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Historien et avocat établi à Québec, Hubert Villeneuve, dans sa toute récente monographie consacrée au prédicateur évangélique d’origine australienne Fred Schwarz (1913-2009) qui s’est fait connaître aux États-Unis dès le début des années Eisenhower suivant la création de sa Christian Anti-Communism Crusade (CACC), cherche à faire le point sur une figure de proue du conservatisme d’après-guerre : « By the late 1950s, […] Schwarz was the country’s most important anticommunist educator, and the CACC was its largest single-issue anticommunist organization » (p. 11). De préciser l’auteur dont l’ouvrage repose en grande partie sur sa thèse doctorale complétée à l’Université McGill sous la supervision du professeur Leonard Moore :

By giving thousands of speeches, creating scores of recordings and writings, and, most notoriously, holding highly successful week-long anticommunism ‘schools’, Schwarz’s teachings reached large numbers of people who, in many cases, experiences as never before the need to become politically involved. Across the nation, and in particular in locations such as Southern California, Texas, and Arizona, Crusade events became key foundational moments that sparked lives of activism in an emerging grassroots subculture composed primarily of small-town or suburban patriotic families, small or average businesspeople, and upper-class professionals

p. 11

Ne tarissant pas d’éloges envers Schwarz, dont l’aversion pour le communisme « was rooted in its atheism and its conception of God and humanity rather than in its economic and political doctrines » (p. 23), la militante conservatrice Phyllis Schlafly ira même jusqu’à lui confier sans ambages en 1998 : « You were an indispensable factor in building the grassroots anti-communist movement, which became the conservative movement, which ultimately elected Ronald Reagan » (p. 11).

Étonnamment, les études sur ce porte-étendard majeur de l’idéologie conservatrice post-1945, qui a initialement embrassé la carrière médicale, sont rarissimes. En fait, hormis quelques brèves mentions de Schwarz dans des ouvrages tels celui de Richard Gid Powers intitulé Not Without Honor : The History of American Anticommunism (1995), celui-ci a été largement ignoré de la communauté historienne. Assez révélateur de cette réalité est le fait que des outils de référence comme ceux de Bruce Frohnen et al. (American Conservatism : An Encyclopedia, 2006) et Louis Filler (Dictionary of American Conservatism, 1987) ne contiennent aucune entrée sur l’éloquent prédicateur ! Naturellement, les découvertes sont nombreuses dans Teaching Anticommunism. Ainsi, le lecteur apprend entre autres que Schwarz, influencé considérablement par l’autobiographie Witness (1952) de l’ex-communiste repenti Whittaker Chambers et bien au fait des textes fondateurs du marxisme-léninisme et des publications communistes publiées en langue anglaise (Daily Worker, Beijing Review, etc.), voit son livre de 1960 You Can Trust the Communists (to Do Exactly as They Say) connaître un succès indubitable : « After the book’s first edition sold out, a second edition was released in February 1962, and a third one two months later. In 1964, when Prentice-Hall gave the copyright to the CACC, the book had been through thirteen hardcover printings and had sold about a million copies. By the end of the 1970s, about 2 million copies of You Can Trust had been either sold or distributed for free worldwide and it had been printed in about twenty languages » (p. 142-143). On y découvre en outre que le prédicateur anticommuniste, plutôt avare de commentaires sur le tonitruant sénateur Joseph McCarthy et fervent admirateur de Billy Graham, entretient durant l’ère Eisenhower-Kennedy une relation distanciée, voire tendue et parfois acrimonieuse, avec des personnalités ultraconservatrices telles Robert Welch (le fondateur de l’extrémiste John Birch Society) et l’éminent chroniqueur George Sokolsky. Atterré par la fameuse visite en sol américain du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev à l’automne 1959, Schwarz, au dire de Villeneuve, fait tôt par ailleurs de redouter une domination communiste à l’échelle internationale pour le commencement des années 1970. Concernant son organisation phare créée au printemps 1953, basée à Long Beach (Californie) et connaissant véritablement son apogée en 1960-61, le lecteur est notamment informé que la CACC, qui ne manque pas de déployer des activités à l’étranger (Inde, Amérique latine, etc.), compte plus de 500 « membres à vie » à la fin des années Eisenhower et rallie assez peu de démocrates et d’adeptes en provenance de la côte est.

Outre son caractère instructif, ladite monographie, comportant une structure fondamentalement chronologique, se distingue par son ton explicatif et nuancé. Qui plus est, la qualité de la recherche ne fait aucun doute : non seulement l’auteur a-t-il consulté quantité de sources secondaires judicieuses (travaux de Ellen Schrecker, Lisa McGirr, Andrew Hartman, Richard Horwitz, Allan Lichtman, etc.), mais encore faut-il ajouter qu’il a scrupuleusement examiné les bulletins de la CACC et pris connaissance de maints journaux (Chicago Tribune, Los Angeles Times, New York Times, etc.). Il a aussi procédé au dépouillement de plusieurs fonds d’archives, parmi lesquels figurent en particulier ceux de William Buckley Jr. (Yale University, New Haven), Barry Goldwater (Arizona State University, Tempe), Walter Judd (Minnesota Historical Society, Saint-Paul), Thomas Dodd (University of Connecticut, Storrs), Alfred Kohlberg (Stanford University, Palo Alto) et Gerald K. Smith (University of Michigan, Ann Arbor).

Cela dit, le texte de Villeneuve n’est pas exempt d’imperfections. Une erreur factuelle, par exemple, apparaît à la page 138 lorsqu’il est écrit qu’Eisenhower quitte la Maison-Blanche en février 1961 plutôt que janvier. Une faute d’orthographe figure également en page 143 (William Henry Chamberlain au lieu de William Henry Chamberlin). De plus, si la qualité de la recherche s’avère indéniable, le lecteur peut s’étonner de ce que certains fonds d’archives d’anticommunistes notoires de cette ère post-1945 aient été évacués. Parmi ceux-ci, relevons entre autres ceux de James Burnham (Hoover Institution Library, Palo Alto), Fulton Lewis Jr. (Syracuse University) et surtout Clarence Manion (Chicago Historical Society), qui sont pourtant tous des individus mentionnés explicitement en index de Teaching Anticommunism. Notons aussi les fonds d’ardents conservateurs de la période non évoqués dans le récit de Villeneuve, tels le militaire à la retraite Bonner Fellers (Hoover Institution Library), les colorés journalistes John Flynn (University of Oregon, Eugene) et Felix Morley (Herbert Hoover Library, West Branch), le parlementaire isolationniste Clare Hoffman (University of Michigan, Ann Arbor), de même que le singulier évêque catholique Fulton Sheen (Catholic University of America, Washington D.C.).

Ces quelques desiderata et failles mineures n’empêchent toutefois pas cette pertinente et originale monographie portant sur « one of the Free World’s best informed analysts of communist ideology » (p. 96) de constituer un apport précieux à l’historiographie de ces fascinantes années d’après-guerre chez nos voisins du Sud.