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Introduction

En réponse aux travaux sur la situation des fugues liées à l’exploitation sexuelle en centre de réadaptation (LeBon, 2016), le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a développé en 2018 un plan d’action intitulé Les fugues en centre de réadaptation pour jeunes en difficulté d’adaptation : prévenir et mieux intervenir. L’objectif poursuivi dans ce plan d’action est de contribuer à la mise en place d’actions qui favorisent un meilleur accompagnement des jeunes et de leurs parents (Gouvernement du Québec, 2018). Dans cette visée, l’orientation 1 du plan d’action soutient que l’offre de services des centres de réadaptation se doit d’être adaptée aux besoins des jeunes à risque. Qui plus est, la mesure 1.1 du plan provincial prévoit d’assurer la révision et l’harmonisation de l’offre de services des centres de réadaptation pour jeunes en difficulté. Suivant cela, une étude administrative[2] faisant un état de la situation des jeunes hébergés en centre de réadaptation (CR) et en foyer de groupe (FG) au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale a été réalisée. Cet article présente les résultats de cette étude.

L’adolescence, une période de transition

L’adolescence représente une période de changements qui apporte divers niveaux de stress dans la vie des adolescents et place ces derniers dans une position de vulnérabilité (Chung et Elias, 1996 ; Gouvernement du Québec, 2002 ; Gouvernement du Québec, 2017 ; Petersen et Leffert, 1995). Cette période est caractérisée par différentes tâches de développement et elle représente le moment de la prise d’une identité (Erickson, 1959). C’est au cours de cette période que les jeunes « s’engagent pour la première fois dans la construction de leur propre univers social » (Claes, 2003, p. 8). L’adolescent doit se forger une identité en dehors de son milieu familial. Ce besoin d’expérimentation et d’autonomisation peut l’amener à adopter certains comportements risqués (Gouvernement du Québec, 2002 ; Evans et Furlong, 2000 ; Resnick et Burt, 1996). La période adolescente se caractérise par la construction de l’autonomie individuelle mais également par diverses transitions dont celles d’entrer sur le marché du travail, la formation de relations amoureuses, la sortie de l’école secondaire et parfois, la « décohabitation familiale » (Maunaye, 2000, p.60). Cette recherche d’autonomie et d’affirmation de soi devient souvent difficile à concilier avec les demandes des figures d’autorité.

Fréquemment caractérisée de période de tumulte ou de période de crise, l’incidence des comportements problématiques apparaît importante (Gouvernement du Québec, 2002). Ces difficultés s’observent sous la forme de problèmes de comportement extériorisés ou intériorisés (Habimana, Éthier, Petot et Tousignant, 1999 ; Pelsser, 1989 ; Saint-Jacques, McKinnon et Potvin, 2000). Les problèmes de comportement seraient « d’abord et avant tout le lot des adolescents, plutôt que des enfants, et des garçons, plutôt que des filles » (Saint-Jacques et al., 2000, p. 5). En ce sens, Bouchard et Cloutier (2002) précisent que « le fait d’être un garçon augmente significativement le risque de vivre de l’inadaptation psychosociale » (p. 58). Cependant, des chercheurs s’entendent pour dire qu’un nombre croissant de filles présentent des conduites antisociales (Verlaan et Déry, 2006).

Par ailleurs, chaque adolescent est unique mais un certain nombre de besoins demeurent communs à la période adolescente : le besoin d’être aimé, apprécié, rassuré, compris, encadré, d’être reconnu, d’explorer, de développer ses intérêts et le besoin d’intimité (Gouvernement du Québec, 2017 ; Young, 2014). Selon l’Organisation mondiale de la santé (2022) :

Pour grandir et se développer en bonne santé, les adolescents ont besoin d’informations, […] des occasions de développer leurs savoir-faire pratiques ; des services de santé qui soient acceptables, équitables, adaptés et efficaces ; et des environnements sains et favorables. Ils ont également besoin d’occasions de participer véritablement à la conception et à la mise en oeuvre des interventions destinées à améliorer et protéger leur santé. Accroître ces opportunités est essentiel pour répondre aux besoins et aux droits spécifiques des adolescents…

Être un adolescent placé

Pour les adolescents placés, ces tâches de développement ne se présentent pas aussi naturellement et leurs besoins peuvent diverger des adolescents de la population générale. Leur situation de placement complexifie leur épanouissement et les met face à une situation supplémentaire d’adversité. En dehors de sa famille, l’adolescent placé est appelé à s’adapter à un nouveau milieu de vie qu’il n’a pas choisi, à s’adapter à la vie de groupe avec des personnes qu’il ne connaît pas et à redéfinir la relation qu’il entretient avec sa famille. L’incertitude par rapport à son devenir peut s’additionner à toutes les autres sources de stress (Goyette et Frechon, 2013).

Malgré le caractère exceptionnel de la mesure de placement, près d’un jeune sur deux suivis en protection de la jeunesse connaîtra au moins un épisode de placement sous l’égide d’une des trois lois[3] pouvant s’appliquer au Québec. En date du 31 mars 2022, 15 602 enfants vivaient hors de leur milieu familial au Québec. De ce nombre, 2 660 (17 %) vivaient en ressource de réadaptation, c’est-à-dire principalement un centre de réadaptation (CR) ou un foyer de groupe (FG) (Gouvernement du Québec, 2022).

Les adolescents qui vivent une expérience de placement traversent cette période de leur vie difficilement (Marcotte, Simard, Touchette et Dessureault, 2009). Au tournant des années 2000, plusieurs auteurs ont reconnu que les difficultés des adolescents placés s’aggravent au fil des ans (Comité sur la réadaptation en internat des jeunes de 12 à 18 ans, 1999 ; Charles et Nelson, 2000 ; Gaudet et Chagnon, 2003 ; Pauzé et al., 2004) et qu’ils sont de plus en plus délaissés par leurs parents (Gaudet et Chagnon, 2003 ; Marcotte, Drapeau et Beaudoin, 2001). Selon le Comité sur la réadaptation en internat des jeunes de 12 à 18 ans (1999), alors qu’avant certains problèmes se retrouvaient seulement chez une minorité des jeunes hébergés en centre de réadaptation, les intervenants disent retrouver les problèmes suivants chez une majorité de jeunes placés : « troubles graves de la personnalité, comportements antisociaux, toxicomanie, idées suicidaires, carences affectives profondes » (p. 9). De surcroît, plusieurs adolescents placés font face à la nécessité de se trouver un projet de vie et de préparer leur transition à la vie adulte, à un rythme accéléré et souvent sans le soutien de parents ou d’adultes pour les guider (Goyette, 2019 ; Mireault, Bouchard et Pagé, 2013). Ces adolescents sont propulsés dans la vie adulte à un âge souvent plus jeune que la majorité des autres jeunes de leur âge non placés, sachant que cette transition de vie chez les adolescents de la population générale est de plus en plus retardée (Conseil de la famille et de l’enfance, 2002 ; Gauthier, 2000 ; Goyette et Frechon, 2013 ; Maunaye, 2000). En ce sens, des recherches démontrent que les adolescents placés (garçons et filles) ne seraient pas prêts pour la vie autonome lorsqu’ils atteignent la majorité (Avery et Freundlich, 2009 ; Scannapieco, Connell-Carrick et Painter, 2007 ; Freundlich, Avery et Padgett, 2007). Dans leur ouvrage, Charles et Nelson (2000, p. 8) reconnaissent l’importance de les aider à développer des life long connections. Ces adolescents ont besoin d’un réseau de soutien familial, de créer un lien significatif avec un ou plusieurs adultes (Avery et Freundlich, 2009 ; Charles et Nelson, 2000 ; Hyde et Kammerer, 2009 ; Scannapieco et al., 2007 ; Freundlich et al., 2007), ce qui va leur permettre de maintenir des relations qui perdurent dans le temps. Les adolescents placés ont des besoins très spécifiques auxquels il faut répondre de façon adaptée, en tenant compte de leur processus unique de développement (Charles et Nelson, 2000).

Jusqu’à maintenant, plusieurs travaux de recherche soutiennent que le placement en CR rend ces derniers plus susceptibles de présenter des problèmes d’attachement, de développer des problèmes de santé mentale ainsi que des problèmes de comportement, autant intériorisés qu’extériorisés (Águila-Otero, Bravo, Santos et Del Valle, 2020 ; Harder, Knorth et Kalverboer, 2017 ; Perry, 2006). L’étude de Calheiros et Patricio (2014) a évalué les besoins des jeunes placés en CR. Du point de vue des jeunes interrogés dans cette étude, l’éducation, les relations familiales et sociales ainsi que les conditions de vie sont trois domaines de leur vie où ils ressentent des besoins particuliers (Calheiros et Patricio, 2014).

Au Québec, quelques travaux de recherche permettent de mieux comprendre ces besoins et de connaître les caractéristiques des jeunes pris en charge par le système de protection de la jeunesse (Chagnon et Gaudet, 2003 ; Frappier, Duchesne, Lambert et Chartrand, 2015 ; INESSS, 2017 ; Hélie, Collin-Vézina, Turcotte, Trocmé et Girouard, 2017 ; Hotte, 1993 ; Le Blanc, 1995 ; Marcoux, 1993 ; Pauzé et al., 2004 ; Pauzé, Toupin, Déry et Hotte, 1996). Dans une étude des besoins des adolescents suivis au Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire, Gaudet et Chagnon (2003) rapportent que les besoins des jeunes de 12 à 17 ans sont hétérogènes. Ils tracent un portrait assez sombre des difficultés vécues par ces jeunes, en mentionnant les problèmes sévères de santé mentale et la médication associée ; les sérieuses carences affectives des jeunes ; les problèmes graves de comportement, notamment la violence et l’impulsivité ; l’absence de projet de vie qui engendre le désespoir et l’abandon ; l’intégration sociale difficile des 17 ans et plus, ainsi que leur manque d’habiletés sociales qui fait obstacle à celle-ci (Chagnon et Gaudet, 2003). Ces auteurs ajoutent que ces problèmes sont couplés à la lourdeur de ceux vécus par les parents, concernant particulièrement la santé mentale, l’isolement, la toxicomanie et l’instabilité familiale. Les travaux de Frappier et al. (2015) qui documentent la santé des adolescents hébergés en centre jeunesse au Québec dressent également un portrait peu encourageant de ces jeunes sur le plan de leur santé physique et mentale. Ces auteurs soutiennent qu’« en comparaison avec la population générale des adolescents au Québec ou au Canada, pour plusieurs problèmes, conditions de santé ou facteurs de risque, les données sont au moins deux à quatre fois plus élevées chez les adolescents en centre de réadaptation » (Frappier et al., 2015, p. 9). Selon eux, les adolescents placés représentent « un groupe à risque, vulnérable et surtout présentant une grande souffrance ». (Frappier et al., 2015, p. 9). Quant à elle, l’étude de Pauzé et al. (2004) trace un portrait global des jeunes recevant des services des centres jeunesse du Québec, en fonction de différents groupes d’âge (0-5 ans, 6 à 11 ans, 12 à 17 ans). L’étude a, entre autres, révélé la présence de deux sous-groupes parmi les 408 jeunes de 12 à 17 ans composant l’échantillon, soit : les adolescents pris en charge en vertu de la LSJPA et ceux pris en charge en vertu de la LPJ ou de la LSSSS. Par rapport à ce volet de cette vaste étude longitudinale, Pauzé et al. (2004) arrivent à la conclusion de l’hétérogénéité de la clientèle adolescente des centres jeunesse. Non seulement il y a des différences dans les difficultés vécues par les adolescents pris en charge selon la LSJPA et ceux pris en charge selon la LPJ ou la LSSSS mais il y a également des différences dans les difficultés vécues en fonction du genre.

Les différences entre garçons et filles

Certains chercheurs s’entendent pour dire que les difficultés de la clientèle féminine deviennent de plus en plus préoccupantes et diffèrent de celles des garçons (Águila-Otero et al., 2020 ; Lanctôt, 2018 ; Fischer, Dölitzsch, Schmeck, Fegert et Schmid, 2016 ; Paquette, Pauzé et Joly, 2006). Paquette et ses collègues (2006) soutiennent qu’il n’y a pas de différence dans la trajectoire de services des garçons et des filles dans les centres jeunesse. Pourtant, plus de filles que de garçons ont été abusées sexuellement au cours de leur vie et ont eu des idéations suicidaires (Paquette et al., 2006). Selon eux, il importe de considérer l’impact des multiples traumas subis par les filles au cours de leur vie, notamment les abus sexuels. À ce sujet, l’étude de Van Vugt, Lanctôt, Paquette, Collin-Vézina et Lemieux (2014) s’est attardée à l’association entre les mauvais traitements subis durant l’enfance chez les filles et l’apparition de symptômes de trauma au début de l’âge adulte. Les résultats démontrent une association entre différents types de mauvais traitements, essentiellement les mauvais traitements psychologiques et la négligence, et l’apparition de difficultés psychologiques à l’âge adulte, telles que l’anxiété, la dépression et la colère. Dans le même sens, les résultats de l’étude d’Hélie et al. (2017) révèlent que chez les jeunes de 12 à 17 ans avec un incident fondé en protection de la jeunesse, les taux de mauvais traitements psychologiques, d’abus physique et d’abus sexuel sont plus élevés chez les adolescentes comparativement aux adolescents. Sans surprise, les troubles de comportement sont observés principalement chez les garçons.

À la lumière de ces informations, documenter le portrait actuel des jeunes qui sont hébergés en centre de réadaptation et en foyer de groupe apparaît comme étant une démarche essentielle afin d’adapter l’offre de services à leurs caractéristiques et à leurs besoins spécifiques. Connaître les caractéristiques qui distinguent les garçons des filles représente également un pas de plus pour adapter les services et améliorer leur expérience de placement. Ce portrait et cette analyse de besoins constituent « un point d’arrêt » afin de répondre à l’adaptation nécessaire des services aux besoins changeants des jeunes ainsi qu’obtenir des informations pour mieux planifier de nouveaux services et ou modifier ceux déjà offerts (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques et Turcotte, 2000). Aussi, cette étude répond à l’une des préoccupations du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (2021) qui mentionne que : « Il n’existe pas de portrait à jour des caractéristiques des jeunes qui séjournent à l’intérieur des unités de vie et des foyers de groupe » (Gouvernement du Québec, 2021, p. 243).

Objectifs de l’étude

La présente étude se veut avant tout descriptive. Le but poursuivi est d’établir le portrait des jeunes hébergés en CR et en FG, ainsi que de connaître leurs besoins en termes de services. Cette étude comporte donc deux volets : 1) le premier volet consiste à dresser le portrait des jeunes, c’est-à-dire identifier leurs caractéristiques personnelles, familiales et sociales ; et 2) le deuxième volet vise à faire l’analyse des besoins des jeunes placés, plus spécifiquement à déterminer les sphères de vie ainsi que les problématiques pour lesquelles les jeunes hébergés et les adultes impliqués auprès d’eux ont davantage besoin d’information, d’aide, de soutien, d’accompagnement et de services.

Méthodologie

Les sections qui suivent présentent les principaux éléments de la méthodologie employée pour réaliser l’étude dont la constitution de l’échantillon, les méthodes de collecte des données, les considérations éthiques et la stratégie d’analyse des données.

Un échantillon d’adolescents placés

Pour le volet 1, l’échantillon se constitue des jeunes, tous genres confondus, qui séjournaient dans un CR ou un FG du CIUSSS de la Capitale-Nationale le 21 mai 2019, en vertu d’une des trois lois suivantes : la Loi sur la protection de la jeunesse, la Loi sur la santé et les services sociaux ou la Loi sur le système de justice pénale pour adolescent. L’échantillon total est donc composé de 148 adolescents, soit 81 garçons et 67 filles. Parmi eux, 125 jeunes (84,5 %), dont 66 garçons et 59 filles, sont hébergés en CR et 23 jeunes (15,5 %), dont 15 garçons et 8 filles, en FG. Le tableau 1 présente quelques caractéristiques individuelles de ces jeunes. Selon les informations recueillies, les jeunes étaient âgés en moyenne de 15,9 ans au moment de la collecte de données. Une grande majorité des jeunes étaient d’origine ethnoculturelle québécoise (90,8 %) et provenaient d’une région urbaine (86,1 %).

Tableau 1

Informations sociodémographiques des adolescents de l’échantillon

Informations sociodémographiques des adolescents de l’échantillon

En raison des données manquantes, le n pour chacune des variables varie de 135 à 148.

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L’échantillon du volet 2 fait appel, de façon volontaire, aux mêmes jeunes placés en CR et en FG. Ce sont 80 jeunes qui ont accepté de participer à ce volet de l’étude, dont 58,8 % sont des garçons et 38,8 % des filles. Puis 2,4 % des jeunes se disent non binaires ou autre. La moyenne d’âge de ces jeunes est de 15,5 ans ; 67,9 % sont hébergés en centre de réadaptation et 30,9 % en foyer de groupe. Par ailleurs, 141 adultes impliqués auprès de ces jeunes ont accepté de remplir le questionnaire en ligne, soit : 16 parents, 101 éducateurs, 15 chefs d’unité et 9 coordonnateurs professionnels.

Méthode de collecte des données

Pour réaliser le portrait des jeunes (Volet 1). La collecte des données s’est réalisée à partir d’une analyse des dossiers informatisés dans le Système clientèle jeunesse Projet intégration jeunesse (PIJ). Quelques études menées au cours des dernières années dans le domaine du placement d’enfants ont eu recours à l’analyse de dossiers comme méthode de collecte de données (Blanchard, 1999 ; Cordero, 2004 ; Frame, Berrick et Brodowski, 2000 ; Lu et al., 2004 ; Chateauneuf, Poitras, Simard et Buisson, 2021 ; Simard, 2007). L’analyse des dossiers a été effectuée à l’aide d’une grille de collecte de données au dossier, par trois intervenantes de la protection de la jeunesse. Cette grille comporte quatre sections : a) la première porte sur les caractéristiques du jeune (âge, genre, fréquentation scolaire, problématiques vécues par le jeune, etc.), tant sociodémographiques que son histoire de placement ; b) la seconde aborde les caractéristiques des parents (âge, genre, occupation, problématiques vécues par les parents) et du milieu familial du jeune au moment du placement (structure familiale, fratrie, etc.) ; c) la troisième porte sur le maintien des liens et l’implication du ou des parents au cours du placement (fréquence des contacts parent-jeune, sortie dans le milieu familial, participation des parents au suivi du jeune, etc.) ; et d) la quatrième recueille des informations sur les caractéristiques du placement et sur l’intervention effectuée au cours de celui-ci (motifs de prise en charge, motifs de placement, milieu(x) de placement, historique des placements et déplacements, modification(s) du cadre légal durant le placement, changement(s) d’intervenants, suivi par des professionnels, etc.). Cette grille de collecte des données couvre l’ensemble des variables de l’étude. Pour vérifier sa validité, celle-ci a fait l’objet d’un prétest réalisé par les trois intervenantes attitrées à la collecte des données sur dix dossiers d’adolescents placés. La version finale de la grille a été adoptée à la suite de cette validation. La collecte des données s’est déroulée sur une période de trois mois, de juin à août 2019.

Pour analyser les besoins des jeunes placés (Volet 2). La collecte des données a été réalisée à l’aide d’un questionnaire de type Google Forms, rempli par les jeunes, les parents, les éducateurs, les coordonnateurs professionnels et les chefs d’unité. On a fait passer ce questionnaire autorapporté de décembre 2020 à février 2021. Il s’agit d’une stratégie qui présente plusieurs avantages. Plus exactement, cette méthode permet de faciliter le recrutement de répondants qui seraient plus difficiles à joindre autrement, en plus de favoriser le sentiment d’anonymat auprès des participants (Van Selm et Jankowski, 2006 ; Wright, 2005).

Un questionnaire, sondant les répondants sur les besoins des jeunes hébergés en CR et en FG, a été élaboré et adapté sur le plan de la formulation des questions pour chaque catégorie d’acteurs ciblés. Par exemple, les jeunes devaient décrire les activités auxquelles ils participent, exposer une journée type de leur quotidien et préciser les sphères de vie ainsi que les problématiques vécues pour lesquelles ils souhaitaient obtenir plus d’information, de soutien, d’accompagnement, d’aide et de services. Quant aux éducateurs, chefs et coordonnateurs professionnels, ils devaient décrire les approches utilisées, les activités et les programmes mis en place et dire s’ils étaient en nombre suffisant pour répondre aux besoins des jeunes. Ils devaient également préciser, à l’instar des jeunes, les sphères de vie ainsi que les problématiques vécues par les jeunes pour lesquelles ils souhaitent obtenir plus d’information, de soutien, d’accompagnement et de services. De façon plus détaillée, à l’aide de questions à choix multiples et à court développement, les participants ont pu s’exprimer sur leurs besoins en termes d’information, de soutien et d’accompagnement parmi les sphères de vie suivantes : la sphère familiale, les relations avec les pairs, les habiletés sociales, l’identité, l’appartenance culturelle et/ou religieuse, l’autonomie/la vie adulte, la sexualité, la vie amoureuse, la santé mentale et physique, l’alimentation, la sphère scolaire, l’emploi/le marché du travail, la sphère sportive, les loisirs et divertissements, la vie artistique, la vie culturelle, l’informatique, de même qu’Internet et les réseaux sociaux.

De plus, une diversité de problématiques pouvant être rencontrées par les jeunes hébergés dans les CR ou les FG ont été explorées. Une question à choix multiples a été adressée aux répondants afin d’identifier les problématiques vécues pour lesquelles ils souhaitaient obtenir plus d’aide et de service parmi les suivantes : tabac/vapotage, alcool/drogue, sexualité, infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS), grossesse, exploitation sexuelle, violences sexuelles, agression sexuelle, comportements sexuels problématiques, intimidation, fugue, autonomie, transition à la vie adulte, activités délinquantes, problèmes scolaires, problèmes de santé mentale et de santé physique, problèmes alimentaires, problèmes identitaires, problèmes neurodéveloppementaux (TDAH, trouble du spectre de l’autisme [TSA], etc.), problèmes avec les pairs, problèmes familiaux, problèmes relatifs aux habiletés sociales, suicide et tentative de suicide, perception de soi, image de soi, estime de soi, ainsi que dépendance aux jeux vidéo et réseaux sociaux. La liste des sphères de vie et des problématiques a été établie en fonction des besoins des jeunes dans chacune des dimensions de leur développement, en se référant à l’approche S’occuper des enfants (SOCEN) (Flynn et Miller, 2016) et en se basant sur le modèle écosystémique (Bronfenbrenner, 1979). Cette liste exhaustive a fait l’objet d’une validation auprès des membres d’un comité interne de suivi du projet.

Considérations éthiques. L’analyse des dossiers comporte l’avantage de ne pas avoir à demander le consentement des sujets étudiés. Certes, il faut redoubler d’attention lors du traitement des dossiers pour assurer la confidentialité des données et le respect de la vie privée. Les données ont été anonymisées et les informations recueillies sont conservées de façon sécuritaire. Pour la collecte de données à l’aide de Google Forms, le consentement des répondants a été obtenu par le biais d’un formulaire électronique. Pour les adolescents âgés de moins de 14 ans, ce formulaire de consentement devait être signé par un parent ou un proche, détenteur de l’autorité parentale.

Stratégie d’analyse des données. Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse quantitative. À l’aide du progiciel Statistical Package for social Sciences (SPSS) 25, des analyses univariées ont été effectuées afin d’obtenir un portrait détaillé des jeunes de l’échantillon (fréquences, moyennes, écart-type). Ces analyses servent à décrire le profil des jeunes de l’étude mais également à connaître les sphères de vie et les problématiques dont les fréquences sont plus élevées. Cela permet de déterminer où se situent les besoins des jeunes. De plus, des analyses bivariées (test t, khi carré, ANOVAS) permettent de dresser un portrait plus détaillé des jeunes. Elles permettent d’identifier les variables qui ont une différence de moyenne significative ou un lien significatif (p ≤ 0,05), notamment avec le genre du jeune.

Résultats

Volet 1 : Portrait des adolescents placés

Caractéristiques individuelles. Les données recueillies, présentées au tableau 2, ont permis de noter une diversité de difficultés personnelles vécues par les jeunes. Notamment, un peu plus de la moitié de ces jeunes présentent un problème de rendement scolaire et/ou d’apprentissage (50,7 %), ou encore un problème lié à la consommation de drogue et/ou d’alcool (59,5 %). De plus, un problème associé à l’agressivité et/ou de la violence (71,6 %) ainsi que des comportements d’opposition (64,9 %) sont observés chez bon nombre d’entre eux. En outre, près de la moitié de ces jeunes ont un historique en matière de fugue (48,6 %), de même qu’une problématique liée au suicide (48,6 %). Enfin, des informations ont également été recueillies quant à la présence d’un diagnostic posé par un médecin et inscrit au dossier du jeune. À ce propos, il est possible d’observer que près de la moitié des jeunes ont reçu un diagnostic en lien avec un problème de santé mentale (49,5 %). Plusieurs de ces jeunes présentent un diagnostic de problème neurodéveloppemental (70,2 %), principalement de TDAH (43,9 %), et environ un jeune sur cinq a reçu un diagnostic pour un problème de santé physique (20,4 %).

Des analyses bivariées ont permis de constater des différences significatives entre les filles et les garçons de l’échantillon sur le plan des caractéristiques individuelles (voir tableau 2). D’abord, des différences sont notées pour ce qui est des difficultés personnelles. En fait, les garçons présentent plus souvent un problème de drogue ou d’alcool (p = 0,021), d’agressivité ou de violence (p = 0,010), des comportements d’opposition (p = 0,025), de même que des activités délinquantes (p = 0,000). Les garçons sont également plus nombreux à avoir reçu un diagnostic pour un problème neurodéveloppemental (p = 0,001), plus précisément un TDAH (p = 0,002).

Caractéristiques familiales. Les informations recueillies ont permis de documenter les caractéristiques familiales des jeunes. Comme mentionné dans le tableau 3, 40,4 % des jeunes proviennent d’un milieu familial monoparental. En contraste, près d’un jeune sur cinq (19,9 %) provient d’un milieu familial avec la présence des deux parents, alors qu’une proportion similaire (19,1 %) vit plutôt avec les parents en garde partagée. Pour la plupart de ces jeunes, la mère est présente dans le milieu de vie. D’autres informations recueillies se rapportent plus particulièrement aux parents. À ce sujet, il est possible de noter que 79 % des mères et 81,4 % des pères occupent un emploi. Les données permettent également de relever les principales difficultés personnelles vécues par les parents. Notamment, chez les pères, il s’agit de difficultés relatives à la consommation d’alcool et/ou de drogue (14,4 %), des problèmes d’ordre financier (12,0 %), de même que la présence d’une problématique liée à la santé physique (10,4 %). Chez les mères, il s’agit de difficultés relatives à la consommation d’alcool et/ou de drogue (16,5 %), des problèmes d’ordre financier (15,1 %), ainsi que d’une problématique chronique sur le plan de la santé mentale (12,9 %).

Tableau 2

Caractéristiques individuelles des jeunes hébergés

Caractéristiques individuelles des jeunes hébergés

En raison des données manquantes, le n pour chacune des variables varie de 135 à 148. *p <,05 ; **p <,01 ; ***p <.001.

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Des différences significatives sont d’ailleurs observées entre les filles et les garçons en ce qui a trait aux caractéristiques familiales. Le tableau 3 démontre qu’au moment du placement, les garçons sont plus nombreux à vivre avec leurs deux parents en garde partagée (p = 0,009), tandis que les filles sont plus nombreuses à provenir d’une famille monoparentale (p = 0.029). Par la suite, une plus grande proportion de garçons ont une mère qui occupe un emploi (p = 0,032), de même qu’un père qui présente un problème de santé physique (p = 0,039).

Tableau 3

Caractéristiques familiales des jeunes hébergés

Caractéristiques familiales des jeunes hébergés

En raison des données manquantes, le n pour chacune des variables varie de 70 à 147. *p <,05 ; **p <,01

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Caractéristiques de l’intervention. Les caractéristiques de l’intervention constituent un autre aspect ayant pu être documenté par le biais de la collecte de données. Les données présentées dans le tableau 4 démontrent que pour la majorité des jeunes hébergés en CR et en FG, le placement s’est effectué en vertu de la LPJ (91,2 %). Bien que plusieurs motifs variés soient à l’origine du placement, une majorité des jeunes sont placés en raison de troubles de comportement sérieux (81,9 %) et un peu moins de la moitié pour un motif de négligence (42,0 %). En ce qui a trait aux caractéristiques du placement, les données montrent que pour plusieurs jeunes, la demande de placement provient des parents (62,6 %) ou de l’intervenant (66,9 %), alors que pour un peu moins du tiers, cette demande découle d’une ordonnance du tribunal (30,2 %). Ensuite, la présence d’une mesure d’encadrement intensif est notée chez un peu plus du tiers de ces jeunes (34,7 %). Des rencontres avec des professionnels autres que l’intervenant psychosocial ou l’éducateur ont eu lieu pour plusieurs jeunes, notamment un peu plus de la moitié ont rencontré un psychologue ou un neuropsychologue (52,7 %). Par ailleurs, des activités ont été mises en place afin de préparer le retour dans le milieu familial pour environ le tiers des jeunes (31,5 %). De plus, un peu plus de la moitié ont participé à un programme spécial (54,5 %), par exemple le projet Mousquetaires[4]. Enfin, les données ont permis de recueillir des informations quant aux changements survenus lors du placement. À cet effet, il est noté que plusieurs jeunes ont vécu un changement de milieu substitut (67,1 %) ou encore un changement d’éducateur responsable (66 %). En outre, un changement de la personne autorisée a eu lieu pour plus de la moitié des jeunes placés (55,9 %).

Enfin, des comparaisons entre les filles et les garçons ont été effectuées sur le plan des caractéristiques du placement et de l’intervention. Le tableau 4 présente ces distinctions. D’abord, les filles sont plus nombreuses à faire l’objet d’un placement en vertu de la LPJ (p = 0,021), alors que les garçons sont plus nombreux à faire l’objet d’un placement sous la LSJPA (p = 0,016). Pour ce qui est du motif du placement actuel, les filles sont plus nombreuses à faire l’objet d’un placement en raison d’abus sexuel (p = 0,000). Ensuite, pour une plus grande proportion de filles, l’origine de la demande de placement vient d’une ordonnance du tribunal (p = 0,027) ou de l’intervenant (p = 0,034). Au cours du placement, les filles consultent plus fréquemment un psychologue ou neuropsychologue (p = 0,000). Pour leur part, les garçons sont plus nombreux à rencontrer un intervenant en toxicomanie (p = 0,000), ainsi qu’à participer à un programme spécial (p = 0,046). Enfin, les garçons sont plus nombreux à faire l’objet d’une mesure probatoire à la fin du placement (p = 0,002).

Tableau 4

Caractéristiques du placement et de l’intervention

Caractéristiques du placement et de l’intervention

a Significatif selon le test exact de Fisher. bAutres que l’intervenant psychosocial/éducateur.

En raison des données manquantes, le n pour chacune des variables varie de 54 à 148. *p <,05 ; **p <,01 ; ***p <,001.

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Volet 2 : Analyse des besoins des adolescents placés

La perception des adolescents. Les sondages menés auprès des jeunes placés (n = 80) ont permis de cerner les trois sphères de vie pour lesquelles des besoins sont les plus fréquemment rapportés (Figure 1). Il s’agit, plus exactement, des sphères de l’autonomie/vie adulte et de l’emploi (39,5 %), de la famille (35,8 %), ainsi que de la santé mentale (29,5 %). Notamment, lors de ce sondage, plusieurs jeunes mentionnent avoir besoin d’un plus grand soutien en vue de se préparer à la vie adulte (p. ex., apprendre à cuisiner ou à gérer un budget), ainsi que de plus amples informations quant à la santé mentale (p. ex., concernant leurs diagnostics).

Ensuite, les sondages ont permis de noter que les problématiques les plus souvent rapportées, soit la perception de soi/image de soi/estime de soi, les problèmes familiaux, de même que l’école (30,9 %), sont ex aequo. Les amis et les habiletés sociales constituent une autre sphère de vie problématique parmi les plus fréquemment rapportées (21,0 %). Notamment, des adolescents mentionnent des difficultés dans leurs relations avec les pairs pour lesquelles ils auraient besoin de soutien. Finalement, les problèmes neurodéveloppementaux, ainsi que l’alcool et la drogue, se retrouvent également parmi les problématiques les plus souvent rapportées (19,8 %). Du soutien afin de mieux comprendre ces problématiques liées à la consommation d’alcool et/ou de drogue, de même que concernant les problèmes neurodéveloppementaux tels que le TDAH, est plus particulièrement nommé par certains jeunes.

Figure 1

Principaux besoins en pourcentage rapportés par les adolescents placés (n = 80)

Principaux besoins en pourcentage rapportés par les adolescents placés (n = 80)

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La perception des adultes impliqués auprès des adolescents. Les sondages menés en ligne ont également permis de mieux cerner la perception des adultes qui sont impliqués dans la situation des jeunes placés (n = 141) (Figure 2). D’abord, pour ce qui est des sphères de vie pour lesquelles des besoins sont le plus fréquemment rapportés, il s’agit de la santé mentale (66,0 %), de l’autonomie et la vie adulte (44,0 %), et de la sphère familiale de même que l’appartenance culturelle et/ou religieuse (43,3 %). Ensuite, trois problématiques vécues par les adolescents placés ont été identifiées plus fréquemment par les adultes, à savoir la santé mentale (54,6 %), l’exploitation sexuelle et/ou les violences sexuelles (45,4 %), ainsi que les comportements sexuels problématiques (42,6 %).

Figure 2

Principaux besoins des adolescents placés en pourcentage rapportés par les adultes impliqués auprès d’eux (n = 141)

Principaux besoins des adolescents placés en pourcentage rapportés par les adultes impliqués auprès d’eux (n = 141)

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Discussion

Portrait des jeunes placés en centre de réadaptation et en foyer de groupe

Cette étude permet de faire le point sur les caractéristiques des jeunes hébergés en CR et en FG au CIUSSS de la Capitale-Nationale. Quatre principaux constats se dégagent de ce portrait. Le premier constat montre que certains problèmes de comportement extériorisés sont présents chez plus de 50 % des jeunes hébergés en CR et en FG, dont : les problèmes d’agressivité et/ou de violence, les comportements d’opposition, la consommation d’alcool et/ou de drogue, le rendement scolaire, ainsi que la fugue. Ces résultats vont dans le sens de ceux des études s’étant attardées à cette clientèle (Águila-Otero et al., 2020 ; Harder et al., 2017 ; Frappier et al., 2015). La fréquence des problèmes d’agressivité et/ou de violence ainsi que les problèmes de consommation s’apparente aux résultats obtenus dans l’étude de Frappier et al. (2015). Quant aux résultats concernant le rendement scolaire, les travaux menés dans le cadre de l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP) ont sonné l’alarme sur les difficultés scolaires et la réussite scolaire des jeunes ayant vécu un placement (Goyette et Blanchet, 2018). Marion et Mann (2020) se penchent d’ailleurs sur des pistes de solutions pour faire face à ces difficultés qui perdurent chez les jeunes placés. Ces auteurs soulèvent l’importance du partenariat entre les différents intervenants présents dans la vie de ces jeunes.

Le deuxième constat concerne les comportements suicidaires (idées suicidaires, menaces de suicide, tentatives de suicide) qui sont présents chez près de la moitié des jeunes (48,6 %) de l’échantillon. La fréquence de ces comportements est préoccupante et est peut-être associée aux multiples traumas vécus par ces jeunes (Fischer et al., 2016) mais également à la prépondérance des diagnostics de TDAH et de santé mentale (Institut national de santé publique du Québec [INSPQ], 2019). Dans leur étude, Frappier et al. (2015) établissent que 36,4 % des jeunes de leur échantillon ont eu des idées suicidaires et que 24,7 % des jeunes sont allés jusqu’à commettre une tentative de suicide. Ces comportements susceptibles d’être dramatiques pour ces jeunes et leurs proches représentent un enjeu de taille pour les milieux de placement.

Le troisième constat concerne la fréquence des diagnostics de problèmes de santé mentale et neurodéveloppementaux. Ainsi, près des trois quarts des jeunes placés (70,2 %) au CIUSSS de la Capitale-Nationale ont reçu un diagnostic de problème neurodéveloppemental (principalement de TDAH ou de TSA) et un jeune sur deux (49,5 %) a reçu un diagnostic pour un problème de santé mentale. À lui seul, le diagnostic de TDAH est présent chez 43,9 % des jeunes dont près des trois quarts de ce nombre (74,1 %) chez les garçons. Les résultats de l’étude de Frappier et al. (2015) font état de fréquences similaires pour le diagnostic de TDAH chez les garçons. En effet, les médecins interrogés dans leur étude ont rapporté la présence du TDAH chez 59,2 % des jeunes de leur échantillon, dont 72,1 % chez les garçons. Les données de l’INSPQ (2019) démontrent que la prévalence du TDAH dans la population générale des 1 à 24 ans est de 11,3 %, avec un ratio de deux garçons pour une fille avant l’âge de 18 ans. De plus, de façon inquiétante, l’INSPQ (2019) rapporte que : « Le taux de mortalité par suicide chez les personnes avec un TDAH est deux à trois fois plus élevé que dans la population générale sans TDAH » (p. 1). On doit donc s’interroger sur les causes possibles de la fréquence des comportements suicidaires en combinaison avec la fréquence des diagnostics de TDAH chez les jeunes placés.

Par ailleurs, l’INSPQ (2019) mentionne dans son rapport sur la surveillance du TDAH au Québec que de plus en plus de jeunes avec un diagnostic de TDAH reçoivent une médication. La médicalisation des jeunes hébergés, avec 47,3 % d’entre eux (70 jeunes) qui reçoivent une médication, apparaît comme un enjeu de taille. Dans l’étude de Frappier et al. (2015), c’est 53 % des jeunes qui ont pris un médicament dans la semaine précédant leur placement en CR. Pour l’INSPQ (2019) : « Le TDAH demeure un problème de santé publique touchant un grand nombre d’enfants et d’adultes. Il peut affecter la réussite scolaire et professionnelle des personnes atteintes, ainsi que leur fonctionnement au quotidien… » (p. 4). Dès lors, il importe de porter une attention particulière à ces jeunes placés qui ont aussi un diagnostic de TDAH les mettant dans une position de double vulnérabilité : leur situation de placement et ce diagnostic les rendent particulièrement à risque.

Le quatrième constat concerne les résultats des analyses comparatives selon le genre qui révèlent des distinctions entre les garçons et les filles. En effet, les garçons présentent plus fréquemment des difficultés de comportement telles que la violence, la consommation, la délinquance et le TDAH (Frappier et al., 2015 ; Hélie et al., 2017 ; INSPQ, 2019 ; Saint-Jacques et al., 2000) ; alors que la victimisation est plus présente chez les filles (Aguila-Otero et al., 2020 ; Hélie et al., 2017 ; Van Vugt et al., 2014). Actuellement, on observe dans la société une tendance à discuter de plus en plus de la violence des garçons et de la victimisation des filles. Plusieurs faits divers rapportés dans les médias illustrent d’ailleurs cette tendance. En se préoccupant du devenir de ces jeunes placés qui seront les adultes de demain, il s’avère pressant de se pencher sur ces problématiques. Les milieux de vie des jeunes, en l’occurrence les CR et les FG, devront prendre en compte ces distinctions afin d’améliorer et d’individualiser leur offre de services.

Besoins des jeunes placés en centre de réadaptation et en foyer de groupe

Sur le plan de l’analyse des besoins, quatre autres constats peuvent être établis à partir des résultats obtenus. Le premier constat montre que même si les besoins identifiés varient selon le type de répondant (jeune, parent, éducateur, chef d’unité, coordonnateur professionnel), certaines similitudes s’observent, notamment en ce qui a trait à la santé mentale, à l’autonomie/la vie adulte, ainsi qu’aux relations familiales. Tant les jeunes que les adultes qui en prennent soin ont besoin d’obtenir plus d’accompagnement et de services dans ces sphères de vie. La santé mentale apparaît comme une sphère de vie où il existe des besoins pressants de services (Águila-Otero et al., 2020 ; Fischer et al., 2016 ; Frappier et al., 2015). En regardant de plus près ce qui préoccupe les jeunes, dont leurs problèmes d’ordre scolaire, leur consommation d’alcool et/ou de drogue, leurs relations sociales, leurs problèmes neurodéveloppementaux, ainsi que leur santé mentale, on se rend compte que leurs besoins concordent avec le portrait des problématiques que plusieurs d’entre eux présentent.

Le deuxième constat concerne l’importance accordée aux besoins exprimés relativement aux problématiques qui touchent l’autonomie des jeunes et leur transition à la vie adulte. À cet égard, ces derniers mentionnent des besoins spécifiques, tels que : apprendre à vivre par eux-mêmes, se débrouiller au quotidien et vivre des expériences de vie normalisantes. Les jeunes expriment de plus leurs besoins de soutien et d’accompagnement en regard de l’emploi et du marché du travail. Par conséquent, il semble incontournable de consolider le réseau familial, social et fonctionnel du jeune avant sa sortie du CR ou du FG. À cet effet, Goyette et Blanchet (2022) rapportent qu’il subsiste une disparité et des inégalités importantes dans le soutien social, la stabilité scolaire et résidentielle entre les jeunes placés et les jeunes de la population générale. Ces auteurs soulèvent également l’inégalité sur le plan des opportunités et la responsabilité qui repose sur les épaules des jeunes qui ont vécu un placement. Il semble donc important de diversifier les opportunités de vie et les activités offertes aux jeunes hébergés en favorisant celles visant à normaliser leur quotidien durant le placement et à leur assurer une transition réussie vers la vie autonome.

Le troisième constat montre l’émergence des besoins concernant des problématiques reflétant certains enjeux sociétaux actuels, tels que l’exploitation sexuelle, l’appartenance culturelle et/ou religieuse, l’identité de genre, ainsi qu’Internet et les réseaux sociaux. Les intervenants impliqués auprès de ces jeunes ont soulevé la nécessité d’une mise à jour des services qui leur sont offerts, dans l’intention de mieux répondre à leurs besoins en lien avec ces problématiques recevant récemment une attention médiatique.

Un dernier constat se dégage de l’analyse des besoins des jeunes placés en CR et en FG. En lien avec les problématiques mentionnées précédemment, les intervenants ayant participé à l’étude ont mis en lumière la nécessité d’aller au-delà des comportements problématiques manifestés par les jeunes hébergés en CR et en FG, pour se centrer plutôt sur les expériences de trauma vécues par ces jeunes. Le rôle des expériences de trauma et de victimisation dans le développement des comportements problématiques a d’ailleurs été soulevé à maintes reprises par le passé (Connolly, 2020 ; Finkelhor, 2008). À l’instar des travaux de Fischer et al. (2016), qui suggèrent de mettre en place des milieux de vie pour ces jeunes avec une approche sensible aux traumas, il semble important d’accorder une plus grande attention aux traumas en situation d’intervention auprès de ces jeunes.

Conclusion

La présente étude descriptive permet de mieux connaître les caractéristiques des jeunes qui sont hébergés en CR et en FG, de même que leurs besoins en termes de soutien, d’aide et de services. Malgré la pertinence et les bénéfices découlant de cette étude, certaines limites doivent être soulignées. À cet effet, la principale limite est que l’étude présente un portrait statique d’une réalité qui est dynamique. La période développementale de l’adolescence se caractérise par de nombreux changements se produisant à divers niveaux (Chung et Elias, 1996 ; Conseil de la famille et de l’enfance, 2002 ; Gouvernement du Québec, 2017 ; Petersen et Leffert, 1995). Le recours à un devis de nature transversale vient alors limiter la possibilité de capter le caractère dynamique des expériences et du développement des adolescents qui sont notamment susceptibles d’avoir une influence sur leur conduite. Mener un examen des caractéristiques et des besoins de cette clientèle de jeunes, en tenant compte du dynamisme sous-jacent à leur développement et l’environnement dans lequel ils se développent, représente une stratégie pertinente pour les futurs travaux de recherche.

Au terme de cette étude, il apparaît nécessaire d’offrir une intervention plus individualisée et ciblée, ainsi que des programmes adaptés aux besoins spécifiques des jeunes. Accroître les activités de loisirs dans la programmation et offrir des ateliers qui répondent aux besoins de ces jeunes constituent une visée majeure. En multipliant les opportunités de vie positive, les jeunes auront de meilleures chances de se développer positivement. Ces jeunes présentent des difficultés qu’il est important de considérer afin de leur offrir une expérience de placement bénéfique et profitable pour leur développement optimal et leur bien-être actuel et futur. D’un autre côté, ces jeunes présentent des forces, voire de la résilience, non identifiées dans le cadre de la présente étude. Ces forces doivent servir dans la révision et l’adaptation des services qui les concernent.