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L’appropriation des principes liés à la protection de l’environnement, par une communauté internationale en quête de modes de production durable, constitue un important enjeu depuis le Sommet de la Terre de Rio tenu en 1992. Le multilatéralisme a été, depuis, mis à rude épreuve à cause de la différence des intérêts entre États, notamment sur les enjeux liés aux changements climatiques. Heureusement que le Programme mondial de la biodiversité, issu de la Convention sur la diversité biologique[1] et mis en oeuvre par le Secrétariat de ladite convention, a remporté une série de succès qui redonne un souffle d’espoir au multilatéralisme. En effet, au cours des dernières décennies, alors que la communauté internationale connaît des résultats plus que mitigés dans le processus de négociation du secteur des changements climatiques, le Programme mondial de la biodiversité, quant à lui, a enregistré d’importants gains avec l’adoption du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique[2] en 2000 et celui de Nagoya sur l’accès et le partage juste et équitable des avantages des ressources génétiques et de leur utilisation[3], en 2010.

La biosécurité qui nous concerne dans la présente recherche pose une problématique stratégique dans les enjeux de biodiversité. Elle introduit en droit international un contexte particulier de l’activité normative sur le principe de précaution, lequel constitue la pierre angulaire de la protection de l’environnement dans le contexte du système commercial mondial. Les implications commerciales de la précaution sont étroitement liées à la production de la preuve scientifique dite suffisante sur la nocivité d’un organisme génétiquement modifié (OGM). La preuve scientifique est requise pour justifier toute interdiction d’un OGM. Autrement dit, aucune mesure de prévention du risque biotechnologique potentiellement associé à un OGM ne peut être mise en oeuvre sans une preuve scientifique suffisante de la nocivité de celui-ci.

La tentative de production de cette exigence liée au refus de commercer a réservé des surprises à plus d’une instance d’évaluation et de gestion des risques. Même les instances les plus crédibles au monde, à l’instar de celles de l’Union européenne (UE), éprouvent des difficultés à circonscrire les contours scientifiques de cette notion. Ce constat a conduit plusieurs spécialistes à conclure au caractère plutôt flou du concept de preuve scientifique suffisante. Dans tous les cas, l’exigence de production d’une preuve scientifique atténue considérablement la consolidation non seulement du principe de précaution, mais aussi celle des autres principes liés à la protection de l’environnement, comme les principes de prudence et de prévention qui ne feront pas ici l’objet d’un développement. Avec ces derniers toutefois, le principe de précaution revêtait un potentiel normatif d’anticipation dans la prévention des risques biotechnologiques potentiellement associés à la dissémination des OGM.

Si, pour invoquer la précaution, la production de la preuve scientifique hors de tout doute raisonnable de la nocivité de l’OGM est exigée, en droit international de la biosécurité, la précaution trouve toutefois ses fondements justificatifs dans la perplexité de l’être humain devant l’incertitude. Et contre toute attente, la science a ses propres limites devant l’incertitude[4]. En effet, la science ne fournit pas toujours la lumière attendue pour aider à une prise de décision éclairée. Elle est donc elle-même source d’incertitude dite scientifique du fait même de ses limites. Cette incertitude nourrit le mystère de la précaution et conduit à des implications normatives aux deux extrémités de la logique commerciale : le moratoire et le libéralisme commercial à outrance.

Si la première implication normative, en l’occurrence le moratoire, est circonscrite essentiellement au sein de l’UE, comme nous le verrons dans ce qui suit, la seconde est une particularité du droit applicable de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour l’heure, l’universalité qui caractérise le droit applicable de l’OMC, de part même l’envergure internationale onusienne de l’institution par rapport à la régionalité de l’UE, accorde une prééminence à la précaution aux allures commerciales plutôt qu’à une précaution génératrice du moratoire. Nul doute, la quasi-impossibilité de la science de produire la preuve dite suffisante vide la précaution de toute contrainte, sauf celle que l’opinion publique veut bien lui accorder.

En revanche, ce serait faire preuve de manque de transparence intellectuelle que de passer sous silence le fait que, au moment où la preuve dite scientifique suffisante atténue les efforts de prévention du risque environnemental, l’UE expérimente une effective mise en oeuvre du principe de précaution. Pour cause, les limites apparentes de la science sont compensées par le soutien des populations européennes fortement en faveur du principe de précaution en matière de biosécurité. Dans ce cas, l’activité réglementaire et judiciaire pousse même la contrainte jusqu’à l’application du moratoire dans des circonstances qui relèveraient du non-évènement dans d’autres pays comme les États-Unis ou le Canada.

Quoi qu’il en soit, d’ici que la science nous renseigne sur les contours de la notion de preuve scientifique suffisante, nous vivrons, à l’international, la consolidation d’un principe de précaution aux tendances d’une norme de biosécurité aux allures plutôt commerciales, bien loin des préoccupations du type moratoire.

Pour étayer davantage les propos tenus en introduction, nous commencerons par étudier, dans la première partie de notre texte, les mobiles de la différence entre les diverses attitudes interprétatives de la notion de précaution. Nous tenterons de démontrer, dans la deuxième partie, que les tendances du droit international de la biosécurité sont moins favorables au moratoire et prônent davantage l’émergence d’une norme commerciale libérale aux allures timides de précaution. Nous ne manquerons toutefois pas de relater, dans la troisième partie, le potentiel qu’a l’activité réglementaire et judiciaire de l’UE de favoriser la consolidation de la contrainte liée à la précaution avec, notamment, l’apport de l’opinion publique. Devant ce défi, les préoccupations de l’UE seront soutenues par la création programmée de l’Organisation mondiale de l’environnement (OME). Pour permettre à une telle organisation de contribuer à la consolidation de la contrainte liée à la biosécurité au nom de la précaution, celle-ci devra être dotée d’un organe scientifique pour, entre autres, édicter des normes environnementales, établir des standards, harmoniser les méthodes de détection des OGM ainsi que celles de l’évaluation et de la gestion des risques. Pour mieux exploiter le potentiel d’un tel organisme, l’OME devra également être dotée d’un autre organe de surveillance de l’application des normes, standards, méthodes harmonisées et autres décisions environnementales prises pour l’avènement du développement durable. À noter que la question rattachée à l’OME ne fera pas l’objet d’un développement dans la présente recherche, mais nous y reviendrons en conclusion.

1 La précaution : mobiles et implications normatives d’une différence de perception du risque potentiel

Le risque potentiel associé à l’activité économique est interprété de manière différente par les personnes, les groupes, les communautés, les sociétés, les nations et les pays selon les cultures, les préoccupations et les intérêts. Ces facteurs, parmi d’autres motivations et dispositions, caractérisent les attitudes devant le risque potentiel en contexte d’incertitude. Ces particularités se traduisent, dans la présente ère de mondialisation, par des implications commerciales variées et souvent source de différends en commerce international.

Dans cette section, nous nous imposons le défi de traiter de l’incertitude associée à l’innovation technologique comme source de la précaution ainsi que de la précaution écartelée entre libéralisation commerciale et allégeance aux objectifs du développement durable.

1.1 L’incertitude liée à l’innovation technologique et les fondements de la hiérachie des normes sous la précaution en matière de biosécurité

L’innovation technoscientifique est souvent teintée d’incertitude qui, le plus souvent, incite au recul à l’égard de la nouveauté. Cette attitude de méfiance devant l’innovation varie selon les individus, les sociétés et les États. En effet, le risque associé à l’activité économique et à l’utilisation de l’espace en général suscite rarement la même attitude de la part des sujets exposés[5]. Cette variabilité dépend de la perception du risque en tant que tel par les populations. Plusieurs paramètres sont à considérer : la culture, les valeurs sociales, l’éthique et les considérations religieuses dans certains cas[6]. Toutefois, le facteur économique semble être le paramètre le plus déterminant dans le contexte actuel de la mondialisation, de la libéralisation du commerce international et de l’industrialisation[7]. En effet, ce facteur peut influer de manière significative sur la perception du risque inhérent à une activité quelconque. Le défi que tente de relever le principe de précaution est d’y apporter une nuance liée aux exigences environnementales ou à la santé dans certains cas. Il s’agit donc de concilier et d’intégrer les objectifs environnementaux et économiques dans un ensemble cohérent de politiques, de programmes et d’actions de développement. Dès 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (commission Brundtland) attirait l’attention[8] en mettant en avant le concept de développement durable comme donnant lieu à un cadre normatif permettant l’intégration des politiques, actions et objectifs environnementaux et économiques[9]. Le concept de précaution qui sous-tend cette démarche nous ramène à l’expression pratique de tels idéaux dans le contexte du recours aux biotechnologies agricoles au sein des politiques, des stratégies et des programmes de développement. Toutefois, il était déjà prévisible que la mise en oeuvre d’un tel concept ne serait pas sans créer des conflits.

Depuis, en effet, les États restent divisés quant aux modes de mise en oeuvre de la précaution. Les préoccupations environnementales, d’une part, et le déterminisme commercial, d’autre part, mettent en évidence le spectre de la variabilité de la perception, par les États et les populations, du risque associé au commerce international des OGM agricoles. Le spectre de la variabilité du risque en matière de biosécurité est un des principaux éléments du contexte d’application de la hiérachie des normes en droit international. Cette dernière associe une contrainte explicite au principe de précaution là où le principe général et le droit souple (soft law) en sont peu pourvus ou même dépourvus. En matière d’exigences environnementales, la première norme donne lieu au « principe de précaution », tandis que la seconde occasionne une simple approche dite « approche de précaution ». C’est donc à la lumière de la hiérarchie des normes que doivent être appréhendées les implications normatives commerciales de la variabilité du risque.

Dans le contexte de l’activité normative en matière de biosécurité, l’OMC et les pays riches à économie libérale sont les principaux promoteurs de l’approche de précaution, alors que la vulgarisation de l’interprétation environnementaliste de la précaution est essentiellement l’oeuvre du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et de l’UE. Ces deux grandes organisations sont solidement soutenues, notamment à l’occasion des négociations internationales, par les organisations non gouvernementales (ONG) environnementales et les pays en développement qui sont généralement démunis devant la prévention du risque biotechnologique.

Toutefois, le PNUE a entrepris un vaste programme de développement durable dont l’objectif général est d’assurer la cohérence entre les lois nationales en matière de commerce et les accords multilatéraux relatifs à l’environnement. Pour cela, il a mis en avant un certain nombre de conventions et de protocoles qui constituent généralement des cadres normatifs à partir desquels les États doivent établir des lois promotrices d’un commerce durable. Au total, le PNUE a accumulé une grande expérience dans la mise en oeuvre de ses instruments en faveur d’un développement durable conciliateur de l’économique et de l’environnemental.

L’étude des implications de la contrainte associée à la précaution, écartelée entre le désir de relever les défis économiques et commerciaux, d’une part, et les exigences du développement durable, d’autre part, n’est pas une vaine entreprise. Elle permettra à la communauté internationale de préciser des avenues de réflexion en faveur d’une convergence vers une réconciliation des deux interprétations de la précaution.

1.2 La précaution : entre libéralisation commerciale et allégeance aux objectifs du développement durable

Dans cette section, nous nous appliquerons à démontrer que la différence dans l’appréhension de la contrainte associée à la précaution est plus qu’une source de divergence entre les mécanismes de la libéralisation commerciale et les exigences du développement durable. À l’horizon, se dessine une nouvelle donne du droit international à la frontière des ordres juridiques traditionnels où les bornes de la souveraineté sont déplacées pour laisser jouer au risque environnemental un rôle de plus en plus majeur[10]. Dans une perspective purement procédurale, la Convention européenne des droits de l’homme[11] relate la nécessité du recours contentieux efficace en matière environnementale. Un tel levier est présenté comme une condition sine qua non de l’efficacité des règles de protection de l’environnement. Il a permis à l’instrument de consigner au sein de ses dispositions, les grands principes de procédure, lesquels sont à même d’aider, notamment, à la promotion des modalités juridiques de règlement des différends en matière de protection de l’environnement[12]. La problématique de la résolution des différends en environnement est devenue une activité importante dans la protection de l’environnement à cause du duel entre le commerce et la préservation de la diversité biologique[13].

La protection de l’environnement et le développement économique vont de pair,[14] bien que, de par leur essence, ces deux réalités semblent poursuivre des objectifs antagonistes[15]. En effet, les taux de croissance élevés enregistrés dans certains pays d’Extrême-Orient et d’Asie du Sud-Est se réalisent au détriment de la protection de l’environnement[16] en ce qu’ils reposent essentiellement sur une exploitation excessive et sans contrainte des ressources naturelles[17]. Et pourtant, l’exploitation et le commerce des ressources génétiques, d’une part, et la protection de l’environnement et la préservation de la diversité biologique, d’autre part, constituent des activités vitales pour l’être humain[18]. Sans le commerce, les échanges économiques flétrissent, les économies s’écroulent et des vies humaines peuvent être mises en danger. De la même manière, sans un environnement sain, les réserves de ressources naturelles s’épuisent, les sols s’érodent, les eaux sont polluées, et des vies sont détruites[19]. La poursuite simultanée de ces deux objectifs a conduit les États à agir de manière à conserver les écosystèmes naturels exploités et à promouvoir des approches assurant la variabilité génétique des formes de vie. Dès lors, l’enjeu principal est non seulement de préserver la valeur intrinsèque et écologique aussi bien des écosystèmes que des formes de vie, mais aussi d’assurer la durabilité des activités économiques reposant sur l’exploitation de ces écosystèmes et formes de vie[20].

La notion de développement durable signifie ceci : « concilier le développement avec la protection à long terme de l’environnement et, en particulier, assurer le renouvellement des ressources vivantes[21] ». La finalité primaire d’une telle approche consiste à consacrer l’importance de la préservation de la diversité biologique en déterminant une référence évolutive de l’état de conservation favorable. Cela fait appel à une responsabilité traduisant une volonté anticipatrice et collective de prévention de l’humanité par la conservation des capacités évolutives de son environnement[22]. Dans la pratique, certaines approches, à l’instar du développement de la protection conventionnelle des espaces naturels, peuvent être envisagées à l’interne comme au niveau régional ou à l’échelle internationale. Par exemple, en France, cette dernière approche sous-tend un sens très large au mot protection qui englobe la maîtrise foncière, la mise en valeur, la restauration ou la mise en état en vue de concourir à l’atteinte de l’objectif de développement durable et de répondre aux besoins des générations futures[23]. La protection concerne non seulement les acteurs publics mais aussi les acteurs privés, notamment les particuliers, les associations et les fondations. En cela, la protection se rattache à une réflexion nouvelle sur le rôle de la propriété privée en matière de protection de l’environnement, laquelle peut, dans certains cas, suppléer utilement la propriété publique[24]. Cette approche répond à la logique de la gestion du risque environnemental qui fait intervenir plusieurs acteurs parmi lesquels les décideurs politiques, les scientifiques ou les experts, les entreprises, les groupes de pression, les médias et l’opinion publique. La reconnaissance de l’incertitude scientifique ouvre la porte à un régime d’évaluation du risque très large conduisant à la prise en considération des impacts du risque tant qualitatifs que quantitatifs, directs ou indirects[25]. De nos jours, le couple nature-agriculture, autrefois harmonieux[26], fait face à des irrégularités[27], lesquelles conduisent à l’adoption de mesures environnementales garantes de la maîtrise de l’incertitude scientifique[28]. Aujourd’hui, l’équilibre du couple semble être rompu[29]. C’est de ce constat qu’est née l’incertitude ayant conduit à la précaution en matière d’innovation technologique dans le domaine de l’agriculture.

Le principe de précaution présuppose que les effets potentiellement dangereux d’un phénomène, d’un produit ou d’un procédé ont été décelés, mais que l’évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude[30]. Il s’agit donc de maîtriser le doute et de gérer l’incertitude[31]. Les enjeux liés à la maîtrise du doute et à la gestion de l’incertitude sont de faire usage d’un principe de précaution qui soit encadré par des règles méthodologiques permettant d’ériger celui-ci en norme d’évaluation objective et fondée du risque lié à l’incertitude[32]. La norme en perspective permettrait de bénéficier au plus vite des bienfaits économiques du progrès technoscientifique afin de préserver les équilibres écologiques, voire l’humanité de l’être humain[33]. Retenons que, bien qu’il soit consigné dans nombre d’instances internationales, le principe de précaution rencontre un succès beaucoup plus évident en Europe qu’aux États-Unis. Dans ce dernier pays, le grand public est plus habitué à un discours pragmatique très centré sur l’évaluation des risques[34]. Dans un pays comme la France où l’opinion publique a été traumatisée par l’affaire du sang contaminé et par celle de la vache folle, la précaution revêt une plus grande importance[35].

La logique de marché qui prédomine aux États-Unis s’inscrit dans un contexte juridique fondé sur la présomption de responsabilité des acteurs, alors que l’Administration, surtout le juge, ne se prononce qu’en cas d’accident[36]. Ainsi, avant et après la mise en marché du produit, l’Administration n’intervient que rarement[37]. Les conflits qui opposent l’UE et les États-Unis sur les viandes aux hormones de croissance, par exemple, peuvent donc être interprétés à la lumière de la différence entre une culture de contrôle du risque a priori et une autre a posteriori. Cette réalité explique par ailleurs le fait qu’une forme exacerbée du contrôle a priori pénètre difficilement aux États-Unis où l’on agit néanmoins avec précaution, notamment pour l’élaboration des normes[38]. D’un autre côté, le souci pour les risques à long terme, par exemple dans les domaines du changement climatique et de la sécurité alimentaire, incite souvent le recours au principe de précaution dans des situations particulières d’urgence et de crise[39]. De pareilles perspectives ont conduit notamment en France à une interprétation maximaliste, extrémiste et absolutiste de la précaution : rechercher le risque absolument minimal[40].

Toutefois, le principe de précaution n’est pas une règle d’abstraction : il incite au contraire à agir en dépit de l’incertitude qui influe sur la connaissance du risque[41]. Il vient enrichir l’obligation de prendre en considération et de réduire les incertitudes scientifiques[42]. Dès lors, celui-ci apparaît comme un outil fondamental pour anticiper la prévention de nouveaux types de risques[43] dans l’accompagnement du progrès scientifique et de l’innovation technologique. Le principe de précaution n’est pas non plus un principe antiscience[44]. Bien au contraire, il exige un surcroît de connaissance[45]. Les politiques de précaution sont d’abord des politiques du savoir et de la connaissance[46]. Dans un premier temps, celles-ci ont pour objet d’encourager une connaissance volontariste des risques. Dans un second temps, elles permettent de favoriser la recherche fondamentale afin de pouvoir étayer ou infirmer les hypothèses de précaution[47]. Pour cela, le principe de précaution est une grande machine de production du savoir aussi bien sur le connu que sur l’inconnu[48].

L’étude de la littérature précédente nous a permis de préciser l’angle d’étude sous lequel nous entendons contribuer à la maîtrise du doute et à la gestion de l’incertitude liées au commerce international des OGM agricoles et de leurs produits dérivés : le principe de précaution n’est pas forcément synonyme de moratoire. Dans une telle perspective, le principe de précaution est présenté comme un moteur de l’innovation technoscientifique au service du développement, mais aussi comme un facteur garant de la protection de l’environnement en vue de la préservation de la diversité biologique et de la mise en oeuvre de mesures efficaces de sécurité biologique. Ainsi, nous comptons contribuer au recours optimal d’un tel principe qui est, sans aucun doute, une des innovations les plus importantes de la dernière décennie du xxe siècle en tant que l’un des principes directeurs du droit international de l’environnement[49].

Plus encore, nous nous donnons l’objectif d’ancrer le principe de précaution dans le contexte plus large du développement durable, comme l’ont fait les parties au Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique à l’égard du commerce international des OGM agricoles. Jusqu’à l’ère du Protocole de Cartagena, une des interprétations du principe de précaution tendait essentiellement au renversement du fardeau de la preuve[50]. Par exemple, il appartenait au pollueur de prouver qu’il avait pris toutes les mesures en son pouvoir pour écarter un dommage à l’environnement, en dehors même de toute certitude scientifique quant à la nécessité de ces mesures[51]. Or, le Protocole de Cartagena va plus loin. Dans cet instrument, il est exigé à la partie exportatrice d’OGM agricoles vivants, pollueur potentiel, de fournir à la partie importatrice, l’information relative à l’absence d’effets préjudiciables potentiels de l’OGM à exporter. C’est seulement à la satisfaction de la partie importatrice que l’autorisation d’importer est délivrée : autorisation préalable en connaissance de cause. De même, le manque de preuves d’absence d’effets préjudiciables potentiels peut conduire au refus d’importer l’OGM. Il n’est donc plus seulement question de simple pollueur ou de pollueur de fait, mais bien de pollueur potentiel. Nul doute qu’une telle anticipation rappelle la dimension temporelle du concept de développement durable par rapport au souci de laisser un héritage durable aux générations futures.

Les considérations précédentes nous présentent certes une précaution écartelée entre la libéralisation commerciale et l’allégeance aux objectifs du développement durable. Elles nous amènent toutefois à nous poser une question essentielle : le principe de précaution doit-il être mis en oeuvre en termes d’approche ou de principe de droit international en matière de biosécurité ? La réponse à cette question est capitale. Rappelons que l’expression « approche de précaution » donne lieu à une implication normative programmatoire et souple des exigences environnementales. Elle confère à la norme liée à la précaution les caractéristiques d’un principe général de droit international relevant davantage du droit souple[52]. Bien que certaines personnes reconnaissent à cette approche de précaution l’avantage d’intégrer la gestion du risque dans la dissémination des OGM, elle demeure encore un mécanisme largement favorable à la libéralisation de la dissémination des OGM, loin des préoccupations du moratoire. Quant à l’expression « principe de précaution », rappelons aussi que celle-ci implique la reconnaissance du concept de précaution en qualité de principe de droit international. Cette dernière expression est plus propice à la justification du moratoire comme mesure par excellence de la prévention du risque biotechnologique. Contre toute attente, les développements récents du droit international dont il sera question dans le présent texte montreront que le principe de précaution n’a pas pour objet d’éviter à tout prix le risque biotechnologique. Le concept induit, certes timidement mais toutefois de plus en plus, un mécanisme dynamique de prévention du risque intégrant l’évaluation et la gestion du risque. Dès lors, les tendances du droit international montrent que nous expérimentons un principe de précaution qui ne jouit que du seul degré de contrainte que lui confère son statut de principe, loin de la grande contrainte qui donne lieu au moratoire, même si les États se sont donné les moyens de favoriser l’avènement de cette grande contrainte en matière de biosécurité. En effet, en dépit du fait que les parties au Protocole de Cartagena se sont accordées sur l’emploi de l’expression « approche de précaution » dans le texte de cet instrument, elles ont quand même retenu des mesures contraignantes de gestion et de prévention du risque biotechnologique. Nul doute, les mesures associées à la procédure d’accord préalable en connaissance de cause, lesquelles permettent de refuser l’importation des OGM, ne peuvent se justifier que par l’acceptation d’une grande contrainte associée à la précaution. Il existe donc des avenues de stimulation et de consolidation de la contrainte dans la mise en oeuvre du principe de précaution en matière de biosécurité, même si le moratoire n’en constitue pas la meilleure expression dans les tendances actuelles du droit international.

En réalité, dans une perspective plus générale, le climat normatif en matière d’environnement, de sécurité alimentaire et de la santé est propice à l’intégration prudente des apports de la technologie et de la science dans la vie. Ce fait s’inscrit dans la consistance de l’évolution du droit international. Plusieurs instruments internationaux ont recours au principe de précaution pour justifier l’adoption de certaines de leurs dispositions en vue de la protection de l’environnement et de la santé. De même, l’émergence du principe de précaution s’inscrit dans la logique des parties de considérer le caractère souvent irréparable des dommages causés à l’environnement et de prévenir la survenance de tels dommages[53]. C’est pour cette raison qu’une telle émergence est souvent associée aux effets normatifs des approches prudentielle et préventive, sur lesquelles nous n’entendons pas nous pencher davantage dans le présent article. Dans la prochaine section, nous tenterons plutôt de montrer que les tendances de l’activité normative, réglementaire et judiciaire sont, dans l’ensemble, plus favorables au recours à la précaution dans un contexte de libéralisation du commerce.

2 Précaution n’est pas synonyme de moratoire

Les tendances du droit international de la biosécurité montrent que, en dépit de la contrainte que le Protocole de Cartagena impose aux États, le commerce international des OGM, notamment agricoles, est soumis à l’hégémonie du droit applicable de l’OMC. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le droit applicable à l’OMC est moins favorable au moratoire qu’à l’émergence d’une norme commerciale libérale de biosécurité. Aussi, dans cette section, tenterons-nous de relever le défi de montrer que, bien que la précaution puisse se conjuguer en termes de principe en droit international, celui-ci ne saurait toutefois rimer avec le moratoire.

La recherche met en évidence deux principales causes à cette situation. La première est que la preuve scientifique qui sous-tend le principe de précaution peine à livrer son potentiel normatif, alors que la seconde tient au fait que l’harmonisation des méthodes d’évaluation du risque biotechnologique est loin d’être accomplie. La plupart des États ont dû se résigner devant une telle réalité, qui est pour ainsi dire absente de l’ordre du jour des négociations internationales de plus d’une partie au Protocole de Cartagena.

En effet, à la veille de la Conférence de Rio, la problématique du risque biotechnologique s’affichait en plateforme de discussion avec le grand potentiel de faire de la contrainte la raison d’être du principe de précaution. Plusieurs États, ONG et certaines organisations de la société civile comptaient sur la contrainte pour interdire les activités économiques potentiellement préjudiciables à l’environnement, et ce, au nom du principe de précaution.

Malheureusement, la déception s’est installée peu à peu. En effet, dans les textes des trois conventions environnementales soeurs que sont les changements climatiques, la désertification et la biodiversité, les opposants à la grande contrainte se sont octroyé, à la conférence de Rio, des balises pour atténuer les exigences environnementales associées au principe de précaution. Le terrain de prédilection d’une telle entreprise soigneusement planifiée est la dynamique des négociations multilatérales de la mise en oeuvre des trois conventions environnementales. C’est ici donc qu’il convient de situer les raisons profondes de la mutation graduelle du concept de « principe de précaution », en « approche de précaution » avec les implications normatives dont il a été question plus haut.

Aujourd’hui, hormis le potentiel de regain de contrainte dont nous avons traité précédemment, l’approche de précaution réduit le principe de précaution à sa forme la plus commerciale au point qu’il n’est pas exagéré de soutenir que précaution ne rime pas avec moratoire. Tel est, en tous cas, le constat auquel a dû faire face la communauté internationale à la suite de la volonté des États parties à la Convention sur la diversité biologique d’élaborer le Protocole sur la biosécurité pour le commerce international des organismes vivants génétiquement modifiés. N’oublions pas que la formulation « approche de précaution » avait été retenue à la place de « principe de précaution » dans le texte dudit protocole, à la suite d’âpres négociations. En effet, l’un des derniers compromis faits le soir même de la finalisation de l’instrument était relatif à cette terminologie sur la précaution avec les implications normatives que l’approche de précaution suppose. C’est dans de telles circonstances de fin de négociations multilatérales que le Protocole de Cartagena a vu le jour avec un premier article consacré à l’objectif dudit protocole dans lequel les parties s’accordent sur ce qui suit :

Conformément à l’approche de précaution consacrée par le Principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, l’objectif du présent Protocole est de contribuer à assurer un degré adéquat de protection pour le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, compte tenu également des risques pour la santé humaine, en mettant plus précisément l’accent sur les mouvements transfrontières[54].

L’heure est donc au commerce des OGM, et nous nous proposons de faire la démonstration des tendances vers la consolidation d’une norme de biosécurité aux allures plus commerciales qu’environnementales. Nous illustrerons nos propos à travers les processus de résolution du différend dit de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance[55] mais aussi de l’Affaire des OGM[56] à l’OMC. Au Canada, l’affaire Hoffman v. Monsanto Canada Inc.[57] sera retenue pour l’étude, tandis que l’affaire Pfizer Animal Health SA c. Conseil de l’Union européenne[58] sera à l’étude également au sein de l’UE.

2.1 L’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance et l’Affaire des OGM à l’OMC : l’inadéquation d’une précaution promotrice du moratoire

L’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance et l’Affaire des OGM à l’OMC ont constitué des expériences difficiles pour l’UE. La vision des implications normatives du principe de précaution de cette dernière a été revisitée par l’Organe de résolution des différends (ORD) de l’OMC. Cette dernière institution onusienne a fait preuve de consistance dans son interprétation du principe de précaution, qu’elle ne partage pas avec l’Europe. L’UE a donc dû faire preuve d’une grande maturité diplomatique pour apaiser un climat mondial commercial sous lequel couvait une tension capable de remettre en cause le multilatéralisme.

2.1.1 L’Organisation mondiale du commerce et l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance : une cohérence dans l’interprétation de la précaution à l’OMC

Avant de faire face au différend commercial sur les OGM, l’ORD s’était fait la main à l’égard de l’interprétation commerciale à donner à la précaution dans l’important précédent dit de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance. Cette affaire a exposé l’OMC à la problématique de la prise en considération de la santé et des motifs sociaux dans la conduite de la norme commerciale. Bien mieux, auparavant la Cour internationale de justice (CIJ) avait posé les fondements d’une jurisprudence sur l’interprétation commerciale de la précaution. En effet, l’interprétation de l’OMC à l’endroit de la précaution fait preuve de consistance avec la jurisprudence de la CIJ. Nous nous souviendrons que, dans l’Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie)[59], la CIJ n’avait pas retenu le principe de précaution parmi les nouvelles normes de droit international. Nous rappellerons en passant que, dans cette affaire, l’Organe d’appel a rapporté ceci :

La Cour internationale de justice a reconnu que dans le domaine de la protection de l’environnement de nouvelles normes avaient été mises au point et qu’elles avaient été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies, et qu’il fallait prendre dûment en considération ces nouvelles normes. Toutefois, [poursuit l’Organe d’appel] nous notons que la Cour n’a pas mentionné le principe de précaution parmi ces normes récemment apparues. Elle n’a pas non plus déclaré que ce principe pouvait l’emporter sur les obligations du traité entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie du 16 septembre 1977 relatif à la construction et au fonctionnement du système d’écluses de Gabcíkovo-Nagymaros[60].

C’est ainsi que dans l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance, l’OMC s’est servi de ce précédent pour justifier en partie sa cohérence dans la conduite de l’interprétation du concept de précaution en commerce international en général.

2.1.2 L’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance : les exigences de la précaution ne sauraient constituer une barrière au commerce international

Dans l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance entendue à l’OMC, les Communautés européennes ont refusé d’importer les viandes incriminées en provenance des États-Unis et du Canada. Elles ont avancé que la consommation desdites viandes comportait un potentiel cancérigène et ont entrepris des études en vue de prouver un tel potentiel[61]. Toutefois, les études conduites n’ayant pas pu faire la démonstration de la nocivité absolue des viandes, conformément au paragraphe 3 de l’article 3 de l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires[62], groupes spéciaux et Organe d’appel de l’OMC ont rejeté les arguments basés sur le principe de précaution[63]. Dans cette affaire, les Communautés européennes semblaient agir avec la prétention que le principe de précaution avait atteint un statut de norme en droit international, notamment dans le domaine de la sécurité alimentaire. Une telle attitude découlant d’une interprétation contraignante de la précaution aux tendances de moratoire s’oppose bien entendu à l’interprétation commercialiste de la précaution préconisée par l’OMC et soutenue par un certain nombre de pays à économie libérale dont les plaignants dans cette affaire, en l’occurrence les États-Unis et le Canada. Cette affaire a servi de test à l’ORD de l’OMC autour de la problématique des implications normatives de la précaution. L’UE n’avait certes pu fournir d’emblée la preuve scientifique suffisante du refus d’importation de telles viandes. Toutefois, les Communautés européennes avaient disposé de temps pour organiser leur défense et pousser le débat sur les implications normatives de la précaution, profitant pleinement des dispositions de l’Accord SPS permettant de maintenir des mesures provisoires de non-importation en cas de manque de connaissances scientifiques. C’est en effet à l’article 5 :7 que l’OMC traite de ce cas de figure. Il y est énoncé ce qui suit :

Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d’autres Membres. Dans de telles circonstances, les Membres s’efforceront d’obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable[64].

Toutefois, l’angle sous lequel l’OMC aborde la question semble, à la lecture de cette disposition, promouvoir une précaution à titre d’outil de gestion des risques. Nous comprenons donc que la position de l’OMC est loin d’être compatible avec l’interprétation selon laquelle le principe de précaution aurait acquis un statut de norme en droit du commerce international. Ce constat explique par ailleurs le fait que, dans l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance, l’OMC a rejeté certains arguments des Communautés européennes. Les arguments communautaires, rappelons-le, étaient basés sur le principe de précaution pour justifier l’interdiction d’importer de telles viandes en provenance des États-Unis et du Canada. Dans son rapport, l’Organe d’appel du mécanisme de règlement des différends de l’OMC a pu préciser l’interprétation que celle-ci faisait de l’article 5 :7. Le paragraphe 124 du rapport de l’Organe d’appel mentionne ceci sur cette question :

Il nous paraît important, néanmoins, de noter certains aspects de la relation entre le principe de précaution et l’Accord SPS. Premièrement, le principe n’a pas été incorporé dans l’Accord SPS comme motif justifiant des mesures SPS qui sont par ailleurs incompatibles avec les obligations des Membres énoncées dans des dispositions particulières dudit accord. Deuxièmement, le principe de précaution est effectivement pris en compte à l’article 5 :7 de l’Accord SPS. En même temps, nous partageons l’avis des Communautés européennes selon lequel il n’est pas nécessaire de poser en principe que l’article 5 :7 est exhaustif en ce qui concerne la pertinence du principe de précaution. Ce principe est également pris en compte dans le sixième alinéa du préambule et à l’article 3 :3. Ces derniers reconnaissent explicitement le droit des Membres d’établir leur propre niveau approprié de protection sanitaire, lequel peut être plus élevé (c’est-à-dire plus prudent) que celui qu’’impliquent les normes, directives et recommandations internationales existantes. Troisièmement, un groupe spécial chargé de déterminer, par exemple, s’il existe des “preuves scientifiques suffisantes” pour justifier le maintien par un Membre d’une mesure SPS particulière peut, évidemment, et doit, garder à l’esprit que les gouvernements représentatifs et conscients de leurs responsabilités agissent en général avec prudence et précaution en ce qui concerne les risques de dommages irréversibles, voire mortels, pour la santé des personnes. Enfin, le principe de précaution ne dispense pas, toutefois, en soi et sans une directive explicite et claire dans ce sens, le groupe spécial de l’obligation d’appliquer les principes normaux (c’est-à-dire du droit international coutumier) de l’interprétation des traités pour interpréter les dispositions de l’Accord SPS[65].

L’Organe d’appel a conclu ainsi au paragraphe 125 dudit rapport : « Nous approuvons donc la constatation du Groupe spécial selon laquelle le principe de précaution ne l’emporte pas sur les dispositions de l’article 5 :1 et 2 de l’Accord SPS. » Les alinéas 1 et 2 de l’article 5, relatif à l’évaluation des risques et à la détermination du niveau approprié de protection sanitaire et phytosanitaire, précisent ceci :

1. Les Membres feront en sorte que leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires soient établies sur la base d’une évaluation, selon qu’il sera approprié en fonction des circonstances, des risques pour la santé et la vie des personnes et des animaux ou pour la préservation des végétaux, compte tenu des techniques d’évaluation des risques élaborées par les organisations internationales compétentes.

2. Dans l’évaluation des risques, les Membres tiendront compte des preuves scientifiques disponibles ; des procédés et méthodes de production pertinents ; des méthodes d’inspection, d’échantillonnage et d’essai pertinentes ; de la prévalence de maladies ou de parasites spécifiques ; de l’existence de zones exemptes de parasites ou de maladies ; des conditions écologiques et environnementales pertinentes ; et des régimes de quarantaine ou autres[66].

Cette démarche de l’ORD conforte les plaignants, en l’occurrence le Canada et les États-Unis, qui, rappelons-le, soutiennent la position selon laquelle toute mesure commerciale basée sur le principe de précaution est une mesure de restriction déguisée du commerce ayant pour objet de permettre aux États de se soustraire aux obligations à l’égard des accords de l’OMC. Ces deux pays sont parmi ceux qui sont d’avis que, promues au statut de principe en droit international, les préoccupations de précaution pourraient être subtilement utilisées par des États membres de l’OMC pour ralentir le processus de libéralisation du commerce international : des entraves et des restrictions déguisées. C’est pour ces différentes raisons que le Canada et les États-Unis épousent davantage la terminologie « approche de précaution », laquelle intègre mieux la gestion des risques dans une variété de secteurs économiques, dont l’industrie pharmaceutique et les biotechnologies en général. Selon cette logique, l’approche de précaution serait plus cohérente avec les préoccupations de prévention du dommage dans les limites d’un risque scientifiquement déterminé.

2.1.3 L’Affaire des OGM à l’OMC : le nerf de la chronique d’une valse diplomatique pour une science au service de la libéralisation du commerce international et en faveur du dénouement de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance

Nul doute, le dénouement de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance, dont l’interprétation de la précaution constitue le coeur du différend, ne peut être traité séparément de la problématique liée à la précaution au sein de l’OMC en général. Cependant, la problématique de la biosécurité dans le recours aux OGM en agriculture et dans l’alimentation s’impose désormais comme le terrain de prédilection des enjeux normatifs de la précaution à l’OMC. Déjà au coeur de l’affaire mentionnée plus haut, les initiatives qui avaient conduit à la demande de constitution à l’OMC d’un groupe spécial sur les OGM avaient permis de mettre en lumière la volonté d’affronter la question des implications normatives de la précaution en adoptant, entre autres, la stratégie de résolution tous azimuts. La Commission européenne déplorait la demande de constitution d’un groupe spécial de l’OMC sur les OGM[67].

En effet, le commerce international des OGM agricoles est certainement le terrain potentiel de confrontation le plus significatif entre les tenants des différentes interprétations environnementaliste et commercialiste de la précaution. La stratégie de multiplication des fronts d’interprétation de la précaution avait porté ses fruits. En ouvrant le front de la précaution sur le terrain plus que glissant des OGM, les plaignants, les mêmes dans les deux contentieux à l’étude, ont obtenu en leur faveur le dénouement de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance.

Dans les faits, le 13 mai 2003, le Canada et les États-Unis, suivis de l’Argentine le 14 mai 2003, demandaient à l’OMC l’ouverture d’une procédure de consultation concernant le régime d’autorisation instauré par l’UE pour les OGM et les denrées alimentaires génétiquement modifiées[68]. Les consultations constituent la première étape du règlement d’un différend à l’OMC et sont l’occasion d’ouvrir le dialogue entre les parties en litige. Elles ont pour objet premier de trouver une solution positive aux différends commerciaux. Les plaignants alléguaient que l’UE avait suspendu l’examen des demandes de procédure d’autorisation et que celle-ci maintenait un « moratoire » de facto sur les nouvelles variétés d’OGM[69]. Il faut dire qu’en réalité la dissémination d’OGM a été prohibée par la directive 90/220/CEE[70] depuis octobre 1998. L’UE entendait prendre suffisamment de temps pour adapter son cadre réglementaire afin de mieux répondre aux défis de la biotechnologie moderne[71]. Une telle démarche avait conduit d’ailleurs à l’adoption, en juillet 2003, de meilleures règles en matière d’étiquetage et de traçabilité pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Ces règles permettent, entre autres, d’informer davantage les citoyens afin qu’ils puissent exercer leur libre choix entre les produits agricoles nouveaux et les produits traditionnels[72]. Dans tous les cas, l’UE avait finalement procédé aux consultations requises avec les États-Unis et l’Argentine le 19 juin 2003. Avec le Canada, les consultations ont été menées le 25 juin 2003. Lors de ces consultations, l’UE avait apporté des compléments d’information sur le cadre réglementaire et sur le statut de toutes les demandes en suspens, de manière à lever tout malentendu[73]. Malheureusement, l’échec de ces consultations a été constaté alors que l’OMC annonçait, le 18 août 2003, la constitution d’un groupe spécial concernant l’approche adoptée par l’UE à l’égard des OGM, et ce, à la demande de l’Argentine, du Canada et des États-Unis[74].

2.1.4 La bonne volonté de l’Union européenne dans la levée des barrières commerciales

En réaction à la demande de constitution d’un groupe spécial sur les OGM, la commissaire européenne chargée de l’environnement, Mme Margot Wallström, avait déclaré que l’UE n’avait « nullement l’intention de créer des barrières aux échanges commerciaux[75] ». Depuis, l’UE est passée aux actes pour afficher cette bonne volonté. En plus de sa remarquable contribution à l’évaluation de l’étude du risque biotechnologique dont il sera question plus loin, l’UE s’est conformée aux exigences de l’OMC concernant l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance en renforçant la réadaptation de son cadre réglementaire sur les OGM. En ce qui concerne ce dernier point, notons que le 18 octobre 2003, le Journal de l’Union européenne annonçait l’adoption de deux règlements sur les OGM par le Parlement européen et le Conseil. Le premier est le Règlement (CE) 1829-2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Ce texte qui présente de l’intérêt pour l’Espace économique européen poursuit trois objectifs fondamentaux :

a. […] établir le fondement permettant de garantir, en ce qui concerne les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaines, de la santé et du bien-être des animaux, de l’environnement et des intérêts des consommateurs, tout en assurant le bon fonctionnement du marché intérieur ;

b. […] fixer des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés ;

c. […] fixer des dispositions concernant l’étiquetage des denrées alimentaires et des aliments pour animaux génétiquement modifiés[76].

Le second règlement est le Règlement (CE) 1830-2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant la traçabilité et l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animale produits à partir d’organismes génétiquement modifiés, et modifiant la directive 2001/18/CE. Dans son premier article consacré à ses objectifs, il est mentionné ceci :

Le présent règlement fournit un cadre pour la traçabilité des produits qui consistent en organismes génétiquement modifiés (OGM) ou qui en contiennent, ainsi que des denrées alimentaires et des aliments pour animaux produits à partir d’OGM, dans le but de faciliter un étiquetage précis, la surveillance des effets sur l’environnement et, le cas échéant, sur la santé, et la mise en oeuvre des mesures de gestion des risques appropriées, y compris, si nécessaire, le retrait de produits[77].

Les efforts déployés par l’UE pour se conformer à la décision de l’OMC sur l’Affaire des OGM à l’OMC constituent une preuve de la bonne volonté communautaire européenne quant à sa contribution à l’instauration d’un climat convenable au commerce international. En effet, le 29 septembre 2006, l’OMC a rendu sa décision sur le différend impliquant les OGM[78]. Il est rappelé dans le rapport que l’OMC n’interdit pas aux États de prendre des mesures de précaution pour protéger leur population et leur environnement mais seulement dans des situations où il n’existe pas de preuves scientifiques suffisantes pour prendre des décisions irrévocables. Et même dans de pareils cas, les mesures de précaution doivent être maintenues dans des délais raisonnables. En dépit de la teneur de cette décision défavorable aux Communautés européennes, celles-ci poursuivant la logique de l’apaisement se sont abstenues de faire appel de la décision. Le 19 février 2008, l’ORD obtenait l’assurance de la part des Communautés européennes que ces dernières avaient progressé dans leurs discussions avec les plaignants sur la suite à donner à la décision irrévocable de l’OMC sur les OGM, entre autres différends. Il faut dire qu’auparavant, le 17 janvier 2008, les États-Unis avaient demandé à l’OMC à être autorisés à imposer des sanctions aux Communautés européennes estimant que le conflit était toujours ouvert même après la période des quatre années de délai imposée aux Communautés européennes pour se conformer à la décision, laquelle période prenait fin le 11 janvier 2008. C’était en effet le 14 janvier 2008 que les protagonistes avaient convenu d’un mémorandum d’accord dans lequel les Communautés européennes se plaignaient toutefois que les États-Unis n’avaient pas respecté certains aspects du mémorandum. Les Communautés européennes reprochaient notamment aux États-Unis le manque de respect du niveau des sanctions retenues dans le mémorandum. Les États-Unis se sont aussi plaints à savoir que, malgré les efforts notés auprès des Communautés européennes pour se conformer à la décision irrévocable de l’OMC, il y avait encore plusieurs demandes d’autorisation d’OGM en veilleuse. La question a été soumise à l’arbitrage le 8 février 2008.

2.1.5 Le dénouement de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance : l’Union européenne se conforme à la décision de l’Organisation mondiale du commerce

Avant le dénouement de l’Affaire des OGM à l’OMC, les efforts déployés par l’UE pour se conformer à la décision de l’OMC sur l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance avaient permis de faire ressortir la bonne volonté de l’UE quant à sa contribution à l’instauration d’un climat convenable au commerce international. En effet, pour contribuer à l’établissement de rapports sereins dans ce domaine, l’UE s’est conformée à la décision de l’OMC relative aux viandes de boeuf aux hormones de croissance. L’UE dispose désormais d’un nouvel instrument législatif lui permettant de se conformer aux exigences des principes de l’évaluation scientifique. Il s’agit de la directive 2003/74/CE[79] du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003. Celle-ci modifie la directive 96/22/CE du Conseil concernant l’interdiction d’utilisation de certaines substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances ß-agonistes dans les spéculations animales[80]. Cette directive est issue des évaluations scientifiques complémentaires exigées par l’OMC[81]. En effet, dans le communiqué de presse IP/03/1393 paru le 15 octobre 2003, l’UE confirme ce qui suit :

L’UE se conforme à la décision de l’OMC relative au boeuf aux hormones […] Cette directive met en oeuvre les recommandations formulées dans la décision de l’OMC, qui condamne l’UE pour interdire l’utilisation de certaines hormones de croissance sans évaluation scientifique du risque associé à la consommation de viande. À la suite de la décision adoptée en 1998 par l’organe d’appel de l’OMC, l’UE a procédé à un examen complet et scrupuleux des preuves scientifiques disponibles, sur la base duquel le Conseil et le Parlement européen ont approuvé la nouvelle directive. Le commissaire européen chargé du commerce, Pascal Lamy, a déclaré : “La mesure prise aujourd’hui signifie que nous entendons pleinement respecter nos obligations dans le cadre de l’OMC. Nous n’avons pas ménagé nos efforts pour mettre cette nouvelle législation en place […]” Le commissaire chargé de la santé et de la protection des consommateurs, David Byrne, a rappelé que l’UE a fourni une analyse exhaustive des risques sur la base des connaissances scientifiques actuelles, respectant ainsi pleinement ses obligations internationales[82].

À l’article 2 de cette directive, le Parlement européen et le Conseil précisent que « [l]es États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive[83] ».

La levée de l’embargo communautaire entraîne, par conséquent, la levée des contre-mesures commerciales nord-américaines. Par la levée des contre-mesures commerciales nord-américaines, l’UE en appelle aux États-Unis et au Canada pour qu’ils lèvent à leur tour leurs sanctions commerciales à son encontre. Il était revenu à M. Pascal Lamy, alors commissaire européen chargé du commerce, d’annoncer de telles mesures dans le communiqué de presse IP/03/1393 paru le 15 octobre 2003[84].

2.2 L’affaire Hoffman v. Monsanto Canada Inc. et l’affaire Pfizer-Alpharma c. Conseil : quand la contrainte associée à la précaution est mise à rude épreuve

Au Canada comme aux États-Unis et dans les autres pays adeptes de la biotechnologie moderne, la précaution n’est pas forcément associée à la contrainte et est dénudée de toute idée de moratoire. La science, avec comme levier la preuve scientifique suffisante, constitue le principe directeur de la dissémination des OGM, même si le concept de preuve scientifique suffisante est encore très flou. La communauté internationale continue de se chercher, entre autres, en fait d’harmonisation des méthodes d’évaluation des risques. La pratique qui se confirme semble être de disséminer l’OGM et de légiférer par la suite pour l’encadrement juridique de celui-ci en fonction des évènements subséquents. La précaution est donc vidée de son essence de prévention et la contrainte qui y est associée est mise à rude épreuve.

Nul doute que, dans un tel contexte, le juge tiendrait les rênes de l’essentiel de la formation du droit de la biosécurité. La formation du droit suit donc son cours en fonction des implications législatives et normatives de la précaution dans le contexte conflictuel des interactions entre le commerce, d’une part, et l’environnement ainsi que la santé humaine et animale, d’autre part. L’étude sommaire de deux cas dans la présente section nous fournira plus de lumière, notamment sur les questions de la responsabilité et de la réparation ainsi que sur la propriété intellectuelle, autant d’enjeux qui, en matière de biosécurité, trouvent leurs fondements et leurs finalités dans la problématique de la précaution.

2.2.1 L’affaire Hoffman v. Monsanto Canada Inc. : la possibilité d’un recours en responsabilité délictuelle en cas de contamination ou l’émergence d’une jurisprudence en biosécurité et en biodiversité prémisse de la précaution contraignante au Canada ?

Le Canada a connu une expérience fort instructive sur le recours aux OGM dans l’agriculture. Cette expérience continue de susciter de vifs débats sur la problématique de dissémination des OGM dans le pays, comme du reste dans plusieurs autres pays du monde. D’un point de vue général, les enjeux juridiques sur le recours aux OGM dans l’agriculture et l’alimentation portent essentiellement sur deux questions : la responsabilité en cas de dommage biotechnologique et la propriété intellectuelle. Sur la question de la responsabilité, l’affaire Hoffman v. Monsanto Canada Inc.[85] nous permet d’entrevoir la possibilité d’un recours en responsabilité délictuelle en cas de contamination. C’est tout au moins ce que M. Hoffman et M. Beaudoin, deux agriculteurs de la Saskatchewan, ont déjà tenté en poursuivant la multinationale Monsanto dont la semence génétiquement modifiée est impliquée dans la contamination de leurs champs. Les deux agriculteurs visaient une compensation auprès de Monsanto. Comme le remarque la professeure Glenn, cette affaire prouve que la responsabilité est un sujet sensible au Canada et donne lieu à la possibilité du recours pour indemnisation en cas de contamination[86].

Pour ce qui est de la seconde question, la propriété intellectuelle, l’affaire Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser[87] nous enseigne qu’il s’agit d’un aspect sensible de la dissémination des OGM agricoles. Avant de faire valoir les enseignements tirés de ce cas, nous ferons remarquer que la jurisprudence canadienne révèle l’existence d’un autre cas riche en instructions sur les questions de la propriété intellectuelle dans le domaine de la biotechnologie. En effet, M. Schmeiser, un autre fermier de la Saskatchewan, avait découvert en 1997 la présence de plants de canola dans son champ, lesquels avaient survécu à un arrosage d’herbicide Roundup fabriqué par Monsanto. M. Schmeiser a sélectionné les graines de ces plants qu’il a réutilisées comme semences l’année suivante, soit en 1998. Monsanto avait alors poursuivi le fermier Schmeiser sur la foi de dénonciations anonymes. Le fermier avait avancé l’argument de l’accident pour expliquer la présence du canola de Monsanto dans son champ. La Cour fédérale du Canada, qui avait entendu la cause en 2001, n’avait pu retenir l’argument de la présence accidentelle du canola de Monsanto dans le champ de Schmeiser. Cet argument aurait pu, soutenait la Cour fédérale, être retenu si le taux de présence avait varié de 1 à 5 p. 100, mais cela n’était pas le cas. Celui-ci était de 95 p. 100. Surtout, la Cour fédérale s’est indignée de ce que M. Schmeiser n’a pu signaler cette situation inattendue de la présence du canola OGM de Monsanto qu’il n’avait, du reste, pas acheté chez le fabricant. Par conséquent, M. Schmeiser a été reconnu coupable d’avoir planté illégalement du canola génétiquement modifié, fabriqué et commercialisé par la multinationale Monsanto. À la suite de ce jugement, le fermier a décidé de porter la cause en appel à la Cour suprême du Canada, invoquant un nouvel argument selon lequel Monsanto n’avait pas le droit de breveter le vivant. Il s’est ainsi appuyé sur un précédent de la Cour suprême. En effet, celle-ci avait, en décembre 2002, refusé de breveter au Canada l’oncosouris fabriquée par des chercheurs de l’Université Harvard[88]. Le dénouement de l’affaire Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, le 21 mai 2004, est aussi fort intéressant relativement à la question de la propriété intellectuelle des OGM. La Cour suprême a prononcé un jugement en faveur de Monsanto. Elle a affirmé que les gènes des OGM agricoles peuvent être brevetés. Ce jugement a été rendu dans un rapport serré de cinq juges contre quatre, ce qui laisse présager un certain flou juridique et la possibilité que la Cour suprême puisse avoir à se pencher ultérieurement sur la question de la propriété intellectuelle en matière de biosécurité[89].

Ces deux affaires survenues au Canada dénotent la grande complexité des questions relatives à la responsabilité et à la propriété intellectuelle, laquelle complexité permet d’entrevoir des difficultés inouïes dans les pays du Sud aux prises avec des différends similaires. En effet, les réalités locales dans les pays en développement rendent la situation plus complexe qu’au Canada. Le manque d’expertise et d’équipements pour l’évaluation et la gestion du risque biotechnologique compte parmi plusieurs autres facteurs qui compliquent davantage le transfert en toute précaution des avantages des biotechnologies agricoles au profit du développement des pays tropicaux[90]. Nul doute, l’étude de ces affaires impliquant des OGM au Canada met en exergue la haute technicité dans la constitution des faits et dans la production de la preuve en matière de biosécurité, ce qui nous fait dire que le renforcement des capacités des pays potentiellement bénéficiaires des avantages des biotechnologies agricoles constitue un impératif et un préalable à tout recours aux OGM dans l’agriculture et l’alimentation des pays en développement[91]. Par conséquent, il ne serait pas exagéré d’avancer que les récents acquis jurisprudentiels en ce qui concerne la sécurité biologique au Canada, à travers les deux cas étudiés et le cas Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, auront un impact important à l’international, notamment dans l’activité normative en matière de biosécurité tout au moins sur les aspects relatifs à la propriété intellectuelle dans le commerce international des organismes vivants végétaux[92].

Néanmoins, il convient de dire en résumé que, dans ce contexte de dissémination libéralisée des OGM au Canada, ce sera au fil des cas et des différends que la jurisprudence finira par établir les outils et les méthodes en vue de l’évaluation du risque biotechnologique, lesquels finiront par donner une signification à la précaution au sens où l’entendaient les États à Rio. C’est aussi seulement dans un tel contexte que, d’une part, l’UE qui a déjà un sens éprouvé de la précaution et, d’autre part, les opposants à la contrainte de la norme de biosécurité se retrouveront pour un usage en toute sécurité biologique de la biotechnologie moderne dans l’agriculture et dans l’alimentation. C’est ce qui nous a permis de remarquer plus haut que la contrainte associée à la précaution s’est effritée graduellement depuis le Sommet de la Terre de Rio pour laisser place à une simple exigence environnementale en commerce international.

C’est dans cet environnement normatif international que l’Europe pourrait contribuer à raviver la flamme de la contrainte environnementale promotrice de développement durable au sein de la communauté internationale. La significative contribution européenne à l’évaluation du risque biotechnologique constitue une part importante de l’UE dans les efforts fournies en vue de permettre à l’OMC de jouer son rôle dans la conduite transparente et sécuritaire du commerce international.

3 Une Europe adepte de la contrainte biosécuritaire : entre déterminisme scientifique et opinion publique

L’UE est sortie forte de ses expériences au coeur des méandres de l’ORD de l’OMC. Elle sait que tout processus conduisant à la consolidation d’un principe de précaution comme outil restrictif du commerce devant l’incertitude scientifique commence par une harmonisation contraignante des méthodes d’évaluation et de gestion des risques biotechnologiques. Déjà en pleine crise de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance, elle avait commencé par s’investir dans la production de méthodes scientifiques crédibles pour ensuite les proposer à titre de contribution à l’harmonisation au niveau international. Hélas, c’était sans compter la détermination de l’OMC à libéraliser le commerce mondial. Toutefois, l’UE peut encore compter sur sa population pour faire face aux fâcheuses conséquences d’une science en pleine errance[93]. L’opinion publique européenne en général défie le manque de transparence dans le recours à la science[94]. Elle met en lumière les limites de la preuve scientifique pour justifier le recours au moratoire. L’UE et la France gardent l’espoir aussi de voir la création d’une OME qui va équilibrer le commerce mondial en faveur du développement durable, et ce, devant l’OMC.

Dans cette partie, nous présenterons l’apport de l’UE aux efforts de mise au point des méthodes en matière de biosécurité pour l’harmonisation. Il sera aussi question du potentiel de la jurisprudence et de l’activité réglementaire au sein de l’UE pour favoriser un regain d’intérêt à l’égard d’une précaution contraignante.

3.1 L’évaluation du risque biotechnologique : l’Union européenne contribue à la méthodologie

Riche de l’expérience de l’Affaire des viandes de boeuf aux hormones de croissance, l’UE a abordé la crise à l’OMC avec plus de sérénité en apportant une importante contribution à l’instauration d’un climat propice au commerce international. Pour cause, cette dernière a mis au point et soumis une méthode de l’évaluation du risque biotechnologique en vue de l’harmonisation au niveau international.

En effet, la méthode d’évaluation scientifique du risque biotechnologique est un des outils d’analyse de la précaution et, sur ce point, la contribution de l’UE est digne de considération, notamment dans la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 du Parlement européen et du Conseil[95]. Celle-ci traite de la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement et abroge la directive 90/220/CEE du Conseil. La directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 prévoit une procédure et des critères harmonisés pour l’évaluation des risques[96]. L’évaluation en soi devrait être faite au cas par cas avant toute dissémination et devrait tenir dûment compte des effets cumulés potentiels à long terme liés à l’interaction avec les autres OGM et l’environnement[97], notamment avec les autres éléments de la chaîne biotique. Le texte précise aussi que l’évaluation devrait également s’effectuer selon une méthode commune d’évaluation des risques pour l’environnement basée sur une consultation scientifique indépendante[98]. La directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 est accompagnée, entre autres, de l’annexe II dont l’objectif est de mettre en évidence et d’évaluer les effets potentiels des OGM sur la santé et l’environnement[99]. Cette annexe précise aussi que l’un des objectifs de l’évaluation des risques est de déterminer s’il est nécessaire de mettre en place une gestion des risques et, dans l’affirmative, d’établir les méthodes les plus appropriées à cet égard. Par la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, la Communauté européenne entend contribuer aux efforts déployés à l’échelle internationale pour assurer la biosécurité des mouvements transfrontaliers des OGM agricoles et des produits qui en sont dérivés. En effet, les paragraphes 4 et 13 du préambule de cette directive explicitent les intentions de la Communauté européenne non seulement pour ce qui est de l’évaluation du risque en soi, mais aussi en ce qui concerne les enjeux de commerce international des OGM. Le paragraphe 4 précise ceci : « Les organismes vivants disséminés dans l’environnement, en grande ou en petite quantité, à des fins expérimentales ou en tant que produits commerciaux, peuvent se reproduire dans l’environnement et franchir les frontières nationales, affectant ainsi d’autres États membres. Une telle dissémination peut produire des effets irréversibles sur l’environnement[100]. »

Quant au paragraphe 13, il rattache les intentions de la directive à l’engagement de la Communauté européenne sur la scène internationale en matière d’harmonisation dans le domaine de la biosécurité. La Communauté européenne y précise en effet ce qui suit : « Le contenu de la présente directive tient dûment compte de l’expérience internationale dans ce domaine et des engagements commerciaux internationaux et devrait respecter les critères établis dans le protocole de Carthagène sur la biosécurité[101]. »

La bonne volonté et la diplomatie de l’UE, qui ont conduit au dénouement de cette affaire, constituent un véritable avant-goût des avantages d’un climat serein dans le commerce international. Cette preuve de maturité diplomatique de l’UE dans la conduite des affaires internationales est à saluer. Sont également tout aussi louables les tendances de la jurisprudence au sein de l’UE à favoriser un regain d’intérêt à l’égard de la contrainte associée à la précaution.

3.2 La jurisprudence au sein de l’Union européenne favoriserait-elle un regain de la contrainte associée à la précaution ? L’exemple de l’affaire Pfizer-Alpharma c. Conseil

Tout comme l’affaire Hoffman v. Monsanto Canada Inc. dans le domaine de la biodiversité, l’affaire Pfizer-Alpharma c. Conseil a retenu l’attention de plus d’un juriste en Europe et dans le domaine de la sécurité alimentaire. Cette affaire porte sur l’utilisation d’antibiotiques comme additifs dans l’alimentation des animaux. Le contentieux en question a fait l’objet de deux affaires entendues par le Tribunal de première instance : les affaires T-13/99 et T-70/99. Par les arrêts Pfizer Animal Health SA c. Conseil de l’Union européenne et Alpharma Inc. c. Conseil de l’Union européenne[102], le Tribunal a affirmé et confirmé l’interdiction d’antibiotiques comme additifs dans l’alimentation des animaux et précisé les conditions d’application du principe de précaution en droit communautaire[103]. Les quatre antibiotiques incriminés sont la virginiamycine, la bacitracine-zinc, la spiramycine et le phosphate de tylosine[104] :

Pendant de longues années, ces antibiotiques avaient été ajoutés, à très faibles doses, dans l’alimentation de certains animaux en tant que facteurs de croissance. Cette pratique est connue pour entraîner une meilleure croissance des animaux ainsi qu’une meilleure prise de poids de sorte que l’animal a besoin de moins de temps et de nourriture pour atteindre le poids requis pour l’abattage. Cette pratique est également réputée présenter certains effets secondaires avantageux, notamment la prévention de certaines maladies chez les animaux[105].

Malgré l’incertitude sur l’existence d’un lien entre l’utilisation des antibiotiques comme additifs et le développement de la résistance chez l’être humain à ces produits, l’interdiction n’est pas une mesure disproportionnée par rapport à la protection de la santé publique[106] :

Devant le Tribunal, Pfizer et Alpharma [ont soutenu] que, au lieu de procéder à une évaluation approfondie des risques liés à ces [antibiotiques], les institutions communautaires ont cherché à exclure tout risque, dans une approche irréaliste dite “risque zéro”, en fondant leur décision sur des raisons d’opportunité politique plutôt que sur une analyse scientifique objective[107].

Dans [le dernier] arrêt, le Tribunal insiste surtout sur les conditions que l’autorité publique doit respecter dans le cadre de l’évaluation scientifique. Il souligne tout particulièrement le rôle primordial des experts scientifiques dans ce contexte et il en déduit que les comités scientifiques compétents doivent être entendus même si la législation ne le prévoit pas explicitement, à moins que l’autorité publique [ne] puisse assurer qu’elle se fonde sur une base scientifique équivalente. Toutefois, le Tribunal souligne qu’il n’appartient pas aux experts scientifiques, mais à l’autorité publique […] de prendre la décision d’interdire un produit[108].

Une telle responsabilité relève de l’autorité publique, a confirmé le Tribunal.

En somme, l’évaluation du risque comporterait deux volets. Le premier est d’ordre scientifique. L’évaluation qui s’y rattache doit être aussi exhaustive que possible compte tenu notamment de l’urgence. Le second volet est d’ordre politique, et l’autorité publique doit choisir dans ce contexte la mesure qui lui semble appropriée eu égard au niveau de risque qu’elle a retenu : « Le Tribunal estime que, dans le cas d’espèce, la décision des Institutions de ne pas suivre l’avis scientifique est justifiée par l’intérêt de la protection de la santé [publique][109]. »

À la lumière des évènements relatés dans cette section, il ne fait pas de doute que le principe de précaution est un principe en émergence aussi bien en droit interne qu’en droit international. Toutefois, la contrainte associée à un tel principe émergent de droit international a montré ses limites quant à une interprétation du type moratoire. Le commerce international devra donc se poursuivre sous les auspices d’un tel principe, à moins qu’à l’avenir les prévisions scientifiques alarmistes en faveur d’une planète en danger, à cause d’une exploitation abusive des ressources génétiques et d’une industrialisation peu respectueuse de l’environnement, ne contraignent la communauté internationale à en décider autrement. L’Europe peut-elle contribuer à la mise en place d’un tel état des choses ?

3.3 L’Union européenne peut-elle renforcer la contrainte associée à la précaution en matière de biosécurité ?

La contribution aux efforts d’harmonisation et le dénouement de l’affaire Pfizer-Alpharma c. Conseil pourraient être des signes d’une Europe forte et capable de stimuler la contrainte associée à la précaution. Que la cause environnementale puisse trouver en l’UE un agent de promotion de la précaution contraignante n’est pas à exclure[110]. Une pareille perspective projetterait le principe de précaution dans une dynamique de regain à l’égard d’une contrainte asymptotique au moratoire.

En effet, plus d’un observateur serait en position de penser que l’UE semblait céder à l’active promotion de la contrainte en matière de précaution en se pliant aux décisions de l’ORD de l’OMC dans les affaires du boeuf aux hormones de croissance et des OGM. Toutefois, il n’en est rien. Il semble plutôt que l’UE se soit montrée discrète sur le plan diplomatique dans ces deux affaires parce qu’elle avait plutôt le souci de contribuer à l’instauration de conditions favorables à la conduite du commerce international et à la crédibilité de l’OMC. C’est du moins une interprétation parmi tant d’autres de l’attitude de l’UE.

Dans tous les cas, une autre approche en perspective laisse entrevoir la possibilité à l’avenir d’un regain de vigueur à l’égard de la contrainte associée à la précaution, notamment en matière de biosécurité. Plusieurs facteurs concourent à ce fait parmi lesquels l’émergence d’une jurisprudence largement favorable à la contrainte et à la sécurité en général, généralement en Europe, et l’adhésion des pouvoirs judiciaires, politiques et administratifs à la cause de la biosécurité, spécialement en France. Nul doute que, en dépit des difficultés qui sillonnent le processus d’émergence de la grande contrainte en matière de précaution, il y a l’avènement d’une jurisprudence plus que contraignante, et ce, en droit interne français et en droit européen.

Dans le secteur des OGM agricoles, dont il est principalement question dans notre recherche, l’émergence d’une jurisprudence favorable à un principe de précaution contraignant est manifeste, notamment dans la médiatique culture du maïs génétiquement modifié. La décision du Conseil d’État du 25 septembre 1998 mérite notre attention pour des raisons à la fois pratiques et théoriques[111]. Les raisons pratiques tiennent au contexte industriel dans lequel cette affaire s’inscrit, tandis que les raisons théoriques sont liées à la mise en oeuvre de l’énigmatique principe de précaution[112]. En effet, cette affaire, dont les épisodes juridiques sont des plus marquants dans le contexte de la lutte menée contre la mise en culture des OGM en France et en Europe, concerne expressément le principe de précaution[113]. Elle a permis de confirmer que le principe de précaution constitue désormais un élément du contrôle de légalité. Le juge administratif français, le Conseil d’État et la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont été fort instruits de ce fait. Un survol succinct des faits nous rappelle que la CJCE a été saisie, par le Conseil d’État, pour examiner la légalité d’une autorisation d’un arrêté du ministre français de l’Agriculture favorable à la commercialisation du maïs transgénique[114], en conformité avec la démarche communautaire prévue notamment dans les dispositions de la directive 90/220/CEE[115]. Il faut dire que la procédure d’autorisation de mise en marché des OGM selon cette directive ne brille pas par sa simplicité dans la mesure où celle-ci implique la participation de plusieurs organes administratifs, dont les autorités compétentes des quinze États membres de l’UE[116]. La CJCE a répondu à cette question par son arrêt du 21 mars 2000[117]. Celle-ci n’en était pas à sa première expérience de ce genre. Précédemment, elle avait déjà statué sur la légalité de plusieurs décisions relativement au principe de précaution. Citons les exemples de la vache folle (décision 96/239/CE[118]), des mesures de protection de la couche d’ozone (règlement (CE) 3093-94[119]) et du stockage des déchets (directives 75/442/CEE et 91/689/CEE[120]). Le Conseil d’État avait validé l’arrêté du ministre de l’Agriculture[121]. Ainsi, l’affaire du maïs transgénique constitue une illustration pertinente des implications de la faiblesse des connaissances dans le recours aux OGM dans l’agriculture et dans l’alimentation. En effet, le dossier avait été trouvé incomplet pour cause d’absence d’éléments permettant d’évaluer l’impact sur la santé publique du gène de résistance à l’ampicilline contenu dans les variétés de maïs transgénique qui faisaient l’objet de la demande d’autorisation. En définitive, le principe de précaution a été formellement posé, dans cette affaire, en termes d’outil législatif et non de simple déclaration à caractère politique[122].

C’est aussi en Europe, plus précisément en France, que pour la première fois un tribunal correctionnel a relaxé des faucheurs volontaires d’OGM. En effet, le tribunal d’Orléans, saisi dans cette affaire, jugeait en date du 9 décembre 2005 que les faucheurs avaient fait la preuve qu’ils avaient commis une infraction de dégradation volontaire de biens d’autrui en réunion « pour répondre à l’état de nécessité ». Ces derniers étaient poursuivis pour fauchage de deux des parcelles de maïs génétiquement modifié appartenant à la multinationale Monsanto. Ce jugement avait relancé le débat de la contrainte en matière de biosécurité, car « les prévenus [avaient] seulement été solidairement condamnés à indemniser Monsanto au titre de l’action civile, pour un montant de près de 6 000 euros, soit bien moins que les 398 000 euros de dommages-intérêts que la société avait demandés[123] ». Les faucheurs étaient poursuivis sous le chef d’accusation de « dégradation grave du bien d’autrui, commise en réunion ». Ils avaient en effet détruit des plants de maïs transgénique respectivement à Greneville-en-Beauce, le 14 août 2004, et à Neuville-aux-Bois, le 7 juillet de la même année. Les membres du tribunal présidé par le juge Philippe Duval-Molinos ont décidé que les 49 faucheurs devaient être relaxés[124].

Le maïs transgénique continue d’être une culture de prédilection de l’activité réglementaire en biosécurité. Le 8 février 2008, le ministère français de l’Agriculture a prononcé un arrêté contre la culture du maïs transgénique de Monsanto, le MON810, à la suite de l’adoption par le Sénat français du projet de loi relatif aux OGM. Le Conseil d’État français a confirmé dans une ordonnance en date du 19 mars 2008 la validité juridique de cet arrêté. Le 27 mai 2009, le Conseil d’État français donnait raison au maire de Bourgoin-Jallieu dans un différend qui l’opposait à la multinationale Monsanto en annulant un total de sept autorisations d’essais en champ de maïs transgénique que le ministère français de l’Agriculture avait délivrées à l’industriel le 15 mars 2007. Cet arrêt no 304401 du Conseil d’État avait également condamné, à son paragraphe 3, l’État français à verser une amende de 3 000 euros à la Commune de Bourgoin-Jallieu[125].

Enfin, le 12 avril 2011, le Parlement européen relate l’adoption d’un rapport, par sa commission de l’agriculture et dans une proportion de 34 voix pour, 10 contre et 16 abstentions, dans lequel il est précisé que les États membres devraient pouvoir invoquer des raisons environnementales pour restreindre ou interdire, sur leur territoire, la culture d’OGM autorisés au sein de l’UE. Les raisons environnementales ciblées sont, entre autres, la résistance aux pesticides et le maintien de la biodiversité[126].

Les acquis judiciaires ainsi que les efforts législatifs et réglementaires en cours, notamment au sein de l’UE, ne sauraient demeurer sans effet quant au renforcement de la contrainte associée à la précaution dans le domaine de la biosécurité en particulier. La consolidation et la pérennisation des acquis législatifs au sein de l’UE en faveur du regain à l’égard de la contrainte en droit du commerce international ne seraient toutefois effectives que dans le contexte d’un cadre institutionnel onusien favorable à l’avènement programmé de l’OME.

Conclusion

Certes, le dévouement de l’UE en faveur de la contrainte en matière de biosécurité et l’allégeance des populations européennes au principe de précaution devant l’incertitude scientifique sont des facteurs qui peuvent contribuer fortement au regain à l’égard de la contrainte. Toutefois, pour tirer le meilleur profit de la portée de tels facteurs, il faut une OME revêtant la même envergure institutionnelle que l’OMC au sein du système onusien. Pour être capable de relever un tel défi, l’OME devra être investie d’une double mission : créer des normes et des standards de production durable ; surveiller l’application des décisions de justice prises en fonction de tels seuils en cas de différends environnementaux. En toute conséquence, l’OME devrait donc abriter un organe spécialisé relativement à chacune de ses deux missions principales. D’ici là, l’hégémonie du droit applicable de l’OMC continuera de se prononcer sur les différends commerciaux concernant les OGM dans la continuité des tendances actuelles d’une activité normative largement favorable à l’interprétation libérale du principe de précaution, loin de toute préoccupation de la contrainte en matière de biosécurité du type moratoire. Néanmoins, il serait donc utopique de penser que le droit applicable de l’OMC s’évaporera devant celui de l’OME, notamment sur les problématiques juxtaposées à l’intersection de l’environnement et du commerce. Le plus réaliste est en effet d’envisager l’avenir d’une précaution promotrice d’activités commerciales contraignantes, respectueuses des principes du développement durable, et ce, selon le postulat voulant que principe de précaution ne rime pas avec moratoire. En effet, la consolidation de la contrainte environnementale par l’OME, spécialement en matière de biosécurité, devra se produire dans un terrain normatif conquis par le libéralisme de l’OMC. L’harmonisation des méthodes pour l’évaluation, la gestion et le suivi du risque biotechnologique n’est pas une priorité pour l’OMC. La mise en oeuvre du principe de précaution offre donc des possibilités quant au regain à l’égard de la contrainte, si précieuse à la communauté internationale à l’ère du Sommet de la Terre de Rio, mais on est encore loin de la contrainte donnant lieu au moratoire.