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La société par actions se singularise, par rapport aux autres formes juridiques d’entreprise, par la personnalité juridique distincte de celle de ses membres que les législations corporatives tant canadiennes que québécoises lui reconnaissent. Cet attribut essentiel de la société par actions fonde la responsabilité limitée des actionnaires. Ces deux principes fondamentaux, qui régissent l’organisation, le fonctionnement et la dissolution de la société par actions, sont au coeur de la 40e édition de l’ouvrage qui portait naguère le titre La compagnie au Québec, lequel titre est aujourd’hui suranné en raison de l’entrée en vigueur, le 14 février 2011, de la nouvelle loi corporative québécoise, la Loi sur les sociétés par actions (LSAQ)[1], qui remplace les parties I[2] et IA de la Loi sur les compagnies (LCQ). C’est donc pour cette raison principale que cette 40e édition porte désormais, et pour la première fois, le titre suivant : Lasociété par actions au Québec. Par ailleurs, il s’agit de l’édition destinée aux étudiants, étant entendu que cet ouvrage est la version reliée du tome 1, consacré aux aspects juridiques du volume à feuilles mobiles avec service annuel de mise à jour, qui porte le titre éponyme.

D’un point de vue formel, l’avènement de la LSAQ n’a pas seulement changé le titre de l’ouvrage, mais il a servi de prétexte à un réaménagement mineur du chapitre 3 traitant des aspects constitutionnels (surtout aux pages 3-71 à 3-98) ainsi qu’à une reformulation du chapitre 5 consacré aux statuts constitutifs et des chapitres 30 et 31. Ces derniers chapitres abordent la protection des actionnaires minoritaires et reflètent les changements apportés par la LSAQ qui, sur ce point, s’est largement inspirée de la loi fédérale, soit la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA)[3].

N’empêche, l’ouvrage demeure toujours impressionnant par son volume (1 882 p.), son plan détaillé construit autour de 35 chapitres individuellement paginés et annotés, un index thématique et jurisprudentiel précis, une liste des tableaux fort utile et une bibliographie, par contre plutôt limitée, comparativement au volume de l’ouvrage. La quantité de notes infrapaginales et la qualité des références législatives et jurisprudentielles sont impressionnantes et s’avèreront utiles, surtout pour les praticiens. Cependant, eu égard au public cible de l’ouvrage, constitué des étudiants des facultés de droit, les innombrables informations qu’il contient pourront, à juste titre, leur paraître rébarbatives.

Sur le plan substantiel, la qualité première et bien connue de cet ouvrage réside, d’une part, dans l’analyse comparative et détaillée qui y est menée entre les deux lois corporatives applicables aux sociétés par actions québécoises, soit la loi provinciale (LSAQ) et la loi fédérale (LCSA), et, d’autre part, dans les références pertinentes aux dispositions d’ordre public et supplétives prévues par le Code civil du Québec[4] et applicables à cette forme juridique d’entreprise. Ces aspects confèrent à l’étude une véritable portée québécoise tout en s’intéressant aux fortes influences provenant de la common law. À titre illustratif, les chapitres 2, 3, 22, 23 et 24 consacrés respectivement à l’origine, aux aspects constitutionnels et aux pouvoirs, aux devoirs et aux responsabilités des administrateurs sont particulièrement intéressants à cet égard.

L’autre qualité non négligeable de la 40e édition est qu’elle met bien en exergue les apports de la LSAQ. Dans le chapitre 3 notamment, l’auteur, qui est l’un des artisans de cette nouvelle loi, en illustre le caractère « convivial et avant-gardiste » en la comparant à sa principale concurrente, la LCSA. Il ressort de ce tableau comparatif détaillé que la loi québécoise non seulement comble, à bien des égards, son retard sur la loi fédérale (ce que l’auteur appelle les « plus »), mais qu’elle va plus loin que cette dernière sur plusieurs autres points (ce que l’auteur appelle les « plus-plus ». Ainsi, le tableau recense 262 « plus » et 128 « plus-plus ». Dès lors, nous pouvons convenir avec l’auteur que, en ce qui concerne la concurrence réglementaire entre les deux lois applicables de manière alternative aux sociétés par actions du Québec en fonction du libre choix des promoteurs, la nouvelle loi québécoise garde le cap et dispose maintenant d’attraits notables qui devraient inciter lesdits promoteurs à opter pour elle au moment de la constitution d’une société par actions.

À titre d’exemples, parmi les dispositions comblant le retard de la loi provinciale (les « plus »), mentionnons, au titre de la protection des actionnaires minoritaires (l’un des talons d’Achille de l’ancienne LCQ par rapport à la LCSA), que la LSAQ prévoit dorénavant, à l’instar de la LCSA, un régime accru de protection des actionnaires minoritaires qui leur permet de se prévaloir d’un certain nombre de recours de redressement tels que le recours en cas d’abus ou d’iniquité, la demande d’ordonnance ou d’enquête, l’action dérivée ou la contestation d’élection. Et parmi les dispositions allant plus loin que la loi fédérale, notons l’impossibilité de modifier les règles de procédure des assemblées des actionnaires sans l’approbation de ceux-ci. De même, en matière de gouvernance, dorénavant les administrateurs absents sont présumés avoir donné leur consentement aux décisions prises durant les réunions, à moins d’indication expresse contraire. Dans le même sens, la convention unanime d’actionnaires se voit attribuer des caractéristiques qui l’apparentent fortement à la définition que donne la LCSA à cette notion, à savoir qu’elle implique non seulement un retrait mais aussi une restriction de tout ou partie des pouvoirs du conseil d’administration au profit des actionnaires ou de tiers. Cela constitue assurément une nouveauté. Enfin, pour ce qui est des règles concernant le maintien de capital, la nouvelle loi québécoise est proactive, car elle supprime le fameux test comptable ou de liquidité.

En somme, la 40e édition de l’ouvrage de Me Martel est fortement imprégnée de la réforme législative majeure marquée par l’entrée en vigueur de la LSAQ depuis le 14 février 2011.