usage d’une diversité d’outils se doit d’être organisé dans une démarche cohérente en vue d’en garantir l’efficacité. Dans chaque école une série d’actions a été menée. Elle a débuté par un contact avec le·la directeur·rice afin d’obtenir son consentement et son engagement et de programmer les différentes activités prévues : les entretiens, les groupes de discussion et l’étude de documents.

3.4 Considérations éthiques

À toutes les étapes du processus de collecte de données, nous avons veillé à assurer aux différents répondant·e·s un cadre sécurisant où ils·elles pouvaient agir avec liberté et authenticité. Nous avons obtenu le consentement libre et éclairé de toutes les personnes concernées, et assuré la confidentialité et la sécurité des données. Nous avons même amené chaque participant·e au groupe de discussion à signer une entente collective pour le respect de la confidentialité.

La transmission des résultats aux participant·e·s a été assurée par deux biais. Chaque école a reçu une copie imprimée et reliée comprenant l’étude de cas la concernant. Les écoles participantes ont été invitées à une table ronde durant laquelle la recherche et ses résultats ont été présentés.

3.5 Méthode d’analyse des résultats

Nous avons procédé au codage mixte (Van Der Maren, 2004) qui nous a permis de mettre en place un système de codage cohérent et complet où les codes et les catégories sont significatifs, clairs et mutuellement exclusifs.

Les données obtenues ont été fragmentées, les segments significatifs au regard des objectifs ont été retenus. Après une première étape de codification descriptive, une codification thématique a été établie en vue de procéder à une réduction des données de façon inductive, sans jugement. Cette entreprise nous a permis de dégager les données pertinentes, d’établir les relations entre les différents thèmes, de préciser des tendances et de souligner des similarités et des divergences.

Les données ont été regroupées et analysées selon trois axes principaux : la connaissance de l’inclusion scolaire, la réalité de l’inclusion scolaire à l’école et le rôle du·de la directeur·rice. Dans une première étape, l’étude de cas de chaque école a été produite. Ensuite, nous avons établi une analyse comparative pour dégager un portrait d’ensemble. La quantité fastidieuse des données générées a nécessité l’usage du logiciel « QDA Miner 4.0 » qui a permis le codage, l’assemblage et l’analyse des transcriptions des verbatims et l’obtention de résultats statistiques illustrant la fréquence de codages (en termes de récurrence dans les propos recueillis, de nombre et type de répondant·e·s qui les ont évoqués, etc.).

4. Résultats

Nous présentons dans cet article la synthèse des résultats relatifs aux cinq écoles étudiées donc le portrait d’ensemble.

Ainsi, l’usage des expressions « répondant·e·s » ou « acteur·rice·s » sert à désigner tou·te·s les interviewé·e·s en l’occurrence les directeur·rice·s, les responsables et coordinateur·rice·s, les enseignant·e·s, les spécialistes et les parents.

4.1 Connaissance de l’inclusion scolaire

Les résultats ont montré que les définitions données par les répondant·e·s d’une même école ne sont point homogènes ou complètes. Quelques parents et enseignante·s ont exprimé leur méconnaissance du concept. Par ailleurs, l’étude des documents a révélé l’absence de définition de l’inclusion scolaire à l’exception d’une seule école.

Dans les définitions fournies par les répondant·e·s, l’idée de processus n’est nullement évoquée. Elle est remplacée par l’énumération de certaines modalités et actions mises en place. Les actions mentionnées bien qu’ayant pour but de répondre aux différents besoins des enfants en difficulté semblent revêtir un aspect individuel et ponctuel. Il est clair, pour la grande majorité des répondant·e·s, que seul·e·s l’enfant en mesure de suivre le programme scolaire pourra rester à l’école. Seule s 9,7 % des répondant·e·s ont affirmé qu’aucun critère ne devrait déterminer la scolarisation des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers contre une majorité qui pense que la scolarisation de ces enfants est fortement compromise par la nature et le degré de la déficience ou trouble (77,4 % des répondant·e s) et les caractéristiques personnelles de l’enfant (71 % des répondant·e s). À savoir que certains documents écrits relatifs aux écoles étudiées spécifient la nature de la déficience ou trouble comme critère d’admission des enfants.

La participation évoquée dans les discours des différent·e·s répondant·e·s est centrée essentiellement sur son aspect social. Les interviewé·e·s ont signalé les avantages que représente l’inclusion scolaire autant pour les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers que pour leurs pairs à travers l’interrelation qui se développerait entre elles·eux.

D’un autre côté, dans chacune des écoles étudiées, certain·e·s répondant·e·s présentent les buts de l’inclusion scolaire comme suit : le fait que l’enfant différent e soit scolarisé e dans la même classe et la même école avec les enfants de son âge. Ces acteur·rice·s évoquent les avantages de l’inclusion scolaire sur les plans physique et social et ses retombées sur le psychisme de l’enfant qui se sentira accepté et capable. Ainsi, l’inclusion scolaire est évoquée en termes de chance, d’occasion donnée alors que le droit à l’éducation est un dû ne pouvant donc être octroyé ou refusé.

Par ailleurs, les résultats obtenus appuient le fait que certain·e·s acteur·rice·s notamment les parents, les responsables de l’intégration scolaire et certain·e·s directeur·rice·s perçoivent l’inclusion scolaire comme une fin, un aboutissement et non pas un moyen qui permettrait à l’élève ayant des besoins éducatifs particuliers d’évoluer et de développer ses capacités dans un milieu ordinaire.

4.2 Scolarisation des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers au Liban : les éléments facilitateurs et les obstacles

L’étude a relevé qu’en général, les conditions de l’inclusion scolaire semblent être bien connues puisque évoquées à l’oral ou à l’écrit dans toutes les écoles ; à noter l’adoption d’attitudes favorables envers les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers, la collaboration efficace, le partenariat avec les parents, le leadeurship du·de la directeur·rice. Néanmoins, d’autres conditions sont moins évoquées comme l’évaluation adéquate des besoins de l’enfant (absente dans deux écoles), l’adoption d’un système prônant l’équité (absente dans trois écoles).

D’un autre côté, une tentative de croisement des résultats relatifs aux ressources considérées comme indispensables et des obstacles face à l’implantation de l’inclusion scolaire a montré que plusieurs éléments se recoupent. Ainsi, bien que les acteur·rice·s interviewé·e·s considèrent que l’existence d’une philosophie commune soit une ressource indispensable, ils·elles relèvent les attitudes négatives des personnes comme l’un des obstacles importants face à la mise en place et la continuation de l’inclusion scolaire dans les écoles. En addition, ils·elles mentionnent une difficulté chez les acteur·rice·s (notamment les enseignant·e·s) à concevoir les programmes, l’apprentissage et la réussite d’une manière différenciée et une crainte (chez les dirigeant·e·s surtout) pour l’image de l’école qui risquait d’être perçue comme école spécialisée.

De même, l’évocation d’autres ressources indispensables soit les ressources humaines et leur développement professionnel est confronté à un obstacle majeur, celui de la gestion des ressources humaines en termes d’assurer le recrutement et la rétention des professionnel·le·s compétent·e·s et expérimentée·s et pourvoir à leur développement professionnel. Les ressources organisationnelles, la planification ainsi que les modalités de soutien à l’enfant et à l’enseignant·e, sont également mentionnées par la plupart des répondant·e·s comme étant indispensables à l’implantation de l’inclusion scolaire. En contrepartie, les interviewé·e·s relèvent les barrières organisationnelles et l’absence de collaboration efficace dénonçant aussi l’inexistence de dispositifs efficaces de soutien pour l’enseignant·e et pour l’enfant et le défaut de communication et de travail en équipe en les considérant des obstacles non négligeables.

Le partenariat avec les parents (participation des parents à l’élaboration, la mise en place et l’évaluation du projet éducatif de leur enfant) ayant été mentionné par les répondant·e·s comme ressource indispensable pour l’inclusion scolaire s’avère être vécu comme l’un des obstacles les plus importants essentiellement par les responsables de l’intégration et certain·e·s directeur·rice·s. Les interviewé·e·s accusent l’attitude et la participation des parents et leurs attentes élevées de compromettre l’inclusion scolaire de leur enfant.

Par ailleurs, bien que le partenariat avec la communauté et le rôle de l’État soient insuffisamment reconnus comme des ressources indispensables, il semble que le système éducatif libanais représente un obstacle non négligeable. Ainsi, les acteur·rice·s dénoncent dans leurs propos, en plus des limites imposées par le système lui-même (système sélectif, à parcours unique, préoccupé par les examens officiels ; programmes surchargés…), l’absence du rôle de l’État libanais pour soutenir, organiser l’inclusion scolaire et contrôler ses pratiques. Notons que l’étude a révélé l’engagement des cinq écoles dans une perspective d’autosuffisance quant à l’assurance des ressources nécessaires à la réalisation de l’inclusion scolaire. Ce qui explique le manque d’engagement de la communauté dans cette entreprise et le fait que l’inclusion scolaire soit perçue et vécue en tant que responsabilité des enseignant·e·s inclusif·ve·s, des spécialistes et des parents, ces derniers étant les seuls responsables du financement.

Il reste à noter que l’évaluation adéquate des besoins de l’enfant (diagnostic précis, définition des forces et des besoins de l’enfant et précision des modalités adéquates d’intégration scolaire) a été pointée comme ressource indispensable et obstacle face à la réalisation de l’inclusion scolaire.

4.3 Action du·de la directeur·rice d’école dans l’implantation de l’inclusion scolaire

Les directeur·rice·s se fondent dans leur orientation vers l’inclusion scolaire essentiellement sur les droits de l’enfant à l’éducation, sur le principe de la normalisation et sur leur expérience antérieure au Liban et ailleurs dans le monde. Ils·elles se fondent également sur les valeurs religieuses autant chrétiennes que musulmanes reflétées par les valeurs de l’école lorsque celle-ci a une affiliation religieuse. Ainsi, ces directeur·rice·s sont reconnus dans leurs écoles respectives pour leur attitude favorable face à l’inclusion scolaire et face au changement qu’ils·elles considèrent comme nécessaire à réaliser.

Les différents apports des répondant·e·s relatifs au rôle dude la directeur·rice dans l’inclusion scolaire ont été répertoriés en plusieurs catégories de rôles : «  manager  », « transformer la vision », « transformer la culture », « transformer la structure », « user de politique », « transformer les pratiques enseignantes », « soutenir l’enseignant inclusif », « patronner le programme éducatif individualisé ». Les résultats ont montré des canevas différents de descriptifs du rôle du·de la directeur·rice marqués par des similarités entre les cinq écoles étudiées.

Ainsi, le rôle « manager » a été repéré dans toutes les écoles avec pour certaines, des proportions assez significatives en comparaison avec les autres rôles évoqués.

Le rôle « transformer la structure » est bien visible dans les propos des répondant·e·s de quatre écoles. Ce rôle est présenté essentiellement en termes d’assurer le financement et les ressources techniques, recruter des ressources humaines spécialisées ; équiper les espaces supplémentaires pour l’apprentissage et améliorer les conditions physiques de l’école.

Le rôle « user de politique » repéré chez tou·te·s les directeurrice·s avec des proportions différentes est présent d’une manière significative dans trois écoles. Les répondant·e·s l’ayant évoqué mettent en avant l’action du directeur pour assurer les occasions de développement professionnel et mentionnent moins fréquemment celles de soutenir l’équipe et d’amener les parties prenantes à adopter la nouvelle vision de l’école.

D’après les propos recueillis, les rôles « transformer la vision » et « transformer la culture » semblent insuffisamment mis en oeuvre et leurs conditions les plus fondamentales ne sont point assurées. À ce sujet, les répondant·es se plaignent du manque de temps pour les rencontres et l’insuffisance des occasions de collaboration et de communication ainsi que de l’absence du travail d’équipe et de la coordination. Ainsi, l’action du·de la directeur·rice pour créer les communautés d’apprentissage et y participer et son engagement pour « transformer les pratiques enseignantes » et « soutenir l’enseignant inclusif » sont peu perceptibles dans les propos des répondants et le rôle « patronner le programme éducatif individualisé » y est quasi absent.

Questionnés sur leur rôle souhaité, les directeur·rice·s affirment qu’ils·elles désireraient entreprendre des améliorations sur le plan des rôles « user de politique », « manager » et « transformer la structure ». Nous remarquons donc que les directeur·rice·s souhaitent entreprendre des améliorations concernant les rôles qu’ils·elles exercent déjà, tout en laissant de côté des rôles nullement mis en pratique malgré leur importance dans l’implantation et la continuation de l’inclusion scolaire soit « soutenir l’enseignant inclusif » et « patronner le programme éducatif individualisé ». Par ailleurs, la recherche de la prescription de rôle du·de la directeur·rice dans le système éducatif libanais dénonce l’insuffisance de règlementations officielles le régissant. Un seul document, le règlement intérieur des écoles maternelles et des apprentissages fondamentaux pour le secteur public (1992), décrit l’aspect pédagogique du rôle du·de la chef d’établissement de l’école publique libanaise qui se limite au contrôle du travail des enseignant·e·s et la gestion des questions relatives à la discipline. Il s’ensuit que la conception du·de la chef d’établissement au Liban est centrée sur l’administration, la fonction pédagogique demeurant superficielle et limitée. De même, la réalité libanaise accuse l’absence d’un référentiel de compétences du directeur dans les domaines du leadeurship et du management.

L’étude des documents relatifs aux écoles choisies a visé le repérage d’une prescription de rôle du de la chef d’établissement en plus de ce qui existe déjà à un niveau officiel. Cet examen a montré l’inexistence de descriptif du rôle du·de la directeur·rice dans quatre des cinq écoles étudiées. Le descriptif du rôle du·de la directeur·rice repéré s’avère être en cohérence avec les tendances révélées sur le plan officiel.

Quant aux attentes formulées par les répondants à l’endroit des rôles du·de la directeur·rice dans l’inclusion scolaire, elles se situent essentiellement sur le plan du rôle « transformer la structure » : assurer les ressources financières, techniques et pédagogiques, assurer les ressources humaines spécialisées. Les interviewé·e·s sont moins nombreux·ses à attendre du·de la directeur·rice d’assurer du temps pour les rencontres, la planification et la coordination et d’améliorer les conditions physiques de l’école.

5. Discussion

5.1 Connaissance de l’inclusion scolaire : une conception morcelée et individuelle

Les définitions de l’inclusion scolaire fournies par les différent·e·s répondants ont un caractère personnel plutôt qu’institutionnel. Ainsi, les résultats obtenus se recoupent avec les réelles difficultés de définition homogène de l’inclusion scolaire pointées par plusieurs auteur·e·s (Ainscow et Miles, 2008 ; Beauregard et Trépanier, 2010). Il appert que chaque acteurrice a une représentation propre de l’inclusion scolaire, des catégories d’élèves qui pourraient en bénéficier et des pratiques à instaurer pour favoriser sa réussite.

Nos résultats sont donc en cohérence avec le fait qu’il existe à l’échelle mondiale une difficulté à définir l’inclusion scolaire (Ainscow et Miles, 2008). Les acteur·rice·s interviewé·e·s privilégient la conception de l’inclusion scolaire qui tend à l’associer aux enfants présentant des difficultés d’apprentissage sans toutefois admettre la scolarisation des enfants ayant des troubles du comportement ; ou celle qui propose de fournir une éducation aux élèves handicapé·e·s ou ayant des besoins spéciaux dans l’école ordinaire.

Par ailleurs, les répondant·e·s nomment, à l’unanimité, l’école régulière comme lieu d’éducation des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers. Toutefois, le comportement et le rendement de l’élève restent les facteurs déterminants pour sa scolarisation ou la continuation de celle-ci. Donc, l’intégration scolaire serait conçue par les répondant·e·s essentiellement en fonction de ses deux niveaux physique (présence physique de l’enfant à l’école ou en classe) et social (établissement de relations sociales avec les pairs et les adultes) (Vienneau, 2006). Il s’en dégage un manque de préoccupation du niveau pédagogique, lequel vise à favoriser l’apprentissage et l’évolution de l’enfant vers la participation sociale.

En effet, l’étude de chacune des écoles a permis de relever le fait que les acteur·rice·s interviewé·e·s ont une conception médicale de l’enfant ayant des besoins éducatifs particuliers. Cette conception confirme chez les répondant·e·s l’adoption de l’approche de l’intégration conditionnelle où la scolarisation serait réservée aux enfants qui, malgré leur déficience ou trouble, seraient capables de s’adapter à l’école régulière et de répondre à ses exigences au risque d’en être exclu·e·s quand les difficultés surgissent ou s’aggravent. Cette perspective laisse entendre une perception de l’inclusion scolaire comme étant un service rendu à l’enfant ayant des besoins éducatifs particuliers et néglige le fait qu’elle soit une entreprise de transformation et d’amélioration de l’école et par conséquent de l’éducation. En somme, l’étude a souligné l’existence d’un écart entre les principes exprimés (le respect, l’égalité des chances, le principe d’éducabilité, l’acceptation de l’autre différent) et la réalité vécue dans les différentes écoles surtout en ce qui concerne les droits de l’enfant, lesquels ne seraient point absolus, mais relatifs aux conditions internes des écoles et tributaires des capacités de l’enfant à répondre aux exigences de l’école.

Cette perception de l’inclusion scolaire limite considérablement les aspirations et le niveau d’exigence posés pour améliorer l’école et fait régner la culture du compromis. Cette dernière représente le fait de faire des changements visibles répondant aux nouvelles recommandations ou aspirations, mais sans susciter des modifications de fond notamment sur le plan des représentations, des compétences, des pratiques professionnelles et de l’organisation du travail (Fouque, Klepal et Castincaud, 2004).

Les résultats relatifs aux conditions essentielles de l’inclusion scolaire, les ressources nécessaires à sa mise en place et les obstacles présents dans la réalité libanaise, tels qu’évoqués par les répondant·e·s, nous amènent à affirmer que les écoles étudiées ont tendance à privilégier la mise en place d’un processus mécanique pour susciter le changement en vue de favoriser l’inclusion scolaire des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers. Ils·elles mettent en avant la présence des professionnel·le·s, l’existence des conditions physiques et la restructuration de l’organisation et centrent peu leur attention sur l’évaluation adéquate des besoins de l’enfant et sur la planification de l’action et des programmes afin de répondre aux besoins de l’apprenant·e et d’assurer son meilleur intérêt.

Or, les écrits scientifiques affirment que l’inclusion scolaire ne peut se réaliser qu’à travers un travail communautaire visant la mise en place de pratiques inclusives soit de nouvelles politiques et actions favorisant la participation et la réussite de tous les apprenant·e·s à l’école (Ainscow, 2005 ; Ainscow et Sandill, 2010 ; Rousseau et Bélanger, 2004 ; Vienneau, 2006). Il est plutôt question d’avoir l’enfant en vue, de le connaitre comme il·elle est réellement et de privilégier son meilleur intérêt (Ainscow, 2007). Ceci implique l’acquisition d’une nouvelle façon de penser, d’une nouvelle logique qui représente un élément stratégique clé pour la réussite de l’inclusion puisqu’elle va guider l’action et les décisions de chacun des acteur·rice·s.

De ce fait, il serait irréaliste de s’attendre à ce que les différent·e·s acteur·rice·s parviennent spontanément à s’entendre sur une même conception de l’inclusion scolaire et l’adopter collectivement. Il importe donc, pour arriver à adopter les mêmes conceptions et s’aligner sur les mêmes principes, de mettre en place une action planifiée et tangible afin d’unifier les concepts et leur sens, les concrétiser dans des documents écrits produits et adoptés collectivement, en somme oeuvrer pour construire une culture commune. Dans ce sens, certain·e·s auteur·e·s (Ainscow, 2005 ; Ainscow, 2007 ; Ainscow et Sandill, 2010) insistent sur la nécessité que les membres de la communauté scolaire, particulièrement les directeur·rice·s et les enseignant·e·s, adoptent des pratiques inclusives.

5.2 Implantation de l’inclusion scolaire dans l’école privée libanaise : les tendances du rôle joué du·de la directeur·rice

Les résultats ont montré des canevas différents de descriptifs du rôle du·de la directeur·rice. Toutefois, nous avons relevé des similarités et des divergences entre les cinq écoles étudiées. Ainsi, le rôle « manager » a été repéré dans toutes les écoles. Ce fait est parfaitement compréhensible puisque malgré la nécessité d’une orientation vers un leadeurship solide et innovateur, il reste que l’établissement scolaire a besoin d’une gestion pour assurer sa bonne marche pratique et au quotidien (Gather Thurler, 2000).

D’un autre côté, Yukl (2002 ; cité dans Pont, Nusche et Moorman, 2008) stipule que la pratique de la direction suppose l’exercice intentionnel d’une influence sociale par une personne sur d’autres individus. L’aspect intentionnel de cette influence souligne l’existence d’objectifs et l’attente des résultats.

Les résultats de l’étude montrent clairement que les rôles qui dénotent l’exercice d’un leadeurship sont peu évoqués par les répondant·e·s, et même ceux qui sont mentionnés montrent une orientation dans le sens de rendre l’école plus inclusive essentiellement sur le plan physique. La perception du rôle joué du·de la directeur·rice dans les cinq écoles étudiées dévoile peu l’exercice d’une influence sur les acteur·rice·s de la communauté scolaire afin de les amener à s’engager dans l’entreprise du changement et de rendre les pratiques plus inclusives. Il y aurait une faible tendance chez tous les directeur·rice·s des écoles étudiées à s’orienter vers une action visant l’autonomisation (empowerment) des parties prenantes. Les directeur·rice·s des écoles étudiées privilégient les tâches où ils·elles sont personnellement impliqué·e·s, celles sur lesquelles ils·elles ont une emprise directe. Cette tendance du rôle joué du·de la directeur·rice est contradictoire avec les actions de collaboration et de leadeurship partagé que le·la directeur·rice de l’école inclusive devrait instaurer afin de favoriser l’orientation de son école vers l’inclusion (Ducharme, 2008 ; Parent, 2004 ; Riehl, 2000).

Il s’en dégage une nette orientation de la part du·de la directeur·rice pour la mise en place des changements ponctuels et concrets aux dépens d’une orientation vers des transformations plus profondes et durables à travers des rôles tels que « transformer la vision », « transformer la culture », « transformer les pratiques enseignantes ».

Ainsi, l’étude dévoile une préoccupation claire concernant l’adoption d’attitudes positives envers les enfants ayant des besoins éducatifs particuliers et d’un système de valeurs prônant l’équité sans toutefois que des actions tangibles ne soient mises en place pour amener ce changement.

Puisque c’est le changement de comportement qui induit le changement d’attitudes et non l’inverse (Reeves, 2002 ; Rousseau et Bélanger, 2004), l’adoption de nouvelles pratiques pédagogiques assure aux acteur·rice·s un engagement dans l’action. Les résultats concrets qui en découlent alimentent, chez eux, leur sentiment de compétence quant à l’éducation des enfants en difficulté. Conséquemment, les pratiques efficaces modifient positivement les attitudes des enseignant·es qui deviennent plus tolérant·e·s et plus inclusif·ve·s.

L’étude affirme le fait que peu de directeur·rice·s semblent être préoccupé·e·s par la transformation des pratiques enseignantes afin qu’elles puissent assurer la participation et la réussite de tou·te·s les apprenant·es. L’adoption collective de la conception de l’intégration conditionnelle semble les amener à négliger l’implication dans la voie de l’innovation pédagogique (Rousseau et Bélanger, 2004).

Par ailleurs, le soutien et la valorisation de l’enseignant·e inclusif·ve sont également peu perceptibles, ce qui se répercuterait négativement à long terme sur la motivation et le sentiment de satisfaction au travail des enseignant·e·s. Conséquemment, le risque du roulement du personnel compétent encouru dans les écoles pourrait être plus élevé d’autant plus que les directeur·rice·s de trois écoles l’évoquent comme un obstacle à la continuation de l’inclusion scolaire.

Il reste à pointer le manque d’implication des directeur·rice·s dans le patronage du programme éducatif individualisé. Les résultats soulignent que ce processus fait défaut dans les différentes écoles étudiées. Ce fait est appuyé par le peu d’évocation de la planification et de l’évaluation adéquate des besoins de l’enfant et la prise en compte de son meilleur intérêt en tant que ressources indispensables à la réussite de l’inclusion scolaire. Ces aspects sont essentiels dans la mise en place des éléments organisationnels, pédagogiques et relationnels favorisant la participation et la réussite de l’apprenant·e. Ainsi nos résultats se recoupent avec ceux de Beaupré, Roy et Ouellet (2003), lesquels relèvent des lacunes concernant l’implication du·de la directeur·rice dans la préparation des différent·e·s acteur·rice·s concernés à rédiger les plans d’intervention individualisés relatifs aux élèves en difficulté.

En ce qui concerne le rôle prescrit, la recherche dénote l’insuffisance de règlementations officielles régissant le rôle du·de la directeur·rice de l’école libanaise et l’inexistence de descriptif de ce rôle dans quatre des cinq écoles étudiées. Malgré la marge d’autonomie et de liberté favorisée par une telle situation, les directeur·rice·s se montrent être fortement influencés par la réalité du système éducatif libanais dont ils·elles dépendent. Par ailleurs, l’insuffisance de prescription de rôle et plus particulièrement l’absence de référentiel de compétences du·de la directeur·rice dans le système éducatif libanais favorise la confusion identitaire, empêche l’institutionnalisation de la formation des chefs d’établissement et freine l’évolution de ce rôle. Cette lacune sur le plan de la formation des directeur·rice·s d’école au sujet de l’inclusion scolaire est aussi relevée dans les écrits scientifiques comme obstacle important face à l’orientation vers l’inclusion scolaire (Garrison-Wade, Sobel et Fulmer, 2007).

En considérant le rôle selon trois niveaux : le rôle prescrit, le rôle subjectif et le rôle joué, il semble que dans chacune des écoles étudiées ces rôles convergent en termes de domaines d’action et de tâches et s’alignent sur une perspective de changements ponctuels et immédiats se situant essentiellement sur le plan de la structure. Les rôles ayant une plus grande emprise sur la mise en place de changements et de transformations plus profondes sont peu ou pas mis en place. La cohérence entre la perception du rôle joué du·de la directeur·rice, son rôle souhaité et le rôle attendu de lui·elle justifie parfaitement le sentiment de satisfaction personnelle éprouvé et exprimé par les cinq directeur·rice·s quant à leur gestion de l’inclusion scolaire.

Il est clair d’après la présente étude que le rôle du·de la directeur·rice n’a pas subi d’évolution significative en vue de l’inclusion scolaire au Liban. Il en est de même des prescriptions de rôle qu’elles soient officielles ou privées ou émanant des attentes des parties prenantes. Ceci pourrait expliquer l’existence de la scolarisation d’élèves ayant des besoins éducatifs particuliers, depuis plus de 20 ans, sans qu’aucun changement ne soit entrepris autant sur le plan public que privé en vue de rendre l’école libanaise plus inclusive. Il s’en dégage que les rôles des acteur·rice·s scolaires n’ont point subi de changement en vue de l’inclusion. Ce fait justifierait la tendance généralisée à déléguer complètement la responsabilité de l’éducation des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers au personnel recruté dans les écoles à cette fin dont les responsables de l’intégration, les orthopédagogues ou les auxiliaires d’intégration scolaire.

6. Conclusion

Nous étions particulièrement intéressée de découvrir, à travers notre recherche, quel est le rôle de la direction de l’école privée libanaise accueillant des enfants ayant des besoins éducatifs particuliers, dans l’implantation de l’inclusion scolaire.

Ainsi, nous avons repéré clairement, à travers l’étude multicas, que les directeur·rice·s des cinq écoles ne se sont point contenté de jouer un rôle de management administratif pour la gestion de l’école. Ils·elles ont mis en oeuvre également des rôles de leadeurship. Cependant, ces rôles sont peu évoqués. Et, lorsqu’ils le sont, ils montrent une orientation dans le sens de rendre l’école plus inclusive et de susciter le changement en mettant en place un processus mécanique visant l’introduction de nouvelles techniques ou la restructuration de l’organisation.

En l’absence d’une orientation explicite vers l’éducation inclusive sur les deux plans public et privé, les directeur·rice·s semblent répondre favorablement à la prescription de leur rôle. Il s’ensuit que les changements ponctuels et superficiels qu’ils·elles mettent en place semblent être perçus comme des transformations radicales nécessaires et suffisantes pour assurer le droit de tou·te·s à l’éducation. Or, en réalité, elles sont nécessaires, mais point suffisantes pour la démocratisation de l’école.

Sur la base des résultats, les orientations des rôles des directeur·rice·s des écoles privées inclusives seraient justifiées par :

  • la connaissance insuffisante du concept d’inclusion scolaire par tous les acteur·rice·s ;

  • l’adoption de l’approche de l’intégration conditionnelle dans les écoles étudiées ;

  • le manque d’orientations explicites de la part des instances officielles de l’éducation au Liban en termes de scolarisation des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers ;

  • l’absence de formation qualifiante en gestion scolaire visant le développement des leadeurships pédagogique et transformationnel.

Néanmoins, l’étude a révélé la richesse des expériences menées dans les différentes écoles étudiées. Ce qui ouvre une première perspective de recherche où les acteur·rice·s des écoles étudiées formeraient des communautés d’apprentissage interscolaires. Ainsi ils·elles pourraient mettre leurs expériences et leurs connaissances au service de l’explicitation du profil de l’école inclusive au Liban et émettre des propositions susceptibles d’organiser les actions et tenter d’instituer l’inclusion scolaire à un niveau officiel. Par ailleurs, cette entreprise pourrait certes servir à la formation des acteur·rice·s au travail collaboratif, assurer la capitalisation des expériences vécues et, par ce biais, permettre leur valorisation et leur exploitation.

D’autres perspectives de recherche seraient envisageables pour le développement du champ d’études et pour l’innovation. Ainsi, il nous semble pertinent d’élargir et d’approfondir la connaissance des facteurs influençant le rôle du·de la directeur·rice dans l’école inclusive à travers notamment une étude exhaustive. D’un autre côté, il importe d’examiner de plus près les facteurs influençant l’implication des enseignant·e·s et des spécialistes afin d’évaluer leur effet sur la transformation de l’école libanaise en école inclusive. Enfin, l’étude des pratiques de collaboration et du partenariat avec les parents serait d’une importance indéniable pour l’amélioration de la prise en compte des besoins de chaque élève ayant des besoins éducatifs particuliers.