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Alors que les études sur le Parti québécois (PQ) se multiplient et nous offrent une compréhension de plus en plus nuancée de cette formation politique fondée il y a maintenant plus de 50 ans, la conjoncture politique actuelle lui semble moins favorable que jamais. À part un court soubresaut en 2012 où il forma un gouvernement minoritaire, le PQ connaît visiblement un déclin important depuis le début du nouveau millénaire. Tout en peinant à renouveler un projet politique devenu impopulaire auprès d’une grande partie de la population, le parti se montre également incapable de rassembler comme par le passé les divers courants idéologiques qui le parcourent, notamment avec l’émergence de nouvelles options comme la Coalition Avenir Québec et Québec Solidaire, ce qui contribue à ses insuccès électoraux et à sa chute dans les sondages. La défaite référendaire de 1995 et les propos brûlants de Jacques Parizeau sur « l’argent et des votes ethniques » demeurent d’ailleurs un boulet au pied des péquistes et rendent la défense du projet indépendantiste plus ardue que jamais. Sans être nécessairement condamné à disparaître, le parti se trouve malgré tout à la croisée des chemins.

En cette heure d’introspection, l’ouvrage du politologue Éric Montigny, Leadership et militantisme au Parti québécois, de Lévesque à Lisée, arrive à point nommé. Version revue et augmentée de la publication originale publiée en 2011, cette nouvelle édition vient intégrer les événements survenus depuis cette date, s’arrêtant avec le départ de Jean-François Lisée et la défaite électorale désastreuse de 2018. Pour faire une plus grande place à cette période plus récente, la comparaison entre le PQ et le Labour Party britannique a été retirée de cette nouvelle édition, ce qui n’en réduit pas pour autant la valeur. Le nombre de chapitres est également plus grand et témoigne d’une division plus précise de la démonstration. Toujours aussi pertinente, l’analyse de Montigny utilise à nouveau le cadre conceptuel proposé par Wolfgang C. Müller et Kaare Strom et l’adapte aux particularités de la réalité politique québécoise en s’inspirant de l’initiative de Steven Wolinetz[1]. Le corpus utilisé est constitué d’une série d’entrevues menées auprès d’ancien.ne.s militant.e.s et cadres du PQ ayant oeuvré entre 1994 et 2005, dates qui représentent le cadre temporel utilisé, quoique l’analyse en soi s’étende après cette dernière date. Finalement, Montigny parvient habilement à démontrer l’influence qu’exercent les contraintes institutionnelles sur l’évolution du parti, le rôle joué par le ou la chef.fe et, finalement, la détermination de l’objectif partisan privilégié au fil des années.

L’ouvrage se divise en neuf chapitres au lieu des six de la première édition. Les chapitres 1 à 3 sont dédiés à l’élaboration de la grille d’analyse choisie par Montigny. Le premier présente le cadre proposé par Müller et Strom pour identifier la nature de l’objectif partisan d’une formation politique, qui se divise en trois possibilités : appliquer le programme du parti (policy-seeking), obtenir un maximum de votes (vote-seeking) ou assurer la gouvernance de l’État (office-seeking). Ce modèle identifie d’ailleurs plusieurs contraintes institutionnelles internes (participation des militant.e.s à l’élaboration du programme, existence de factions, caractéristiques du chef ou de la cheffe) et externes (nature du système électoral, règles entourant le financement des partis, conjonctures sociales, culturelles et économiques) qui peuvent influencer le choix de l’objectif partisan à travers un processus constant de négociation entre le leadership du parti et la base militante. Le deuxième chapitre propose quant à lui une revue de la littérature scientifique sur la vie interne des partis et sur l’évolution des systèmes partisans. Montigny en profite pour souligner les défis derrière l’étude des dynamiques internes d’un parti et surtout de ses visées politiques. Dans le troisième chapitre, l’auteur utilise les contraintes proposées par Müller et Strom pour établir les variables de sa grille d’analyse en fonction du cas particulier du PQ. Il ajoute d’ailleurs de nouvelles contraintes associées au contexte électoral, aspect plus ou moins couvert par les deux chercheurs européens. Prenons par exemple la nature des techniques électorales utilisées ou encore le message central véhiculé lors d’une élection.

Les chapitres 4, 5 et 6 sont chacun dédiés à un des trois axes d’analyse privilégiés par Montigny. Ainsi, le quatrième chapitre étudie l’évolution de la démocratie interne du parti, qui s’exprime principalement par la participation à l’élaboration du programme. Dans l’optique d’établir un équilibre informel au sein du parti, un compromis est atteint : le programme appartient aux militant.e.s, alors que le ou la chef.fe a la mainmise sur les engagements électoraux. Dans le cinquième chapitre, il est question du pouvoir des militant.e.s sur l’action du parti et plus précisément de la marge de manoeuvre qu’ils accordent à leur chef.fe. Le vote de confiance représente d’ailleurs le principal mécanisme de compensation offert à la base militante pour exercer son influence sur leur leader. Le dernier axe présenté dans le sixième chapitre aborde l’interaction du PQ avec un environnement politique de plus en plus imprévisible. Montigny identifie par ailleurs deux changements ayant été défavorables au PQ durant la période étudiée : la fin d’un bipartisme favorisant les péquistes et la disparition du clivage Oui-Non centré sur la question de l’indépendance.

Deux tendances lourdes ressortent de cette analyse et celles-ci sont présentées dans les chapitres 7 et 8. Dans un premier temps, le parti a progressivement abandonné son programme politique pour poursuivre des objectifs plus pragmatiques et électoralistes, reniant du même coup ses origines idéologiques. Ensuite, en centralisant de plus en plus de pouvoirs entre les mains de leur chef.fe, les péquistes ont abandonné le participationnisme qui caractérise leur formation politique depuis sa fondation, devenant ainsi un parti parmi tant d’autres. Ces deux phénomènes, combinés à des circonstances sociopolitiques changeantes et défavorables, ont contribué à la perte de repères actuelle du parti et à sa possible disparition. Finalement, couvrant la période plus récente allant du gouvernement minoritaire Marois au départ de Lisée, le chapitre 9 vient surtout confirmer les conclusions de Montigny en démontrant l’incapacité du PQ à reprendre du poil de la bête.

La principale qualité de cette édition révisée est d’offrir un argumentaire plus structuré, ce qui permet de suivre plus aisément la démarche du chercheur. Sinon, la méthodologie utilisée demeure bien documentée et rigoureusement appliquée. Enfin, la republication de cet ouvrage, qui survient à un moment crucial dans l’histoire du parti, permet une réflexion nécessaire sur son avenir et ses possibles réorientations. Les ajouts faits au chapitre 9, quoique bien intéressants, n’apportent néanmoins rien de nouveau aux conclusions de l’auteur. Ajoutons que cette centralisation que dénote Montigny n’est pas unique à la période post-Parizeau. En effet, Maxime Corriveau a tout récemment démontré que cette vie démocratique dont se targuent les péquistes sous la gouverne de René Lévesque n’était pas aussi pure qu’ils le prétendaient. Corriveau explique habilement que le chef fondateur et sa garde rapprochée ont tenté plus d’une fois d’aller à l’encontre de la volonté partisane et de calmer les « déviations » idéologiques de ses membres[2]. Malgré tout, la justesse de l’analyse de Montigny transparaît tout au long de l’ouvrage et on en ressort plus informé sur les différentes raisons expliquant la lente déchéance d’un parti qui, s’il veut survivre, devra soit revenir à ses origines, soit accepter de changer radicalement son organisation interne et ses objectifs politiques.