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Introduction

Au Canada, dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) de 2003, la réinsertion sociale représente l’un des moyens privilégiés pour assurer le respect de son principe premier : celui de la protection du public. Pour ce faire, elle s’articule à la réadaptation des jeunes suivis au pénal. Concrètement au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), chargé de l’exécution des mesures de la LSJPA, précise ce qu’implique la réinsertion sociale dans son manuel d’application de la loi (MSSS, 2017). Ce guide spécifie qu’elle est liée au développement et au processus de transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Ce dernier est appréhendé comme le passage d’une situation de dépendance et de vulnérabilité à des formes de responsabilisation et d’autonomie individuelles dans les différents pans de la vie (« psychologique, social, intellectuel, psychoaffectif ») et à la définition d’un projet de vie (MSSS, 2017, p. 10). Pour cela, le jeune doit s’engager dans des activités dites prosociales et se voir confier plus de responsabilités (MSSS, 2017, p. 12).

Dans ce contexte, cet article propose de s’intéresser aux modalités de soutien à la réinsertion sociale des jeunes suivis en vertu de la LSJPA en se concentrant sur le moment clé de leur parcours menant à l’entrée dans l’âge adulte. Il interroge les regards juvéniles et leur réception de l’action publique (Revillard, 2018) quand ils entrent dans l’âge adulte. En d’autres termes, il s’agit de comprendre les perceptions des formes de soutien à la réinsertion sociale des jeunes judiciarisés dans le système québécois de justice des mineurs à travers le prisme particulier de leurs parcours et expériences en transition vers l’âge adulte. Après avoir précisé en quoi consiste cette période particulière pour les jeunes judiciarisés au pénal et les interventions de l’action publique menées en leur direction, le présent article met en exergue trois formes de soutien à la transition vers l’âge adulte en vue de leur réinsertion sociale, telles que les jeunes rencontrés les ont vécues et perçues. L’un des principaux résultats est leur caractère paradoxal, qui accompagne la transition et la réinsertion sociale autant qu’il les contraint.

Entre transition vers l’âge adulte et réinsertion sociale : les défis des jeunes adultes judiciarisés sous la LSJPA

L’entrée dans l’âge adulte représente une transition charnière pour tous les jeunes, avec des défis particuliers pour ceux judiciarisés sous la LSJPA. Elle se déploie sous un triple prisme : chronologique, développemental et social (Longo, 2016). Ce processus implique tout d’abord une avancée biologique en âge qui, pour les jeunes dits contrevenants et selon la perspective plutôt déterministe de la criminologie développementale, les mènerait vers une sortie de la délinquance au début de l’âge adulte (Farrington, 1986 ; Gottfredson et Hirschi, 1990). Mais ce cheminement chronologique est aussi ponctué par des bornes administratives et légales qui structurent les parcours (Lalive d’Épinay, Bickel, Cavalli et Spini, 2005 ; Mayer et Schoepflin, 1989). Si le système de justice des mineurs concerne les auteurs d’infractions commises avant leur majorité civile à 18 ans, il est courant d’envisager le début de la transition vers l’âge adulte dès les 16 ans et la fin de la scolarité obligatoire (Bélisle, Yergeau, Bourdon, Dion et Thériault, 2011). Les jeunes judiciarisés entre 16 et 21[2] ans sont donc directement concernés par cette transition. Elle se poursuit d’ailleurs jusque dans la trentaine, dans un contexte d’allongement de la jeunesse (Galland, 2011). Le passage vers l’âge adulte suppose également des transformations identitaires fondées sur le développement individuel (Arnett, 2000) qui s’articulent, pour les jeunes dits contrevenants, à celles en jeu dans leur cheminement vers la sortie de la délinquance (Barry, 2007 ; Villeneuve, Fortin-Dufour et Turcotte, 2019). Enfin, la transition se caractérise par un mouvement d’autonomisation (de Singly, 2000) notamment matérialisé par l’endossement des marqueurs sociaux multidimensionnels rattachés à l’âge adulte : traditionnellement, il s’agit d’être en emploi, d’occuper un logement, d’être en couple et de devenir parent au fil de parcours non linéaires (Galland, 2011). Pour les jeunes suivis au pénal, ce processus s’avère plus complexe que pour leurs pairs non judiciarisés, avec des marqueurs sociaux de transition qui témoignent de situations inégalitaires et dégradées : décrochage ou faible niveau scolaires, insertion professionnelle difficile, instabilité résidentielle, instabilité dans les relations amoureuses, problèmes de santé mentale ou encore de consommation de substances psychoactives, etc. (Kang, 2019). Ces difficultés impliquent un passage précipité dans cet âge de la vie (Lanctôt, Cernkovich et Giordano, 2007). La transition s’opère aussi souvent dans la continuité de parcours difficiles : la littérature a notamment déjà montré le fait qu’une proportion importante de jeunes judiciarisés a, par le passé, connu des situations de maltraitance et des prises en charge par les services de la protection de la jeunesse (PJ) (Alain, Marcotte, Desrosiers, Turcotte et Lafortune, 2018 ; Lafortune et al., 2015 ; Payet, Daignault et Lafortune, 2019). Dans ces situations où les jeunes sont « sous double mandat[3] », les marqueurs sociaux d’entrée dans l’âge adulte sont encore plus complexes (Bala, De Filippis et Hunter, 2013 ; Herz et al., 2019), avec les défis d’une sortie abrupte des services de PJ à 18 ans (Mann-Feder et Goyette, 2019). Un impératif majeur se juxtapose à ces obstacles pour les jeunes judiciarisés : la cessation des activités criminelles (Massoglia et Uggen, 2010), que certains marqueurs de transition (emploi, conjugalité) viennent d’ailleurs parfois faciliter (Laub et Sampson, 2001). Généralement, les jeunes suivis au pénal aspirent à se conformer à ces normes sociales (Dumollard, 2020 ; Shapland et Bottoms, 2011). L’ensemble des défis qu’ils rencontrent font alors de leur transition vers l’âge adulte une période socialement importante, qui participe à faire d’eux de futurs adultes insérés dans la société, mais qui est aussi source de vulnérabilités (Abrams et Terry, 2017 ; Nugent Brown, 2017).

Si la judiciarisation au pénal est lue comme un facteur aggravant les parcours en transition (Chung, Little et Steinberg, 2005), elle les accompagne également en s’y superposant et en préparant la sortie des mesures pénales et la réinsertion dans la communauté (Altschuler, 2005). Les parcours juvéniles se construisent en effet en interaction constante avec les cadres d’action publique dans lesquels ils se déploient (Elder, 1999 ; Moulin, 2012 ; Van de Velde, 2015). Au Canada, le niveau institutionnel est régi par la LSJPA votée en 2002. La loi mise sur une importante déjudiciarisation des suivis, une pratique déjà courante au Québec (Trépanier, 2004) qui a été appliquée plus largement à travers le Canada avec la LSJPA (Alain et Desrosiers, 2016 ; Bala, Carrington et Roberts, 2009). Le législateur a aussi voulu limiter les périodes d’enfermement et leur durée (Trépanier, 2004). Ces évolutions se sont articulées au paradigme de gestion des risques (Dufresne et Goupil, 2010) qui prévoit, par l’usage d’outils actuariels, de moduler l’intervention pénale auprès des jeunes dits contrevenants en fonction du niveau de risque qu’ils représentent (Maurutto et Hannah-Moffat, 2007). Cela implique que les moyens et les peines spécifiques sont surtout concentrés autour des crimes plus graves, des auteurs avec des problématiques plus lourdes, plus à risque de récidiver (Hastings, 2009 ; Roberts, 2003), et plus âgés (Bala et al., 2009) (donc qui s’approchent de l’âge adulte). Au Québec, ils ont aussi souvent des antécédents en PJ et sont racisés (Lafortune et al., 2015). Ces outils sont combinés avec les interventions cognitivo-comportementales visant des modifications des schèmes de pensée et émotifs (Le Blanc et Virat, 2015). La criminologie basée sur les données probantes juge en effet tous ces outils comme les plus efficaces pour prévenir la récidive juvénile, et ainsi protéger la société (Andrews, Bonta et Wormith, 2006 ; Cortoni et Lafortune, 2009 ; Landenberger et Lipsey, 2005 ; Lipsey, 2009), contrairement aux seules surveillance, dissuasion et punition (Fortin-Dufour, Alain, Marcotte et Villeneuve, 2015). Au Québec, l’application de la LSJPA opérationnalise ces principes en mettant en place une intervention à la fois différentielle en fonction des profils de jeunes (Cournoyer, 2010) et cognitivo-comportementale (Le Blanc et Trudeau Le Blanc, 2014). Dans la pratique, cela passe par différents programmes, tant dans les milieux de placement fermés en centre de réadaptation[4] (Lanctôt et Lemieux, 2012 ; Le Blanc et Trudeau Le Blanc, 2014) que dans les peines suivies dans la communauté, par exemple avec des suivis intensifs (Sallée, 2020 ; Weaner et Alain, 2010 ; Weaner, Lemay et Genest, 2010). Concrètement, les interventions cliniques s’opèrent par une mise en tension constante entre accompagnement et surveillance dans le parcours, entre réinsertion et punition, c’est-à-dire entre un soutien dans les différents pans de la vie (trouver une formation/un emploi, gérer la consommation de substances psychoactives, améliorer les liens familiaux, etc.) et un contrôle des activités et des conduites (Couture-Dubé et Fortin-Dufour, 2020 ; Sallée, 2018, 2020 ; Villeneuve, Fortin-Dufour et Turcotte, 2020). Alors que les jeunes judiciarisés présentent des difficultés multiples, ces interventions pénales sont aussi menées en lien avec plusieurs autres organisations (Maschi, Hatcher, Schwalbe et Rosato, 2008), malgré une centralisation et un certain cloisonnement du système québécois de justice juvénile (Alain, 2015).

Finalement, les travaux sur l’intervention pénale auprès des jeunes judiciarisés étudient les modalités de travail utiles pour leur non-récidive ou encore les pratiques professionnelles en oeuvre. Cependant, à notre connaissance, les recherches ont plus rarement présenté les formes particulières de soutien à la transition à la vie adulte des jeunes judiciarisés, bien que le MSSS chargé de l’application des mesures de la LSJPA au Québec stipule qu’elle est intimement liée au processus de réinsertion sociale. Plus rares encore sont les travaux qui interrogent les expériences et regards juvéniles, souvent délaissés au profit des discours professionnels (Chantraine, 2005 ; Sallée et Jaspart, 2017). L’objectif du présent article est donc de mieux comprendre les formes de soutien pénal pour la réinsertion sociale lors du passage vers l’âge adulte à travers l’étude des perceptions des jeunes judiciarisés.

Perspective conceptuelle

Le présent article endosse une perspective de compréhension de l’action publique sociojudiciaire. Cette dernière renvoie aux interventions collaboratives et partenariales entre acteurs institutionnels, communautaires et privés (Lascoumes et Le Galès, 2007). Dans le secteur sociojudiciaire, elle concerne le système pénal, mais aussi ses partenaires des politiques sociales (services scolaires, de santé, Carrefours jeunesse emploi [CJE], Auberges du coeur, PJ, etc.) mobilisés auprès des jeunes en situation de vulnérabilité. C’est en ce sens que l’action publique devient « sociopénale » ou « sociojudiciaire » (Fortin-Dufour, 2011). Dans le présent article, la focale est cependant placée sur une partie précise de cette action publique : les interventions pénales. L’analyse y est envisagée « par le bas » (Hassenteufel, 2011), en privilégiant les regards juvéniles. Il s’agit de décaler la focale au-delà des agents de terrain qui produisent l’action publique (Lipsky, 1980), par exemple des délégués jeunesse accompagnant certaines peines de la LSJPA (Couture-Dubé et Fortin-Dufour, 2020 ; Sallée, 2020 ; Sallée, Mestiri et Bourdages, 2020 ; Villeneuve et al., 2020). Le prisme ici privilégié est au contraire centré sur les destinataires de l’action publique (Warin, 1999) qui, dans leur « rapport ordinaire » aux institutions (Spire, 2016), méritent d’être considérés comme des acteurs à part entière de l’action publique. Au fil du récit de leur parcours et des expériences de suivi, ils révèlent leur « réception de l’action publique », soit leurs perceptions des modalités d’intervention qu’elle déploie et de ses effets (Revillard, 2018). Ces conséquences peuvent être soit matérielles (sur les conditions de vie), soit symboliques (sur les représentations, les modes de pensées, etc.) (Revillard, 2018). C’est par l’analyse de ces effets vécus et repérés par les jeunes que les perceptions des modalités de soutien à la transition vers l’âge adulte, et par extension à la réinsertion sociale, sont discutées dans le présent article.

Dispositif méthodologique

L’article mobilise les données issues d’une thèse de doctorat[5] traitant des perceptions des jeunes judiciarisés sous la LSJPA à l’égard de l’action publique soutenant leur transition vers l’âge adulte. Les données présentées ont été collectées à partir d’une méthodologie qualitative et compréhensive. Concrètement, un sous-échantillon a été constitué parmi les 1136 répondants à la première vague d’enquête de l’Étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJeP)[6] : 403 avaient un statut sous la LSJPA dans leur dossier administratif[7], en plus d’un statut en PJ ; 49 ont été sélectionnés sur la base de trois critères : l’âge (entre 17[8] et 21 ans) ; le fait de purger une peine particulière de la LSJPA dans la communauté[9] ; le territoire (trois régions administratives[10]) ; 43 jeunes ont alors été joints par téléphone grâce aux coordonnées consignées dans l’EDJeP ou à un travail de retraçage lorsqu’elles n’étaient pas à jour ; 6 étaient injoignables. Au final, 16 jeunes ont accepté de participer à une entrevue individuelle entre juillet 2018 et janvier 2019, pour laquelle ils ont reçu une compensation financière de vingt dollars.

La rencontre, de 40 minutes à trois heures et inspirée du récit de vie, visait à saisir les éléments objectifs – les interventions de l’action publique sociojudiciaire – entourant les parcours en transition (Bertaux, 2010). Il s’agissait de comprendre les perceptions de l’action publique à partir de la référence spontanée à certains suivis dans les récits juvéniles (Revillard, 2018). L’entrevue s’est parfois déroulée de manière très ouverte, avec des questions d’approfondissement, quand d’autres ont adopté un format semi-dirigé pour accompagner les mises en récit plus délicates. Le Tableau 1 présente 15 jeunes hommes parmi les 16 participants[11], pour lesquels plusieurs marqueurs de transition vers l’âge adulte révèlent de nombreuses difficultés. En lien avec l’échantillonnage de l’EDJeP, la plupart ont révélé avoir été suivis, de façon ponctuelle ou plus longue, en PJ.

L’analyse des entrevues a été menée en trois étapes : la reconstitution des parcours individuels ; la codification ouverte des données brutes (Thomas, 2006) ; la combinaison abductive des thèmes émergents et des concepts (Anadón et Guillemette, 2007). Ce travail a finalement permis de saisir les perceptions juvéniles des modalités d’intervention sociojudiciaire lors de l’entrée dans l’âge adulte et, par extension, des formes de soutien à la réinsertion sociale.

Résultats

En caractérisant le quotidien des suivis sociojudiciaires marquant leur parcours, les participants ont indirectement donné à voir les buts qu’ils visent et les objets sur lesquels ils portent lors de l’entrée dans l’âge adulte. Les interventions pénales évoquées se déploient dans deux contextes : les unités des CR ; les suivis dans la communauté. Dans ces cadres, trois axes se dessinent dans les discours : l’autonomisation, la mise en action et la responsabilisation comportementale. Cependant, les analyses montrent que ces trois entrées et la manière dont les outils et les interventions les appréhendent sont vécues de manière paradoxale et ambivalente par les jeunes judiciarisés.

Entre autonomisation et encadrement

Les récits des parcours juvéniles ont mis en exergue la dimension d’accompagnement de leurs suivis sociojudiciaires. Elle est d’une part matérielle, en visant l’acquisition de compétences pour la gestion concrète du quotidien. Il s’agit d’apprendre à faire et gérer un budget, « des choses de base » mais essentielles selon un participant. Les intervenants de la LSJPA, comme ceux de la PJ le font par moments pour certains, jouent un rôle de conseillers dans les démarches financières. C’est ce qu’expérimente Lekha (17 ans) avec sa déléguée jeunesse. Il a été placé dès son enfance en PJ et a fait l’objet d’une probation à 15 ans. Il travaille en parallèle de ses études et assume, depuis sa sortie de placement en foyer de la PJ il y a quelques mois, les coûts d’une grande partie des dépenses familiales avec sa soeur. Sa mère est dans l’incapacité d’assumer ces coûts et son père violent n’est plus en lien avec eux. Lekha explique alors que son intervenante pénale l’aide dans la planification financière :

C’est pas sa job de faire ça, mais elle le fait de même […]. Questions budgétaires, pour placer mon argent à la banque, elle m’aide à comment le faire, comment faire ça. Qu’il faut pas que les banques te crossent genre.

Cet élément est d’autant plus important que les participants associent souvent responsabilité financière et être adulte. Payer ses factures et son loyer représente, dans les récits, un élément marqueur de cet âge, comme le décrit Simon (19 ans) lorsqu’il aborde son quotidien de jeune adulte. Sous le coup d’une probation de la LSJPA mais aussi du système pénal pour adultes, il a été placé en PJ dès sa petite enfance et vit dans une précarité financière depuis sa sortie du Centre jeunesse à 18 ans. Il est aujourd’hui endetté, ne peut compter sur le soutien de sa mère, et dispose seulement de l’aide sociale en plus d’un revenu non déclaré et instable :

Tu te rends compte que le premier du mois, quand qu’il faut que tu paies le loyer pis les factures, il arrive vite en crisse.

Outre les aspects matériels, le soutien à l’autonomisation passe aussi par l’accompagnement dans diverses démarches d’insertion socioprofessionnelle. Pour ce faire, les intervenants de la LSJPA conduisent, sinon envoient les participants vers d’autres professionnels compétents pour les aider à cheminer. C’est ce qu’explique Logan (18 ans). Il a passé plus d’un an en détention puis en garde ouverte, et vient de sortir récemment en surveillance. Il raconte « ne rien faire » de ses journées, hormis passer du temps chez une voisine ou avec plusieurs amis. Cependant, d’après les conditions de sa probation, il doit être en emploi/formation ou en recherche d’emploi. Ses délégués jeunesse vont ainsi prochainement l’accompagner dans une ressource en employabilité. C’est cette rencontre qui pourra, selon ce qu’ils lui ont dit, l’aider à trouver un emploi. Ces éléments sont évoqués par les participants lorsqu’ils décrivent les interventions en lien avec la question de leur autonomie, une notion que ces derniers utilisent « beaucoup, beaucoup, beaucoup », selon Benjamin (19 ans). Pour lui qui a connu la PJ dans l’enfance et la LSJPA à l’adolescence, il s’agit finalement de se préparer au fait que c’est : « Ton autonomie qui embarque. C’est pas les autres qui vont venir faire tes affaires à ta place. »

Tableau 1

Présentation des participants

Présentation des participants

Tableau 1 (suite)

Présentation des participants

Légende : a. sans activité ; b. en recherche d’emploi ; c. aux études ; d. en emploi.

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Si les participants reconnaissent un soutien à l’autonomisation, l’exposé de leur parcours démontre cependant les contradictions qui le traversent. En effet, les récits témoignent de conditions de suivi qui restreignent parallèlement l’autonomie. L’enfermement en CR tout comme les conditions de suivi dans la communauté participent de ce mouvement paradoxal. Pour l’enfermement, les récits le présentent comme une épreuve communément vécue à travers sa dimension carcérale et ses restrictions multiformes. L’encadrement des activités caractérise cette expérience. Les participants rapportent en effet le rythme soutenu de la vie dans les unités du CR, ponctué d’activités multiples et encadrées (école, sports, activités cliniques, rencontres de suivi, etc.). Elles laissent peu de marge de manoeuvre dans l’emploi du temps ; ce dernier y est serré et contrôlé. C’est ce que suggère la description de Lekha (17 ans) lorsqu’il distingue, avec une consonance militaire (« tac tac tac »), plusieurs milieux de placement, dont la garde fermée au pénal :

[…] Une garde fermée, tsé une unité, c’est plus genre tac tac tac. T’as une heure, t’as une programmation. Mettons tu te lèves à 8 heures, tu déjeunes à 8 h  30, tac tac tac tac. Tandis qu’en foyer de groupe, t’as un horaire adapté à ta situation. Si tu as des rendez-vous… tsé, tu peux sortir avec des amis. Tandis qu’en unité, tu peux pas sortir avec tes amis […].

Dans ce cadre, l’autonomie ne semble pas y être pleinement expérimentée. Au contraire, même si les intervenants en parlent régulièrement, « t’es zéro autonome, t’es obligé », selon les termes employés par Nassim (18 ans) lorsqu’il explique la différence entre la garde ouverte et la garde fermée, auxquelles il a été condamné quatre fois. Malgré son nom (la garde « ouverte ») et l’idée d’une plus grande autonomie accordée aux jeunes, Nassim déplore le fait que les gestes du quotidien y sont soumis à de nombreuses règles, même le simple fait de se brosser les dents. D’ailleurs, le décalage est grand au moment de la sortie. Il le souligne lorsqu’il parle des « provisoires » dont les jeunes sous garde peuvent bénéficier comme « préparation » à la sortie. Lui a mal vécu cet écart entre le dedans, réglé, et le dehors :

Quand je suis sorti, on est jamais assez prêt, mais tu comprends, c’est mieux [les provisoires] que genre… parce que moi j’ai déjà fait des temps, paf je sors, là tu comprends rien.

Il est pertinent de souligner ici que les participants n’ayant pas été mis sous garde ont expérimenté ce même type d’encadrement lors de placements en CR relevant de la PJ (Dumollard, 2020).

Lors des suivis pénaux dans la communauté, les conditions de la peine viennent là aussi encadrer les activités juvéniles. Le couvre-feu en est l’expression ultime. L’obligation de rentrer à une heure fixe restreint les activités et fragilise les plus grandes liberté et autonomie pourtant initialement ressenties. Melvin (18 ans) l’exprime lorsqu’il évoque les conditions de sa probation en cours. Lui a par ailleurs déjà été placé dans plusieurs unités fermées en CR, à la fois au pénal et en PJ. Après la perte de ses parents pendant l’enfance, il a en effet connu une série de déplacements chez plusieurs membres familiaux, puis été placé en PJ quand il a commencé « à se rebeller », « faire des mauvais coups ». Si les unités fermées étaient « strictes », il explique au sujet du couvre-feu dans la communauté :

Moi c’est vraiment le couvre-feu qui me dérange là […]. Je veux pas rentrer à 11 heures, mais j’ai pas le choix là. […] C’est emmerdant. Je suis pas libre là. Je suis pas libre. Je peux pas bien vivre comme je suis pas libre.

Entre mise en action et mise en suspens du parcours

En complémentarité de l’autonomisation individuelle recherchée, les suivis sociojudiciaires visent aussi la mise en action des jeunes judiciarisés sous la LSJPA. Deux éléments la soutiennent : d’un côté le plan d’intervention, de l’autre l’emploi. Régulièrement actualisé, le plan d’intervention fixe tout d’abord des objectifs à atteindre et les moyens à déployer pour y parvenir, comme le décrit Nassim (18 ans) :

Un plan d’intervention, c’est mis en place pour t’aider premièrement. C’est obligatoire. Ta mère, tes parents vont être obligés d’être présents, puis c’est fait avec ton éducatrice et ta déléguée. […] C’est des objectifs, pis c’est quoi que tu vas faire pour les atteindre.

Plusieurs jeunes sont cependant critiques face à cet outil d’« aide » « obligatoire », selon les termes paradoxaux de Nassim. Demeure le sentiment de ne pas réellement pouvoir influencer les objectifs établis. Nassim poursuit le paradoxe : « On les définit ensemble. […] T’as aucun mot à dire. Ils te font croire que t’as ton mot à dire. » Il témoigne alors d’une appropriation plutôt limitée des objectifs de ses plans d’intervention, que peu de participants sont d’ailleurs en mesure de nommer.

Ils citent en revanche tous un objectif d’insertion professionnelle. En effet, pour respecter les conditions associées à leur peine dans la communauté, les participants ont l’obligation d’être en formation ou en emploi, ou minimalement en recherche active. L’employabilité figure donc souvent parmi les visées connues du plan d’intervention, et une modalité du suivi pénal systématiquement citée est l’accompagnement vers l’emploi. Les participants expliquent à cet égard que leur délégué jeunesse les adresse à des ressources spécialisées, particulièrement les CJE. Pour eux, il s’agit là d’une des (rares) conséquences positives du suivi pénal. Certains, comme Melvin cité supra, ont en effet trouvé un programme d’aide à l’employabilité ou un emploi grâce à leur délégué jeunesse qui les a accompagnés pour déposer des curriculum vitae ou dans un CJE. À la question de savoir si, malgré le fait qu’il ne se sente pas libre avec sa probation, il a appris des choses dans le cadre de ses différentes mesures pénales, il répond :

Ouais j’apprends des choses. C’est sûr que si j’aurais pas tout, j’aurais peut-être pas travaillé, j’aurais peut-être continué à faire des bisbilles par-ci, par-là […]. Mais c’est ça, ouais, ça a aidé à changer des choses parce qu’il y a des affaires peut-être que j’aurais jamais fait là. Comme quoi par exemple ? Emploi Québec, j’aurais jamais connu ça, j’aurais jamais été là. […] Il y a plein d’affaires que je développe. […] La première chose je me dis, parce que c’est aussi grâce à ma déléguée un peu si j’ai eu ce travail-là, parce qu’elle m’a amené à Emploi Québec, le programme [Départ@9]. Quand j’étais dans le programme, là j’ai trouvé le travail. Mais j’aurais jamais connu ma déléguée, j’aurais pas connu le programme, puis j’aurais pas eu l’aide sociale en attendant, plus l’argent du programme.

Ceci n’est pas anodin tant l’emploi représente, pour tous les participants, un marqueur de leur future vie d’adultes indépendants. En outre, selon leurs perceptions des objectifs d’intervention, il s’agit d’un moyen de rester éloigné de la criminalité, de ne pas être « laissé trop loose », d’avoir « trop de temps pour [soi]-même » et de « [faire] du vagabondage », comme le décrit Miguel (17 1/2 ans). Travailler ou étudier est d’ailleurs toujours associé au fait de « faire ses affaires » et permet d’alléger les contraintes du système pénal. C’est le cas de Prosper (18 ans), actuellement en probation après plusieurs mises sous garde. Il n’a dernièrement pas respecté son couvre-feu parce qu’il n’a pas pu répondre à une vérification de la déléguée jeunesse : « [Il s]’étai[t] endormi. » Il pense cependant seulement risquer une sanction minime, parce qu’il travaille et est aux études :

Mon avocat m’a dit, comme j’ai bien fait mes affaires. Parce que c’était en novembre que j’avais fait ça. Donc là, le reste du temps je me suis bien comporté, donc on m’a dit j’aurai sûrement un truc, là, j’ai oublié le nom, mais j’aurai pas un gros truc.

Malgré le travail pour impulser la mise en action des jeunes judiciarisés, une certaine mise en suspens des parcours transparaît aussi dans leurs propos. Les longs parcours de prise en charge et les allers-retours entre les murs des unités de placement en CR et hors des murs participent au ralentissement du cheminement individuel. Ibrahim (18 ans), aujourd’hui en probation, l’a expérimenté lors d’un placement en garde ouverte et en unité d’encadrement intensif de la PJ. Lorsqu’il parle de son parcours, il explique qu’il a « manqué [s]on adolescence » et a été plongé « directement dans la vie d’adulte », sans avoir toutes les cartes en main pour l’affronter. Les récits mettent en évidence le sentiment qu’une parenthèse se prolonge, une période hors de la « vraie vie », selon plusieurs, pendant laquelle peu de choses, voire rien n’a été accompli. C’est ce qu’explique Miguel (17 1/2 ans), impatient de goûter à son indépendance après des placements sous garde depuis ses 16 ans, en PJ depuis ses 11 ans. Lors de l’entrevue, il se trouve en unité d’encadrement dynamique élevé de la PJ. À seulement quelques semaines de sa sortie du CR et encore sous probation, il dresse un bilan qui le préoccupe : même si ses mises sous garde lui ont permis d’avancer dans sa scolarité (la seule chose positive à ses yeux), il n’a ni terminé son secondaire ni trouvé un emploi. Il déclare alors : « Je suis tanné d’être ici [en CR] là ! Ici, je glande là, je perds mon temps là. »

Entre responsabilisation comportementale et mise à distance

Pour pouvoir cheminer et devenir autonomes, les jeunes judiciarisés sous la LSJPA voient leurs émotions et leurs comportements placés sous la lunette des suivis. À travers l’autonomisation et la mise en action, les comportements et réactions juvéniles sont appelés à s’adapter et évoluer. Deux outils visent à soutenir ces transformations : les activités cliniques et les « réflexions ». Elles cherchent la déconstruction des comportements dits « antisociaux » pour promouvoir, à l’inverse, l’acquisition de comportements dits « prosociaux » – les « affaires prosociales » dans les termes de plusieurs participants. Selon les expériences rapportées, l’objectif est en effet que les jeunes analysent leurs manières de penser et d’agir pour, à terme, changer leurs cognitions et modes d’action. Les activités cliniques, rapidement présentes dans les récits, ont lieu autant dans les unités de placement pénal (et de la PJ pour certains) qu’au fil des suivis hors des murs. Elles abordent la « régulation de la colère », la « gestion du stress », le « programme alternatif à la violence », le « parcours délinquant » ou encore les « habiletés sociales », comme l’énumèrent les participants. Simon (19 ans) explique ces activités connues lors des placements en PJ et de plusieurs probations :

Ils [les intervenants] donnaient un thème à chaque semaine. Il fallait que tu décrives la situation qui s’était passée. Mettons […] une situation cette semaine où est-ce que tu t’es senti en colère. Il faut que tu décrives la situation, ta première pensée, ta pensée secondaire, tes émotions, tes sensations. Mettons j’ai serré les poings, mon coeur battait plus vite. Dans l’fond après, ça, c’est ma réaction, ce que j’ai fait, mon comportement, pis conséquence. Ça, on en avait trois par semaine. […] Gestion de la colère. […] Détecter mes émotions, pis comprendre mes émotions, pis respirer, trouver des moyens […].

Les « réflexions », qui sanctionnent les comportements problématiques dans les unités de placement, prévoient une autoévaluation similaire, cette fois à l’écrit, du processus menant aux réactions individuelles. Simon poursuit sur ce qui est demandé dans cette sanction qu’il associe à « des conneries » :

Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu vas faire autrement ? C’était quoi les impacts sur toi, sur les autres, sur les intervenants ? Euh… des conneries de même là.

Ce travail comportemental et la mise en application des conseils prodigués par les intervenants sont parfois utiles, comme pour Jordan (17 1/2 ans). Il est en probation, n’a jamais fait de garde, mais a été placé pendant plusieurs années en CR en PJ. À quelques semaines de la fin de ses suivis sociojudiciaires, lorsqu’il évoque ces activités, il reconnaît que « ça [l]’a aidé un peu » et a fait évoluer « [s]on impulsivité, [s]on agressivité, [s]es gestions d’humeur, [s]on langage surtout ». Si son « caractère et [s]on attitude [s]ont restés de même », désormais son « contrôle, [il l’a] plus ».

Pour passer à travers l’épreuve de ces outils qui visent à « changer » les jeunes selon Jordan, les participants apprennent à faire et dire ce qui est attendu d’eux. Ce faisant, ils vident en quelque sorte de leur sens les activités cliniques comme les réflexions. Pour les premières, Prosper (18 ans) raconte avoir vaguement appris des choses lors des activités cliniques en garde, sans jamais les appliquer : « J’écoutais, comme si je me préoccupais pas. J’étais juste là. Ça rentrait, ça sortait. » Quant aux réflexions, il s’agit d’écrire les bonnes réponses aux questions des intervenants, mais de « s’en foutre », comme l’explique Nassim (18 ans) à propos de ses séjours en garde :

À la fin quand ils me mettaient en réflexion, que tu sois d’accord ou pas, tu remplissais, t’écrivais ce qu’ils voulaient. C’est tout. D’écrire, c’est comme quoi par exemple ? […] Ben genre on est en arrêt de groupe tu comprends pour un cellulaire. […] Ils vont te poser la question, ils vont dire : « Tu t’es fait prendre avec un cellulaire. » Tu dis : « Ouais, mon cellulaire, quelqu’un me l’a jeté à la cour, je l’ai pris, j’ai pas réfléchi sur le coup, je l’avais gardé […]. » Ils vont dire : « […] C’est quoi dans le règlement… pourquoi on interdit les cellulaires ?  » « Parce que ça permet la communication avec l’extérieur, ça restreint vos trucs contrôle tu comprends sur ce qu’on dit puis tout, puis c’est pas permis en milieu fermé. » Là, tu t’engages à ne plus faire rentrer de cellulaire tout ça, puis tu t’en fous.

Les participants révèlent donc aussi mettre à distance ces outils et les changements comportementaux attendus.

Conclusion et discussion

Les résultats présentent les perceptions de jeunes judiciarisés en vertu de la LSJPA des suivis pénaux qui jalonnent leur parcours lors de la transition vers l’âge adulte, un processus charnière pour la réinsertion sociale des jeunes suivis sous la LSJPA (MSSS, 2017). Les analyses mettent en lumière un triple prisme par lequel est perçu le soutien pénal : l’autonomisation dans les démarches du quotidien, la mise en action et la normalisation des comportements et cognitions. Les interventions perçues par les participants ciblent ainsi plusieurs aspects déjà présentés au coeur de la transition vers l’âge adulte : l’autonomisation (de Singly, 2000) ; l’insertion par l’emploi (Galland, 2011), considérée comme centrale dans les parcours des jeunes judiciarisés pour accompagner leur éloignement de la délinquance (Laub et Sampson, 2001 ; Massoglia et Uggen, 2010) ; ou encore les transformations individuelles et développementales (Arnett, 2000). Les résultats caractérisent cependant aussi le fait que ces perceptions s’articulent à des mouvements parallèles, a priori paradoxaux, pouvant influencer, à terme, la réinsertion sociale. Ces mouvements encadrent les parcours, les mettent en suspens et suscitent des comportements que les interventions cherchent pourtant à corriger. Alors que l’entrée dans l’âge adulte est déjà plus complexe pour les jeunes suivis au pénal (Abrams et Terry, 2017 ; Kang, 2019), les résultats montrent donc que les modalités d’intervention, telles que des jeunes judiciarisés les perçoivent, viennent créer des contextes en tension autour de leur parcours en transition. Les interventions pénales ne participent pas seulement à l’accompagnement dans la définition d’un projet de vie (Couture-Dubé et Fortin-Dufour, 2020) et la saisie de « grappins à changement » utiles pour l’éloignement de la délinquance (Giordano, Cernkovich et Rudolph, 2002 ; Villeneuve et al., 2020) socialement attendu à l’âge adulte (Massoglia et Uggen, 2010). À partir des perceptions qu’en ont et des expériences qu’en font des jeunes judiciarisés, l’article montre que ces soutiens comportent aussi et surtout une dimension paradoxale dans les parcours. Plus qu’un soutien uniforme pour la sortie de la délinquance, les suivis endossent, finalement, un caractère ambivalent. À ce titre, cette ambiguïté exprimée rejoint pleinement les conclusions des travaux qui soulignent la tension constante entre accompagnement et surveillance dans les suivis pénaux de la LSJPA (Sallée, 2018 ; Sallée et al., 2020 ; Villeneuve et al., 2020). Le présent article vient alors caractériser comment certains jeunes perçoivent et vivent les formes de cet accompagnement (autonomisation, mise en action, évolutions cognitives et comportementales) et de cette surveillance (restrictions à l’autonomie, parcours en suspens, mise à distance). Ce faisant, il montre d’une part que la réinsertion sociale s’articule, comme le stipule la loi, à la réadaptation qui vise des changements comportementaux pour une meilleure intégration à la société (Quirion, 2012). Il illustre d’autre part que les modalités d’intervention jugées les plus efficaces pour prévenir la récidive juvénile – les interventions cognitivo-comportementales et l’intervention différentielle (Andrews et al., 2006 ; Lipsey, 2009) – produisent des effets plus larges au-delà de la seule récidive, et sont vécus de manière complexe par les jeunes judiciarisés. Enfin, l’analyse de ces effets perçus met l’accent sur le fait que le soutien à la transition, et par extension à la réinsertion sociale, passe par une plus grande responsabilisation individuelle. Cette dernière, intimement liée à l’autonomisation (Quirion, 2012) et le fait de répondre aux normes sociales propres à l’âge adulte (Roux, 2014), passe notamment par le fait d’être actif, malgré les perceptions juvéniles de mise en suspens de leur vie. Cette forme de responsabilisation individuelle, bien que réductrice du contexte social dans lequel se déploient les parcours (Barry, 2020), rencontre ici les principes mêmes de l’État social actif, qui vise l’activation des jeunes en situation de vulnérabilité par l’emploi (Binet, 2020 ; Lima, 2012). La réinsertion sociale des jeunes judiciarisés sous la LSJPA lors de leur transition vers l’âge adulte relève alors aussi d’une forme d’hybridation entre l’État pénal et l’État social (Bugnon et al., 2020).

Il est important de souligner que l’interprétation de ces résultats ne prétend pas à la généralisation compte tenu du nombre de participants à la recherche. D’autre part, elle concerne des jeunes autour desquels la judiciarisation s’est resserrée (notamment quand il y a récidive et un double mandat [Lafortune et al., 2015]) et qui, compte tenu des critères d’échantillonnage de l’EDJeP, ont connu des mesures sociojudiciaires et de placement nombreuses. Ces dernières ne sont donc pas neutres sur leurs expériences et leurs regards, parfois critiques, des suivis. À l’avenir, il sera intéressant de poursuivre ces réflexions auprès d’une population plus large concernée par la LSJPA, en questionnant les liens entre l’expérience juvénile au pénal et en PJ, ou encore en croisant les discours juvéniles et les professionnels pour mieux appréhender les formes de la réinsertion sociale dans le système québécois de justice des mineurs.