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Si nous voulons enseigner aux enfants, nous devons être bilingues. Cela signifie de parler la langue des bureaucrates et la langue d’une école qui prend soin de l’autre. Ce sont des langues incompatibles.

Directrice d’école

Le rôle du directeur en milieu scolaire est crucial pour faire le lien entre la politique publique et la vie quotidienne d’une école. Cet article vise à montrer comment il est possible de gérer un établissement de façon humaine dans un contexte néolibéral. Nous présenterons ici l’étude de quatre cas d’écoles chiliennes que nous avons observées et qui ont réussi à répondre aux exigences du Management public, requises par l’État chilien. Les écoles étudiées sont différentes : deux d’entre elles présentent un climat de travail difficile et conçoivent la notion d’apprentissage comme l’équivalent du rendement scolaire aux épreuves standardisées. Les deux autres écoles présentent un bon climat de travail et placent au centre de leurs préoccupations les diverses dimensions de l’apprentissage des élèves (éducation intégrale). Pour l’État, ces écoles semblent équivalentes et obtiennent le même score au moment des évaluations. Cependant, quand on les observe de l’intérieur, il est évident qu’il s’agit de deux expériences différentes, tant du point de vue professionnel que de celui de l’apprentissage.

Dans cet article, nous aborderons tout d’abord le contexte du néolibéralisme dans lequel l’éducation au Chili s’inscrit. Dans un second temps, nous présenterons la récente littérature sur les questions de leadership qui font la promotion de l’éducation intégrale[2] et du bien-être des communautés scolaires. Ensuite, nous décrirons la méthode utilisée pour nos études de cas, méthode apparentée à la sociologie clinique et que nous avons mobilisée dans cette recherche. Puis, nous exposerons les résultats qui caractérisent les écoles et les pratiques de direction. Finalement, nous aborderons les conclusions de cette étude par rapport au bien-être des communautés au sein des institutions éducatives et leur rapport à l’apprentissage.

L’État néolibéral chilien, son organisation scolaire et la fonction de direction

Manuel Gárate (2020), historien contemporain chilien, mentionne que la Dictature civico-militaire a travaillé à construire un système étatique néolibéral. Pendant les années 1970, un changement important est apparu. Implanté par la force, l’État garant des droits se transforme en un État subsidiaire au service du marché. Cela se matérialise par la création d’une Constitution qui considère que les pensions, la santé, l’éducation et l’eau doivent être régies dans une logique de « propriété privée » et deviennent, dès lors, des services qui s’échangent sur le marché (Bilbao et al., 2020). Toujours en place après la dictature, cette constitution a entravé les tentatives subséquentes de changement vers une école moins néolibérale. De plus, l’impossibilité d’obtenir un parlement majoritairement progressiste a garanti le maintien de cette proposition conservatrice (Heiss, 2020). En plus d’accepter le statu quo constitutionnel, les gouvernements démocratiques post-dictatures (1990-2005) ont adopté le courant international du Nouveau Management Public. Les autorités ont vu, dans ces modèles de gestion, une possibilité de modernisation, d’amélioration et de focalisation de l’usage des ressources publiques, dans une logique efficace qui permettrait d’avancer dans le développement du pays (Cañas, 2002 ; Morales, 2014 ; Larraín et Waissbluth, 2009).

Dans le cas de l’éducation, un « agenda de type néolibéral en éducation », dénoncé par Christian Laval (2003) dans L’École n’est pas une entreprise, est mis en place et consolidé au Chili. Cet agenda a pour objectif d’imposer la liberté de choix des familles en regard de l’école et de réorganiser les établissements éducatifs selon la logique de management. Le Chili avait déjà mis en oeuvre l’idée que ce sont les familles qui doivent choisir l’école de leur enfant (schoolchoice) en implantant un système d’allocation de subventions (« voucher ») déterminé selon la présence en classe des élèves dans les écoles. Pour permettre aux familles de prendre des décisions en toute connaissance de cause, un système de mesure permettant de classer les écoles en fonction de certains critères de qualité a été mis en place. On a aussi étoffé l’offre de services en créant des centres éducatifs semi-privés financés partiellement par l’État (et dans ce cas, il était permis de demander une participation financière supplémentaire aux familles). L’État confie les écoles aux municipalités et se déresponsabilise ainsi du droit à l’éducation (Pino etal., 2016 ; Parcerisa et Falabella, 2017).

Vers la fin des années 2000, les politiques de reddition de comptes et de bureaucratisation managériale sont renforcées par les gouvernements en place. En 2008, une série de réglementations est élaborée, pour encourager les écoles publiques peu performantes, par l’attribution de ressources supplémentaires, à améliorer leurs résultats. Des programmes visant à aider les élèves ayant un handicap ou une autre condition de vulnérabilité sont proposés. Cependant, au moment de la vérification de l’atteinte ou non des objectifs, la situation est encore plus stressante puisque les mauvais scores à répétition ont de graves conséquences : la plus grave d’entre elles étant la fermeture des écoles mal évaluées (Tolofari, 2005 ; Ball, 2015 ; Oyarzún et Cornejo, 2020).

En 2015, un important rapport de l’OCDE démontre la persistance de l’inégalité scolaire au Chili et un rapport comparatif mondial réalisé par l’UNESCO (2017) critique les processus de reddition de comptes mis en place. En réponse à ces rapports, la loi dite « Loi d’inclusion scolaire » est adoptée. La sélection des élèves et la finalité lucrative des écoles sont interdites. La contribution financière des familles est limitée. En 2017, la Loi 21.040 de « démunicipalisation » de l’éducation est promulguée. Elle crée le Système d’Éducation Publique et implique le transfert de responsabilités administratives et pédagogiques des établissements éducatifs publics des municipalités vers l’État. Bien que cette loi constitue un grand progrès, ces dernières années, aucune législation n’a changé le noyau fort de la logique d’entreprise, à savoir le financement par le biais de voucher (basé sur la présence en classe) et l’administration des ressources selon les principes de gestion du Nouveau Management.

En ce qui concerne les tâches et responsabilités des directeurs d’institutions scolaires, il faut ajouter aux tâches habituelles de gestion des écoles, celles d’assurer le bien-être de leurs équipes. Dans le cadre des réformes, dont l’objectif est l’inclusion scolaire, de nouveaux standards relatifs au leadership pédagogique voient le jour. C’est ainsi qu’est créé le « Cadre de la bonne direction et du leadership scolaire » (2015) qui encourage les directeurs à promouvoir la participation et l’apprentissage chez les professionnels de leurs écoles ; ils voient alors leurs responsabilités augmentées avec l’obligation de mettre en place un processus d’accompagnement des professeurs dans leurs classes (Ministère de l’Éducation, 2015).

Au Chili, le directeur est chargé de la représentation externe de l’école et de la coordination générale. Il dispose d’une équipe d’enseignants qui ont eu une formation en leadership et avec laquelle il partage le travail de gestion. Il est accompagné, de fait, par l’inspecteur général chargé de la gestion du personnel et de la discipline de l’école et par le chef de l’unité technique et pédagogique. Ce dernier est responsable de la coordination académique et de la gestion du programme scolaire et révise les outils de management qui permettent le suivi des objectifs et des stratégies. Dans certaines écoles, l’équipe de direction inclut aussi le coordinateur du Programme d’Intégration Scolaire (appelé PIE) et le coordinateur de la convivialité scolaire dont les fonctions ne sont pas tout à fait claires et peuvent faire double emploi avec celles de l’inspecteur général.

Recherches chiliennes sur le leadership

Au début du XXIe siècle, au Chili, dans un régime démocratique plus solide, des études portant sur le leadership en éducation ont commencé à être financées. Les premières recherches portent sur la caractérisation et les styles de leadership. La critique du « management » en éducation est récente. Les directeurs sont essentiels pour le maintien du système éducatif (Campos et al., 2019 ; Sisto, 2018 ; Fardella et Sisto, 2014). En plus d’être administrateur, le directeur doit avoir des connaissances en marketing (Montecinos et al., 2015) et se charger de la motivation des équipes ainsi que des processus de contrôle de qualité, mesurés en fonction de l’amélioration des résultats aux épreuves standardisées (Falabella, 2015 ; Falabella et Opazo, 2014 ; Sisto, 2018). Sisto (2018) souligne qu’il existe un constant déplacement discursif entre d’un côté une gestion orientée vers l’articulation d’un collectif qui poursuit des objectifs communs à travers des stratégies de démocratisation, et de l’autre, l’exigence constante envers les directeurs d’exercer l’autorité et le contrôle qui oriente la communauté éducative vers les bons résultats et relègue au second plan la formation pédagogique intégrale qui répond aux besoins de leurs élèves.

Dans ce scénario managérial, les études montrent que les directeurs d’école se consacrent fondamentalement à leur obligation de rendre des comptes et à chercher des solutions aux problèmes « domestiques » de l’école (Donoso y Benavides, 2018 ; Raczynski, 2008). Ils disposent donc de peu de temps pour mettre en place des stratégies destinées à assurer le bien-être de leurs communautés et de leurs équipes (Marfan et Pascual, 2018).

Par ailleurs, face aux nouvelles demandes relatives à l’idée d’inclusion, la diversité apparaît comme un problème et non comme une vertu. Le directeur est alors investi du devoir de former les professeurs à des stratégies d’enseignement diversifiées, difficiles à mettre en place dans les salles de classes (Rojas et al., 2018 ; Rojas, 2018). De même, cette tension apparaît dans les programmes de formation de leaders éducatifs, dont l’impact observé est marginal sur les apprentissages des élèves (Weinstein et al., 2018). En effet, face au défi de différencier l’enseignement en regard de la « nouvelle diversité », il est nécessaire d’accompagner les professeurs dans les aspects émotionnels et éducatifs et d’aborder avec eux les conflits et les tensions qui s’ajoutent (Weinstein et Hernández, 2014 ; Donoso et Benavides, 2018).

Les quelques recherches qui nous aident à repenser les stratégies d’adaptation à ce scénario évoquent une « gestion subtile » basée sur un leadership distribué qui permet d’établir sa légitimité face aux professeurs (Garay et Maureira, 2017 ; Maureira, 2017). S’ajoutent celles qui indiquent l’importance d’un leadership orienté vers la justice sociale et qui considèrent la participation de tous à une construction culturelle de l’acceptation de la différence (Rojas et al., 2018 ; Guerrero, 2016). Ces deux courants de recherche sont centraux dans notre réflexion.

Le leadership dans la littérature internationale

Le concept de leadership apparaît au moment où on intègre le langage de la psychologie organisationnelle fonctionnaliste dans l’étude des processus scolaires. Surgit alors un développement prolifique de recherches qui permet de caractériser les types de leadership en mettant l’accent sur l’identification des pratiques de direction et l’organisation de la participation dans l’école. Le but de cette matrice des idées de la psychologie sociale est de fournir des techniques, des prescriptions, des modèles et des stratégies d’action destinés à être appliqués dans différentes réalités, sans réflexion sur leur contexte. Pour cela, il faut donc examiner la littérature des pays qui excellent dans leurs résultats (tant du point de vue émotionnel qu’éducatif). C’est pourquoi nous réaliserons une brève synthèse des principales tendances internationales à la base de la formation de leaders au Chili.

Les modèles de leadership abondent dans la littérature, proposant des dénominations et des approches diverses. Nous pouvons évoquer ce qui est appelé le leadership associé aux écoles dites « efficaces » (Robinson et Timperley, 2007), qui vise l’amélioration des résultats éducatifs mesurés selon la logique de standardisation. En ce qui concerne le leadership instructionnel, il met aussi l’accent sur ce type de résultats standardisés, mais se concentre sur la coordination d’actions entre les professeurs pour améliorer l’apprentissage des élèves (Gawlik, 2018). Le leadership transformationnel, quant à lui, se situe dans la même lignée que le leadership instructionnel, il propose aux écoles des objectifs collectifs et suppose l’engagement des acteurs scolaires pour les atteindre. Il promeut le développement d’un climat dans lequel les attentes sont élevées et où la culture scolaire est centrée sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage (Hallinger et Heck, 2010). Ces modèles de leadership nous permettent de considérer l’importance du travail collectif et de la rétroaction professionnelle pour développer des attitudes, susciter des motivations et obtenir des changements de comportements, toujours en tenant compte de l’engagement et du soutien mutuel au sein de la communauté scolaire (Crow et al., 2017 ; Leithwood, 2009).

D’autres modèles proposent de nouvelles organisations du pouvoir, par exemple le leadership distribué qui promeut la démocratie sur la base du partage des rôles (Leithwood et al., 2007 ; Torres, 2019), et le leadership de service dans lequel les administrateurs sont solidaires et conscients des besoins de la population et des travailleurs de l’organisation (Insley et al., 2016). Avec la massification de l’éducation et le succès des grands courants d’inclusion éducative, apparaît le leadership pour la justice sociale dans lequel la direction occupe une position éthique qui exige de veiller à l’apprentissage des élèves dont les identités ont traditionnellement été exclues de l’espace scolaire (O’Mallaey et al., 2009), pour renforcer l’apprentissage de la démocratie (North, 2008).

Ces dernières années, le succès constaté dans les systèmes scolaires des pays asiatiques et nordiques, en raison de leur efficacité et de l’attention qu’ils portent à leurs communautés, a permis d’observer l’émergence de formes de leadership centrées sur l’innovation pédagogique qui repose spécifiquement sur la relation des leaders avec les professeurs. Dans cette optique, les recherches montrent la particulière contribution du directeur à l’introduction de pratiques éducatives actives qui stimulent la réflexion en se centrant sur le développement d’habiletés et de connaissances chez les élèves (Meijer et al., 2016 ; Tan et al., 2017). Pour ce faire, le directeur doit promouvoir le sens de l’efficacité, de l’autonomie et de la collégialité, tout en donnant des primes (Van Eekelen et al., 2006) aux professeurs qui sont ouverts à changer leur façon d’enseigner (Lam et al., 2010). Le directeur assigne les ressources (salles, matériels, livres, chauffage), organise des groupes d’élèves qui peuvent contribuer à installer une bonne ambiance en classe, s’inquiète de fournir un endroit agréable pour travailler (Tynjälä, 2008) et établit un climat optimal pour l’éducation intégrale (Kunnari et Ilomaki, 2016).

Le processus d’innovation doit avoir du sens pour les professeurs et être installé dans des espaces de conversation et de coopération collective dans la gestion du programme (Ketelaar et al., 2013). Dans leur organisation, ces espaces doivent être propices au bien-être et à l’agrément (Wan et al., 2018 ; Fasso et al., 2016 ; Rigby et Ryan 2018 dans Ittner et al., 2019) et le leadership distribué doit être mis en place (Mokhber et al., 2017 ; Fasso et al., 2016). Si les directeurs arrivent à stimuler l’équipe de professeurs, un impact direct sur l’amélioration de l’enseignement en classe et par conséquent sur le rendement académique peut être observé (Bell et al., 2003 ; Rodríguez-Gallego et al., 2020).

Démarche et méthode retenues

L’étude que nous avons menée a comme objectif d’identifier les pratiques de directions d’école, permettant de mettre en place un climat de travail positif qui promeut une éducation intégrale dans un contexte de managérialisme éducatif (Fortier, 2010). Nous avons utilisé la méthode d’étude de cas critique (Passeron et Revel, 2005 ; Yin, 2014), située épistémologiquement en sociologie clinique (Vandevelde-Rougale, 2017). Dans l’approche clinique (Assoun, 2017), le but est de comprendre le vécu subjectif de l’expérience sociale (Gaulejac, 2014) à partir de l’étude de cas qui contribue à identifier des processus et des pratiques, dans ce cas-ci de direction d’établissements scolaires. Cette recherche situe plus spécifiquement sa méthode en sociologie clinique, courant qui analyse les systèmes de gestion et management des organisations dans une perspective socio-psychique (Gaulejac, 2005 ; Gaulejac et Hanique, 2009 ; Dujarier, 2006, 2015, Vandevelde-Rougale, 2017).

Nous avons sélectionné quatre écoles publiques, qui appartiennent à des Services Locaux d’Éducation[3], récemment installés. En outre, la grande quantité des mesures auxquelles sont exposés les établissements éducatifs chiliens nous a permis de sélectionner certaines écoles selon des critères objectifs permettant de choisir nos cas critiques.

Les écoles que nous avons sélectionnées ont obtenu des résultats « moyens » aux épreuves standardisées et des résultats « élevés » en convivialité scolaire[4]. Les écoles ont une autre caractéristique en commun : elles répondent au critère de vulnérabilité des enfants et de leurs familles, critère qui mesure le niveau de surpeuplement dans les foyers, la scolarité des parents, l’accès à la santé et à l’éducation, les types d’emploi, entre autres ; les écoles étudiées sont fréquentées par plus de 80 % d’élèves défavorisés.

Sur le plan des indicateurs, la seule différence entre les écoles est que, selon l’évaluation des risques psychosociaux, deux écoles présentent de hauts risques psychosociaux et deux autres, des risques psychosociaux bas[5]. Ces résultats ont une corrélation avec les observations de l’équipe de chercheurs, selon lesquelles les écoles qui ont le plus de risques psychosociaux présentent un mauvais climat scolaire, i.e. la qualité des relations avec les supérieurs et avec les collègues de travail, et celles qui en ont le moins, présentent un meilleur climat.

Voici le tableau (page de droite) que nous avons construit à partir des critères retenus et qui classe les écoles observées en fonction de ceux-ci.

Les pratiques qui sont l’objet de cette étude sont définies comme des actions systématiques répondant aux trois composantes suivantes. La première est le sens, compris comme des idées, des croyances, des appréciations et des compréhensions à propos de l’action ; la deuxième est la compétence, qui fait référence aux connaissances pratiques et aux habiletés liées à l’exécution d’une pratique déterminée ; la troisième est la matérialité, qui permet l’analyse de toutes les ressources et de l’infrastructure impliquées dans le déploiement d’une pratique (Ariztía, 2017 ; Fardella y Carvajal, 2018). Nous comprenons que les pratiques s’inscrivent dans une réalité structurelle en ce qu’elles sont régies par des institutions et des normes, qui peuvent empêcher des décisions autonomes qui seraient en accord avec les émotions, les besoins et les intérêts. En ce sens, les pratiques de direction sont l’articulation entre les perspectives subjectives et les perspectives institutionnelles.

Tableau 1

Description des cas retenus et des critères de sélection

Description des cas retenus et des critères de sélection

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Les méthodes de collecte de données auprès des équipes de direction sont cohérentes avec la notion de pratique, la méthode d’étude de cas et la sociologie clinique. Le corpus des données que nous avons analysées est le suivant :

Documents institutionnels des écoles.

  1. Le projet éducatif institutionnel : document établi par l’établissement scolaire où se reflètent ses idéaux et sa projection en tant qu’école.

  2. La fiche du ministère de l’Éducation : formulaire créé pour informer les parents au sujet des caractéristiques de l’école afin qu’ils puissent choisir en connaissance de cause.

  3. Le rapport de l’Agence pour la Qualité de l’Éducation : document de l’organisme qui évalue les points forts et points faibles des écoles dans lequel nous pouvons nous informer de la catégorie de qualité que l’école a obtenue par rapport à ses résultats aux épreuves standardisées.

Entretiens d’analyse du rôle (Nossal, 2013). Tout d’abord, nous avons effectué des entretiens non directifs d’une durée approximative d’une heure durant lesquels nous avons demandé à chaque participant de faire un dessin sur la représentation qu’il avait de son rôle dans l’école[6]. Ensuite, nous avons demandé à toutes les personnes interrogées de regarder leurs dessins, de réfléchir sur leur rôle dans l’école et de nous en donner le sens et les explications quant à leurs choix. La conversation se développe donc en fonction de la relation que le participant a avec son propre dessin. Les entretiens avec les directeurs ont été menés par la chercheuse principale de cette étude. Les entretiens avec les autres membres de l’équipe de l’établissement ont été effectués par des co-chercheurs. Tous les entretiens ont été réalisés à la fin de la journée de travail et ont eu lieu à l’école, après le départ des professeurs et des élèves. Tous les entretiens ont été enregistrés et transcrits.

Notes de terrain lors des rencontres dans les écoles. Afin de collaborer avec les écoles, nous avons organisé des ateliers d’une demi-journée (le matin) avec les professeurs et les directeurs ayant pour thème la « conception universelle de l’enseignement ». Au cours de la rencontre, nous avons pris des notes sur la relation directeur-professeur.

Ayant opté pour une analyse de type clinique (Giust-Desprairies et Lévy, 2006), nous avons suivi les trois étapes suivantes :

  1. Analyse descriptive-thématique du matériel qui a été recueilli, centrée sur l’identification de pratiques.

  2. Analyse des conditions de réalisation des entretiens, spécialement du contexte psychologique, organisationnel et culturel de chacune des personnes interrogées. Nous avons questionné les relations qui limitent la prise de responsabilité et ne permettent ni de penser ni d’agir de façon autonome.

  3. Analyse de l’énonciation des personnes interrogées (à qui elles s’adressent symboliquement et réellement durant les entretiens).

Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique de l’université promotrice de la recherche. Tous les résultats ont été anonymisés pour assurer la confidentialité à laquelle nous nous sommes engagées lorsque les participants ont signé les consentements éclairés.

Présentation des résultats issus de nos analyses

Nous exposons ici les résultats provenant de nos analyses en présentant d’abord les éléments qui caractérisent les quatre écoles dans lesquelles s’est déroulée notre recherche pour ensuite nous concentrer sur les pratiques de direction de chacune d’entre elles.

Les écoles et leurs caractéristiques

Les critères qui rendent compte des conditions institutionnelles de la pratique et que nous avons retenus sont les suivants : la localisation ; le nombre d’élèves inscrits ; le projet éducatif ; la formation en leadership la relation directeur-enseignants ; la représentation d’une éducation de qualité selon le directeur et l’équipe de direction[7].

Centre Éducationnel Luanda

Le Centre Éducationnel Luanda est situé dans un quartier urbain caractérisé par la présence de citoyens appartenant à la classe ouvrière, au centre-sud de Santiago. Il accueille les enfants de l’école maternelle à la fin de l’école primaire. Cet établissement est complet et ne peut scolariser de nouveaux élèves.

L’équipe de direction a formulé un projet éducatif basé principalement sur l’importance de la participation de la communauté scolaire, l’enseignement intégral, la citoyenneté, l’interaction sociale et la protection de l’environnement.

Tous les membres de l’équipe de direction ont une formation en éducation spécialisée et en éducation inclusive.

La relation de l’équipe de direction avec les professeurs est positive. Pour cette équipe de direction, la qualité de l’éducation ne se trouve pas dans les résultats des épreuves standardisées, mais plutôt dans l’apprentissage réel et significatif des élèves. Cependant, les membres de l’équipe de direction sont conscients des conséquences qu’engendre ce type d’épreuves et des risques pris en réalisant des actions pédagogiques différentes de celles basées sur l’entraînement à ces tests. En 2020, l’école a remporté le Prix de l’Excellence Académique octroyé par l’État chilien ; elle a obtenu les meilleurs résultats de la zone, et a donc reçu une prime pour les professeurs et des ressources pour la gestion de l’école.

École et Lycée Lisboa

L’institution éducative Lisboa est située dans une zone semi-rurale de la région métropolitaine. Elle accueille les enfants dès la maternelle et jusqu’à la fin du secondaire. L’école est complète et compte 500 élèves.

Le projet éducatif promeut l’éducation intégrale, la citoyenneté, l’interaction sociale et le respect de l’environnement. La relation entre l’équipe de direction et les professeurs est positive.

Le directeur a été formé à ce qui s’appelle les théories de leadership distribué. Les membres de l’équipe de direction peuvent accompagner et superviser les professeurs dans une ambiance de respect du travail de tous.

Les membres de l’équipe de direction conçoivent l’éducation de qualité de deux manières. D’une part, ils sont attentifs aux résultats afin de maintenir l’école parmi les meilleures de la Municipalité. Pour cela, ils allouent une grande partie des ressources de leur zone d’éducation prioritaire[8] à la formation intensive des professeurs et des élèves, offerte par des organismes externes, en vue d’obtenir de bons résultats aux épreuves standardisées de l’État. Cette école reçoit systématiquement le Prix de l’Excellence Académique. D’autre part, ils s’occupent également de l’éducation intégrale qui considère la convivialité, les méthodologies d’enseignement actives et l’apprentissage inclusif. Les efforts investis dans l’obtention de bons résultats aux épreuves standardisées leur permettent de donner une place à l’éducation intégrale sans être sanctionnés par l’État.

École Praga

L’École Praga est située dans un quartier ouvrier du secteur nord-ouest de la région métropolitaine. Elle a une capacité de 500 élèves, mais il n’y a que 300 inscrits. L’école accueille des enfants de niveau préscolaire et propose aussi tout l’enseignement primaire.

L’équipe de direction est arrivée dans cette école il y a quatre ans. Son projet éducatif vise à fournir des habiletés pour le travail à travers l’apprentissage inclusif et fait référence à la mobilité sociale et à la réussite scolaire.

L’équipe de direction de l’école est formée en administration scolaire et en gestion des plans d’études. La relation avec le personnel enseignant est détériorée. L’équipe de direction estime que la plupart des professeurs ne sont pas très engagés et qu’ils sont plutôt incompétents.

Dans cette école, la notion de qualité est strictement liée aux résultats obtenus aux épreuves standardisées. Les stratégies mises en place sont le suivi du plan d’études, le contrôle des planifications des professeurs et l’évaluation continue du travail en salle de classe. La qualité réside aussi dans une offre d’activités ludiques et d’ateliers extrascolaires pour améliorer la présence à l’école. Cette méthode leur a permis d’obtenir un prix à l’Excellence Académique.

École Vancouver

L’école Vancouver est située dans une zone populaire du nord-ouest de la capitale. Elle accueille des enfants de niveau préscolaire et offre tout l’enseignement primaire. Il y a 450 enfants inscrits et 550 places disponibles. Le projet éducatif a pour but de permettre le développement d’habiletés nécessaires pour leur intégration sur le marché du travail, et prône une éducation inclusive et ouverte à la communauté.

La cohésion de l’équipe de direction est plus faible que dans les autres écoles. L’équipe est divisée selon deux tendances : les membres qui veulent aider les enseignants (pourvus d’une formation en inclusion) et ceux qui veulent les contrôler (disposant d’une formation en leadership entrepreneurial). Tous considèrent que les professeurs ne sont pas très engagés et qu’ils sont peu préparés pour enseigner dans ce contexte éducatif. Il existe une relation négative entre les professeurs et l’équipe de direction.

Pour l’équipe de direction, la qualité signifie obtenir des bons résultats aux épreuves standardisées et recevoir la reconnaissance de l’État à travers l’obtention de prix et de primes. L’école a obtenu le Prix d’Excellence Académique en 2008, mais elle l’a perdu l’année suivante. L’école n’a pu sortir de cette catégorie moyen-bas.

Pratiques de direction

Nous décrivons ici les pratiques de direction que nous associons à un bon climat organisationnel et à l’éducation intégrale autour de cinq thématiques : 1) un bon entretien de l’école, 2) des rapports affectifs réels, 3) la participation à la communauté, 4) un accompagnement formatif et 5) des processus administratifs clairs. Nous illustrerons ces thématiques pour chacune des écoles analysées. Les écoles Luanda et Lisboa présentent des modèles plutôt proches, alors que les écoles Vancouver et Praga présentent de subtiles différences.

Une école bien entretenue

L’équipe de direction de l’école Luanda met ses premiers efforts dans l’amélioration de la propreté de l’établissement. Une inspectrice déclare « nous avons retrouvé nos murs avec des graffitis, les escaliers avec des chewing-gums collés sous les rampes, il y avait de la salive et de la graisse mélangées dessus[9] ». La Directrice de l’école signale : « Une des premières décisions que nous avons prises, c’est de créer des conditions minimales nécessaires pour travailler, en cherchant une bonne ambiance, du matériel et des moyens pour enseigner. »

L’équipe de direction de Lisboa a agi de la même manière. Elle a compris qu’une de ses fonctions est de maintenir un endroit agréable tout en ayant le matériel nécessaire pour le travail de l’enseignant. Le directeur observe que : « ce que nous faisons, c’est de fournir aux enseignants les éléments dont ils ont besoin, par exemple, si le professeur requiert des photocopies, les voici, voici aussi ces livres, etc. ».

Pour l’école Praga aussi, la propreté de l’établissement est importante. Un investissement conséquent est visible dans les espaces de détente (cour de récréation, terrain de sports, tables de ping-pong, etc.) ; et les élèves apprécient. Le directeur dit : « Nous voulons que nos élèves viennent à l’école et soient heureux, et qu’ils y restent le plus longtemps possible afin qu’ils s’identifient à l’école. » Les actions de l’équipe de direction pour améliorer l’école sont centrées sur les élèves et non sur les enseignants.

L’école Vancouver, quant à elle, présente un endroit où sont installées plusieurs grilles et mesures de protections visant à empêcher les vols. Les agents d’entretien sont constamment en train de nettoyer cet établissement. Les dommages causés au matériel sont durement sanctionnés. La cheffe UTP (Coordonnatrice académique) signale : « ici les enfants pauvres ne savent pas comment prendre soin des choses, ils détruisent tout, ils sont habitués à le faire ».

Rapports affectifs réels

La coordinatrice PIE (Programme d’intégration scolaire) de Luanda estime qu’il existe un bon climat de travail et une bonne relation parmi les professeurs. À l’intérieur de l’école, la préoccupation est constante envers tous et tout spécialement envers le corps enseignant dans la mise en valeur de son travail. L’équipe managériale de Luanda fonctionne à partir d’un engagement mutuel dans un climat de confiance.

La cheffe UTP de l’école Lisboa mentionne que « c’est super important d’être proche des gens, mais en plus du lien affectif, nous préférons écouter et orienter les personnes ». En ce sens, ils conçoivent les bonnes relations et la proximité avec le corps enseignant comme des conditions indispensables pour un bon climat de travail.

Dans les deux autres écoles, la relation est plus complexe.

L’équipe de direction de l’établissement Praga se définit elle-même comme « une équipe super humaine ». La cheffe UTP révèle que « nous ne nous prenons pas pour des chefs mais pour des gestionnaires du bonheur ». Cependant, cette disposition positive et affective cohabite avec un certain mépris des professeurs qui seraient « ceux qui ne travaillent pas comme il le faudrait » et « ceux qui fonctionnent en faisant le contraire de ce que propose la direction ».

Quant à l’école Vancouver, il existe une « politique de l’affection » au sein de l’équipe managériale. Cette équipe s’est proposée de « faire la bise et d’embrasser les enseignants » pour produire une certaine proximité. Ils essaient de se montrer bienveillants avec eux. En même temps, la directrice les identifie comme « des petits désordonnés » et la cheffe UTP mentionne un personnel « un peu paresseux dans le travail quotidien ».

Participation de la communauté

L’école Luanda a pour pilier, dans sa gestion, la participation des travailleurs et des élèves. Les professeurs, les assistants d’éducation et le personnel d’entretien ménager constituent l’équipe appelée le Conseil Scolaire. La coordinatrice PIE dit : « nous sommes des personnes qui avons le pouvoir de changer la vie/la trajectoire de nos élèves. Il faut dès lors pouvoir s’oublier afin de construire quelque chose ensemble. »

Les membres de l’équipe de management de l’école Lisboa, quant à eux, insistent sur l’importance que « tout le travail qui se reflète soit le résultat d’un groupe de personnes, aussi bien du directeur, du responsable UTP que des professeurs. Au fond, les idées doivent être le résultat des décisions collaboratives de différents acteurs », nous dit la cheffe UTP. Pour cette équipe, il est important que les propositions et les décisions viennent du corps enseignant. Le directeur affirme : « Nous travaillons toujours unis. Ce serait étrange qu’on nous voit travailler séparément, nous travaillons toujours en équipe ». « La gestion, c’est un travail “coude à coude”. »

Les membres de l’équipe de direction de l’école Praga essaient de mettre en place des actions de participation, mais cela ressemble davantage à des instances consultatives plutôt que délibératives. Depuis quelques années, cette équipe essaie de consolider un conseil scolaire, sans trop de succès. La cheffe UTP explique : « Le directeur a de super bonnes idées. Chaque décision que nous prenons est votée par les enseignants. La plupart du temps, nous ne sommes pas d’accord, mais nous faisons ce que dit la majorité. »

Dans l’établissement Vancouver, la direction planifie les changements ou les améliorations et en informe ensuite les professeurs.

La participation des travailleurs et des élèves fait défaut et rien n’est mis en place pour la favoriser. De fait, la direction propose des actions aux enseignants et ils doivent les mettre en place. Par exemple, elle dit : « en mars, pour la journée internationale de la femme, nous avons pris comme référence Simone de Beauvoir. Nous allons travailler avec les enfants, tous ensemble. J’ai donné à chaque professeur une tâche. Ils ont résisté […]. Enfin, il faut être partout pour que l’activité se réalise effectivement. »

Accompagnement formatif

L’école Luanda a mis en place un système qui prend en charge les difficultés d’apprentissage des élèves. Les membres de l’équipe de direction construisent un système d’accompagnement de ces élèves dans la salle de classe et en individuel. De même, ils évaluent les compétences pédagogiques des enseignants pour mettre en place un système de tutorat pour ceux qui sont en difficulté. La coordinatrice PIE signale : « Nous avons beaucoup travaillé pour faire de bons diagnostics. Nous connaissons les forces et les faiblesses de chaque membre de notre école. Tous nos enseignants sont bons, mais le contexte de vulnérabilité de notre école et les difficultés de nos enfants demandent des connaissances en éducation spécialisée. »

À l’école Lisboa, la cheffe d’UTP concentre ses efforts sur l’accompagnement du travail de planification des professeurs. Elle signale : « Les enseignants font un travail très compliqué, nous sommes toujours prêts à les accompagner dans la salle de classe. Nous sommes disponibles aussi pour aider les enfants quand ils ont des difficultés avec leurs devoirs. »

L’équipe de direction de l’école Praga décrit qu’il est important que les enseignants remettent et respectent les documents de planification pédagogique et qu’ils consignent un suivi étroit du rendement scolaire des élèves. Pour atteindre cet objectif, cette équipe réalise « un contrôle de la structure curriculaire tous les trois mois. On prend rendez-vous avec le professeur et on vérifie ensemble où on en est dans le programme (en retard, ou en avance), les succès (ce qu’il faut renforcer, ce qu’on fera les trois mois qui viennent et en avant !). »

Dans l’école Vancouver, la cheffe d’UTP et la directrice de l’école insistent sur l’importance de suivre le travail des professeurs. Elles effectuent un contrôle quotidien qui peut se transformer en plainte à la surintendance de l’éducation si le professeur n’exécute pas les tâches demandées, tout spécialement concernant les planifications de chaque classe. À ce propos, la cheffe d’UTP commente : « je rédige la lettre de plainte quand le professeur, après lui avoir expliqué trois fois, ne l’a toujours pas fait. Alors je lui dis : “collègue, je vous ai dit ceci à telle date et vous ne l’avez pas fait, signez, s’il vous plaît”. » Cependant, l’inspecteur général explique que les professeurs sont autonomes « qu’il ne faut pas être derrière eux, qu’ils prennent des engagements et les respectent ».

Des processus d’administration clairs

L’équipe de direction de Luanda a beaucoup de projets qu’elle souhaite mettre en place avec les élèves, étant donné la formation de son personnel en éducation spécialisée. Elle a aussi des attentes élevées à propos du travail des enseignants et se montre toujours à l’écoute de ce que les enseignants pensent des propositions qu’elle présente. La directrice s’exprime en ces termes : « Nous aimerions faire mille choses, mais les enseignants fixent les limites de ce qui est possible. Ils nous disent également ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. Ils nous disent aussi quand nous avons tort. Puis, il faut juste écouter, négocier, s’excuser quand on a fait une erreur. » C’est en considérant tous les aspects qu’elle développe une administration ordonnée et participative.

À l’école Lisboa, les membres de l’équipe de direction insistent sur l’importance de développer des procédures de gestion cohérentes et constantes dans le temps. En ce sens, ils expriment le besoin « d’installer des procédures où, par exemple, si le directeur ou moi-même (UTP) ou le responsable des surveillants, nous nous absentons, les professeurs continuent de faire leur cours, tout fonctionne parce que tout est tellement bien installé et organisé, dans la mesure du possible ».

Quant à l’équipe de direction de l’école de Praga, elle décrit son travail basé sur le suivi continu du programme des actions réalisées par les professeurs de la manière suivante : « Nous prenons rendez-vous avec chaque professeur pour voir où il en est, en retard ou non, là où il y a des difficultés, ce qu’on va faire dans les trois mois qui viennent. » Ils ont des processus très clairs et ordonnés suivis par la cheffe UTP.

Enfin, à l’école Vancouver, les membres de l’équipe de direction affirment qu’ils sont débordés par les tâches administratives. La directrice de l’école signale : « Moi je n’arrive pas à bien dormir parce que je suis tout le temps avec beaucoup de travail. Je sens que nous essayons de faire tout ce qui nous est demandé, mais je n’y arrive pas. Mon équipe n’est pas très douée pour ça. »

Discussion

Dans cette partie, nous nous proposons de revenir à l’objectif de notre étude, soit d’identifier les pratiques de direction permettant de mettre en place un climat de travail positif qui promeut une éducation intégrale dans un contexte de managérialisme éducatif. Ces pratiques de leadership et de gestion scolaire seront discutées à partir des dimensions proposées dans la méthodologie (Fardella et Carvajal, 2018). Rappelons que toute pratique implique une série de compétences (habiletés pour l’action), un sens (idées, croyances, jugements de valeur de l’action) et une matérialité (ressources pour l’action) et que celles-ci se situent dans le contexte chilien où la tendance managériale consiste plutôt à se focaliser sur la standardisation.

En ce qui concerne les compétences de direction d’établissements scolaires, à partir des années 1990, l’école chilienne utilise les outils des écoles dites efficaces (Cañas, 2002 ; Morales, 2014 ; Larraín et Waissbluth, 2009). Cela implique de se centrer sur l’amélioration des résultats mesurés à l’aide d’épreuves standardisées, et ce, indépendamment du contexte éducatif (Robinson et Timperley, 2007). Les écoles Vancouver et Praga développent leur leadership en fonction des résultats d’excellence, tout en construisant une organisation du travail à hauts risques psychosociaux. Selon nous, il faut souligner le danger de cette approche au regard du soin accordé aux équipes et des manières d’atteindre les objectifs. Cette expérience nous montre qu’il faut plus de compétences pour construire des espaces d’apprentissages et de bien-être que celles que mettent en oeuvre les écoles dites efficaces.

Les expériences observées dans les écoles Luanda et Lisboa sont intéressantes en ce qu’elles obtiennent les résultats attendus, tout en construisant une organisation qui présente un faible niveau de risques psychosociaux. En ce sens, discuter théoriquement des pratiques déployées pour diriger ces établissements présente un intérêt dans la mesure où celles-ci correspondent à différents styles de leadership, et pas seulement à celui qui vise l’amélioration des résultats scolaires des élèves. Les directions de ces établissements sont des leaders transformationnels (Hallinger et Heck, 2010) au sens où elles croient en une éducation aux attentes élevées vis-à-vis de ses élèves, tout en créant une culture scolaire dans laquelle il est possible d’enseigner et d’apprendre.

Les directions de ces écoles adoptent également un positionnement éthique qui leur permet de mettre en place les conditions visant l’équité sociale, la durabilité, l’environnement et le renforcement du territoire, ce qui traduit des pratiques relevant d’un leadership au service de la justice sociale (O’Mallaey, Long et King, 2009). En outre, elles présentent des caractéristiques d’un leadership d’innovation (Meijer et al., 2016 ; Tan, Liu et Low, 2017) qui s’observe par leur préoccupation constante envers le développement professionnel continu des professeurs. Ainsi, la relation de confiance encourage une réflexion collective quand il y a un climat de travail agréable, basé sur l’autonomie et l’organisation (Van Eekelen, Vermunt et Boshuizen, 2006). Les directions qui développent un leadership dit authentique non seulement amènent une participation active des travailleurs et des élèves dans les activités de l’école, mais les impliquent au sein même des processus décisionnels dans l’école. Si nous approfondissons la manière dont les équipes composent avec les difficultés rencontrées, nous voyons apparaître les caractéristiques d’un leadership dit de service (Insley et al., 2016) où se réalisent des accompagnements formatifs qui favorisent la formation et le développement d’habiletés chez les professeurs. Nous observons aussi que ces écoles utilisent la rétroaction professionnelle comme un outil de base pour le renforcement des comportements et attitudes des enseignants, instrument fondamental du Leadership Instructionnel (Gawlik, 2018).

La pratique de direction visant l’éducation intégrale et un bon climat de travail repose sur un système de croyances. Dans le discours de toutes les équipes se confirme une idée commune : l’importance de créer des liens de proximité. Cependant, c’est dans les écoles Luanda et Lisboa que ces liens de proximité mènent véritablement à un bon travail d’équipe.

En ce qui concerne les croyances dans les capacités des professeurs, les équipes de direction de Praga et Vancouver dénigrent leurs habiletés à enseigner dans un contexte de vulnérabilité. Au contraire, les équipes de direction de Luanda et de Lisboa manifestent de la confiance envers leur corps enseignant. Ainsi, les écoles qui croient et font confiance aux capacités de leurs professeurs développent des pratiques qui préconisent la délégation de certaines tâches et favorisent la participation dans la prise de décision. Cela a un impact sur le climat de confiance dans l’école, sur le bien-être des enseignants en plus d’améliorer la possibilité de créativité dans leur travail. Par contre, des croyances associées à l’incompétence des professeurs ouvrent la voie à des pratiques de contrôle, particulièrement celles de la cheffe UTP qui limite l’innovation et l’autonomie des enseignants, en provoquant des situations de mal-être.

Les équipes de direction qui croient que l’apprentissage est intégral et qui abordent avec recul et discernement les épreuves standardisées (comme Luanda et Lisbonne) favorisent l’autonomie en classe et les relations basées sur la confiance et sur le travail collaboratif entre les membres de la communauté éducative. En plus de concevoir des processus d’enseignement-apprentissage divers et créatifs, les équipes de direction promeuvent des pratiques qui sont focalisées sur les besoins des enseignants et des élèves. Concevoir l’apprentissage comme un processus linéaire, au contraire, implique d’attendre des résultats uniformes chez les élèves.

Par contre, les établissements qui ont pour seul objectif les résultats des épreuves standardisées (Praga et Vancouver) développent des pratiques de supervision des enseignants et non des pratiques d’accompagnement.

Concernant la matérialité de la pratique, toutes les équipes de direction soulignent l’importance d’avoir un bâtiment en bon état et du matériel éducatif essentiel disponible aux enseignants. Cela est lié à l’apprentissage et au bien-être des acteurs éducatifs, en particulier des professeurs. Pour les écoles Luanda, Lisboa et Praga, les lieux physiques sont utilisés et entretenus par la communauté. À l’école Vancouver, l’entretien nécessite le travail d’un service de nettoyage de manière constante, et comme les directions ont dû faire installer des grilles pour assurer la protection de l’école, cela engendre une grande dépense. On peut constater alors que l’appropriation de l’espace par les acteurs éducatifs leur permet de se sentir partie prenante de la construction de leur environnement de travail en plus de contribuer au développement d’un climat propice à l’éducation intégrale.

L’ensemble des constats évoqués nous permet d’affirmer que quelques écoles ne répondent pas seulement aux demandes éducatives standardisées, mais sont aussi capables de favoriser le développement d’espaces éducatifs où les émotions ont aussi leur place, où l’accent est mis sur les besoins de la communauté éducative et sur le renforcement du travail communautaire en faveur de l’éducation des élèves. Quand les membres de l’équipe de direction arrivent à stimuler le groupe de professeurs et de professionnels de l’éducation, en améliorant leur gestion pédagogique ainsi que leur gestion humaine, cela a un impact direct sur la possibilité d’orienter l’enseignement vers une éducation intégrale.

Conclusion

Les écoles Luanda et Lisboa sont un exemple de bonnes pratiques directives. Ces écoles ne rêvent pas seulement à une école différente mais aussi à une société plus juste, qui considère les besoins des élèves et des acteurs scolaires.

Le focus sur l’éducation intégrale nous amène à remettre en question le vrai pouvoir des résultats des évaluations standardisées. Les équipes de direction de Luanda et Lisboa sont « bilingues », elles arrivent à dominer le langage de la bureaucratie, de la standardisation et le langage éducatif des professeurs, des parents et des élèves, étrangers au discours d’entreprise. Cela se reflète dans l’accompagnement des enseignants, en particulier dans le cadre de tâches répétitives et bureaucratiques, dans le dépistage précoce des difficultés chez les élèves et dans la possibilité de partager les défis pédagogiques avec les parents. Le bien-être à l’école, qui ne fait pas partie du langage bureaucratique, devient une clé dans le développement des pratiques de gestion. Ces écoles ont des espaces physiques agréables que la communauté éducative entretient.

Si cette étude nous a permis de comparer quatre écoles, elle n’est pas suffisante pour définir de façon exhaustive la construction des pratiques de direction favorisant une éducation intégrale. Il est nécessaire de compléter cette recherche en étudiant la vision d’autres acteurs de la communauté éducative, en particulier celle des enseignants. Les suites de cette étude permettraient non seulement de réfléchir à un cadre plus global d’exercice du leadership, mais aussi de permettre d’identifier les politiques de résistances dans les écoles.