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Les relations entre Hurons-Wendat et Iroquoiens du Saint-Laurent à l’époque des premiers contacts avec les Européens font l’objet de nombreux débats et d’une récente réhabilitation que l’ouvrage Études multidisciplinaires sur les liens entre Hurons-Wendat et Iroquoiens du Saint-Laurent propose de mettre en lumière. Issues du colloque « Les Wendat et leurs voisins au temps de Champlain », qui s’est déroulé en 2015 à Midland (Ontario, Canada), et plus particulièrement d’une séance, « La Nation huronne-wendat et les Iroquoiens du Saint-Laurent : leurs origines et leurs relations », les contributions de cet ouvrage collectif ont déjà fait l’objet d’une première publication dans la revue Ontario Archeology (2016). Les Presses de l’Université Laval proposent ici la version française de ce numéro.

À l’origine de ces contributions, deux constats : les Iroquoiens du Saint-Laurent sont généralement considérés comme une population « disparue » (Jacques Cartier les a rencontrés au XVIe siècle, mais l’on n’en retrouve aucune trace dans les témoignages du XVIIe siècle) ; la tradition orale des Hurons-Wendat et les archéologues iroquoianistes ne s’accordent pas (les Hurons-Wendat ne font pas état de distinction ethnique entre leur groupe et les Iroquoiens du Saint-Laurent, alors que les archéologues ont jusqu’à présent eu tendance à établir une distinction entre Iroquoiens du Saint-Laurent, Hurons-Wendat et Mohawks). Battant en brèche ces considérations en optant pour un point de vue non ethnocentré et s’appuyant sur de récentes découvertes, les différentes contributions de cet ouvrage s’attachent à fournir les preuves — archéologiques, historiques et linguistiques — d’une dispersion et d’une relocalisation géographiques des Iroquoiens du Saint-Laurent au XVIe siècle, suivies d’une intégration progressive de ceux-ci au sein de divers groupes iroquoiens (dont les Hurons-Wendat) ou algonquiens.

L’ambition première de l’ouvrage est de répondre à l’interrogation suivante : « Les Iroquoiens du Saint-Laurent devraient-ils être considérés comme des Hurons-Wendat ancestraux ? » (p. 133). Pour mener à bien cet ambitieux programme, le colloque et les publications qui en résultent prônent le dialogue et la coopération entre scientifiques et Autochtones. L’un des principaux organisateurs et directeurs de la publication est d’ailleurs Louis Lesage, directeur du bureau du Nionwentsïo (bureau territorial) de la Nation huronne-wendat. C’est avec la notion d’« ethnicité » (une construction sociale consciente, subjective et dynamique) que l’ouvrage tente de trouver ses assises. Pourtant, la majorité des articles réunis sont de nature archéologique (sept textes sur onze, introduction exclue) et la difficulté de saisir l’ethnicité par l’intermédiaire de la culture matérielle est largement admise par les différents auteurs et confirmée par la dernière contribution : « il est difficile, sinon impossible, de déterminer l’identité ou l’ethnicité à partir de vestiges archéologiques » (p. 137). L’archéologie des périodes précontact vient donc ici en renfort d’un discours contemporain sur l’ethnicité et l’ethnogenèse des Hurons-Wendat. Si l’archéologie se met au service de l’anthropologie dans cet ouvrage, elle se met aussi potentiellement au service des populations autochtones contemporaines dans l’éventuel cas de batailles juridiques devant des aspirations de revendications territoriales (p. 138-139). Bien que sous-jacentes, ces questions sont certainement les plus intéressantes pour les lecteurs anthropologues. Preuves linguistiques, tradition orale et diverses formes de culture matérielle sont autant d’éléments mis en question dans cet ouvrage pour éclairer les liens étroits entre Iroquoiens du Saint-Laurent et Hurons-Wendat ancestraux, dans une visée contemporaine.

Malgré l’apport conséquent de cet ouvrage, quelques réserves doivent être émises. La notion d’« ethnicité » et le point de vue autochtone sur lesquels l’ouvrage s’établit ont parfois tendance à se perdre dans plusieurs contributions où le jargon technique archéologique prend le dessus. Le format très court des textes permet de multiplier les propositions et d’embrasser un vaste champ disciplinaire et méthodologique, mais cela ne sert pas toutes les contributions. Certaines d’entre elles auraient nécessité plus d’espace pour déployer leur argumentation. À titre personnel, nous regrettons que le propos de Jean-François Richard (chap. 3) soit à ce point synthétisé. Nous aurions aimé en savoir plus sur ces thèmes majeurs et chers à l’anthropologie que sont l’ethnicité et la conception de l’histoire du point de vue des Hurons-Wendat qui sous-tendent son analyse de la tradition orale relative aux territoires ancestraux sur la base de discours consignés par écrit.

Les contributions ici réunies permettent de replacer la Nation huronne-wendat au coeur du monde iroquoien, alors qu’elle est généralement conçue comme un groupe à part. Par son propos clair et accessible, sans perdre en précision, cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui souhaitent saisir les antécédents historiques de la Nation huronne-wendat et, plus largement, les interrelations des groupes iroquoiens de cette région au XVIe siècle. Cette contribution vient combler un manque certain en réhabilitant les Iroquoiens du Saint-Laurent et en confirmant la tradition orale des Hurons-Wendat selon laquelle certains de leurs ancêtres étaient issus de ce groupe (trop) longtemps considéré comme disparu.