Cooking the BooksMettre les livres à sa sauce

La cuisinière canadienne, contenant tout ce qu’il est nécessaire de savoir dans un ménage [...], Montréal, imprimée et publiée par Louis Perrault, 1840, 114 pages[Notice]

  • Yannick Portebois

Montréal semblait compter, en 1842, un clerc de notaire aux intérêts diversifiés. Entre la lecture du roman à succès du Capitaine Marryat et la consultation de La cuisinière canadienne, ce jeune homme curieux, tout personnage de théâtre qu’il ait été, éclaire peut-être un peu la réception réservée à ce livre de cuisine dans le Québec du milieu du 19e siècle. La mise en parallèle avec le cycle (très en vogue) des romans maritimes de l’auteur britannique est révélatrice: La cuisinière canadienne, ouvrage considéré comme étant le premier livre de cuisine «canadien», publié à Montréal en 1840 par l’imprimeur Louis Perrault, fut sans doute un succès de librairie. Ce n’est donc pas sans une certaine révérence que l’on feuillette aujourd’hui La cuisinière canadienne. On utilise ici le verbe feuilleter de manière métaphorique: l’ouvrage est rare, il n’en subsiste que quelques exemplaires qui ont été répertoriés par Elizabeth Driver. Pour qui veut consulter la toute première édition, force est de recourir à la version numérisée, mise en ligne par Bibliothèque et Archives Canada. Les ancrages du recueil de recettes sont connus. En amont, La cuisinière canadienne s’inspire de La cuisinière bourgeoise, célèbre ouvrage du cuisinier français connu sous le nom de Menon, et dont la première édition datait déjà de 1746. Une version de ce livre (imprimée en France) avait été mise en vente à Québec, en 1825, par le libraire Augustin Germain. De ce point de vue, La cuisinière canadienne est certes un point de rattachement à la France. En aval, La cuisinière canadienne fera date. Elle sera imitée et elle inspirera et influencera des efforts subséquents au Canada français, notamment les Directions diverses données par la Rév. Mère Caron, sup. gén. des Soeurs de la Providence pour aider ses soeurs à former de bonnes cuisinières (Montréal, 1878). C’est dire l’importance de La cuisinière canadienne sur le plan social et culturel. Elle s’ancrait dans le passé culturel du régime français et projetait dans l’avenir des habitudes réadaptées au continent nord-américain. Mais ce livre du quotidien révèle aussi autre chose sur son époque, et peut-être même sur les conditions de sa publication. C’est un riche document linguistique. À le consulter attentivement, à lire ligne à ligne les recettes qu’il contient, on voit, à travers la langue utilisée pour véhiculer le savoir culinaire, se dessiner des mouvements et des changements qui étaient alors en germe sur le plan linguistique dans le Québec du milieu du 19e siècle, dans une ville où se côtoyaient francophones et anglophones. Quand pareil contexte est évoqué, bien entendu, on pense tout de suite à la cohabitation des langues française et anglaise, cohabitation dont les effets (généralement décrits comme négatifs pour le français) se feront sentir quelques décennies plus tard et que de nombreux commentateurs, l’abbé Maguire en tête, tenteront de circonvenir. La cuisinière canadienne contient bien quelques mots anglais utilisés comme tels, le mot barley (orge) par exemple, signalé jusque dans les années 1890 par les commentateurs comme devant faire l’objet d’une correction. On trouve aussi plusieurs mots que le ou les auteurs de La cuisinière canadienne s’efforcèrent de franciser: arréroute (arrowroot), pipperminte (peppermint), saspane (sauce pan), pouding (pudding), entre autres. Mais ces mots anglais et ces tentatives de francisation ne représentent qu’une partie de la richesse linguistique de l’ouvrage. Parallèlement à ce mouvement, et c’est ce qui m’intéresse ici, on voit également la présence de caractéristiques d’un autre état de langue, qui fut celle d’avant le régime anglais. Le mot vaisseau est utilisé au sens de «contenant», «bol de grande dimension». On passe le bouillon par la chausse. La …

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