Corps de l’article

La prostitution et la toxicomanie constituent deux phénomènes bien souvent interreliés. Ainsi, une étude prospective réalisée à Vancouver auprès de 565 femmes utilisatrices de drogues injectables (UDI), recrutées par des travailleurs de rue, montre que 336 (59 %) d’entre elles étaient des prostituées (Kuyper, Papelu, Kerr, Li et Miller, 2005). Au cours des sept années durant lesquelles ces femmes ont été suivies, 86 femmes se sont engagées dans des activités de prostitution alors que 25 ont cessé. Deux études portant sur les prostituées de rue indiquent que, dans la région de Glasgow, 81 % (51/63) sont UDI (Green et Goldberg, 1993) ; alors que 75 % d’entre elles le sont en Angleterre (McKeganey et Barnard, 1996). Ces données doivent être nuancées par le constat de Brochu (2006 : 65) qui conclut à partir d’une synthèse de différentes études que, contrairement aux croyances populaires, les délits reliés à la prostitution ne sont pas ceux qui sont les plus communs chez les femmes abusant de drogues. Chez les narcomanes, le recours à la prostitution comme source de revenus caractérise 21 % des femmes et seulement 3 % des hommes, selon Grapendaal, Leuw et Nelen (1995). Globalement, les femmes toxicomanes qui se prostituent tendent à être plus jeunes et sont plus à risque d’avoir été incarcérées, d’avoir un milieu de vie instable, de s’injecter de la cocaïne ou de l’héroïne quotidiennement et de fumer du crack tous les jours que celles qui ne se prostituent pas (Kuyper et coll., 2005).

Les femmes toxicomanes qui se prostituent le feront en général en dernier recours, typiquement en offrant leurs services dans la rue et non dans le cadre d’agences spécialisées, se rendant ainsi particulièrement vulnérables (Philpot, Harcourt et Edwards, 1989). Dans une perspective de santé publique, cette réalité est particulièrement préoccupante, étant donné le risque élevé pour ces femmes de contracter le VIH et les autres infections transmissibles sexuellement ou par le sang (voir notamment Inciardi et Suratt, 2001 ; Nadeau, Truchon et Biron, 2000 ; Spittal et coll., 2003). Par ailleurs, il est également bien établi que ces femmes vivent des niveaux alarmants de violence physique et émotionnelle (Miller et coll., 2002 ; Romero-Daza, Weeks et Singer, 2003). Pourtant, l’accès aux services pour abus de substances psychoactives leur est encore plus difficile que pour les autres femmes toxicomanes (Kuyper et coll., 2005 ; Nuttbrock, Rosenblum, Magura, Villano et Wallace, 2004).

Plusieurs hypothèses et théories ont été proposées pour expliquer les liens entre toxicomanie et prostitution. Brochu (2006) rappelle que la prostitution fait partie des activités lucratives auxquelles les femmes toxicomanes, surtout celles dépendantes à la cocaïne et l’héroïne, peuvent recourir pour assumer les coûts élevés liés à la consommation de leur(s) drogue(s) de choix. Une étude longitudinale auprès de jeunes filles de la rue à Montréal documente cette hypothèse (Weber, Boivin, Blais, Haley et Roy, 2004). D’autres auteurs précisent que l’implication dans la prostitution pourrait mener certaines prostituées à consommer davantage (Kuhns, Heide et Silverman, 1992). La consommation de drogues serait utilisée comme un mécanisme d’adaptation pour gérer les risques et difficultés associées à la prostitution de rue (Marshall et Hendtlass, 1986). Des antécédents d’abus sexuel peuvent également jouer un rôle déterminant dans l’initiation à la prostitution (Conseil du statut de la femme, 2002). Par ailleurs, plusieurs femmes toxicomanes ont été abusées sexuellement sans pour autant se prostituer. D’autres facteurs de risque doivent donc se conjuguer aux abus sexuels dans l’enfance pour expliquer cette initiation. Notamment, une personne qui choisit d’adopter un style de vie déviant sera plus encline à recourir aux activités illégales pour subvenir à ses besoins (Brochu, 2006 : 68).

Force est de constater que des réalités différentes caractérisent le vécu des femmes selon le type de prostitution qu’elles pratiquent (Gendron et Hankins, 1995). Comment expliquer que certaines femmes toxicomanes s’engagent dans des activités de prostitution durant plusieurs années alors que d’autres ne le feront que temporairement ou encore pas du tout ? Comment la trajectoire de prostitution peut-elle affecter la trajectoire de toxicomanie et de réadaptation de ces femmes, et inversement ? Comment ces femmes arrivent-elles dans les services en toxicomanie et quels obstacles spécifiques rencontrent-elles ? Quels sont les défis de leur démarche de réadaptation ? Cette étude vise à répondre à ces questions par l’exploration du vécu et de la perspective subjective de ces femmes quant à leurs trajectoires de toxicomanie et de prostitution au cours de leur vie.

Les analyses suivantes reposent sur le concept de trajectoire qui fait référence à l’étude de parcours bien circonscrits (Bertaux, 2005 : 22). Dans cette présente étude, nous nous intéressons plus particulièrement aux trajectoires de prostitution en lien avec les trajectoires de toxicomanie. Nous souhaitons comprendre ce qui a pu influencer le parcours de vie de ces femmes, tant sur le plan de la consommation que des activités de prostitution, tout en s’attardant aux liens qui peuvent exister entre les trajectoires de toxicomanie et de prostitution chez une même femme. De façon plus spécifique, nous cherchons à explorer le vécu expérientiel du participant en tant qu’acteur social ainsi que sa façon de se représenter sa propre trajectoire (Mucchielli, 1996). Le vécu expérientiel, soit la façon dont l’individu s’est senti, a interprété et a réagi à divers événements ou contextes de vie, imprime un mouvement à son devenir, influence sa trajectoire (Brochu, 2006 ; Mucchielli, 1996). Comme le souligne Kokoreff (2005), les trajectoires de vie ne représentent pas un chemin tracé d’avance, mais bien le résultat d’interactions complexes entre l’individu et son monde social ; ces dernières peuvent expliquer les différentes phases, points de rupture ou bifurcations vers différentes « carrières ». Pour bien comprendre ces parcours de vie, l’étude des « trajectoires subjectives » est particulièrement indiquée par le recours à un entretien de recherche au cours duquel l’individu est invité à faire le récit de son propre parcours (Dubar, 1998).

Ainsi, la méthode des récits de vie est une méthode privilégiée par notre étude puisque celle-ci permet « d’appréhender de l’intérieur et dans leurs dimensions temporelles » des objets sociaux bien circonscrits, comme la toxicomanie (Bertaux, 2005 : 22) et, dans le même sens, la prostitution. Les récits de vie permettent à l’interviewé de se raconter, dans un cadre privilégiant une structure du discours chronologique et permet de dégager la vision personnelle de la personne en ce qui a trait à sa propre trajectoire (Brunelle, Cousineau et Brochu, 2005). Comme le souligne Bertaux (2005), le récit de vie est particulièrement bien adapté à l’étude des trajectoires lorsqu’il est orienté vers la description d’expériences vécues personnellement dans des contextes bien précis.

Méthodologie

Participantes

Cet article porte sur un sous-échantillon de six femmes parmi 21 participantes ayant été interviewées entre 1999 et 2000 dans le cadre d’une étude plus large portant sur la perspective subjective de femmes toxicomanes en traitement présentant des problèmes graves et persistants d’inadaptation sociale (Bertrand, 2004). Ces 21 femmes ont été sélectionnées entre 1995 et 1998 parmi 219 femmes qui, à leur admission dans un centre de traitement public situé à Montréal, présentaient les problèmes de santé mentale et/ou légaux les plus graves à l’Indice de gravité d’une toxicomanie (IGT).

Ces six femmes se sont spontanément exprimées quant aux interactions entre leur vécu de prostitution et de toxicomanie. Dans cet article, la prostitution est définie comme étant le fait de donner des services de nature sexuelle en échange d’argent. Bien que des auteurs conceptualisent les échanges sexe-drogues en termes de prostitution, les acteurs sociaux impliqués ne les considèrent généralement pas comme tels (Brochu, 2006 ; Nadeau, Truchon et Biron, 2000).

Ces femmes ont été rencontrées en 2000, soit de 5 à 8 ans après leur admission en traitement. Elles sont alors âgées en moyenne de 36 ans et possèdent une moyenne de 10,7 années de scolarité. Elles sont plus jeunes et moins scolarisées que le groupe de 21 femmes, âgées en moyenne de 41,9 ans et ayant 12,1 années de scolarité. À ce moment, deux participantes vivent en union libre ; les quatre autres rapportent être seules. Une seule détient un emploi rémunéré, quatre vivent principalement de l’aide sociale, une dernière, de sources illégales de revenu. Ce profil ressemble à celui du groupe de 21 femmes : la majorité (17/21) n’a pas de conjoint et vit de l’aide sociale (12/21). Quatre des six participantes rapportent avoir été abusées sexuellement au cours de leur enfance ; cela représente 11 femmes sur 21 pour l’échantillon initial.

Lors de l’admission en traitement, l’IGT a permis d’établir que les participantes se caractérisaient aussi par la prise d’opiacés et de cocaïne alors que les 15 autres femmes interviewées abusent principalement de l’alcool et du cannabis. Parmi les six participantes, quatre ont consommé des drogues par voie intraveineuse, dont deux de l’héroïne, l’une des amphétamines et l’autre de la cocaïne. Quant aux 15 autres femmes interviewées, aucune n’a consommé de drogues par voie intraveineuse.

Instruments de mesure

Les données proviennent des deux sources suivantes : les résultats à l’IGT et les entrevues qualitatives semi-structurées de type histoire de vie. L’IGT est une traduction de l’Addiction Severity Index (McLellan, Luborsky et Earlen, 1980), dont la validation de la version française montre de bonnes qualités psychométriques (Bergeron, Landry, Brochu et Guyon, 1998). L’IGT fournit les deux séries de données répétées : celles de l’admission en traitement (1991-1995) et celles de 2000.

Pour ce qui est des récits de vie, les personnes interviewées ont été invitées à raconter leur vie en débutant par l’enfance et en abordant chacune des variations de leur consommation de substances psychoactives (SPA) en cours de vie : initiation, progression, maintien, diminution et arrêt. Pour chacune de ces variations, le contexte et l’expérience pluridimensionnelle (émotions, cognitions, comportements) des personnes ont été explorés ainsi que le point de vue subjectif traduisant leur compréhension de leur trajectoire. Certains thèmes plus précis, définis dans une grille d’entrevue, ont été explorés au fur et à mesure qu’ils ont émergé dans le discours des participantes : relations familiales et sociales au cours de l’enfance, expériences d’abus, événements de vie significatifs, demandes d’aide formelles et informelles (ex. : auprès de l’entourage), déclencheurs des demandes de services, type de services reçus en regard des problèmes de toxicomanie, éléments perçus comme « aidants » au cours de la trajectoire de réadaptation (liés aux services ou non), obstacles rencontrés lors des différentes demandes d’aide. Le vécu quant aux activités de prostitution ne faisait pas partie de la grille d’entrevue fut abordé spontanément lors du récit de vie, souvent mis en lien par les participantes par rapport à leur trajectoire de toxicomanie. Il est à noter qu’aucune question n’a été préparée et que l’intervieweuse a adopté une attitude non directive.

Déroulement de la recherche

Les femmes qui ont accepté d’être jointes par les chercheurs ont reçu une lettre expliquant les buts, le déroulement de la recherche et l’information par rapport à l’entrevue qui sera réalisée, permettant aux interviewées de se préparer à la rencontre et de fournir une plus grande richesse d’informations (Van der Maren, 1996). Le premier rendez-vous a été fixé lors d’un contact téléphonique avec l’une des deux intervieweuses. Dans un intervalle d’environ une semaine, deux entrevues de deux heures ont été réalisées auprès des participantes[1], ce qui est recommandé pour permettre à l’interviewée de se sentir à l’aise tout en évitant de l’épuiser (Deslaurier, 1991). L’ampleur des thèmes explorés ainsi que les affects suscités par ce type d’entrevue, en particulier chez ces femmes dont l’histoire est bien souvent marquée par des événements de vie difficiles, justifient particulièrement l’importance de réaliser l’entrevue en deux rencontres. Une compensation financière a été accordée à la suite de chacune des entrevues (50 $ en tout). Un formulaire de consentement à la recherche assurant la confidentialité, le droit de se retirer de l’étude à tout moment et l’assurance que leur participation n’affecterait en rien leur droit à recourir aux services du centre de traitement a été signé par chacune des participantes. Celles-ci ont été identifiées par des prénoms fictifs et aucun détail permettant de les identifier n’est révélé dans ce texte.

Analyse des données

Le compte rendu intégral des entrevues a été dactylographié. Une analyse thématique du contenu manifeste a été réalisée à l’aide du logiciel NUD*IST. Une table de codification mixte a été utilisée. La grille de codification a été élaborée à partir des questions de recherche et de nouveaux codes ont été ajoutés à celle-ci à partir des thèmes émergeant en cours d’analyse. Chacun des codes a été défini dans un lexique. Les récits de vie ont été analysés de façon verticale et horizontale : chacune des participantes a été comparée à elle-même et aux autres. En plus de dégager les points de convergence et de divergence dans les récits de vie, ces analyses ont permis d’examiner si certains facteurs peuvent jouer un rôle important, selon la participante, à différents moments de sa trajectoire. Les deux résultats à l’IGT complètent les données. Toutes ces mesures sont recommandées par Miles et Huberman (1994) afin d’augmenter la fidélité et la validité des données.

Résultats

L’analyse des six histoires de vie permet d’identifier trois types de trajectoires en plus de dégager divers constats en ce qui a trait à l’expérience de maternité chez les participantes ainsi qu’à l’accessibilité des services.

Illustration de trois types de trajectoires

Trois types de trajectoires de prostitution émergent des récits de vie : 1) un dernier recours pour soutenir une toxicomanie dans le contexte d’une trajectoire délinquante précoce ; 2) une occupation entraînant un style de vie déviant ; 3) un accident de parcours. Le rôle majeur de la toxicomanie sur les trois types de trajectoire de prostitution est souligné par l’analyse de ces récits. Quatre de nos six participantes sont des UDI ; ce n’est pas le cas des autres femmes de l’échantillon. Pour cinq d’entre elles, la prostitution de rue marque leur parcours – une seule femme a fait un travail d’« escorte », elle rapporte une dépendance moins grave que les autres. Comme le montrent deux autres études qualitatives sur le sujet à Québec (Damant, Paré, Trottier Noël et Doitteau, 2005) et à Toronto (Erickson, Butters, McGillicuddy et Hallgren, 2000), l’initiation à la prostitution de rue est associée à la toxicomanie, la violence et la criminalité. Les récits de vie de notre étude illustrent également que les trajectoires de toxicomanie et de prostitution se renforcent mutuellement. À partir de leur étude portant sur 80 femmes qui se prostituent surtout dans la rue, Cusik et Hickman (2005) relèvent également ce déterminisme réciproque qui contribue à piéger ces femmes dans leurs deux « carrières ».

Prostitution : « la dernière branche » au bout de la trajectoire déviante

Les récits d’Hélèna, d’Ophélie et d’Ursula, bien que comportant un grand nombre d’expériences uniques, contiennent plusieurs similitudes. Les trois se sont initiées en dernier recours à la prostitution afin d’être en mesure de se procurer des drogues dures : de l’héroïne pour s’injecter dans les cas d’Ophélie et d’Hélèna et de la cocaïne par inhalation (freebase) pour Ursula. Leurs récits sont marqués par une progression rapide de leur trajectoire toxicomane associée de manière concomitante à une trajectoire déviante précoce composée de différents délits.

Elles ont toutes commencé une consommation régulière de cannabis vers 13 ou 14 ans. Ophélie commence à s’injecter de l’héroïne à 15 ans et s’initie à la prostitution à 17 ans, et ce, après avoir préalablement payé sa consommation en vendant de la drogue et en étant proxénète. Hélèna commence à s’injecter de l’héroïne à 19 ans et devient prostituée à 24 ans lorsque la vente de drogues et le vol à l’étalage ne suffisent plus à soutenir sa dépendance. Avant 19 ans, Hélèna rapporte avoir fait de la « petite délinquance » – des fugues de son centre d’accueil, des « mauvais coups », etc. Ursula commence à sniffer de la cocaïne régulièrement à 18 ans et à en inhaler à 24 ans. C’est à ce moment qu’elle devient escorte pour payer sa consommation. Auparavant, elle avait commis différents types de vols.

Pour ces trois femmes, la prostitution a représenté un dernier recours pour soutenir leur dépendance, après que plusieurs autres moyens, notamment de nature criminelle, eurent été épuisés. Hélèna explique :

« Ça me prenait mon héroïne sinon j’me serais pété un beau sevrage. »

Lorsqu’elle rencontre un client une première fois, elle explique comment la drogue devient aussi un moyen de faire face à cette nouvelle et dure réalité :

« J’venais pour faire mes premiers clients alors j’ai augmenté ma dose pis c’est là que j’me suis ramassée cliniquement morte pis quand mon pusher l’a su… ben il devait m’aimer ou bien il a eu peur que j’crève avec sa dope, parce qu’il me faisait faire deux livraisons par jour pis ça me donnait mon argent. »

Peu de temps après ces événements, ce pusher a été incarcéré, laissant Hélèna seule. Après avoir tenté de compenser sa perte de revenus par des vols à l’étalage, elle explique comment elle a dû se résoudre à refaire de la prostitution :

« Pis quand j’ai été arrêtée deux fois dans la même semaine, ben, avant de me retrouver en-dedans, on peut toujours changer de branche, alors la dernière branche, ça été ça. (…). La prostitution, c’est des amendes (…) j’faisais même pas ça dans les secteurs, alors la police me laissait tranquille. »

Les propos d’Ophélie illustrent également cette notion de dernier recours à laquelle est associée l’initiation à la prostitution :

« J’avais des filles qui travaillaient sur la rue pour moi. Je les faisais travailler sur la rue parce qu’eux autres étaient accrochées dans la dope et moi je les faisais travailler parce que moi j’étais accrochée dans la dope (…). Et moi j’voulais pas y aller sur la rue, tout le kit, mais j’me suis ramassée là pareil. »

Ursula explique :

« J’consommais, j’consommais, alors de plus en plus je m’enlisais (…) cela a continué en dégringolant (…) j’voulais faire de l’argent alors j’ai commencé à être escorte (…). J’avais pu de respect pour mon corps (…) ça ne me dérangeait même plus. »

À la suite de cette initiation au travail du sexe, les trajectoires de prostitution et de toxicomanie s’entremêlent.

Une diminution ou un arrêt de la consommation de drogues permet souvent un arrêt de la prostitution. A contrario, une rechute et une aggravation de la toxicomanie peuvent entraîner un retour à la rue. Voyons le récit d’Ophélie qui illustre bien ces interactions. Ophélie fait de la prostitution de 17 à 18 ans pour se payer de l’héroïne ; elle cesse lorsqu’elle va vivre avec son amoureux qui vend de la drogue. Elle en vend avec lui. Lorsqu’il y a rupture, à 23 ans, elle augmente sa consommation d’héroïne et recommence à se prostituer jusqu’à 25 ans. À la suite d’une surdose, elle entreprend une thérapie. Après un arrêt de quelques mois, elle rechute et se prostitue à nouveau pendant environ 1 an. Elle arrête ensuite et fait une autre thérapie en milieu interne pendant quatre mois. Elle recommence ensuite à consommer jusqu’à 30 ans, mais sur les breaks pour éviter que son conjoint, rencontré en thérapie, ne s’en aperçoive. Au moment de l’entrevue, à 32 ans, elle est sous méthadone et est abstinente de tout autre drogue, incluant l’alcool (IGT abrégé). Quant à Hélèna, elle se prostitue dans la rue pendant environ 1 an, de 23 à 24 ans. Elle arrête lorsqu’elle s’engage dans une démarche thérapeutique parce qu’elle n’en peut plus de ce mode de vie et de la prostitution. Elle vivra une trajectoire ponctuée de plusieurs épisodes d’utilisation de services et de nombreuses rechutes. Cependant, elle diminue progressivement sa consommation et n’a plus à recourir à la prostitution pour soutenir sa dépendance.

Le récit de Réjeanne pourrait s’inscrire dans le même type de trajectoire que les trois récits précédents même si celle-ci présente très peu de recul par rapport à son histoire lors de notre entrevue. À 30 ans, elle fait encore de la prostitution et il est impossible de la retracer pour la deuxième entrevue – elle aurait recommencé à s’injecter de la cocaïne. Comme les trois autres femmes, elle considère qu’elle n’a pas le choix de se prostituer pour payer sa drogue. Ses périodes d’arrêt sont de courte durée et ne semblent pas être associées à l’arrêt de la prostitution, qui est son principal moyen de subsistance :

« J’ai pas le choix (…) le maudit gouvernement veut pas me donner de bien-être [aide financière]. »

Par ailleurs, comme dans le cas des trois autres, ses trajectoires de consommation et de délinquance sont précoces et la prostitution est associée à l’aggravation de sa trajectoire de toxicomanie.

Prostitution : un métier de survie qui coule de source

La trajectoire de Nina est différente de celle des autres. Sa trajectoire de prostitution s’étend de l’âge de 12 à 32 ans et précède la consommation d’alcool. Elle est abusée sexuellement de 5 à 12 ans par son père alcoolique et violent qui lui donne de l’argent en échange. Sa mère aussi est violente envers elle et la néglige. C’est dans ce contexte de maltraitance qu’elle s’initie à la prostitution :

« Ma mère, souvent, elle me mettait dehors sans manger, sans rien (…). Quand j’tais toute seule, j’étais allée traîner dans le parc Lafontaine pis j’avais remarqué des filles qui se promenaient pis qui embarquaient dans les voitures, pis qui revenaient. Mais là, j’savais pas que c’était de la prostitution encore là, moi j’suis nounoune, j’le sais pas tout ça. Fait que j’ai fait comme eux autres (…). Le monsieur il m’a dit : ‘suces-tu ?’ Pis là, j’ai dit ben oui. J’tais habituée avec mon père. »

La prostitution lui permet d’acheter des friandises et d’aller jouer dans les machines à boules et d’améliorer sa vie :

« Enfin, j’faisais pu de faveurs sexuelles à mon père. J’faisais de la prostitution, mais là, c’est moi qui décidais. C’tait pu personne qui gérait ma vie. »

C’est alors que Nina commence à boire de l’alcool pour gérer les dangers de la rue et de la prostitution :

« Quand je suis tombée dans la rue, je me suis aperçue que, pour coucher avec des bonhommes, c’tait plus facile quand j’avais une bière de bue ou deux (…) j’ai commencé à coucher avec des bonshommes qui me donnaient de l’alcool pis ça me faisait filer moins raide. (…) quand t’as 14 ans et que tu es dans la rue (…) j’me sentais petite dans mes culottes mais quand je buvais de la bière, j’avais peur de personne. »

Elle arrête quelque temps la prostitution à 14 ans, lorsqu’elle est placée en centre d’accueil à la suite d’un vol de voiture. À sa sortie, à 17 ans, elle se trouve un emploi dans un hôtel et développe un problème de cannabis. À 20 ans, à la suite d’un accouchement et d’une rupture amoureuse, sa trajectoire de toxicomanie s’aggrave considérablement : elle sniffe de la coke régulièrement, consomme de l’alcool et du cannabis et développe un problème de jeu excessif. De façon concomitante, elle recommence à faire de la prostitution. Ces trajectoires de consommation et de prostitution se poursuivent jusqu’à l’âge de 32 ans, alors qu’elle demande pour la première fois des services pour ses problèmes de consommation. Elle fera ensuite plusieurs rechutes avec les drogues et le jeu ainsi que de multiples demandes de services ; elle ne recommencera jamais à se prostituer.

Nina explique qu’elle est elle-même surprise d’avoir cessé la prostitution tant cette activité faisait partie de son identité :

« Si tu m’avais dit ça, un jour, que je serais allée dans les AA et que j’aurais fait une thérapie (…), j’taurais pas cru, parce que j’ai toujours pensé que ce serait ça ma vie, que j’ferais ça jusqu’à ce que je meure, que j’tais comme ça et que j’pouvais rien y changer (…). Tsé, ça fait longtemps que ça fait partie de ma vie qu’il y a des bonshommes et qu’il y a de l’argent. »

Les propos de Nina appuient les conclusions de Jeffreys (1997 : 262) qui souligne que « le fait d’avoir été abusée sexuellement pendant l’enfance peut entraîner la personne abusée à considérer que son corps n’a qu’une valeur sexuelle » et qu’« avec une telle perception de soi-même, le passage à la prostitution va de soi ».

Au moment de notre entrevue, à 40 ans, elle n’avait pas consommé de drogues depuis sept ans et pas d’alcool depuis cinq ans, exception faite d’une courte rechute il y a trois ans. Elle fréquente les Gamblers Anonymes et n’a pas joué depuis 33 jours. Elle est suivie pour un sevrage d’anxiolytiques dont la consommation était devenue problématique depuis deux ans. Son récit nous apprend que sa réinsertion socio-professionnelle constitue son défi majeur :

« J’ai réessayé de faire de la prostitution durant mes cinq années d’abstinence, là. J’ai pas été capable, parce que je n’avais aucune drogue, aucun alcool. J’avais rien pour geler mes émotions face à cette activité là (…). Quand tu te prostitues depuis que t’as cinq ans avec ton père jusqu’à l’âge de 32 ans, tu t’en vas pas sur le marché du travail le lendemain matin avec plein de confiance. »

Pour Nina, la prostitution a précédé la consommation d’alcool et de drogues et a contribué au développement de sa trajectoire de toxicomanie, en plus des autres facteurs de risques familiaux présents dans sa vie. Ce type d’initiation à la prostitution comme stratégie de « survie » est également rapporté dans une autre étude québécoise (Damant et coll., 2005). L’engagement de Nina dans une démarche de réadaptation pour ses dépendances aux substances a par la suite fait obstacle à la poursuite de sa trajectoire de prostitution. Le recours aux substances pour faire face aux difficultés de ce métier lui était devenu indispensable. La prostitution ne pouvait plus cadrer avec le nouveau mode de vie, sans substance ni autre dépendance, qu’elle a choisi.

Prostitution : l’accident de parcours

Pour d’autres femmes, la prostitution peut constituer une sorte d’accident de parcours, temporaire et de courte durée. C’est le cas de Patricia qui a commencé à faire de la prostitution à 19 ans, pour une durée totale de six mois. Elle ne rapporte aucune autre activité illégale au cours de sa vie. Son récit nous apprend qu’elle développe des problèmes de consommation d’alcool et de cannabis à 18 ans, alors qu’elle quitte le nid familial dans un contexte difficile. Elle devient danseuse nue et consomme alcool et drogues à tous les jours. À 19 ans, elle commence à consommer de la cocaïne par voie intraveineuse et se retrouve à Toronto. Une amie rencontrée là-bas l’initie à la prostitution.

Son parcours de prostitution se termine lorsqu’elle rencontre un amoureux vendeur de drogues. Comme celui-ci est contre la consommation de crystal meth (amphétamine), il l’aide à diminuer sa consommation. Par la suite, le métier de danseuse nue, le milieu associé à ce métier surtout, et la présence d’amoureux vendeurs de drogues sont les deux principaux facteurs qui influencent les variations de sa trajectoire de toxicomanie. Au moment de notre entrevue, à 46 ans, après plusieurs épisodes de traitement, elle se bat toujours avec ses problèmes d’alcool et de drogues qui, par ailleurs, sont beaucoup moins graves qu’auparavant.

Le récit de vie de Patricia illustre comment les relations amoureuses peuvent être perçues comme une influence déterminante au plan de la trajectoire toxicomane. Comme plusieurs autres participantes, ses amoureux sont des vendeurs de drogues. L’étude de Lecavalier (1992, citée dans Brochu, 2006) auprès de femmes cocaïnomanes en traitement permet également de bien documenter comment ces échanges sexe-drogues sont communs et considérés normaux par celles-ci. Pour Patricia, la prostitution permet de façon temporaire de combler son besoin de drogues alors qu’elle se trouve sans amoureux et sans ressource.

L’expérience de la maternité : de multiples facettes

Parmi les six participantes, cinq sont devenues mères. L’influence de cette expérience diffère selon les récits. Pour Hélèna et Nina, le placement de leur enfant, très peu de temps après la naissance, est associé à une aggravation rapide de leur trajectoire toxicomane. À la suite de cette aggravation, l’une s’initie à la prostitution alors que l’autre recommence à se prostituer. Ce placement représente un rêve brisé et une désillusion. Quant à Ursula, elle éprouve également des difficultés par rapport à son rôle de mère à la suite de la naissance de son enfant, dans un contexte de rupture amoureuse. Elle recommence à consommer de la cocaïne et fait garder son enfant par sa mère toute la semaine prétextant travailler dans les bars. En fait, elle commence à travailler comme escorte. Elle ne se sent pas capable de s’occuper de son enfant qu’elle laisse pour des périodes de plus en plus longues chez sa mère alors que sa consommation de cocaïne devient de plus en plus grande.

Quant au récit de Réjeanne, celui-ci illustre plutôt comment les femmes déjà engagées dans une trajectoire marquée par la consommation de drogues dures et la prostitution peuvent difficilement faire face à l’expérience de maternité qui survient de façon imprévue. Celle-ci constate sa grossesse à 24 ans lorsqu’elle se fait arrêter par la police alors qu’elle fume intensivement de la cocaïne (freebase) depuis trois mois, dans ce qu’on appelle un crack house. La prostitution fait alors déjà partie de son mode de vie. C’est dans ce contexte qu’elle est obligée d’aller en traitement. Son enfant est placé à la naissance. Selon son récit, sa trajectoire toxicomane s’est maintenue et s’est même aggravée à la suite de ces événements. Cependant, contrairement aux autres femmes, elle ne fait aucun lien entre sa consommation d’alcool et de drogue et son expérience de la maternité.

Enfin, pour Ophélie, son enfant représente un élément majeur de sa vie qui contribue à sa réadaptation et à sa motivation pour maintenir ses efforts à s’en sortir. Au moment de l’entrevue, elle vient d’accoucher depuis un mois. Depuis deux ans, elle est sous méthadone et abstinente de toute autre substance. Cependant, elle reconnaît qu’elle vit une situation de vulnérabilité, car son conjoint cocaïnomane est en rechute. Ursula, par ailleurs, fait beaucoup d’efforts pour freiner sa consommation de cocaïne. Elle attribue sa motivation à son rôle de mère. Cependant, elle ne demande pas de services, par peur des réactions de sa famille et de son conjoint à qui elle cache sa consommation.

Le fait d’avoir un enfant est à la fois associé à une motivation de se sortir de la toxicomanie – et de la prostitution – tout en étant un facteur associé aux rechutes et à une aggravation de la trajectoire toxicomane. Une plus large étude auprès de l’ensemble des 21 femmes toxicomanes en traitement en vient aux mêmes conclusions (Bertrand, 2004 ; Bertrand, Allard, Ménard et Nadeau, sous presse). Dans son étude sur 54 mères toxicomanes, Guyon et ses collaboratrices (Guyon, De Koninck, Morissette, Ostoj et Marsh, 2002) dressent également le même constat.

Le défi de l’accessibilité aux services

Pour la majorité des participantes, le premier contact avec les services s’est fait dans un contexte de crise alors qu’elles faisaient encore de la prostitution. La prostitution en elle-même contribue à susciter cet état de crise, tellement elle est vécue difficilement. C’est d’ailleurs le cas des jeunes prostituées de rue, de l’étude de Kid et Krall (2002), ces dernières relient leur tentative de suicide à leur expérience de prostitution. La crise découle habituellement des conséquences de la dépendance aux substances, avec ses conséquences sur la santé physique et la prostitution. En effet, certaines participantes se représentent la prostitution comme une conséquence de la toxicomanie qui finit par devenir intolérable. Ce vécu est alors associé à un déclencheur d’une demande de services, comme Hélèna le raconte :

« Un moment donné dans le temps de Noël, j’ai appelé pis j’ai dit ça va faire, j’veux rentrer (…). J’tais tannée de me geler au coin de la rue pis de faire ça à mes parents (…) Non, non, c’est pas pour ma mère que je suis rentrée (en traitement), c’est parce que j’étais tannée de faire de la prostitution. Pis dans le temps des fêtes, c’est encore plus dur, y’a pas de client, j’me suis découragée, j’me suis dis, c’est pas une vie ça. »

Comme le récit d’Ophélie l’illustre, l’accès aux services des femmes qui font de la prostitution est habituellement accidentel, résultant d’un contact avec les salles d’urgence ou avec le système de justice (Arnold, Stewart et McNeece, 2000) :

« J’suis tombée vraiment ben malade (…) je suis tombée sur un cold turkey débile, et j’me suis ramassée à l’hôpital (…) quand je suis sortie de l’hôpital, j’ai décidé d’aller en thérapie. »

Pour Ophélie comme pour Hélèna, la réaction des proches par rapport à leur état rend le déni encore plus difficile et contribue à déclencher la décision d’aller chercher de l’aide :

« Parce que mon père, je l’aime, et quand il m’a vue, j’étais maigre, maigre, j’pesais 97 livres (…) et il s’est mis à pleurer (…) c’est rare qu’il extériorise quelque chose. C’est venu me pogner ben ben loin. À ce moment-là, j’ai décidé. J’rends ben du monde malheureux et j’suis malheureuse… moi j’ai dit j’vas m’en aller en thérapie. » (Ophélie)

Dans la plupart des cas, lorsque les participantes entreprennent un traitement à la suite d’une situation de crise, des proches ont facilité la demande d’aide :

« La dernière année que j’me suis piquée, quand j’suis rentrée en désintox, il était temps, elle (sa mère) en avait plein son casque. Mais c’est pas elle qui m’a poussée dans le dos, mais elle m’avait pris mon rendez-vous pis c’est moi qui a appelé. Elle était sur l’autre ligne pis c’est moi qui a fait avancer mon rendez-vous. » (Hélèna)

Pour deux autres participantes, c’est principalement ce lien de confiance avec un professionnel de la santé qui facilite l’accès à un traitement, alors qu’elles sont isolées et n’ont pas de soutien social. Nina raconte :

« J’passais des trois, quatre, cinq jours sans dormir parce que j’avais pas de place pour aller dormir (…) j’me suis ramassée dans la rue pis c’est là que Monique m’a ramassée (intervenante de rue). Monique a été mon sauveur une couple de fois (…). J’pensais que c’tait une police ou une espionne (…) j’fermais ma gueule, j’avais pas confiance. Quand j’suis tombée malade, j’avais pu de place, elle m’a tendu la main pis j’ai essayé d’y faire confiance un petit peu. »

Un peu plus tard, elle décidera de faire confiance à un médecin de l’urgence, à la suite de nombreuses admissions :

« C’tait un docteur qui m’avait donné une p’tite carte. (…) Sur la petite carte, il y avait un châssis, une fenêtre et il y avait une croix dans le milieu et il y avait un soleil au travers. »

Quant à Patricia, c’est un grave épisode de violence conjugale qui la mène dans une maison d’hébergement pour femmes violentées. Cette ressource l’aidera à faire les démarches pour entreprendre un traitement dans un centre de réadaptation pour personnes toxicomanes.

Dans tous ces cas, ce soutien de la part de proches ou de professionnels semble essentiel pour permettre à ces femmes d’actualiser leur décision de s’en sortir qui, elle, est très personnelle. Plusieurs soulignent d’ailleurs l’importance de prendre cette décision par elles-mêmes. Par ailleurs, elles sont conscientes au moment de l’entrevue que leur difficulté à reconnaître leur problème et à se sentir prêtes et motivées à changer a constitué un obstacle à leur démarche de réadaptation, et ce, de façon plus marquée que pour l’ensemble des 21 participantes. Il faut noter que ces six participantes sont caractérisées par une dépendance à des drogues dures, ce qui n’est pas le cas de la majorité des autres participantes. Par ailleurs, l’IGT abrégé de recherche et les récits de vie permettent d’établir que sur le plan de la gravité de leurs problèmes de consommation, l’état de cinq des six participantes s’est amélioré. Parmi ces cinq dernières, au moment de l’entrevue de recherche, aucune n’avait consommé d’héroïne ni de drogues par voie intraveineuse dans le dernier mois. Deux participantes sont abstinentes d’alcool et de drogues depuis une période variant entre deux et cinq ans, si on exclut la méthadone pour l’une et les antidépresseurs pour l’autre.

Ainsi, pour qu’un contact avec des services de crise puisse résulter en une démarche thérapeutique significative, certains ingrédients doivent être présents. Pour nos participantes, le soutien, que ce soit de la part de proches ou de professionnels, est l’ingrédient clé qui permet d’actualiser la décision de s’en sortir. Le fait de s’approprier la décision de changer est l’autre facteur significatif. Même si l’amélioration est plus ou moins marquée chez nos participantes, elle signale un progrès.

Conclusion

Les résultats de cette étude exploratoire permettent de conclure sur quelques recommandations cliniques visant à améliorer nos services auprès des femmes toxicomanes qui ont un vécu de prostitution. D’abord, il importe de mettre en place des réseaux intégrés de services (Santé Canada, 2002) adaptés aux multiples problématiques que vit ce sous-groupe de femmes :

  1. des corridors de services entre les différentes ressources de crise, incluant les services d’urgence des hôpitaux et les centres de réadaptation en toxicomanie ;

  2. des services d’hébergement pour stabiliser l’état de crise, à la fois physique et psychosociale ;

  3. des contacts personnalisés avec un professionnel qui assure la continuité et l’accessibilité des services, à partir du premier contact avec un service d’urgence : celui-ci doit cibler la création d’un lien de confiance et une intervention de nature motivationnelle (Miller, 1999) qui favorise le choix du changement malgré les peurs et les obstacles ;

  4. le recours aux membres de l’entourage, lorsque présents, pour soutenir l’engagement de ces femmes dans une démarche de changement à plus long terme.

Il est utile d’être pro-actifs dans nos stratégies pour rejoindre la personne toxicomane et son entourage. Cette recommandation est d’autant plus importante pour les femmes toxicomanes prostituées étant donné leur méfiance ainsi que leur peur d’être jugées et stigmatisées (Nuttbrock et coll., 2004). De plus, la forte prévalence d’abus sexuels chez ces femmes ainsi que leur influence sur leur trajectoire de prostitution et de toxicomanie souligne l’importance de dépister et d’intervenir adéquatement en regard de cette problématique. Enfin, une évaluation juste et individualisée du type de trajectoires de prostitution et de toxicomanie de ces femmes s’avère essentielle pour cibler et prioriser adéquatement les objectifs de traitement. Par exemple, certaines se représentent la prostitution comme étant un élément central de leur identité les ayant aidées à survivre. D’autres la perçoivent comme un dernier recours, comme l’atteinte du « fond du baril ». L’intervention doit tenir compte de ces différentes représentations.

En somme, malgré les limites inhérentes aux études en profondeur portant sur un petit nombre de cas, les histoires de vie de ces femmes nous permettent d’améliorer notre compréhension de leur parcours de vie et de leurs besoins. De fait, le récit de ces femmes nous permet de dépasser les aspects moraux liés à la prostitution pour en comprendre le sens. Le Conseil du statut de la femme du Québec (2002) soulignait le peu de données sur le phénomène de la prostitution, notamment étant donné sa clandestinité le rendant plus difficile à étudier. En ce sens, les résultats de notre étude permettent de guider notre réflexion qui doit cependant être poursuivie.