Book Reviews

À table en Nouvelle-France, Yvon Desloges, Septentrion, 2009, 240 pages[Notice]

  • Renaud Roussel

« Qu’est-ce qu'on y mange ? » Je ne compte plus le nombre de fois où il m’a fallu répondre à cette question, moi, récent immigrant au Québec. Honteux de ma propre ignorance, je débitais fébrilement, à chaque repas de famille, une liste allégée de recettes frisant la caricature : tourtière, poutine, pâté chinois, voilà à quoi se limitait l'horizon culinaire québécois dans mon esprit. Autant dire que le livre d’Yvon Desloges, synthèse des habitudes alimentaires en Nouvelle-France (1608-1763), est paru à point nommé pour étayer mes connaissances et, surtout, contribuer à ce prometteur champ de recherche qu’est l’histoire culinaire du Québec. Pour être tout à fait précis, À table en Nouvelle-France couvre une période qui dépasse les limites chronologiques de la Nouvelle-France, puisque l'analyse de Desloges embrasse le début du XIXe siècle, époque qui voit la pérennisation de certaines pratiques culinaires introduites suite à la Conquête. Tout en remettant en cause l'idée selon laquelle la Conquête marque une coupure radicale dans l'histoire du Québec, Desloges met en avant, par ce découpage chronologique, sa propre conception des habitudes alimentaires. En effet, selon l'auteur, celles-ci n’ont rien d’un modèle figé qui serait le simple fruit de décisions politiques. Elles constituent, au contraire, un processus en constante évolution qui répond, à des degrés et des vitesses variables, à une certaine conjoncture : « une chose est certaine, un modèle immuable, commun et stéréotypé duquel rien ne déroge ni en milieu urbain ni en milieu rural n’a jamais existé » (10). En d’autres termes, manger est avant tout un geste culturel; c’est l’aboutissement d’une série de pratiques agricoles, commerciales, rituelles et gastronomiques. À ce titre, l’un des intérêts principaux de À tableen Nouvelle-France tient à la décision de l’auteur de ne pas se limiter à l’analyse des produits consommés, mais d’étendre son champ de recherche aux pratiques socioculturelles ainsi qu’aux techniques et ustensiles utilisés pour préparer des plats et se nourrir. Autant d’aspects qui mettent en lumière un rapport particulier à l’alimentation et sont à la fois reflets et expressions d'une certaine identité. Ainsi, si les colons de la Nouvelle-France cherchent à reproduire « l’exemple français », c'est-à-dire celui de la métropole, Desloges affirme qu'ils développent également leurs propres moeurs alimentaires au fil de leur adaptation à la rigueur du climat ainsi qu'à la faune et la flore locales. À ces facteurs naturels Desloges ajoute un facteur humain, auquel il dédie tout un chapitre : celui de l'influence des nations amérindiennes sur les pratiques culinaires des colons, influence qu'il s'efforce de nuancer, parlant de simple « dépannage » en attendant l'implantation et la culture de produits plus européens. Toujours soucieux de déconstruire les mythes et préjugés qui perdurent aujourd’hui, l’auteur s'oppose à toute velléité de représenter et de penser les Amérindiens comme un peuple unique, uni et uniforme, en révélant l’hétérogénéité et la diversité de leurs régimes et de leurs pratiques alimentaires. En outre, cette étude des moeurs amérindiennes est l’occasion pour Desloges de caractériser le « goût » des colons à travers leur appropriation et surtout leur rejet de certains mets traditionnels. En effet, les sources disponibles aujourd’hui à ce sujet étant majoritairement des observations faites par des explorateurs français, il est possible de dresser un tableau assez précis des standards culinaires auxquels ces membres de la bonne société française étaient habitués. Ainsi, ce qui frappe tout particulièrement les premiers arrivants européens, c’est le régime « sans sel, sans pain, et sans vin » (Marc Lescabot; cité par Desloges 10) des Amérindiens qui va à l’encontre de leur régime de base. Or, comme le note malicieusement Desloges, les Français sont loin …

Parties annexes