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Rien à foutre des infos TV, on a nos propres mensonges, mais notre vie est vraie

X.MEN, album, Jeunes, coupables et libres, 1996

Cet article entend comprendre la manière dont les adultes des quartiers populaires urbains perçoivent les médias. Se heurtant à des formes d’anathèmes constants dans l’opinion publique depuis les années 1980 (Sédel, 2009 ; Berthaux, 2013), les médias (télévision, radio, presse)[1] ont-ils renforcé la stigmatisation des jeunes évoluant dans les « quartiers » à l’image du traitement médiatique des « émeutes » (voir Champagne, 1993 : 61-79) ? Nous savons peu de choses des formes de réception des médias dominants par les différents publics, hormis que les prismes de l’origine sociale, du niveau de diplôme ou de l’intérêt porté à tel feuilleton ou telle émission, s’effectuent en fonction de leurs dispositions sociales et culturelles (Le Grignou, 2003). Certains experts adoptent une perception « verticale » au sujet de l’influence néfaste de l’offre télévisuelle en matière de programme pour « hypnotiser les masses » (Desmurget, 2011). Pour d’autres, en revanche, les contenus des chaînes de télévision sont le choix uniquement de téléspectateurs motivés par leurs pulsions instantanées en termes de divertissements et de loisirs, réduisant l’influence des publicitaires et autres responsables de programmes à l’adaptation continue aux attentes des publics (Bronner, 2021). Il reste donc bien difficile d’établir un diagnostic sur les conséquences réelles du rôle des médias en général dans le quotidien des individus si nous n’effectuons pas une véritable enquête sur le ressenti des usagers au sujet des programmes et des journaux télévisuels (Masclet, 2018).

Sur le terrain, nous avons pu constater que le traitement de l’information au sujet de la violence des jeunes, de l’immigration ou de l’islam occasionnait des répercussions sur les habitants des « quartiers », notamment chez ceux descendant de l’immigration. Combien de fois avons-nous entendu en présence de nos enquêtés, au détour d’une petite phrase à la suite d’un attentat meurtrier ou du démantèlement « spectaculaire » d’un trafic de drogue : « On n’est pas tous des voyous ! », « L’islam, ce n’est pas ça ! » ou encore : « Les journalistes, on ne veut plus les voir ! Ils bidonnent nos réponses ! » Si les médias mainstream ne sont pas toujours directement responsables des préjugés défavorables aux habitants des quartiers populaires urbains, nous nous interrogeons sur la façon dont la doxa médiatique dominante se répercute sur les subjectivités des personnes concernées et comment ces dernières se mobilisent pour contourner cette disqualification symbolique permanente.

Que ce soit le journal de TF1 qui traite de « faits divers » dans les banlieues populaires mettant en scène un jeune délinquant « issu de l’immigration » ou d’un reportage diffusé le dimanche soir sur M6, qui témoigne de la non-mixité de genre dans un bar du « 9-3 » (Seine-Saint-Denis), les médias de masse exposent les « quartiers » sous un angle inquiétant. Et ces différentes formes de stigmatisation ont, semble-t-il, des conséquences sur les modes de vie des habitants des quartiers populaires.

Les médias traditionnels ont été dominants jusqu’au milieu des années 2000, façonnant, certes avec une certaine pluralité d’opinions, les représentations sociales des millions de Français (Champagne, 1980) à travers une doxa prééminente, notamment quand il est question de certains sujets comme les jeunes, l’immigration ou l’islam (Mauger, 2013)[3]. Nous partons donc de l’hypothèse que les différentes formes de stigmatisation produites par le traitement médiatique ont amplifié une perte de confiance des jeunes dits « des quartiers » envers les institutions et la parole publique[4]. Stigmatisation qui s’est visiblement accélérée depuis les attentats du 11 septembre 2001, et surtout après les tueries conjuguées de Charlie Hebdo et celles du Bataclan en 2015, occasionnant une méfiance renforcée des individus rencontrés envers les médias dominants depuis[5].

Afin de saisir au mieux les pratiques de nos enquêtés au sujet de la stigmatisation médiatique, nous reviendrons sur l’histoire sociale de ce quartier où les conséquences de la désindustrialisation ont eu des effets sociaux sur les dernières générations ouvrières du lieu. Nous tenterons de réfléchir aussi dans quelle mesure se sentir stigmatisé par l’opinion publique et les institutions médiatiques agit sur ces jeunes adultes en situation sociale précaire faite d’incertitudes. Dans une seconde partie, nous examinerons tout d’abord les formes de résistance déployées par nos enquêtés, en particulier dans les discours à l’encontre des médias. Et nous essaierons également de comprendre en quoi le développement d’internet a permis l’éclosion de discours alternatifs, voire contre-hégémoniques, et dans quelle mesure les adultes rencontrés se réapproprient certaines rhétoriques contestataires d’extrême droite, notamment afin de faire face aux stigmatisations multiples.

1. des jeunes adultes connaissant des difficultés multiples

1.1 Des enfants d’ouvriers et d’immigrés qui ne peuvent devenir ouvriers

Cette enquête se déroule dans un ancien quartier de « banlieue rouge » vivant à la fois la désindustrialisation depuis les années 1980, mais également une transformation rapide du territoire depuis les années 2000 avec les nouveaux enjeux économiques (Marlière, 2013b). Cette situation conduit à une recomposition complexe des modes de vie des dernières générations ouvrières du lieu — des enfants d’immigrés et d’ouvriers pour la plupart qui ne peuvent plus devenir ouvriers (Marlière, 2014) — où nous constatons depuis la fin des années 1990 une fragmentation des parcours sociaux des jeunes adultes (Marlière, 2008b), en même temps que se dessinent des « combinaisons » culturelles nouvelles autour de l’héritage migratoire familial, d’un islam rigoriste, de l’adhésion à des valeurs qualifiées de capitalistes et d’une intériorisation des normes républicaines (Marlière, 2005). Ces constats montrent la complexité des transformations des enjeux socioculturels dans une sorte de dialectique décomposition/recomposition où les processus de violence et les faits de délinquance sont omniprésents jusque dans les années 1990[6] (Marlière, 2014b, 2022). La plupart de nos enquêtés évoluent désormais dans ce que le sociologue Gérard Mauger appelle un « monde défait », c’est-à-dire que le monde ouvrier pour lequel leurs parents sont arrivés en France n’est plus et qu’à la place émerge un monde postindustriel avec ses incertitudes (Mauger, 2010).

Cette conjoncture a donc des conséquences socioéconomiques bien réelles pour la plupart de nos enquêtés. Ainsi nous pouvons énumérer cinq facteurs importants qui sont à l’origine de la détérioration des modes de vie des nouvelles générations post-ouvrières dans les « quartiers » : 1/ la fin de l’encadrement de la jeunesse populaire liée au déclin des syndicats et des socialismes d’une manière générale ; 2/ la construction politique d’un nouvel ennemi intérieur véhiculé par les « jeunes de cité », notamment issus de l’immigration maghrébine et d’Afrique subsaharienne appréhendés comme musulmans ; 3/ la relégation sociale de ces enfants d’ouvriers et d’immigrés qui ne peuvent devenir ouvriers et sont, de surcroît, perçus comme inutiles et surtout, dangereux pour la cohésion nationale ; 4/ le fait, dans des logements sociaux paupérisés et enclavés, que les « classes moyennes » et les milieux populaires supérieurs ont déserté les « quartiers », ce qui renforce le stigmate et le sentiment d’abandon dans les constructions identitaires des jeunes observés dans les cités populaires ; 5/ un manque de débouchés politiques et donc de perspectives susceptibles de canaliser les contestations, les colères et les mécontentements des générations post-ouvrières des quartiers populaires urbains.

Si nos enquêtés appartiennent aux classes populaires et sont confrontés quotidiennement aux revenus plutôt faibles, à un maigre patrimoine, à des positions subalternes sur le marché du travail (Siblot et al., 2015), ils habitent des « quartiers » fortement stigmatisés et ont le plus souvent des parents d’origine étrangère. La fragmentation des classes populaires d’une manière générale (Schwartz, 2011) affaiblit politiquement les habitants des quartiers populaires urbains, déjà isolés du point de vue identitaire : en effet ses derniers voient leurs revendications politiques et sociales totalement esseulées et donc discréditées (Merklen, 2009 ; voir Marlière, 2007 : 77-92). Leurs doléances politiques se transforment en « incivilités », voire en menaces, pour la République, car elles ne sont pas prises en compte par les partis politiques et les syndicats et se voient réprouvées par les différents pouvoirs en place (Talpin, 2020). Dès la fin de l’adolescence, nos enquêtés ont intériorisé les violences symboliques, c’est-à-dire « les formes de pouvoir qui ne s’exercent qu’avec la collaboration de ceux qui le subissent parce qu’ils contribuent à le construire comme tel » (Bourdieu, 2003 : 246), bien que ces derniers en grandissant se soient érigés en partie contre les institutions en menant des révoltes spontanées, en développant des formes de résistance infrapolitique et en relativisant fortement les discours égalitaires émanant des structures républicaines du pouvoir (Marlière, 2019).

Jeunes ? On foutait le bordel. On était contre le gardien qui représentait l’autorité ! Le prof aussi ! Parfois le voisin français qui nous faisait des remontrances aussi. On le traitait de raciste ! Bon y’en a qui étaient contre nous, c’est vrai ! Mais nous, on était en colère et en détresse certainement !

51 ans, cadre dans une collectivité territoriale, marié, 3 enfants, parents d’origine algérienne

Dès sa jeunesse, ce quinquagénaire se comporte en provocateur envers son entourage, professeurs et voisins compris. Mais cette forme d’hostilité est le résultat, selon lui, d’une coproduction en raison des perceptions d’une forme de racisme à son encontre.

J’étais scolarisé dans un collège où il n’y avait pas d’Arabes ! J’étais le seul Arabe de la classe ! Et mes camarades m’appelaient l’Arabe ! La prof me mettait au fond de la classe. Pourtant je travaillais bien !

38 ans, informaticien, marié, 2 enfants

N’ayant pas été scolarisé en ZEP, mais dans un collège d’un quartier du centre-ville fréquenté par les classes moyennes supérieures, le témoin suivant vit l’altérité au quotidien avec ses professeurs et ses camarades. De nombreuses personnes rencontrées ici se sont construites dans le conflit avec les institutions en tant qu’« étranger ». Elles se sont socialisées le plus souvent dans la méfiance et parfois la défiance.

Quand on était petits, nos parents avaient peur ! Ils étaient craintifs : ils ne se sentaient pas en sécurité ! Ils nous disaient de rester tranquilles. « Ne fais pas d’histoires ici. Écoute le prof ! Il veut ton bien. » En grandissant, je me suis aperçu que ce n’était pas le cas ! J’étais en rébellion. Le rap m’a construit, même si cela s’est avéré une arnaque par la suite !  Mon père a donné aux profs !

42 ans, chauffeur Uber, parents d’origine marocaine, célibataire

Ils m’ont orienté en BEP en troisième. Pourtant, j’étais assis à côté d’un céfran comme Stéphane. On avait les mêmes notes ! Je m’en souviens, on comparait nos bulletins ! Eh ben lui, il est passé en seconde et moi, ils m’ont mis un BEP !

42 ans, responsable d’une pizzeria halal, marié, 3 enfants

Nos parents prenaient pour argent comptant ce que disaient les instits ! Nos parents venaient de la campagne et étaient illettrés. Ils avaient peur de la France et de ce qu’elle représentait. C’est pour ça qu’au collège, on bronchait avec les profs ! Y’en a, faut dire la vérité, c’étaient des crapules, ils voulaient nous orienter en CAP ou en BEP ! Moi je ne me suis pas laissé faire !

44 ans, musulman pratiquant, fils d’immigrés algériens, diplôme d’un Bac+5, gérant d’un hôtel

Si la plupart de ces expériences remontent à la fin des années 1980, nous pourrions évoquer un grand nombre de propos similaires pour montrer comment certains jeunes des « quartiers », notamment descendants d’immigrés, se sont sentis « floués par l’école ». Les parents immigrés souhaitaient, pour beaucoup, se faire discrets en raison du « délit d’immigration » (Sayad, 1999) qui pèse au quotidien. Pour leurs enfants, les enjeux sont différents. L’indignation morale à l’égard de l’institution scolaire est d’ailleurs à l’origine de dégradations des écoles durant les « émeutes de 2005 » : pour le sociologue Didier Lapeyronnie, l’école a légitimé la sélection sociale qui a condamné l’avenir de certains jeunes des quartiers populaires. Par conséquent, ces derniers ont décidé de la brûler pour se venger (voir Lapeyronnie, 2006 : 431-448). Autrement dit, le fait que certains jeunes des quartiers aient participé aux incendies de l’école de leur enfance est vécu comme une revanche contre les humiliations exercées par l’institution scolaire, notamment dans son rôle de verdict de classements sociaux des destins futurs.

Ainsi l’impact des déterminismes sociaux et des discriminations ethniques dans la socialisation des « jeunes de cité » est vécu comme réel dans les trajectoires : en effet, 18 adultes sur 21 interrogés ici affirment qu’ils se sont heurtés à une sorte de « plafond de verre » en raison de l’origine étrangère de leurs parents. De nombreux jeunes hommes des « quartiers » s’estiment vivre des expériences quotidiennes de racisme, accentuant des contraintes sociales plus que décisives dans leurs trajectoires (voir Boubeker, 2008 : 172-192). Selon un jeune chercheur, dans une enquête statistique conséquente auprès des habitants des quartiers issus de l’immigration, ces derniers subissent en plus des déterminismes sociaux relatifs à leur classe sociale d’origine, du racisme ordinaire et des discriminations systémiques en raison d’une sorte de préjugé collectif associant « arabité », violence et islam qui hypothèquent le multiculturalisme à la française (Drouot, 2021). Ces préjugés sociaux paraissent renforcés par une sorte de martèlement médiatique continu qui attise une animosité déjà certaine de l’opinion publique à l’égard des immigrés et leurs enfants[7].

Pour la majorité de nos enquêtés, les politiques publiques demeurent absentes lorsqu’il est question de résoudre leurs difficultés, ce qui accentue un fort sentiment d’injustice à l’égard du politique (Marlière, 2008a). En effet, à partir des années 1990, les jeunes ont été perçus par les institutions et les médias comme la principale source d’« insécurité », conséquence de la dépolitisation de la question sociale et de la désindustrialisation locale (Boucher, 2004). Autrement dit, taxés de délinquants, de communautaristes ou d’islamistes, leur progressive exclusion sociale et économique a généré une sorte de « victimisation collective » chez les jeunes dits « de cité », perceptible dans le rap par exemple (voir Mucchielli, 2003 : 325-355). Ceci explique en partie la forte abstention électorale dans les quartiers populaires, généralement au moment des élections (Braconnier et Domargen, 2007). Abstention collective, qui ne signifie pas pour autant dépolitisation. Bien au contraire, puisque nos interviewés ont développé une économie morale particulière colérique de la société (Kokoreff, 2021) et donc une représentation politisée plutôt radicale centrée sur la perception du racisme des institutions qui les entourent (Kokoreff et Lapeyronnie, 2013).

1.2 Des médias mainstream discrédités par nos enquêtés

La médiatisation des cités HLM et leur traitement particulier s’expliquent en premier lieu par l’évolution des « quartiers », marqués par une paupérisation grandissante depuis les années 1980. Certains sociologues redoutaient déjà à l’époque de la construction des grands ensembles les conséquences sociales (Clerc, 1967). Mais c’est seulement à la fin des années 1970 que les politiques et les médias s’interrogent sur l’existence d’une jeunesse potentiellement « dangereuse ». Les émeutes de l’été 1981 dans la cité des Minguettes marquent un tournant : l’ensemble des médias adopte désormais un ton beaucoup plus dramatisant à l’encontre des « quartiers ». Du côté des médias, ces changements s’expliquent aussi par la course à l’audience, tout autant que par la montée en puissance des logiques commerciales de réduction des coûts et de la place centrale accordée à la télévision (Sédel, 2009). On constate ainsi une évolution dans les pratiques : la division du travail, les problèmes d’organisation hiérarchique, les techniques de ciblage (casting des intervenants, des interviewés et des interviews, etc.) et les formes de manipulations réciproques des acteurs — élus, membres d’associations, habitants ordinaires — et des journalistes, qui maîtrisent en dernier recours le contenu du reportage (Berthaux, 2013). Les habitants des « quartiers » ne sont pas perçus comme des lecteurs potentiels et par conséquent les « gros titres » dramatisants et stigmatisants à leur égard sont appréhendés comme dépourvus de répercussions pour les rédactions et autres comités éditoriaux (voir Berthaux et al., 2009 : 89-124).

Autrement dit, l’évolution économique et sociale plutôt difficile des « quartiers », associée aux changements ergonomiques des modes de production des médias, a transformé l’image des banlieues populaires dans l’opinion publique au tournant des années 1980. Depuis, cette stigmatisation médiatique constante et répétitive — qui s’est accentuée avec les différents attentats — a donc des effets concrets sur nos enquêtés. C’est pourquoi beaucoup de nos interlocuteurs qui s’estiment stigmatisés depuis leur jeunesse produisent des arguments, déconstruisent les discours et s’insurgent le plus souvent contre les propos tenus par les journaux télévisés lorsqu’ils abordent les sujets traitant des conflits au Moyen-Orient, du rôle négatif de l’immigration en France, de l’« islamisation de la société » ou de l’insécurité chronique engendrée par le phénomène de bandes ou de trafics de drogue, etc.

Pour moi, les télévisions, les radios ou les journaux n’ont plus de crédibilité depuis longtemps, hormis la page sport… Et encore ! (rire) Ils te cachent plein de choses ! Pourquoi ? Ben, on sent l’existence du pouvoir derrière. Le pire, c’est que la France donne des leçons aux autres pays. Mais honnêtement ! T’as vu les infos ? Tu en sais encore moins qu’au début tellement c’est mal traité !

32 ans, fils de parents « français » depuis plusieurs générations, cadre commercial chez Coca-Cola, célibataire, vit encore chez ses parents

Les médias dominants ne sont plus crédibles. En effet, notre enquêté se révèle très critique dans la manière dont est mise en scène l’information, notamment sur les sujets qui le concernent plus ou moins directement. Pour le témoin suivant, un peu plus jeune, qui inscrit dans un parcours de petite délinquance, les médias ne trouvent pas plus de grâce à ses yeux :

Ils ont beau mettre des costards ! C’est des tchatcheurs ! À part parler des Arabes, du terrorisme, qu’est-ce qu’ils font d’autre ? Mon daron cherche du boulot : y’a rien ! C’est la merde en France, donc on met tout ça sur le dos des Arabes, les banlieues, etc. !

28 ans, petit-fils de travailleurs immigrés en provenance du Maroc, ancien petit receleur et trafiquant, célibataire, sans diplôme, vit encore chez ses parents

Pour ce jeune adulte, les personnes comme lui — Arabes, banlieusards, jeunes, etc. — sont les « boucs émissaires » (Girard, 1982) de la crise économique. Dans ses mots, il nous explique que les habitants des « quartiers » dont il fait partie servent de justifications à la « crise ». Un quadragénaire résidant dans la même cité n’hésite pas à se montrer encore plus critique :

Ils nous rebattent les oreilles avec leur démocratie, bla bla bla ! Mais quand tu vois que la plupart des chaînes, des radios ou de la presse sont tenues par des milliardaires copains avec le gouvernement, ça m’interroge ! Ça veut dire que les journalistes ou les experts qui passent sur ses chaînes mangent dans la main des élites financières. Donc, tu ne peux rien attendre de ces médias !

42 ans, contremaître, parents d’origine algérienne, marié, sans enfant

Cet interlocuteur affirme que les médias traditionnels français ne sont pas indépendants. Ses propos qui peuvent paraître sur certains points catégoriques dénoncent ici, pour lui, une collusion évidente entre politiques, financiers et journalistes. Il estime également, de façon indirecte, que la démocratie est un leurre et qu’en France nous avons affaire à une sorte de système oligarchique déguisé.

J’ai Netflix et les chaînes de foot ! Ça me suffit… Le reste, leur télé de merde, ils peuvent se faire foutre avec ! Ils cachent leur magouille, par contre ils mettent tout sur le dos des musulmans et des Arabes ! O.K., tu vas me dire que je fais du business sale dans les halls ! Mais moi ce n’est rien du tout à côté de leur saloperie !

29 ans, parents d’origine marocaine, sans diplôme, ex-petit trafiquant de cannabis, habite toujours chez ses parents

Le discours virulent de ce jeune homme à l’égard des chaînes télévisées traditionnelles peut paraître également caricatural puisqu’il effectue un amalgame sévère entre élite financière, élite médiatique et notable politique. Ce discours traduit un état d’esprit permanent de suspicion à l’égard des médias. Autrement dit, pour bon nombre de personnes rencontrées, la télévision participe à l’amplification d’une atmosphère crispée, pesante et négative qui renforce les habitants des quartiers populaires, quelles que soient l’origine ethnique et la classe d’âge, dans leurs convictions d’être les cibles d’un pouvoir médiatique pervers et injuste.

Ça fait cinq ans que je n’écoute plus la radio ni la télévision. Quant à la presse, il n’y a pas une semaine sans qu’un journal ne parle pas d’islam, de voile, de terrorisme, etc. C’est pesant à la longue ! Avec les gilets jaunes, on avait pu souffler un peu ; on s’était dit dans les quartiers : « Ouf ! ils nous ont oubliés ! On peut respirer. »

32 ans, parents d’origine algérienne, informaticien, marié, mais vit encore chez ses parents

Les propos de notre dernier interlocuteur montrent son désintérêt pour la télévision et les médias en général. D’ailleurs, ce dernier laisse entendre qu’il souhaite vivre normalement : il aimerait que les médias dans leur généralité ne parlent plus des « banlieues », de ses « origines », de sa religion, etc. Il désirerait se faire oublier, devenir invisible et vivre comme les « autres ». D’ailleurs, l’épisode des gilets jaunes lui a permis de sortir, selon lui, de la spirale sans fin de la stigmatisation médiatique. Un quadragénaire, proche de Joey Starr dans sa jeunesse, atteste également de ce sentiment de répit imposé par l’actualité médiatique des gilets jaunes :

Pour moi, les gilets jaunes, c’était comme une arrahma (une miséricorde divine).

42 ans, chauffeur Uber, parents d’origine marocaine, célibataire

Le traitement médiatique des gilets jaunes a permis un déplacement du stigmate sur les travailleurs en grande difficulté économique se situant plutôt vers les espaces périurbains et semi-ruraux (Cizeau et al., 2019). Ce mouvement revendiquant une augmentation du pouvoir d’achat a occupé les ronds-points et a manifesté le samedi après-midi dans les centres-villes afin de se faire entendre par le gouvernement (Jeanpierre, 2019). Le traitement policier et médiatique du mouvement a rappelé celui pratiqué jusqu’ici à l’égard des jeunes des « quartiers ». Dans cet extrait d’entretien formel, les propos de notre interlocuteur en disent long sur le sentiment de harcèlement des médias envers des habitants des quartiers populaires en utilisant le terme arrahma, en langue arabe littéraire, signifiant « miséricorde ». Le mouvement des gilets jaunes, qui ne comptait pas beaucoup d’individus issus de l’immigration, a connu le rejet des élites médiatiques, parfois avec violence, ce qui a effectivement permis à nos enquêtés un apaisement momentané.

Mais si les gilets jaunes ont été stigmatisés dans les médias, ils ne l’ont été que de façon partielle et événementielle. En effet, la parenthèse des gilets jaunes étant refermée, la stigmatisation médiatique à l’égard des habitants des quartiers est revenue sur le devant de la scène. C’est pourquoi, lors de violences insurrectionnelles provoquées par le mouvement des gilets jaunes, certains de nos interlocuteurs se félicitaient du réveil politique des autres classes populaires :

Il était temps qu’ils se réveillent ! Nous, ça fait quarante ans qu’on est des gilets jaunes dans les quartiers. Eux [les gilets jaunes], ils viennent de comprendre la douille en fait ! C’est bien, il faut qu’ils continuent… Après, ce sera flashball pour tous ! (rire)

28 ans, petit trafiquant de cannabis, célibataire, parents d’origine marocaine

La solitude politique des émeutiers de banlieue (voir Le Goaziou, 2008 : 36-57) et quarante ans d’histoire sociale des « quartiers » ont isolé une partie de leurs habitants. Certes, une grande partie de nos enquêtés se sont intéressés au mouvement des gilets jaunes en raison des proximités sociales, sans pour autant y participer, car distants culturellement des classes populaires représentées par ses derniers (voir Marlière, 2020 : 134-145). La parenthèse des gilets jaunes close, les « débats » sur l’insécurité, l’islam, la violence et le sexisme dans les « quartiers » ont semble-t-il repris depuis :

Honnêtement, ils me font rire les frères ou les mecs des quartiers qui se plaignent des médias toute la journée ! Il faut qu’ils se réveillent ! Les médias sont là pour endormir les Français du peuple et les classes moyennes qui représentent 50 millions de personnes ! Nous, on représente à tout casser 8 millions ! Les élites, [elles] n’en ont rien à foutre de nous… Tant qu’[elles] peuvent nous taper dessus pour détourner la colère des autres Français, [elles] seront gagnant[e]s ! Elle est là la réalité !

44 ans, musulman pratiquant, fils d’immigrés algériens, diplôme d’un Bac+5, gérant d’un hôtel

Très critique envers les institutions, le discours développé par cette personne proche de la mouvance salafiste précise que les médias jouent un rôle délibéré dans la stigmatisation des habitants des quartiers populaires musulmans. Dans cette analyse quelque peu conspirationniste (voir Marlière, 2017 : 205-229), cette stigmatisation consiste à faire diversion sur les habitants des « quartiers » afin d’orienter les griefs des « autres » Français, également en difficulté, envers les musulmans.

Ces extraits d’entretiens peuvent paraître radicaux ou « complotistes ». Mais ils nous interrogent sur la nature des perceptions de ces adultes rencontrés dans une cité populaire de la banlieue parisienne. En effet, les grands médias télévisuels renvoient en miroir grossissant les situations sociales de nos enquêtés plus ou moins incertaines aujourd’hui. Si beaucoup de ses jeunes ont trouvé un emploi et pour quelques-uns fait des études supérieures, les métamorphoses de la question sociale se sont déroulées en même temps que la première guerre du Golfe : deux événements qui en ont fait à la fois des « inutiles au monde », pour reprendre la formule de Robert Castel, mais aussi des « ennemis de l’intérieur » (Rigouste, 2009). Ces moments traumatisants pour ces quadragénaires qui ont atteint l’âge de la majorité juridique dans les années 1990 trouvent une résonance nouvelle lorsque les médias abordent à nouveau les questions de violence, de terrorisme, d’islamisme, de « communautarisme », etc. Quelle que soit la diversité des parcours sociaux, nos enquêtés adoptent une lecture soupçonneuse du traitement médiatique qui est à mettre en lien avec les transformations économiques de la société française qui les a partiellement exclus.

Les « débats » incessants sur des chaînes continues comme BFMTV ou CNEWS provoquent chez certains adultes des « quartiers » une amertume féroce, notamment à l’égard de chroniqueurs qui, selon eux, déforment et travestissent leur réalité. C’est le cas d’un président d’association du quartier ayant décidé de monter un projet associatif pour tenter de contrecarrer les discours médiatiques qu’il estime offensants à l’égard des musulmans et des habitants des « cités » :

J’ai décidé de créer mon association il y a dix ans maintenant ! J’ai envoyé des mails aux chaînes concernées. Pas de réponse ! J’ai saisi le CSA pour dire que tel ou tel reportage sur la cité machin ou truc était bidonné. Avec l’association, j’ai gagné en visibilité. Depuis 2015, ça m’arrive de me retrouver sur les plateaux de Pascal Praud ou de Morandini ! Mais c’est dur ! J’ai reçu des mails de menaces de mort ! On m’a traité de terroriste ! D’islamiste ! Tout ça parce que j’ai un discours de terrain. Parfois, sur les plateaux, c’est aussi manigancé…

49 ans, fils d’immigrés algériens, opérateur de saisie dans une entreprise de transport, marié, 4 enfants

Notre interlocuteur s’est toujours insurgé contre la stigmatisation des habitants des « quartiers ». Certes, il n’hésite pas non plus dans certaines vidéos postées sur Facebook à dénoncer les trafics de drogue, les « incivilités », les violences, etc., qui caractérisent, selon lui, les modes de vie de certains jeunes des « quartiers ». Mais sa grande lassitude à l’égard de la stigmatisation constante des habitants des grands ensembles l’a encouragé à monter son association et à revendiquer par courrier sa colère envers certains médias comme BFM ou CNEWS. Au bout de quelques années, il s’est retrouvé sur les plateaux télévisés pour défendre le point de vue des habitants. Mais son expérience des plateaux s’avère difficile tant il maîtrise peu les normes linguistiques, les jeux de scène imposés par les normes télévisuelles et les questions souvent déstabilisantes d’animateurs comme Pascal Praud ou Jean-Luc Morandini.

Si les classes populaires apparaissent toujours comme une « classe objet » (voir Bourdieu, 1977 : 2-5), car parlées et commentées par les « autres », les habitants des « quartiers » s’estiment vilipendés et stigmatisés en raison de leurs origines, de leurs pratiques culturelles et de leurs croyances religieuses. Il est bien difficile pour les habitants des « quartiers » de retourner le stigmate dans la mesure où ils ne contrôlent pas les discours produits par les journalistes des grandes chaînes qui fabriquent plus ou moins certaines représentations sociales de leur réalité (Neveu, 1999 ; Berthaux, 2013).

2. contourner les stigmates et réaffirmer sa dignité politique à travers des médias alternatifs ?

2.1 S’orienter vers des médias alternatifs sur internet

Au milieu des années 2000 avec le développement d’internet, nous constatons quelques changements dans les pratiques culturelles des classes populaires. Mais certains auteurs abordent toujours les inégalités en termes de classe sociale dans les manières d’utiliser la toile : les classes supérieures utilisent le web de façon plus diversifiée et mènent des recherches plus poussées que les classes populaires (Granjon et al., 2009). En effet, nous retrouvons des classifications quant à l’inégalité d’accès aux institutions culturelles (bibliothèques, musées, etc.) selon l’origine sociale dans la vie quotidienne (Donnat, 2009). Si les grandes tendances observées par Bourdieu au sujet des formes de légitimité dans les pratiques culturelles (Bourdieu, 1979) se sont transformées au début des années 2000, notamment avec l’influence plus conséquente de la culture dite « de masse » sur les modes de vie en général et avec un désintérêt relatif pour les classes aisées envers les pratiques « élitistes » (Coulangeon, 2011), les différences en matière d’accès à la culture parmi les classes sociales se déclinent également sur internet. Selon Philippe Coulangeon, avec un certain nombre de nuances certes, les classes aisées seraient davantage portées sur le cosmopolitisme et l’international alors que les classes populaires plutôt sur le local et la vie courante (Coulangeon, 2021). Les progrès informatiques qui permettent plus aisément d’accéder à des contenus diversifiés n’ont pas totalement aboli les inégalités d’accès à la culture au début des années 2020[8], mais favorisent les classes populaires les plus diplômées ou les plus « politisées » à consulter des savoirs plus difficilement accessibles les décennies précédentes. Si internet n’a pas effacé les différences en matière de distinction, elles facilitent un nivellement certes relatif, mais réel, parmi les internautes aujourd’hui (Pasquier, 2018). Autrement dit, la lecture légitimiste au sujet des différences de classe reste efficiente, mais la fragmentation des classes populaires (Schwartz, 2011) conduit à observer une hétérogénéité des pratiques culturelles en raison des différences de position sociale et de dispositions plus prononcées en leur sein aujourd’hui (Masclet, 2018).

Ainsi, dans les « quartiers », l’arrivée de sites « communautaires » qui abordent les aspects du quotidien comme Oumma.com, Ismaminfo.fr, Al-kanz.org ou Saphirnews.com[9] contribue à une légitimation des préoccupations des « minorités » (Lamine, 2015). Ses sites ont progressivement vu le jour sur le web en élaborant des analyses ou des discours pour des publics personnalisés — ici les minorités musulmanes et des « quartiers » — dans un souci de pluralisme démocratique de reconnaissance (Honneth, 2013). Des blogs ont aussi permis de mettre en lumière des acteurs habituellement absents des médias et de proposer ainsi des informations et des questions abordées sous un angle original ou inédit comme le Bondy Blog (Sédel, 2009).

Au début, j’allais sur Saphirnews ou Islaminfo.com, mais il y a beaucoup de textes écrits très longs. Et puis, je sens derrière l’impact des frères musulmans et ça m’agace. Je suis passé à autre chose. Ça ne m’apportait rien !

37 ans, commercial, marié, 2 enfants, parents d’origine marocaine

Le blondy blog, c’était intéressant au départ. Ça proposait autre chose de ce qu’on voyait dans les autres médias. Mais pour être honnête, selon moi, ils ne vont pas au fond des choses : ce qu’ils disent sur les émeutes, je suis d’accord, mais on le sait déjà, ça ! Racisme, injustice, bla, bla, mais moi, je veux aller plus loin : pourquoi tout ça ? Y’a bien des gens derrière, qui décident, qui agissent… Pourquoi on en est là, quoi ?

45 ans, gérant d’une pizzeria, marié, 3 enfants, parents d’origine tunisienne

Ces nouveaux blogs ont permis effectivement au début de proposer une offre culturelle inédite. Néanmoins, les expériences conflictuelles de nos interviewés ne trouvent pas d’écho à leurs questionnements politiques sur ses sites. Les propos de nos deux témoins montrent chacun à leur façon un désintérêt progressif pour le contenu de ces blogs dans la mesure où ils ne répondent pas vraiment aux incertitudes du quotidien. En effet, nos enquêtés ont développé des formes d’autonomie culturelle particulières (Marlière, 2005) à l’origine d’un regard critique envers les médias résultant d’un vécu singulier construit, notamment, par le conflit avec les institutions (Darras et Noûs, 2020).

Certains de nos enquêtés ont effectué des études supérieures ou sont autodidactes et s’acheminent progressivement vers les classes moyennes. Mais les enjeux politiques pour ces descendants de la classe ouvrière et de l’immigration restent centrés sur leur perception du quotidien. Selon le sociologue Vincent Goulet, la majorité des classes populaires s’oriente davantage sur des personnalités ayant un style d’énonciation plus portée vers les positions concrètes sans prétention à la généralisation, mais comprenant une dimension morale où les notions de justice et d’ordre public sont omniprésentes (Goulet, 2010)[10]. Si cette analyse ne fait pas toujours consensus et renvoie à la dualité populiste et misérabiliste au sein d’une grille de lecture légitimiste (Grignon et Passeron, 1989), nous pouvons également ajouter que l’éthos viril chez certains de nos interrogés ayant été socialisés « dans la rue » (Lepoutre, 1997 ; Marlière, 2005) influe sur le choix de l’orateur et de sa manière de formuler ses opinions. Cette remarque est essentielle pour comprendre l’intérêt de certains de nos interviewés pour Alain Soral ou Dieudonné qui joue sur le registre de la virilité. Par ailleurs, la majorité de nos interlocuteurs se réclament de la religion musulmane et sont originaires de familles maghrébines rurales plutôt « traditionnelles » (Césari, 1997)[11] ce qui oriente un certain nombre de penchants idéologiques pour les questions relatives à l’islamophobie, au racisme, au conflit israélo-palestinien, au respect de la famille et des coutumes, à une considération certaine pour la croyance et le sacré[12], etc., tout en affichant une exaspération certaine à l’égard des institutions.

Pour être crédible, il faut que le mec, il ait du vécu. Qu’il ait souffert ! Bon, il faut qu’il ait des diplômes, qu’il soit intelligent, tout ça ! Mais honnêtement, s’il n’a pas de vécu et qu’il parle comme les bourgeois de la télévision, ça ne m’intéresse pas ! Et puis le type, il faut qu’il explique que le système est pourri !

36 ans, informaticien, marié, 2 enfants, parents d’origine algérienne

Je regarde souvent la posture du mec ! Faut faire gaffe avec les imposteurs ! Déjà si le mec, il dit n’importe quoi sur les quartiers, je ne le calcule plus ! Et puis s’il lèche les boules du système, je zappe direct ! Honnêtement, on sait tous maintenant que c’est pourri ! Celui qui prétend le contraire, il est con ou corrompu ! Et puis le mec, il doit montrer qu’il sait de quoi il parle ! Il doit être concret !

41 ans, agent dans une municipalité, marié, 3 enfants, parents d’origine tunisienne

Ainsi, on retrouve un certain nombre d’intérêts communs chez nos deux enquêtés : être véridique, concret, « savoir de quoi on parle » et dénoncer les institutions comme viciées et corrompues. Une majorité de nos interlocuteurs sont donc à la recherche de blogs ou de sites développant une rhétorique contestataire sur internet corroborant les formes de distance et de rejets observées les décennies précédentes dans les halls (Marlière, 2008a). Internet constitue donc un nouvel espace social à part entière et permet l’incorporation d’inclinaisons acquises auparavant en procurant le redéploiement de dispositions nouvelles (voir Granjon, 2022 : 81-97). Durant les années 1990, le mécontentement grandissant des jeunes rencontrés en bas des immeubles à l’égard de la télévision et de la presse a pu trouver de nouveaux débouchés en termes d’informations les décennies suivantes avec internet. Un mécontentement politique qui trouve un écho sur les réseaux qui accentuent la mise en problématique de l’actualité suscitant davantage de commentaires, de polémiques et de fractures (Boltanski et Esquerre, 2022). Si les plates-formes jihadistes sont consultées par quelques adolescents et jeunes majeurs fragilisés ayant été confrontés à des trajectoires familiales chaotiques (Bouzar, 2015), les sites contestataires, de leur côté, sont davantage suivis par des adultes disposant d’un capital culturel suffisant pour écouter des vidéos plus longues (Marlière, 2021).

2.2 Un usage de blogs et de sites antisémites et antisystèmes pour justifier les injustices ressenties ?

Hormis une thèse de doctorat, les travaux académiques qui traitent de l’extrême droite « conspirationniste » sur les réseaux sociaux sont plutôt rares (Montagner, 2020). Pourtant ces blogs sont florissants sur la toile. Tout d’abord, le site d’Égalité et Réconciliation — le plus consulté — présidé par Alain Soral. Nous pouvons, au côté de Soral, énumérer la présence d’un grand nombre de ses collaborateurs[13]. Nous dénombrons une dizaine de collaborateurs présents sur le site d’Égalité et Réconciliation, sans oublier d’autres blogueurs proches de la mouvance soralienne.

Il n’y a pas que Soral. Youssef Hindi est pas mal sur le messianisme juif ; Lucien Cerise sur les manipulations des médias ; Laurent Guyennot sur Kennedy est intéressant. Il y a aussi Pierre Hillard…

44 ans, musulman pratiquant, fils d’immigrés algériens, diplôme niveau Bac+5, gérant d’un hôtel

Il y a pas mal de chroniqueurs chez Soral. Ils ont des spécialités. Y’en a que j’écoute assez régulièrement. Après, il ne faut pas tout prendre, mais disons que ça te permet d’avoir du recul avec la propagande télévisuelle !

46 ans, ingénieur en informatique, marié, 2 enfants, parents d’origine tunisienne

Nous constatons que nos interviewés suivent avec un intérêt le site d’Alain Soral et connaissent les « conférenciers » en fonction de leurs thématiques. Ces « conférenciers » sont connus par nos enquêtés les plus diplômés ou les plus politisés pourtant issus de milieux populaires, mais ayant acquis des savoirs nouveaux (voir Granjon, 2022 : 81-97). En tant que minorités subalternes et stigmatisées, nos enquêtés consultent ainsi des intervenants le plus souvent controversés (Darras et Noûs, 2020) dans les médias dominants et appartenant le plus souvent à l’extrême droite :

Je me souviens, y‘avait un type courageux à la télévision qui s’opposait aux journalistes et aux sionistes au début des années 2000 : Marc-Édouard Nabe ! Après je ne l’ai plus vu. Puis en surfant sur le NET, j’ai retrouvé son nom puis son blog et ses vidéos. Je l’ai beaucoup écouté à l’époque et ça faisait du bien !

46 ans, fils d’immigrés tunisiens, animateur dans une municipalité, marié, 2 enfants

À la fin des années 1990, Marc-Édouard Nabe[14] faisait figure de résistant dans le paysage audiovisuel français sur la question palestinienne pour de nombreux jeunes adultes des « quartiers ». Sa mise à l’écart progressive des médias mainstream a été compensée par le succès de son blog et de ses vidéos sur internet. Ses positions antisionistes sont louées par beaucoup de personnes rencontrées sur notre terrain à la fin des années 1990, car il défendait à la fois les Palestiniens, mais dénonçait aussi ce qu’il pensait également être l’influence du sionisme à la télévision. Aujourd’hui, dans ce quartier, Marc-Édouard Nabe s’est vu relégué par d’autres blogueurs plus radicaux.

En effet, d’autres personnes plus sulfureuses vont émerger progressivement avec internet et constituer des nouvelles figures contre-hégémoniques. Des personnages parfois célèbres comme le « comique », acteur et militant Dieudonné qui constituent de nouveaux pôles d’attraction sur la toile. La mise en place de son blog sur internet a sans aucun doute ravivé l’existence de discours antisémites, mais aussi « antisystèmes » à travers un certain humour corrosif (Briganti et al., 2011).

Il dit des vérités ! Faut pas se mentir ! Moi, il me fait rire et je comprends que ça dérange ! Il attaque le système, notamment les médias qui mentent sur la colonisation, la traite des esclaves, les banlieues, tout ça ! Moi, je le soutiens même si je ne suis pas dupe de son bizness ! Lui, à sa façon, il nous soutient aussi…

36 ans, fils d’immigrés algériens, travail en intérim, célibataire, vit encore chez ses parents

Nous retrouvons dans ses propos le rapport positif aux discours plus « concrets » et moralistes des classes populaires chez cet interlocuteur. Mais notre témoin soutient Dieudonné sans être totalement candide : en effet, ce qui lui plaît surtout c’est la façon qu’a l’humoriste de tenir tête aux différents pouvoirs à travers un humour noir et viril, dont les vannes orientées sur les médias. Bien entendu, il édulcore, sciemment ou pas, les propos antisémites du principal intéressé (Proust et al., 2020).

Proche de Dieudonné, nous pouvons énumérer un autre personnage encore plus controversé : nous parlons d’Alain Soral[15] et de son site présenté de façon succincte précédemment[16]. Soral incarne en quelque sorte le concret qui se manifeste dans l’existence de nos enquêtés :

Ce qu’il dit ce n’est pas con ! Je n’aime pas le personnage, mais il attaque le système sans détour ! C’est pour ça qu’il est persécuté contrairement à d’autres personnes qui jouent les rebelles, mais qui continuent à passer à la télé ! Lui, depuis 2010, il a disparu des écrans… Ça veut dire beaucoup de choses ! Et d’ailleurs, quand les médias l’attaquent, eh bien il ne peut même pas se défendre, sauf sur internet !

31 ans, petit-fils d’immigrés algériens, ancien délinquant, travaille comme magasinier dans la grande distribution, célibataire, vit encore chez ses parents

Pour notre interlocuteur, Soral est persécuté par les médias, car il dénonce les injustices. La plupart de nos enquêtés s’estiment également vilipendés par les médias dominants, ce qui constitue un gage de confiance. Pour les sociologues Darras et Van Zambrano ces résistances opposées aux discours dominants sont le résultat d’un héritage politique militant ou bien le fruit d’une socialisation dans des espaces sociaux conflictuels à l’origine d’un habitus clivé (Darras et Van Zambrano, 2016). La plupart de nos enquêtés ont un parcours conflictuel car ils ont été socialisés dans des contextes sociaux clivants. Ainsi, si notre dernier témoin ne s’identifie pas totalement au polémiste, le fait que Soral soit censuré des médias, cela signifie que le polémiste d’extrême droite vise en quelque sorte juste. L’antisémitisme de Soral se trouve plébiscité par nos interlocuteurs dans la mesure où pour nombre d’entre eux, les élites de la communauté juive contrôlent la société. Nous retrouvons d’ailleurs l’intérêt à la fois pour le concret et la recherche de justice qui mobilise l’intérêt des classes populaires chez nos interviewés (Goulet, 2010), mais aussi la manifestation d’un habitus clivé et en conflit avec les institutions (voir Darras et Van Zambrano, 2016 : 273-290). Et Soral maîtrise en quelque sorte les codes culturels et les enjeux sociaux puisque ce dernier dans ses vidéos appelle constamment à la colère, au « bon sens » et à l’« évidence des faits »[17]pour mobiliser certains jeunes des « quartiers ».

D’ailleurs, pour approfondir l’intérêt culturel pour Soral, disons que ce dernier fait également appel au retour de valeurs dites traditionnelles (respect du religieux et du sacré, de la virilité et de la séparation des rôles sexuels, sens de l’honneur et de la dignité, etc.) —, en citant élogieusement les travaux de Julius Evola ou de René Guénon, par exemple, des penseurs traditionalistes —, ce qui ajoute une attention « idéologique » pour des héritiers de l’immigration issus de familles rurales traditionnelles des campagnes du Maghreb.

Je ne suis pas toujours d’accord avec lui. Parfois, il est caricatural ! Mais son rapport aux valeurs traditionnelles est utile : tous ces mouvements LGBT, c’est de la connerie ! Dieu nous a créés comme on est ! Faut être lucide… Même le féminisme nous mène à la perdition !

49 ans, fils d’immigrés algériens, opérateur de saisie dans une entreprise de transport, marié, 4 enfants

Certains de nos interviewés trouvent sur le site d’Égalité et Réconciliation des compensations morales et des justifications eschatologiques face à un quotidien que beaucoup d’entre eux estiment chaotique en raison de l’existence de pouvoirs politiques et médiatiques qu’ils perçoivent comme corrompus à l’instar du chauffeur Uber cité précédemment :

Pour moi, Soral est un agitateur. Il a raison sur plein de trucs ! Quand il attaque les sionistes et leurs visions eschatologiques avec le grand Israël, il a raison ! Quand il dit que les sionistes tiennent la France, il a raison ! Quand il montre que les médias sont corrompus et achetés, il a raison ! Quand il dit que les élites essaient de monter les petits Blancs contre les musulmans et les cités, il a raison ! Sinon, faudra me prouver le contraire…

42 ans, chauffeur Uber, parents d’origine marocaine, célibataire

Nous avons affaire au même interlocuteur qui nous expliquait précédemment que le traitement médiatique des gilets jaunes était une « miséricorde de Dieu ». Proche de Joey Starr au début des années 1990, il a vécu, selon lui, l’infiltration du rap par les élites médiatiques, expliquant la médiocrité de cette musique de nos jours puisque le mouvement hip-hop s’est, semble-t-il, détourné des messages révolutionnaires. En effet, son « expérience » vécue au sein du mouvement résonne avec les propos de Soral sur la mainmise des « sionistes » sur le show-business afin de contrôler toutes les contestations politiques[18]. Ainsi, notre quadragénaire soutient le polémiste dans la mesure où il exprime, selon lui, des vérités sur les élites et leurs corruptions à la tête de l’État. Il soupçonne ces mêmes « élites » de fomenter, en cas d’accentuation de la « crise économique » en France, une guerre civile opposant les musulmans aux « Blancs » afin de faire diversion. Sa perception eschatologique des événements en cours s’appuie aussi sur son interprétation des hadiths du prophète musulman. D’ailleurs, certains enquêtés témoignent d’une prédilection avérée pour Youssef Hindi, parmi les chroniqueurs qui sévissent sur le site de Soral. Hindi, cité précédemment, qui aborde, de façon très personnelle, l’existence d’un supposé messianisme juif.

Hindi, il est pertinent ! Honnêtement, il parle du peuple élu. Pour eux, nous on n’est rien ! Les goys sont des animaux ! (rire.) C’est le peuple élu. Leur paradis est terrestre, contrairement pour nous et les chrétiens. Il y a des tensions entre eux, c’est vrai : entre les talmudistes et les kabbalistes ! Mais ils veulent construire leur grand Israël et servir d’intermédiaire entre Dieu et nous ! C’est le peuple élu : c’est comme ça !

42 ans, chauffeur Uber, parents d’origine marocaine, célibataire

Sa perception de ce qu’il pense être la condescendance des « élites juives » à l’égard des autres peuples est consubstantielle de sa grille de lecture. Notre interlocuteur plébiscite aussi des conférenciers comme Pierre Hillard ou Philippe Ploncard d’Assac (moins connu), très centré également sur le nouvel ordre mondial juif dont la capitale serait Jérusalem. Youssef Hindi a récemment publié un ouvrage sur l’éventuelle duplicité d’Éric Zemmour qui, selon ses vidéos postées sur internet, se fait passer pour un chrétien traditionnel afin de flatter l’extrême droite dans l’objectif de stigmatiser encore davantage les musulmans. Hindi est donc très suivi par certains de nos enquêtés dans la mesure où ces derniers se sentent concernés par les propos du collaborateur de Soral :

Il dit des choses intéressantes sur Zemmour ! Le juif algérien caché qui se la joue catholique pour avoir les suffrages des fachos et des cathos d’extrême droite sur le dos des muslims ! La question du messianisme est importante pour certains acteurs qui dominent la planète ! »

44 ans, musulman pratiquant, fils d’immigrés algériens, diplôme d’un Bac+5, gérant d’un hôtel

Si tous les enquêtés de quartier ne partagent pas, il est vrai, les visions eschatologiques exprimées ici, certains adultes soutiennent Soral avec certes quelques réserves. Beaucoup de nos interviewés le trouvent raciste, orgueilleux et colérique. Son appartenance revendiquée à l’extrême droite et son incitation continuelle à voter pour le Front national rebutent la majorité de nos interlocuteurs qui l’écoutent néanmoins. Mais ce qui pose question ici, c’est l’absence de dénonciation de l’antisémitisme de Soral et de ses collaborateurs. En effet, de nombreux interlocuteurs imputent spontanément à une supposée élite juive les difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent au quotidien (Taguieff, 2020)[19]. D’ailleurs Soral affirme que certains membres de la communauté juive qui soutenaient les maghrébins à travers SOS Racisme dans les années 1980, pour stigmatiser le Blanc ou le beauf, se sont retournés depuis. Avec l’« affaire du foulard » en 1989 et donc le retour du religieux musulman, pour Soral, ses prétendues élites juives ont décidé de lâcher les « Arabo-musulmans » pour venir à la rescousse des « Blancs » et des catholiques — autrefois stigmatisés par ses mêmes « élites » —, persécutés désormais par les « voyous » et les « intégristes » de banlieue. Ce discours dangereux d’Alain Soral qui résume l’essentiel de ses vidéos trouve donc un certain écho ici en raison du sentiment de persécution par les médias et par les discriminations réelles ou éprouvées au quotidien par nos enquêtés. Les personnes rencontrées ont donc des dispositions idéologiques à donner du crédit au discours de Soral et ses collaborateurs en écoutant ses vidéos et en achetant ses livres. En d’autres termes, les années de stigmatisation et de discrimination vécues comme expériences pour beaucoup de nos interrogés trouvent un sens politique aux propos des polémistes d’extrême droite[20]. Dieudonné, Soral et les autres « conférenciers » mentionnés ici s’opposent aux médias, au « système », aux « élites », aux institutions et désignent certains groupes sociaux comme responsables de la situation chaotique du pays. De nombreux enquêtés accordent une réelle importance aux discours des blogueurs cités précédemment dans la mesure où ces derniers s’estiment vilipendés par les institutions et leurs élites, et peuvent enfin rationaliser leurs « échecs » en désignant ouvertement les responsables.

Ce qu’il dit n’est pas faux ! Moi, ce que j’aime bien, c’est qu’il emmerde les politiques et les journalistes ! Ça, ça me plaît ! Eux, de leur côté, ils ne se gênent pas pour nous insulter et nous diffamer toute la journée !

37 ans, fils d’immigrés algériens, ancien petit trafiquant qui travaille dans un supermarché, célibataire, vit encore chez ses parents

Ainsi, ces sites et autres blogs apparus progressivement à la fin des années 2000 profitent de la méfiance généralisée — défiance désormais — de certains habitants des quartiers, notamment vis-à-vis des médias dominants et des politiques en général. C’est la position défendue en quelque sorte par Alain Bertho, pour qui certains habitants des quartiers populaires ont compris le subterfuge médiatique depuis longtemps. En effet, pour l’anthropologue, nous assistons donc à une sorte de « crise de la vérité » chez la plupart des jeunes adultes des « quartiers » : « Il était frappant de voir à quel point la question du mensonge structurel de l’État à leur endroit et de l’absence cruelle de vérité dans les débats publics était au centre de leurs problématiques » (Bertho, 2016 : 136). Nos interrogés ont plus ou moins intériorisé le fait qu’ils sont stigmatisés dans la mesure où ils se voient dans la ligne de mire d’un pouvoir à la fois injuste, mais surtout oppressant à leur égard.

conclusion

Dans un premier temps, nous avons constaté que nos enquêtés, quels que soient les parcours sociaux et scolaires, se sont toujours sentis exclus de la société. La socialisation de ces adultes, contrairement à d’autres, a été plus ou moins conflictuelle : entre un « eux » et un nous, entre « leur télé » et leur réalité dans la cité, etc. La lecture hoggartienne qui opposait classes populaires et bourgeoisie aujourd’hui, désuète en raison des transformations des modes de vie en Occident (Hoggart, 1970), trouve un sens nouveau pour nos enquêtés mais de façon plus étriquée car uniquement centrée sur la vie dans les « quartiers ». C’est pourquoi, dans cette enquête, nous avons rencontré des personnes ayant développé des ressentiments parfois vifs à l’égard des médias. Les capacités politiques à répondre aux difficultés économiques restent limitées de la part des institutions républicaines dans la mesure où les inégalités sociales et les discriminations persistent au quotidien. L’omniprésence d’un Éric Zemmour mis en avant par les médias et crédité d’une moyenne de 14 % des intentions de vote dans les sondages pour la prochaine élection présidentielle, accentue ce constat d’impuissance et perpétue l’amertume et les sentiments de revanche (Arendt, 1972) chez les adultes rencontrés ici.

Afin de pouvoir trouver un certain équilibre dans un contexte social plus ou moins hostile, certains enquêtés vont s’éloigner de la doxa dominante et ne plus accorder de crédit aux traitements informationnels des médias évoluant pourtant dans un pays démocratique. Le développement d’internet a permis une mise à distance progressive des discours dominants par de nouveaux débouchés idéologiques apportés par des sites ou blogs contestataires. Car, avec internet, les personnes interrogées ici vont trouver chez certains polémistes, certes controversés, de nouvelles sources rhétoriques pour contrer les médias traditionnels, qu’ils estiment iniques, mais surtout donner un sens politique à leur mode de vie conflictuel désormais expérimenté comme une forme de résistance politique face à une société gouvernée par des élites appréhendées comme corrompues, injustes et malveillantes.

Dans cet article, nous avons essayé de comprendre de quelle façon le discours médiatique mainstream stigmatisant s’est répercuté dans les processus de socialisation dans le quotidien des 21 personnes interrogées. Nous avons pu en effet comprendre comment ces discours ont pénétré les subjectivités politiques en l’espace de deux générations de jeunes de cité post-ouvrière et ainsi formé des individus en contestation permanente face aux institutions et leurs médiations. Désormais en rupture de confiance avec les médias et les institutions de manière générale, certains habitants des quartiers populaires ont ainsi mobilisé des ressources nouvelles sur internet pour contrecarrer les discours médiatiques les disqualifiant, en écoutant des personnages parfois dangereux qui élaborent une rhétorique le plus souvent antisémite, raciste, anti-élite et « antisystème ». Les plus politisés et les plus diplômés ont ainsi pu développer des dispositions nouvelles pour aller chercher des informations inédites en raison d’une socialisation dans le conflit avec les institutions à l’origine d’un habitus clivé. C’est pourquoi la rhétorique d’Alain Soral et de ses « alliés » consiste à développer et entretenir l’idée qu’une « élite » corrompue, décadente et sioniste gangrène le pays. Et ce discours trouve une résonance chez certains jeunes adultes, trentenaires et quadragénaires, dans un pays en grande difficulté économique où les projections sociales sont incertaines et aléatoires à l’heure actuelle.