La parution d’un nouvel ouvrage d’André Gaudreault ne peut manquer de faire événement, tant l’auteur s’est imposé comme l’un des plus importants chercheurs parmi ceux qui ont proposé, dans le sillage du colloque de Brighton de 1978, d’envisager différemment le cinéma dit « des premiers temps », notamment en croisant de façon productive la théorie (d’obédience narratologique chez Gaudreault) et l’histoire (inaugurant par exemple une collaboration féconde avec les archivistes). Cette démarche, qui consiste à instaurer un dialogue productif entre différents champs disciplinaires, Gaudreault ne se contente pas de l’appliquer dans son récent opus , regroupement synthétique d’articles jusqu’ici disséminés dans diverses publications, mais il s’emploie à l’articuler en des termes qui s’avèrent aujourd’hui d’autant plus pertinents que, dans l’espace (francophone) de l’étude théorique du cinéma, on peut observer une tendance certaine au cloisonnement des deux grands axes que sont l’histoire et la théorie. Or, bien que ce partage s’opère généralement, dans le champ des études sur le cinéma des premiers temps, au détriment du second, Cinéma et attraction témoigne de l’ambition opportune de son auteur (mais sans opportunisme aucun, dans la mesure où cette démarche implique d’aller à contre-courant de la « mode ») de faire primer la dimension théorique. L’objectif visé par Gaudreault est d’offrir un cadre permettant de gérer les informations dégagées des sources, de les organiser avec profit pour améliorer la connaissance de l’objet (le cinéma dit « des premiers temps ») et, au-delà, de fournir des outils méthodologiques utiles à tout historien du cinéma. Pensé comme le lieu d’un questionnement sur l’historicité même du regard de l’historien, l’ouvrage de Gaudreault construit son objet en passant par une discussion des principes méthodologiques qui le sous-tendent. Tout comme dans Du littéraire au filmique, paru il y a deux décennies, il fait preuve d’un souci de clarté et de pédagogie exemplaire : chaque hypothèse, d’abord formulée au conditionnel, se voit ultérieurement confirmée par la démonstration, l’ouvrage entraînant son lecteur dans la mise en place progressive d’une argumentation dont l’auteur prend soin de motiver chaque composante, sur le plan tant de la cohérence argumentative que du lexique utilisé. D’aucuns pourraient dire que Gaudreault joue sur les mots (car on sait combien il se plaît à jouer avec eux), mais son souci d’opter pour le « bon » terme témoigne de l’acuité avec laquelle il appréhende les phénomènes étudiés, et de sa conscience de la nécessité d’une historicisation des termes eux-mêmes pour saisir la réalité qu’ils recouvr(ai)ent. Parler de « cinématographistes » et non de « cinéastes », d’« exhibiteurs » et non d’« exploitants », c’est à la fois prendre en compte la terminologie d’époque et saisir les implications des usages actuels appliqués au cinéma des premiers temps. Recourant fréquemment à des exemples éclairants, Gaudreault offre dans un premier chapitre, qui se présente comme une sorte de « manuel », un ensemble d’instruments méthodologiques destinés à appréhender les discours sur le cinéma dans une perspective historiographique. L’intérêt didactique de cette démarche ne doit pas être sous-estimé, car on constate dans les écrits sur le cinéma à fonction pédagogique une carence notable d’exposés de ce type. Il semble toutefois un peu paradoxal que Gaudreault, soulignant le fait que tout historien développe un discours « à partir de son hic et nunc à lui » (p. 50), mette constamment en évidence la deixis des discours étudiés — il semble que les théories de l’énonciation sous-tendent chez lui l’approche historiographique —, alors que son ouvrage procède d’une démarche inverse visant à effacer les indications renvoyant à quand et par qui les propositions ont été émises, puisqu’il fusionne en une nouvelle linéarité …
Parties annexes
Références bibliographiques
- Albera et Gaudreault 2005 : François Albera et André Gaudreault, « Apparition, disparition et escamotage du bonimenteur dans l’historiographie française du cinéma », dans Giusy Pisano et Valérie Pozner (dir.), Le muet a la parole. Cinéma et performance à l’aube du xxe siècle, Paris, AFRHC, 2005, p. 167-199.
- Altman 2000 : Rick Altman, « Technologie et textualité de l’intermédialité », Sociétés & Représentations, no 9, 2000, p. 11-19.
- Arnoldy 2001 : Édouard Arnoldy, Une histoire du cinéma parlant et sa diagonale mobile. De l’art cinématographique, des « films chantants et parlants » et de leurs séries, 2 tomes, thèse de doctorat, Université de Liège, 2001, partiellement reprise dans Pour une histoire culturelle du cinéma. Au-devant de « scènes filmées », de « films chantants et parlants » et de comédies musicales, Liège, Éditions du Céfal, 2004.
- Burch 1991 : Noël Burch, La lucarne de l’infini : naissance du langage cinématographique, Paris, Nathan, 1991.
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- Gaudreault 1985 : André Gaudreault, « Bruitage, musique et commentaires aux débuts du cinéma », Protée, 1985, p. 25-29.
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- Gaudreault 1997 : André Gaudreault, « Les vues cinématographiques selon Georges Méliès, ou : comment Mitry et Sadoul avaient peut-être raison d’avoir tort (même si c’est surtout Deslandes qu’il faut lire et relire)… », dans Jacques Malthète et Michel Marie (dir.), Georges Méliès, l’illusionniste fin de siècle ?, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle/Colloque de Cerisy, 1997, p. 111-131.
- Gaudreault 2002 : André Gaudreault, « Fragmentation et segmentation dans les “vues animées” : le corpus Lumière », dans François Albera, Marta Braun et André Gaudreault (dir.), Arrêt sur image, fragmentation du temps, Lausanne, Payot, 2002, p. 225-245.
- Gaudreault 2004 : André Gaudreault, Cinema delle origini, o della « cinematografia-attrazione », Milan, Il Castoro, 2004.
- Gaudreault et Marion 2000 : André Gaudreault et Philippe Marion, « Un média naît toujours deux fois », Sociétés & Représentations, no 9, 2000, p. 21-36.
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- Laffay 1947a : Albert Laffay, « Le récit, le monde et le cinéma », Les Temps modernes, no 21, 1947, p. 1578-1600.
- Sadoul 1948 : Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, tome I, Paris, Denoël, 1948.
- Sadoul 1948a : Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, tome II, Paris, Denoël, 1948.