De grandes espérances[Notice]

  • Jean-Paul Brodeur

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  • Jean-Paul Brodeur
    Directeur, Centre international de criminologie comparée (CICC), École de criminologie, Université de Montréal
    jean-paul.brodeur@umontreal.ca

En 1986, Pierre Landreville s’affairait à la préparation du rapport du Comité d’étude sur les solutions de rechange à l’incarcération (août 1986). J’habitais moi-même Ottawa depuis 1984, où j’occupais mes fonctions de directeur de la recherche pour la Commission canadienne sur la détermination des peines. Cette commission remit son rapport en 1987 et celui-ci n’eut pas d’effets plus retentissants que le comité présidé par Pierre Landreville. Nous étions, à cette époque, plus fervents qu’aujourd’hui et plus engagés dans ce qui fut le combat de notre génération : provoquer la régression, sinon l’abolition de l’incarcération et même le démantèlement du système pénal. Le manque de retombées spectaculaires d’un rapport était considéré comme un accident de parcours tant nous étions convaincus que nous finirions par prévaloir. Nos maîtres nous en avaient fourni l’assurance. Pour Nils Christie, le système pénal se rendait coupable d’un vol de conflit en dépossédant les parties à ce conflit de leur trésor de querelle ; il fallait donc retrouver le sens des palabres africaines citées en exemple d’une manière plus humaine de régler les différends. Je me souviens également que dans les cours qu’il donnait dans les années 1975 à l’École de criminologie, Louk Hulsman prévoyait que l’incarcération disparaîtrait au cours des quinze prochaines années. Je lui avais posé explicitement cette question de l’horizon temporel et avais obtenu cette réponse. 1. Les génocides du Rwanda et du Darfour, de même que l’inimaginable cruauté des guerres en Sierra Leone et au Liberia, ont mis à mal la représentation nordique de l’Africain bon palabreur. Quant à l’abolition de l’incarcération, les choses ont mal tourné. Certains pays comme le Canada et les pays scandinaves sont parvenus à grande peine à maintenir la stabilité de leur taux d’incarcération. Le seul pays qui ait réussi à réduire de façon notable sa pratique de l’emprisonnement est la Finlande, qui a adopté une politique pénale inspirée par le Just Desert préconisé par le sulfureux Von Hirsch (renseignements pris auprès d’un collègue finlandais, les taux finlandais se sont remis à croître en 2007). Partout ailleurs, l’incarcération a sensiblement progressé. Toutes formes d’enfermement considérées, il y a plus de deux millions de personnes incarcérées aux États-Unis ; au Royaume-Uni, les taux d’incarcération se sont envolés sous un gouvernement travailliste. Qu’en sera-t-il si les conservateurs reviennent au pouvoir ? On pourrait allonger cette sombre liste indéfiniment. Que s’est-il donc passé ? Des tas de choses sans doute. Je me limiterai à n’en mentionner que deux. Il faut d’abord écarter l’explication selon laquelle des pratiques de justice pénale qui étaient concevables dans de petits pays réputés pour leur progressisme, tels que la Norvège et les Pays-Bas, n’étaient pas exportables dans des pays plus populeux comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. En fait, la montée la plus spectaculaire des taux d’incarcération s’est produite aux Pays-Bas. Le taux d’incarcération dans ce pays était de 18 personnes pour 100 000 habitants en 1973 ; il est monté à 33/100 000 en 1987 ; il est maintenant de 101/100 000 (87/100 000 si on exclut du compte les mineurs incarcérés). Au final, le taux d’incarcération des Pays-Bas s’est multiplié par cinq depuis 1973. Comment expliquer cela ? On ne manquera pas d’invoquer l’action de politiciens conservateurs tels que Pim Fortuyn (considéré dans un concours récent tenu en Hollande comme étant le plus grand des Néerlandais, bien devant Rembrandt et Guillaume le Taciturne). Cette explication est en partie valable, mais elle ne touche pas l’essentiel du phénomène. En effet, la montée très sensible de l’incarcération qui s’est produite depuis 1990 a coïncidé avec une chute de la criminalité parfois très prononcée dans la plupart …