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Introduction

En 2007-2008, plus de 29 000 adolescents ont été pris en charge par un centre jeunesse (CJ) (ACJQ, 2008). Ces jeunes, au parcours souvent difficile, présentent de multiples conduites à risque. Parmi celles-ci, la consommation de psychotropes[1] représente un phénomène préoccupant, tant par le nombre élevé de consommateurs au sein de cette clientèle que par les connaissances limitées sur la nature et la gravité de la consommation de ces jeunes. Différentes enquêtes québécoises ont, en effet, montré que plus de 85 % des adolescents qui reçoivent des services des CJ ont bu de l’alcool au cours de leur vie, qu’entre 65 % à 90 % ont expérimenté le cannabis (Godin et coll., 2003 ; Pauzé et coll., 2004 ; RRSSS et CJ de Québec, 1995) et que près de la moitié aurait une consommation problématique (RRSSS et CJ de Québec, 1995). Nombre de chercheurs, de décideurs et d’intervenants ont déjà été alertés par ces taux élevés et ont attiré l’attention sur le défi que la consommation des adolescents des CJ pouvait représenter pour l’intervention en raison de la complexité des autres problèmes vécus par ces jeunes (Durocher et coll., 2001). En effet, 60 % des adolescents recevant des services d’un centre spécialisé en toxicomanie sont également pris en charge par un CJ (Tremblay et coll., 2004).

Les données relatives à la consommation de psychotropes de la clientèle desservie par les CJ sont encore limitées. Bien qu’il soit recommandé de considérer plusieurs indicateurs de gravité pour caractériser la consommation de psychotropes (APA, 2000 ; Vitaro et coll., 2000), la plupart des études s’étant penchées sur la consommation de ces jeunes ont surtout considéré deux indicateurs de gravité, soit la fréquence et la nature des psychotropes consommés. Ces données bien qu’intéressantes ne permettent de tracer qu’un portrait fragmentaire du phénomène de consommation. Pour obtenir un portrait plus exhaustif de la gravité de la consommation de psychotropes à l’adolescence, d’autres indicateurs devraient aussi être considérés, incluant la diversité des psychotropes consommés, la quantité absorbée, l’âge d’initiation aux psychotropes, l’âge de la consommation régulière, les raisons de la consommation et la présence de conséquences négatives liées à l’usage. Des études suggèrent ainsi que la consommation est d’autant plus grave ou problématique qu’elle est hebdomadaire ou abusive (Kaminer et Bukstein, 1998 ; Zapert et coll., 2002), qu’il s’agit de substances hallucinogènes ou de drogues considérées comme dures (solvants, cocaïne, héroïne…) (Bentler et coll., 2002 ; Zapert et coll., 2002), qu’elle a débuté avant l’âge de 11 ans et qu’elle est devenue hebdomadaire avant l’âge de 14 ans (Clark et coll., 2005 ; Sung, Erkanli et coll., 2003 ; Weinberg et coll., 1998), que les raisons de consommer sont liées à des problèmes personnels (APA, 2000 ; Segal et Stewart, 1996) et, enfin, que des conséquences négatives personnelles, familiales ou sociales résultent de la consommation de psychotropes (APA, 2000).

Outre la gravité de la consommation, sachant que la reconnaissance d’un problème et d’un besoin d’aide est associée à une meilleure participation au traitement et à de meilleurs résultats (Prochaska et coll., 2003), documenter la préoccupation des jeunes face à leur consommation et leur estimation d’un besoin d’aide s’avère essentiel pour l’intervention. Enfin, les chercheurs suggèrent que l’intervention porte sur les corrélats personnels, familiaux et sociaux associés à la consommation (Frick, 2004 ; Marsden et coll., 2005 ; Strijker et coll., 2005 ; Vitaro et coll., 2000).

Les chercheurs qui se sont intéressés aux corrélats de la consommation de psychotropes à l’adolescence (Tarter, 2002 ; Vitaro et coll., 2000 ; Weinberg et coll., 1998) font tous état de caractéristiques individuelles, familiales et sociales associées à la présence de cette problématique. Par exemple, au plan personnel, des troubles du comportement et des problèmes de type intériorisé ont été relevés chez les jeunes ayant des problèmes de consommation (Tarter, 2002 ; Weinberg et coll., 1998). De moins bonnes habiletés cognitives ou scolaires ont également été observées chez les jeunes consommateurs (Tarter, 2002 ; Weinberg et coll., 1998). Sur le plan social, les jeunes qui consomment des psychotropes sont nombreux à fréquenter des pairs déviants (Tarter , 2002 ; Weinberg et coll., 1998). Enfin, sur le plan familial, des problèmes de consommation ont été observés chez les parents des jeunes toxicomanes (Tarter, 2002 ; Vitaro et coll., 2000 ; Weinberg et coll., 1998). Les pratiques parentales apparaissent déficitaires chez les familles des jeunes consommateurs principalement sur le plan de la supervision (Tarter, 2002 ; Vitaro et coll., 2000).

À notre connaissance, au Québec, depuis le début des années 1990, seules deux études menées sur les clientèles des CJ – celle de LeBlanc (1994) et celle de la RRSSS et CJ de Québec (1995) – ont permis de décrire de manière plus détaillée la consommation des jeunes desservis. Ces études ont tenté d’établir des profils de gravité de la consommation et de déterminer les caractéristiques personnelles, sociales et familiales qui leur étaient associées. L’étude de LeBlanc (1994), qui a été réalisée dans les CJ de Montréal en 1992, a fait ressortir trois profils chez les jeunes consommateurs. Ces profils ont été établis à partir d’indicateurs tels l’âge d’initiation aux psychotropes, la nature et la diversité des psychotropes consommés, la fréquence de consommation et l’implication des jeunes dans la vente de drogues. Sur la base de ces indicateurs, il est apparu qu’un peu plus de la moitié des jeunes avait un profil de consommation relativement peu sévère (consommation en émergence), que le quart avait un profil intermédiaire (consommation explosive) et que 16 % correspondaient à un profil sévère (consommation persistante grave). L’étude a également fait ressortir que comparativement aux jeunes des autres profils, ceux du profil de consommation le plus sévère présentaient aussi les comportements antisociaux les plus sérieux (conduites délinquantes et oppositionnelles), avaient de moins bons liens familiaux (investissement et attachement réciproque plus faibles) et côtoyaient davantage d’amis consommateurs.

L’étude de la RRSSS et des CJ de Québec (1995) a aussi mis en évidence différents profils de consommation, cette fois chez les clientèles adolescentes des CJ de Québec en avril 1995. Dans cette étude, sur la base d’indicateurs tels que la nature, la fréquence et la quantité de psychotropes consommés ainsi que le fait de consommer seul ou avec d’autres jeunes, les auteurs ont établi que la consommation de plus de la moitié des jeunes était problématique, le quart présente une consommation plus à risque tandis que les autres (18 %) ont une consommation non problématique. L’étude a également montré que les jeunes du profil problématique étaient plus nombreux que les autres jeunes de l’échantillon à avoir des problèmes scolaires et judiciaires, à se sentir déprimés et agressifs lorsqu’ils ne consomment pas et à avoir pensé sérieusement au suicide. Ces jeunes provenaient plus souvent d’une famille non intacte (monoparentale ou recomposée) où régnaient une moins bonne cohésion et une plus grande discorde entre les membres.

Ces études concourent à démontrer l’hétérogénéité de la clientèle adolescente des CJ en mettant en évidence différents profils de consommation de psychotropes chez ces jeunes de même que des caractéristiques propres à ces profils. Mais en dépit de leur pertinence, les données issues de ces études ne reflètent peut-être plus la situation. L’Association des centres jeunesse du Québec (2008) rapporte un alourdissement continu des difficultés des clientèles, celles-ci cumulant toujours plus de caractéristiques problématiques tant sur le plan individuel, familial que social. Par ailleurs, en dépit d’échantillons mixtes, les études précédemment présentées ne décrivent pas la consommation en fonction du sexe. Or, depuis les quinze dernières années, les garçons n’ont plus le monopole de la consommation de psychotropes. En effet, il apparaît clairement que la consommation d’alcool et de drogues est à la hausse chez les adolescentes (Vitaro et Carbonneau, 2000). L’absence de telles données ne permet donc pas de se prononcer sur la nécessité d’offrir des services différenciés aux garçons ou aux filles. Enfin, en nous fondant sur les travaux de Prochaska et coll. (2003), les services en toxicomanie ne peuvent être planifiés sans porter une attention particulière à la motivation au changement de la personne. Or, à ce niveau, nous ne disposons d’aucune donnée permettant d’estimer la reconnaissance de ce problème chez ces jeunes et leur ouverture à recevoir de l’aide.

La présente étude vise donc à établir, selon le sexe, différents profils de gravité de la consommation de psychotropes chez des adolescents, desservis par différents CJ et à identifier des caractéristiques personnelles, familiales et sociales associées à ces différents profils. De façon plus spécifique, nos objectifs sont :

  1. de tracer un portrait exhaustif de la consommation des garçons et des filles qui sont desservis par les CJ, incluant les indicateurs de motivation au changement, et de déterminer si ce portrait varie selon le sexe ;

  2. d’établir différents profils de consommateurs à partir d’indicateurs qui tiennent compte, entre autres, des conséquences négatives résultant de la consommation de psychotropes ;

  3. de déterminer si ces profils se discriminent sur la base des caractéristiques personnelles, familiales et sociales fréquemment associées à la consommation de psychotropes.

Méthodologie

Sélection des participants et déroulement

L’étude a été menée auprès d’un échantillon de 408 adolescents desservis par différents CJ du Québec[2]. L’échantillon inclut 281 garçons et 127 filles âgés de 12 à 17 ans (âge moyen : 15,4 ans, é.t. = 1,5 an). Ces jeunes proviennent des CJ de Montréal (n = 171), de Québec (n = 123), de l’Estrie (n = 78) et de la Côte-Nord (n = 36).

Cet échantillon d’adolescents a été recruté dans le cadre d’une vaste recherche sur les clientèles 0-17 ans des CJ du Québec (Pauzé et coll., 2004). Comme tous les participants de cette recherche, les adolescents ont été sélectionnés au hasard à partir de la liste hebdomadaire de tous les nouveaux cas référés à la prise en charge de l’un ou l’autre des quatre CJ participants, sur une période de 12 mois. Le choix de ces CJ a été fait en fonction de leur représentativité en termes de milieux (urbains, semi-urbains et ruraux) et du volume de population jeunesse vivant sur ces territoires. Pour qu’un jeune soit sélectionné, il devait s’agir d’une nouvelle demande de prise en charge, mais le jeune pouvait avoir déjà reçu des services d’un CJ par le passé. Les adolescents devaient être référés soit à un service de prise en charge, soit à un service de suivi intensif pour prévenir le placement. Les analyses comparatives réalisées montrent que l’échantillon d’adolescents qui ont accepté de participer à l’étude ne se différencie pas significativement de l’échantillon de départ en ce qui a trait à la distribution selon la région de provenance, le sexe ou les motifs de référence aux CJ.

Les adolescents et un de leur parent ou tuteur (celui qui est le plus fréquemment en contact avec le jeune au cours de la dernière année) ont documenté les variables à l’étude. Les entrevues étaient réalisées individuellement, à domicile. Le protocole d’entrevue prévoyait deux rencontres de 90 minutes chacune avec le parent ainsi qu’une rencontre de 90 minutes avec le jeune. Préalablement à la réalisation des entrevues, les jeunes et leur parent ont signé un formulaire de consentement éclairé. Tous les participants ont reçu une compensation financière pour leur collaboration.

Mesures

Consommation de psychotropes

La consommation de psychotropes des jeunes desservis par les CJ est décrite à l’aide de la section « alcool et drogue » de l’Indice de gravité d’une toxicomanie pour adolescents (IGT-ADO) (Landry et coll., 2000 ; Germain et coll., 1998). Composée de 25 items, cette section permet de documenter auprès du jeune lui-même les principaux indicateurs actuellement reconnus pour établir des degrés de sévérité de consommation (Leccese et Waldron, 1994 ; Vitaro et coll., 2000), dont la nature et la diversité des psychotropes consommés, leur fréquence de consommation, l’âge d’initiation aux psychotropes, l’âge de la consommation régulière, le mode d’administration et les conséquences négatives liées à la consommation. L’IGT-ADO permet aussi de calculer le degré de sévérité de la consommation de psychotropes à l’aide de deux scores composés, le premier pour l’alcool, le second pour les autres drogues (Bergeron et coll., 1998). Ces scores peuvent varier de 0 à 1 et sont établis à partir d’une pondération des réponses données aux questions concernant uniquement les indicateurs suivants : la fréquence de consommation au cours des 30 derniers jours (pour chacun des psychotropes consommés), la nature et le cumul des psychotropes consommés, le nombre de jours où le jeune a éprouvé des difficultés en lien avec sa consommation, l’intensité des problèmes et l’estimation du besoin d’aide. Les études psychométriques publiées en 2000 par Landry et coll. ont permis de démontrer que l’IGT-ADO présente une consistance interne satisfaisante, une bonne fidélité test-retest et de bonnes validités conceptuelle et discriminante.

Établissement des profils de consommateurs

Les profils de sévérité de consommation de psychotropes ont été établis à partir des deux scores composés à l’IGT-ADO parce qu’ils reflètent non seulement la consommation à court terme, mais aussi celle à plus long terme. Les analyses réalisées à partir de nos propres données montrent en effet que les corrélations calculées entre ces scores et différents indices de la consommation annuelle, aussi mesurés dans l’IGT‑ADO (nombre de psychotropes consommés et fréquence de leur consommation au cours de la dernière année), varient de r = 0,20 à r = 0,42 (p < 0,01) pour l’alcool, et de r = 0,52 à r = 0,61 (p < 0,001) pour les autres drogues.

Cependant, Bergeron et coll. (1998) ne proposent pas de seuils ou de points de coupure à partir desquels les scores composés peuvent être considérés comme élevés ou faibles. Pour établir de tels points de coupure dans notre échantillon clinique d’adolescents, nous avons considéré les quartiles de la distribution de ces deux scores dans l’échantillon. C’est ainsi que des scores composés supérieurs au troisième quartile (ou quartile supérieur) pour la consommation d’alcool (score égal ou supérieur à 0,033 dans notre échantillon) et pour la consommation d’autres drogues (score égal ou supérieur à 0,067 dans notre échantillon) ont été utilisés pour établir des seuils de consommation élevée. Ces points de coupure sont assez sévères puisqu’ils correspondent au 90e percentile de la distribution observée dans un échantillon d’adolescents de même âge et sexe issu de la population générale (Toupin, Pauzé, Chamberland, Frappier, Cloutier, et Boudreau, 2004). À l’autre extrémité, des scores composés pour l’alcool et pour la drogue inférieurs au deuxième quartile de la distribution des scores dans notre échantillon (scores respectivement inférieurs à 0,008 pour l’alcool et à 0,012 pour la drogue) sont utilisés pour établir des seuils de consommation relativement faibles. Ces points de coupure sont inférieurs aux scores composés situés au 75e percentile dans l’échantillon normal de Toupin et coll. (2004) pour l’alcool et la drogue. Enfin, tous les autres scores sont considérés comme reflétant une consommation modérée ou à risque.

Caractéristiques des jeunes

Troubles intériorisés et extériorisés. La présence de troubles intériorisés et extériorisés chez les jeunes a été établie auprès du parent et du jeune lui-même à l’aide du Diagnostic Interview Schedule for Children (DISC 2.25, Shaffer et coll., 1993 ; version française de Breton et coll., 1998). Il s’agit d’une entrevue diagnostique structurée, développée à partir des critères du DSM-III-R (APA, 2000) pour détecter les symptômes de différents troubles mentaux chez les jeunes, dont ceux de l’anxiété, de la dépression, du trouble de l’attention avec hyperactivité, du trouble de l’opposition et du trouble des conduites. La cohérence interne de la version française du DISC (Breton et coll., 1998) varie entre 0,70 et 0,90 selon les troubles mentaux identifiés par les parents. L’outil présente également une validité de construit satisfaisante.

Estime de soi. Le Self-description Questionnaire de Marsh (1994) a été utilisé auprès du jeune. Il comporte huit items accompagnés d’une échelle de type Likert en six points (faux, principalement faux, plus faux que vrai, plus vrai que faux, principalement vrai, vrai). Le score global représente la façon dont le jeune se perçoit. La cohérence interne et la fidélité test-retest de l’instrument sont bonnes (Marsh, 1994).

Retard scolaire. Les difficultés scolaires ont été documentées à l’aide d’un questionnaire tiré de l’Enquête québécoise sur la santé mentale des jeunes (Valla et coll., 1994). Entre autres, ce questionnaire permet de vérifier, auprès du parent, si le jeune a doublé une ou plusieurs années scolaires. La variable ordinale correspondant au nombre d’années que le jeune a doublé a été retenue dans cette étude.

Caractéristiques de la famille et des parents

Conditions socio-économiques. Les caractéristiques socio-économiques ont été colligées auprès du parent à l’aide d’un questionnaire issu aussi de l’Enquête québécoise sur la santé mentale des jeunes (Valla et coll., 1994). Le niveau socio-économique a été calculé à partir du niveau d’étude des parents, du statut d’emploi (ou de la source de revenus) et du revenu familial annuel. Le niveau socioéconomique s’exprime par un indice allant de 1 à 8, 1 étant associé au niveau le plus élevé.

Problèmes de consommation de psychotropes des parents. Ces problèmes sont évalués à l’aide de la version française du Composite International Diagnostic Interview Simplified (DISSA, Kovess et Fournier, 1990), une version abrégée du Diagnostic Interview Schedule (Robins, Helzer, Croughan et Ratcliff, 1981). Les questions de type oui-non permettent d’établir, auprès du parent, la présence d’abus ou d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues d’après les critères du DSM-III-R. La comparaison des diagnostics posés à l’aide du DISSA avec ceux posés par des psychiatres (Kovess, Fournier, Lesage, Amiel-Lebigre et Caria, 2001) donne des kappas de 0,74 pour les troubles liés à la consommation d’alcool et de 0,42 pour les désordres liés à la consommation de drogues. De plus, Kovess et coll. (2001) observent une bonne concordance entre les diagnostics posés avec le CIDIS et ceux posés à l’aide d’un instrument standardisé connexe, le NFCAS-C (Needs for Care Assessment Schedule-Community).

Détresse psychologique du parent. La détresse psychologique du répondant principal est évaluée à l’aide de la version abrégée de l’Indice de détresse psychologique de Préville et coll. (1995). Sous la forme d’une échelle de Likert en quatre points (jamais, de temps en temps, assez souvent, très souvent), ce questionnaire, administré directement au parent, comporte 14 items permettant d’établir un score de détresse psychologique. La validité factorielle de l’instrument est satisfaisante. L’alpha de Cronbach indique une cohérence interne globale de 0,89 et les coefficients de fidélité varient entre 0,76 et 0,83, selon les symptômes.

Pratiques éducatives parentales. Trois échelles de la version française du Alabama Parenting Questionnaire (Frick, 1991), modifiées pour qu’elles soient adaptées aux adolescents, ont été administrées au parent principal pour connaître ses pratiques éducatives avec l’adolescent, soit l’engagement parental, le manque de supervision et l’inconstance disciplinaire. Ces échelles sont de type Likert en 5 points. Les qualités métrologiques évaluées par Shelton et coll. (1996) démontrent une cohérence interne satisfaisante, les alphas de Cronbach variant de 0,64 à 0,80 pour les sous-échelles utilisées dans la présente étude. La validité de convergence est également jugée satisfaisante par ces mêmes auteurs.

Caractéristiques du réseau social du jeune

Fréquentation de pairs déviants. Cette information a été établie à l’aide de la carte de réseau développée par Desmarais et coll. (1982). Cette carte complétée avec le jeune permet de colliger le nombre d’amis qui sont consommateurs de psychotropes, et qui composent son réseau social.

Les problèmes sociaux. Les difficultés sociales de l’adolescent ont été évaluées à l’aide du Child Behavior Checklist (CBCL, Achenbach, 1992). Il a été utilisé auprès du parent pour établir l’intensité des problèmes sociaux présentés par l’adolescent. La cohérence interne du CBCL a été évaluée à 0,99 pour l’échelle des problèmes sociaux, tandis que la fidélité test-retest est évaluée à 0,97. La fidélité inter-juges observée est également très élevée avec un coefficient de 0,93 (Achenbach, 1992).

Analyses

Afin de comparer le portrait de la consommation des garçons et des filles qui sont desservis par les CJ, des analyses de variance unidimensionnelles ou des analyses de khi2 ont été effectuées selon la nature des indicateurs évalués. Pour diminuer la probabilité de commettre une erreur alpha par la multiplication de ces tests statistiques, la correction de Bonferroni a été appliquée (Cook et Campbell, 1979 dans Hair et coll., 1998). Le seuil de signification 0,05 a donc été divisé par le nombre de comparaisons effectuées (51), le seuil de signification corrigé étant à p < 0,0001. Pour déterminer si des caractéristiques personnelles, familiales et sociales (ou des combinaisons de ces caractéristiques) distinguaient les trois profils de consommateurs, une analyse discriminante a été retenue.

Résultats

Consommation de psychotropes

Les caractéristiques de consommation de l’ensemble des participants sont décrites à partir des différents indicateurs de sévérité présents dans l’IGT-ADO. Les tableaux 1, 2 et 3 rendent compte de ces résultats.

Nature, diversité et fréquence de la consommation de psychotropes. Tout d’abord, en ce qui a trait à la nature et à la fréquence de la consommation de psychotropes (voir tableau 1), une très forte proportion de jeunes a déjà consommé de l’alcool (88 % des garçons et 87 % des filles) et du cannabis (78 % des garçons et 75 % des filles). Près du tiers a fait usage de ces deux types de psychotropes de façon hebdomadaire au cours de l’année précédant la passation de l’IGT-ADO. Une proportion significativement plus élevée de garçons (42,6 %) que de filles (30,8 %) a déjà fait usage d’hallucinogènes, ce psychotrope étant habituellement consommé de manière occasionnelle, au cours de la dernière année. La cocaïne et les autres drogues (speed, héroïne, barbituriques, sédatifs, colle et solvant) sont consommées en proportions comparables soit environ 17 % des garçons et 12 % des filles. Il semble que les jeunes s’étant initiés à la cocaïne en consomment souvent à une fréquence hebdomadaire. Toutefois, relativement peu de jeunes ont rapporté une consommation quotidienne de psychotropes au cours de la dernière année, à l’exception du cannabis (11,5 %). Enfin, lorsque l’on questionne les jeunes sur la présence de consommation au cours des 30 derniers jours précédents leur signalement au CJ, plus de la moitié des garçons et des filles rapportent avoir consommé de l’alcool ou du cannabis.

Tableau 1

Nature, diversité et fréquence des psychotropes consommés

Nature, diversité et fréquence des psychotropes consommés

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Tableau 2

Âge d’initiation et âge de la consommation hebdomadaire

Âge d’initiation et âge de la consommation hebdomadaire

a Données obtenues uniquement auprès des jeunes ayant déjà consommé des psychotropes.

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Tableau 3

Conséquences négatives, raisons liées à la consommation et motivation au changement

Conséquences négatives, raisons liées à la consommation et motivation au changement

b Données obtenues uniquement auprès des jeunes ayant déjà consommé des psychotropes

c Données obtenues uniquement auprès des jeunes ayant une consommation élevée de psychotropes

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Âge d’initiation aux psychotropes et âge de la consommation hebdomadaire. Comme on peut le constater dans le tableau 2, les garçons et les filles s’initient à l’alcool respectivement à 11,8 ans et à 12,3 ans en moyenne, au cannabis à 12,8 ans, aux hallucinogènes puis aux autres drogues sensiblement vers le même âge, soit tout près de 14 ans. La consommation hebdomadaire débute par celle du cannabis (13,9 ans pour les garçons et à 13,7 ans pour les filles), puis par celle de l’alcool, d’hallucinogènes et des autres drogues de façon simultanée. Notons toutefois que le nombre de garçons et de filles consommant des hallucinogènes et d’autres drogues est limité (n ≤ 25).

Conséquences négatives associées à la consommation. Considérant les bad trip, les black out, la surdose et les dettes comme autant de conséquences directes associées à la consommation de psychotropes, le tableau 3 montre que plus de 40 % des jeunes rapportent avoir eu au moins un de ces problèmes. Les bad trip, les black out et la présence de dettes liées à leur consommation sont les problèmes les plus fréquemment rapportés. Significativement plus de garçons que de filles rapportent cumuler des dettes en raison de leur consommation de psychotropes.

Raisons de consommer des psychotropes. Tant chez les garçons que chez les filles, la recherche de plaisir est la raison la plus souvent évoquée pour consommer, suivie par l’envie de faire de nouvelles expériences. Si les raisons de consommer sont assez similaires chez les garçons et les filles, ces dernières sont significativement plus nombreuses que leurs pairs masculins à rapporter consommer pour oublier leur problème.

Motivation au changement. En réponse aux questions 23 et 24 de l’IGT-ADO (version 3.0), seul un jeune sur trois, chez ceux qui ont été évalués comme ayant une consommation jugée élevée, s’avoue préoccupé par sa consommation d’alcool et de drogues (voir le tableau 3). Une proportion encore plus faible de garçons et de filles desservis par les CJ reconnaissent avoir besoin d’aide pour diminuer ou cesser leur consommation d’alcool et de drogues.

Profils de consommateurs

Sur la base des seuils utilisés pour les scores composés d’alcool et de drogue à l’IGT-ADO (voir la section sur les mesures), il ressort que 28,9 % des jeunes (n = 118, dont 36 filles) entrent dans un profil de consommation faible (données non présentées en tableau). En contrepartie, 37,3 % des jeunes (n = 152, dont 41 filles) obtiennent un score les situant dans un profil de consommation élevée. Enfin, 33,8 % (n = 138, dont 40 filles) auraient un profil de consommation modérée.

La proportion de garçons et de filles est sensiblement la même dans les trois profils de consommateurs [χ2 = 0,42, dl = 2 ; n.s.]. Cependant, les trois groupes se différencient significativement en fonction de l’âge chronologique [F = 43,87, dl = 2 ; p < 0,001], les jeunes ayant un profil de consommation élevée étant significativement plus âgés (16,0 ans en moyenne) que les jeunes présentant une faible consommation (14,5 ans) et une consommation modérée (15,6 ans).

Caractéristiques associées aux profils de consommateurs

Pour déterminer si des caractéristiques personnelles, familiales et sociales (ou des combinaisons de ces caractéristiques) distinguaient les trois profils de consommateurs, une analyse discriminante a été réalisée. La variable âge a été introduite comme variable indépendante dans l’analyse, en raison des différences constatées entre les groupes. Le test Box’s M utilisé pour vérifier l’égalité des matrices de covariance entre les groupes a révélé des différences significatives à p = 0,03, des différences à ce seuil de signification étant toutefois jugées acceptables en raison de la grande sensibilité du Box’s M (Tabachnick et Fidell, 1996). De plus, le test de sphéricité de Bartlett confirme que les variables sont suffisamment corrélées entre elles pour procéder à une analyse multivariée, χ2 approximé (90) = 9431,93 ; p < 0,001, bien que ces corrélations ne soient pas suffisamment élevées pour représenter un risque de multicolinéarité (r ≤ 0,38).

Les résultats de l’analyse discriminante révèlent qu’une seule fonction discrimine significativement les groupes. Cette fonction permet d’expliquer 90,6 % de la variance et discrimine principalement le groupe de jeunes présentant une consommation élevée des deux autres profils de consommation (Wilks’ Lambda = 0,70 ; χ2 (26) = 135,68 ; p < 0,001).

L’importance des coefficients standardisés calculés pour chacune des caractéristiques, de même que la force des corrélations entre ces caractéristiques et les variables canoniques permet d’identifier ce qui contribue le plus à distinguer les groupes sur chaque fonction discriminante. Le tableau 4 montre que deux variables, dont les coefficients et les corrélations calculées sont à la fois relativement élevés, et contribuent le plus à discriminer le groupe de jeunes ayant une consommation élevée des deux autres groupes. Ces variables sont l’âge des jeunes et la fréquentation de pairs consommateurs.

Les moyennes calculées pour chacune des caractéristiques entrées dans l’analyse discriminante sont reproduites dans le tableau 5. Sans perdre de vue que c’est un ensemble de caractéristiques qui discriminent les groupes, ces moyennes de même que le sens des corrélations (positives ou négatives) observées dans le tableau 4 suggèrent qu’être plus âgé et fréquenter un nombre plus élevé d’amis consommateurs caractérisent davantage les jeunes des CJ présentant une consommation élevée de psychotropes que les jeunes des deux autres profils de consommation.

Tableau 4

Fonctions discriminantes des caractéristiques du groupe présentant une consommation élevée

Fonctions discriminantes des caractéristiques du groupe présentant une consommation élevée

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Tableau 5

Description des caractéristiques des groupes de consommateurs

Description des caractéristiques des groupes de consommateurs

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Discussion

Cette étude visait d’abord à tracer un portrait exhaustif de la consommation de psychotropes des jeunes desservis par les CJ pour ensuite établir des profils de consommateurs et identifier les caractéristiques personnelles, familiales et sociales discriminant chacun de ces profils. Outre qu’elle était réalisée auprès de jeunes desservis par différents CJ à travers le Québec, cette étude se démarque des autres études déjà réalisées parce qu’elle considère une grande diversité d’indicateurs pour estimer la gravité de la consommation, qu’elle porte une attention particulière aux différences selon le sexe et qu’elle s’intéresse à la motivation au changement et aux besoins d’aide ressentis par les jeunes.

Il est reconnu que les jeunes desservis par les CJ du Québec sont nombreux à consommer des psychotropes, ce qui est souvent présenté comme un défi pour l’intervention en raison de la complexité des problèmes de ces adolescents (Durocher et coll., 2001 ; RRSSS et CJ de Québec, 1995 ; Saint-Jacques et coll., 1999). En considérant les résultats de la présente étude, ces préoccupations face à la consommation de psychotropes et à l’intervention semblent justifiées. En effet, le portrait de consommation tracé dans le cadre de cette étude suggère que l’usage de psychotropes est un phénomène répandu chez les jeunes des CJ. En outre, la forte proportion de consommateurs, la diversité des psychotropes consommés et la fréquence élevée de leur consommation sont autant d’indicateurs de gravité caractérisant ces jeunes.

Lorsque l’on compare la consommation des garçons et des filles desservis par les CJ, très peu de différences quant à la nature et la gravité de cette consommation ressortent des analyses. Cette similitude semble propre aux adolescents des CJ puisque chez les jeunes de la population générale, certaines différences ressortent entre les garçons et les filles ; la prévalence des consommateurs chez les garçons étant légèrement plus élevée et leur consommation d’alcool et de cannabis plus fréquente et abusive (Guyon et Desjardins, 2005). Cette similarité dans la gravité de consommation illustre à quel point il est important de ne pas négliger le phénomène de la consommation de psychotropes chez les filles desservies par les CJ.

Au-delà des indicateurs de gravité étudiés, l’établissement de profils de consommateurs a permis de constater qu’une proportion significative de jeunes a un profil de consommation modérée et que plus du tiers des jeunes présentent une consommation dont la gravité est évaluée comme étant élevée. C’est donc dire que la majorité des jeunes des CJ bénéficieraient d’une intervention propre à la consommation de psychotropes. Or, sur le plan de l’intervention, il est clair que la reconnaissance du problème et la motivation à changer sont deux éléments garants de meilleurs résultats (Prochaska et coll., 2003). Comme la reconnaissance du problème et du besoin d’aide est plutôt faible chez les jeunes de notre étude, il pourrait être davantage approprié d’intervenir en se basant sur des approches qui proposent, comme le soulignent Roberts et coll. (2001), d’intervenir auprès des jeunes consommateurs de psychotropes en ayant un message crédible et adapté pour des adolescents et en respectant leur perception et leur ambivalence en mettant l’accent sur la responsabilisation et la participation des jeunes.

La reconnaissance de différents profils de consommateurs chez les jeunes desservis par les CJ, la considération de leur motivation au changement, tout comme le fait que ces profils se retrouvent dans des proportions similaires chez les garçons et les filles constituent déjà un pas vers une meilleure adaptation des services. Toutefois, un portrait des caractéristiques associées aux profils de sévérité est nécessaire afin de définir et de préciser les interventions. À l’instar de l’étude de LeBlanc (1994) et de celle de la RRSSS et CJ de Québec (1995), notre étude montre que les jeunes qui ont une consommation élevée se distinguent des autres jeunes principalement sur l’âge et sur la fréquentation de pairs déviants. Le peu de différence sur le plan personnel et familial reflète, peut-être, le peu de variances au niveau des caractéristiques étudiées. En effet, les adolescents de l’échantillon étant tous desservis par les services des CJ, il est possible de croire qu’ils présentent tous des difficultés sur le plan comportemental et que leur famille présentait des lacunes sur le plan des compétences parentales (pratiques éducatives, difficultés des parents).

Si nos résultats ne permettent bien évidemment pas d’aller plus loin dans ce sens, ils suggèrent néanmoins qu’au-delà des interventions normalement dispensées par les CJ, les services de prévention, de sensibilisation et de dépistage en toxicomanie offerts à la clientèle des adolescents doivent se poursuivent, et ce, tant pour les garçons que les filles. Sur ce plan, l’étude a clairement mis en évidence des différences d’âge entre les trois profils de consommateurs, la sévérité de ces profils augmentant en fonction de l’âge des jeunes. Il faut donc garder en tête qu’il ne s’agit peut-être que d’une question de temps pour que la gravité de la consommation des jeunes consommant peu ou de façon modérée augmente. De plus, le fait que les jeunes présentant une consommation élevée ont un réseau d’amis composé d’un plus grand nombre de consommateurs pourrait donner un appui à l’idée que l’initiation à la consommation de psychotropes se ferait par l’affiliation et le modelage aux pairs déviants (Ary et coll., 1999, Brochu, 2006) et l’augmentation de la consommation par la recherche d’identité et d’appartenance à un groupe (Brunelle et coll., 2005 ; Laventure et Pauzé, 1999). Il serait donc important de planifier une intervention préventive, adaptée à l’âge des jeunes (début de l’adolescence), permettant de freiner l’augmentation de la gravité de la consommation et de sensibiliser les jeunes à l’influence des pairs.

Les résultats de cette étude doivent être nuancés en fonction de certaines limites. Tout d’abord, l’étude a été réalisée auprès de jeunes desservis par des CJ de quatre grandes régions du Québec. Bien que cet échantillon soit représentatif des clientèles adolescentes de ces centres, il est possible que les résultats obtenus ne puissent être généralisés aux clientèles d’autres régions. De plus, la collecte des données sur la consommation de psychotropes n’a été effectuée qu’auprès du jeune lui-même, ce qui peut constituer une limite de l’étude. En effet, les données ayant été recueillies à une étape d’évaluation / orientation dans les CJ, les jeunes peuvent avoir sous-évalué leur consommation par crainte de voir ces informations se retrouver dans leur dossier clinique. Si cette limite a affecté les résultats en sous-évaluant la consommation de psychotropes des jeunes, cela ne fait que souligner l’importance de développer une intervention en toxicomanie propre à ces jeunes. Enfin, bien que plusieurs indicateurs aient été utilisés dans cette étude afin de déterminer les profils de consommateurs, ces indicateurs ne sont pas exhaustifs. C’est ainsi que la quantité de psychotropes consommés et l’usage abusif n’ont pu être examinés ici. Dans la mesure où ces indicateurs peuvent être particulièrement appropriés pour décrire la consommation à l’adolescence, ils devraient faire l’objet d’études ultérieures.

Ainsi, pour raffiner l’intervention auprès des jeunes consommateurs de psychotropes desservis par les CJ, les recherches futures devraient poursuivre l’étude des profils de consommateurs à l’aide de l’IGT, cette façon de faire permettant d’adapter l’intervention à la gravité de la consommation et du portrait clinique. Enfin, auprès d’une clientèle non volontaire comme celle des CJ, l’étude plus approfondie du processus de motivation au changement à l’adolescence permettrait l’identification de leviers pour l’intervention en toxicomanie.