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L’ouvrage collectif présenté ici fait suite au colloque international éponyme intitulé « Les savoirs d’expérience en santé » concernant le syndrome de West[1] qui s’est tenu à l’Université de Lorraine les 24 et 25 octobre 2016. Il regroupe les contributions provenant de disciplines variées telles que l’anthropologie, les sciences du langage, les sciences de l’éducation et de la formation ou les sciences de l’information et de la communication. Le fil rouge de l’ouvrage est de proposer un tableau exhaustif des enjeux épistémologiques, théoriques et méthodologiques existant aujourd’hui autour des savoirs expérientiels. Ce concept symbolise l’accroissement de la légitimité accordée à l’expérience et aux savoirs des acteurs autres que les soignants, soit les patients et les proches aidants, dans la production des savoirs d’expérience. Cette reconnaissance est le résultat d’un ensemble de lois soutenant la révolution de la démocratie sanitaire survenue dès le début des années 2000 en France. Bien que l’ouvrage ne soit pas divisé en parties, nous pouvons regrouper les différentes contributions sous quatre axes.

Le premier axe de l’ouvrage Les savoirs expérientiels en santé. Fondements épistémologiques et enjeux identitaires propose une mise en lumière des définitions et terminologies des différents concepts touchant les savoirs expérientiels puisque l’on retrouve aujourd’hui une littérature foisonnante sur le sujet. Dans le premier chapitre, à travers une revue des travaux scientifiques en sciences humaines et sociales produits en anglais et en français, Fabienne Hejoaka, Arnaud Halloy, Emmanuelle Simon et Sophie Arborio explorent les distinctions épistémologiques importantes à considérer, notamment entre les termes « savoir d’expérience », « savoir expérientiel » et « savoir profane » (chap. 1, p. 51). Un point intéressant à retenir de ce chapitre consiste notamment en la reconnaissance du principe d’incorporation (embodiment), où le corps se présente comme un médium dans la compréhension de l’expérience de la maladie (Kleinman et Kleinman 1991 ; Stoller 2004).

Le second axe met en avant les différents moyens proposés par les acteurs confrontés à la maladie dans l’élaboration, la validation et la reconnaissance de leurs propres savoirs expérientiels. Par exemple, Sandrine Musso analyse les conditions d’émergence d’une figure contemporaine encore méconnue, le médiateur de santé publique, afin de remettre en question les frontières entre experts et profanes. Le cadre méthodologique s’est construit autour de l’expérience « embarquée » (chap. 2, p. 78) de l’anthropologue, grâce à laquelle Musso a pu occuper plusieurs rôles au sein de programmes de formation de médiateurs dans la prévention du sida auprès de personnes immigrées entre 2000 et 2005.

Le troisième axe se concentre sur l’élaboration des savoirs d’expérience en ligne (par le biais de Facebook, de blogues ou de forums) et propose de porter un regard sur les relations entre les savoirs biomédicaux (le déjà là) et les savoirs d’expérience coconstruits en ligne (ce qui advient) (p. 38). D’ailleurs, Clémentine Hugol-Gential s’interroge sur l’influence des discours médiatiques sur les liens entre alimentation et santé au coeur des forums, blogues et réseaux sociaux entre patients atteints du cancer. Cette recherche est un bon exemple d’application d’ethnographie en ligne où le cadre méthodologique reposait sur l’examen d’un corpus de deux espaces numériques composés par des articles en ligne et des forums, discussions ou blogues en 2016. Hugol-Gential a ainsi démontré comment les patients s’approprient les discours médiatiques hygiénistes et responsabilisants (chap. 8, p. 207) ainsi que le discours médical afin de les redéfinir au regard de leurs propres expériences.

Le quatrième axe explore les mécanismes sous-jacents des récits de maladie dans le processus de construction identitaire ainsi que la production des savoirs d’expérience à travers des interactions sociales auprès de pairs ou de proches. Ainsi, Maryvonne Charmillot s’intéresse aux significations des métaphores dans les récits d’expérience des maladies. La collecte de données a été réalisée en employant la technique de l’entretien de recherche compréhensif, durant lequel les personnes interviewées sont invitées à produire un récit de leurs expériences autour de six thèmes liés à la maladie avant de pouvoir proposer une métaphore décrivant leur expérience de la maladie. L’originalité de l’article de Charmillot réside dans le choix de recourir au concept de « significations expérientielles » plutôt qu’à celui de « savoirs d’expérience » afin d’éviter l’écueil objectiviste et existentiel qui tend à réifier les savoirs (chap. 5, p. 148).

Finalement, Les savoirs expérientiels en santé présente une collection de onze articles d’une grande qualité et propose des approches conceptuelles, épistémologiques et méthodologiques variées. Cette pluridisciplinarité permet de toucher un large ensemble de domaines, particulièrement l’anthropologie et les sciences de l’information et de la communication. Cet ouvrage constitue une excellente référence pour des pistes de réflexion et de discussion sur différents concepts reliés aux savoirs expérientiels. Chaque article contribue aujourd’hui à faire vivre le débat public sur la reconnaissance des savoirs expérientiels et offre l’occasion de réfléchir aux reconfigurations politiques des rôles dans le domaine de la santé entre les patients, les soignants et les proches.

Erratum. Une erreur s’est glissée dans la version imprimée du compte-rendu « Words of the Inuit: A Semantic Stroll Through a Northern Culture » du vol. 45-3 (2021). Il aurait fallu lire « mode de donation du référent » au lieu de « mode d’attribution du référent ».